Dans un précédent article, Prisme a présenté les conséquences des jugements prononcés par les conseils de guerre temporaires ordinaires pendant la période de suspension des conseils de révision temporaires.
Par décret ministériel du 17 août 1914 signé par le Président de la République Poincaré en application de l’article 71 & 2 du code de justice militaire, les conseils de révision temporaires aux armées ont été suspendus contrairement aux conseils de révision permanents qui n’ont jamais été suspendus durant le conflit.
Vingt mois plus tard, le décret du 8 juin 1916 a réinstauré les conseils de révision temporaires.
Combien de jugements ont-ils été « cassés » par les conseils de révision temporaires ?
Quelles divisions ont été le plus concernées par les décisions des conseils de révision ?
Quelles périodes ont-elles été les plus impactées par les décisions des conseils de révision ?
In fine, combien de jugements ont été confirmés par ces juridictions ?
Comme le souligne le traité des recours en révision contre les jugements des conseils de guerre en temps de guerre du colonel Augier et de Gustave Le Poittevin (édition de la société du recueil Sirey – 1915, page 1), le conseil de guerre étant juge souverain du fait, le conseil de révision était juge du droit. Les conseils de révision sont pour les militaires condamnés ce qu’est dans l’ordre civil la Cour de cassation pour les individus condamnés en matière criminelle ou correctionnelle.
Nous rappelons que Prisme appréhende l’ensemble de ces évènements à travers la notion, pratiquée en sociologie, de « cohorte » introduite par le général Bach. Une cohorte mensuelle est constituée de tous les condamnés à mort au cours du même mois. Le condamné peut être exécuté dans le mois. Mais il peut l'être aussi dans les mois suivants si son pourvoi en révision a été rejeté ou si sa demande de grâce, après examen, a été rejetée. Les autres condamnés échappent à la mort puisque leur peine est commuée.
Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.
Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux, quelle que soit leur apparence.
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1-Rappel sur les compétences des conseils de révision aux armées :
Selon l’article 44 de la loi du 17 avril 1906, la Cour de cassation prononcera au lieu et place des conseils et tribunaux de révision, sur les recours formés en temps de paix contre les jugements des conseils de guerre et tribunaux maritimes siégeant à l’intérieur du territoire, en Algérie et en Tunisie.
En temps de guerre, les conseils de révision se subsistent à la Cour de cassation du moins pour l’armée de terre.
Comme le rappelait le courrier secret du 5 janvier 1914 du Ministre de la guerre, il ne sera prévu de conseils de révision qu’au quartier général de chaque armée (article 38) ; si les besoins l’exigeaient ultérieurement, l’article 38 [du code de justice militaire] permettrait aux généraux commandant les armées ou corps d’armée, d’en établir de nouveaux.
Comme le rappelle le code de justice militaire par la doctrine et la jurisprudence de Leclerc de Fourolles/Coupois – 1913 - article 80 page 41, le conseil de révision remplit le rôle attribué dans le droit commun à la Cour de cassation.
Cependant, l’article 73 du code de justice militaire précise que ces juridictions ne connaissent pas du fond des affaires.
Pourtant, cette phrase n’est pas tout à fait exacte. C’est ce que nous apprend la décision du conseil de révision de la IIe armée du 3 août 1917 au sujet du recours du soldat Dumont Arthur du 151e régiment d’infanterie :
Attendu que, si aux termes de l’article 73 du code de justice militaire, les conseils de révision de même que la Cour de cassation ne connaissent pas du fond des affaires, la décision des juges du conseil de guerre relativement à une question de fait ayant un caractère irréfragable, il est néanmoins indiscutable que le droit de contrôler la qualification donnée aux faits déclarés constants, rentre dans les attributions du conseil de révision, lequel a caractère pour vérifier la qualification donnée ou refusée mal à propos aux faits tels qu’ils résultent de l’instruction.
Attendu que la Cour de cassation a, par une jurisprudence constante, hautement affirmé son droit d’examiner les faits incriminés pour rechercher leur véritable rapport avec la loi, son contrôle s’exerçant sur le fait non pour en contester l’existence matérielle, mais pour en apprécier les conséquences juridiques.
Attendu qu’en l’espèce, la procédure suivie contre Dumont ne fournit pas au conseil de révision les éléments d’appréciation indispensables pour lui permettre de se prononcer en connaissance de cause sur la qualification légale du fait qui a entraîné une condamnation à la peine capitale et par suite d’exercer son contrôle dont la jurisprudence de la Cour suprême lui reconnaît solennellement le droit.
Par ces motifs, admet à l’unanimité le moyen proposé, casse et annule le jugement.
Cette juridiction qui ne se limite donc pas uniquement à contrôler la « forme » des jugements.
2-La suspension du recours en révision :
Par son ordre général n°7 daté du 19 août 1914, le général Joffre informait les troupes que le recours en révision était suspendu par le décret ministériel du 17 août 1914 signé par le Président Poincaré et par le ministre de la guerre Messimy.
Souvenons-nous des propos du législateur qui a déclaré au sujet de l’article 71 & 2 permettant la suspension des conseils de révision : il est indispensable de tenir compte de certaines éventualités, dit le rapporteur de la loi de 1875, qui, à la guerre peuvent imposer impérieusement une promptitude exemplaire de rigoureuse répression ; cette considération a conduit à penser que la loi doit prévoir et permettre sous certaines conditions et dans certains cas exceptionnels, la suspension temporaire de la faculté de recours en révision. (Code de justice militaire par la doctrine et la jurisprudence de Leclerc de Fourolles/Coupois – 1913 - article 71 page 29).
La suspension du recours en révision repose sur l’appréciation des termes « sous certaines conditions et dans certains cas exceptionnels ».
Par le décret ministériel du 8 juin 1916, le recours en révision a été à nouveau ouvert aux condamnés à mort.
Du 17 août 1914 au 8 juin 1916, les conseils de révision aux armées n’ont pas pu exercer le moindre regard sur les jugements prononcés par les conseils de guerre temporaires.
3-Année 1916 :
Les bases de données de Prisme recensent 42 jugements cassés par les conseils de révision au cours des sept mois de fonctionnement de cette juridiction au cours de cette année 1916.
Le mois d’octobre 1916 présente le plus grand nombre de jugements cassés et renvoyés devant une autre juridiction.
Bien que le nombre ne soit pas très élevé, c’est la 77e division d’infanterie qui affiche le plus grand nombre de jugements cassés.
4-Année 1917 :
Au cours de cette année 1917, 131 jugements ont été cassés par les conseils de révision.
Le mois de juin regroupe à lui seul 66 jugements cassés.
Avec 33 jugements cassés, c’est toujours la 77e division d’infanterie qui affiche le plus grand nombre de jugements cassés puis renvoyés devant un autre conseil de guerre.
La très grande majorité de ces militaires ont été recondamnés à temps, c’est le cas du soldat Guibout que nous avons déjà présenté avec le général Bach dans un article intitulé : la Justice au quotidien dans un corps de troupe, le 134e RI. Les circonstances atténuantes ayant été admises, ce soldat a été condamné à 10 ans de travaux publics. Le 21 juin 1921, comme 94% incarcérés suite à une condamnation à mort, Guibout a été renvoyé dans ses foyers, du fait des lois d’amnistie.
5-Année1918 :
En 1918, les conseils de révision aux armées ont cassé 30 jugements.
En août, même si ce chiffre n’est pas très élevé, 5 jugements ont été cassés.
Sur cette base relativement réduite de 30 jugements, c’est la 66e division d’infanterie qui a compte le plus grand nombre de jugements cassés.
6-Ensemble du conflit 14/18 :
A partir du 8 juin 1916, Prisme a dénombré 206 jugements cassés.
Avec 64 jugements cassés, c’est la 6e armée qui compte le plus grand nombre de jugements cassés ou renvoyés devant une autre juridiction.
Au sein de la VIe armée, avec 36 jugements cassés, la 77e division d’infanterie présente le grand nombre de jugements renvoyés devant une autre juridiction. Hormis la 81e division d’infanterie, les autres divisions affiche peu de jugements cassés.
L’importance de ces jugements cassés au sein de la 77e division d’infanterie s’explique par la remise en cause des jugements « collectifs ». Comme Prisme l’a déjà évoqué un précédent article, certaines divisions ont eu recours à ce type de jugement. Le 9 juin 1917, la 77e division d’infanterie a jugé 22 militaires au cours d’un jugement collectif. Le lendemain, cette division a jugé 9 militaires au cours d’un autre jugement collectif.
Le 13 juin 1917, le conseil de révision de la VIe armée a statué sur ce jugement.
Attendu qu’il ne résulte pas du texte reproduit ci-dessus qu’une copie de la citation ait été remise à chacun des accusés.
Attendu qu’il y a là une violation formelle de l’article 156 du code de justice militaire et de règles de la procédure criminelle.
A la majorité de quatre voix contre une, admet le deuxième moyen. En conséquence, casse et annule le jugement susvisé.
Les 22 accusés ont été renvoyés devant le conseil de guerre de la 43e division d’infanterie.
Ces 22 militaires ont été condamnés à des peines allant de 10 à 20 ans de travaux forcés. Les lois d’amnistie de 1919 et 1921 vont s’appliquer à ces condamnés qui ont été libérés avant la fin de l’année 1922.
Sur les 36 jugements cassés de la 77e division d’infanterie, 31 sont issus de jugements collectifs. Les 9 condamnés du 10 juin 1917 ont également été recondamnés à temps.
Le 2e moyen présenté par le soldat Lussan avocat à la Cour de Cassation, défenseur des 22 accusés du 9 juin 1917 porte sur la forme. Les juges du conseil de révision de la VIe armée ont admis que le mot « copie » (au singulier) de la citation remise aux accusés ne garantissait pas que tous les accusés en aient reçu une à titre individuel ce qui est contraire à l’article 156 du code de justice militaire et qui a justifié l’annulation du jugement.
Ces jugements collectifs ont eu lieu au cours de la période des mutineries. Vu le nombre élevé des prévenus, on peut supposer que le commissaire-rapporteur et le greffier, ont essayé de faire au mieux, dans l’urgence du moment, ce qui a engendré des erreurs.
7-Répartition des jugements prononcés en 2ème instance :
Parmi les jugements cassés par les conseils de révision, on compte :
-162 recondamnations à temps
-4 recondamnations à mort, jugements cassés de nouveau, recondamnations à temps
-3 recondamnations à mort, jugements cassés de nouveau, recondamnations à mort, jugements cassés de nouveau puis recondamnations à temps
-23 recondamnations à mort suivies d’une grâce
-8 recondamnations à mort, jugements cassés de nouveau, recondamnations à mort suivies d’une grâce
-6- recondamnations à mort suivies d’une exécution
Ce sont donc 206 jugements qui ont été cassés par les conseils de révision aux armées entre le 8 juin 1916 et le 23 novembre 1918.
En termes d’individus, cela se traduit par :
-162 cas où des militaires ont été recondamnés à temps
-2 cas où des militaires ont été recondamnés à mort, jugements cassés de nouveau, recondamnés à temps
-1 cas où un militaire a été recondamné à mort, jugement cassé de nouveau, recondamné à mort, jugement cassé de nouveau, recondamné à temps
-23 cas où des militaires ont été recondamnés à mort puis graciés
-4 cas où des militaires ont été recondamnés à mort, jugements cassés de nouveau, recondamnés à mort puis graciés
6- cas où des militaires ont été recondamnés à mort puis exécutés (Prisme a inclus le cas du militaire qui s’est suicidé avant son exécution).
In fine, 198 militaires ont vu leur jugement cassé une ou plusieurs fois par les conseils de guerre aux armées.
Ce sont donc 83% de militaires dont les jugements ont été cassés par les conseils de révision qui ont échappé à la sanction suprême car recondamnés à temps. Sur le nombre de militaires recondamnés à mort, 27 ont été graciés soit 13,6% du panel, 5 ont été fusillés, le dernier s’est suicidé peu avant son exécution soit 3% du panel.
La répartition des jugements cassés par les conseils de révision aux armées montre un fort pic de ces cassations au cours du mois de juin 1917. Ce n’est guère surprenant, pendant la période des mutineries, le nombre de jugements prononcés a été très important notamment au sein de jugements collectifs. Il était donc prévisible qu’une partie des jugements prononcés ait été entachée de vices de procédure. Pour mémoire, le recours en révision a été de nouveau suspendu du 8 juin au 13 juillet 1917 durant les mutineries mais uniquement pour des motifs relevant des articles 208 (embauchage pour l’ennemi) et 217 (révolte) du code de justice militaire.
A remarquer en juillet 1915, les 2 jugements qui ont été cassés au titre de l’article 443 du code d’instruction criminelle pour lesquels nous n’avons pas réalisé de paragraphe dédié à l’année 1915 au vu de cette faible quantité. En effet, l’article 443 prévoit : la révision pourra être demandée en matière criminelle ou correctionnelle, quelle que soit la juridiction qui ait statué et la peine qui ait été prononcée :
4°-Lorsque, après une condamnation, un fait viendra à se produire ou à se révéler, ou lorsque des pièces inconnues lors des débats seront représentées, de nature à établir l’innocence du condamné.
Cela a été le cas pour ces 2 militaires à l’initiative du commissaire-rapporteur qui visiblement était un « homme de loi ».
8-Détail des condamnations cassées d’affiliée :
Les différents cas présentés ci-après sont volontairement plus axés sur l’action des conseils de révision que sur les faits qui ont amené ces militaires devant un conseil de guerre temporaire.
Plusieurs militaires ont été condamnés à mort deux voire trois fois :
8-1 : Militaires recondamnés à mort, jugement cassé de nouveau, recondamnés à temps :
Condamné par le conseil de guerre de la 65e division d’infanterie dans sa séance du 9 octobre 1915 à la peine de deux années de travaux publics pour abandon de poste sur un territoire en temps de guerre, le soldat Landucci a été écroué à l’atelier de travaux publics d’Orléanville. Gracié du restant de sa peine le 7 juillet 1916, ce soldat a été affecté au 3e régiment d’infanterie. Le 4 juin 1917, ce soldat a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 14e division d’infanterie pour un abandon de poste en présence de l’ennemi. Landucci s’était pourvu en révision.
La décision du conseil de révision de la Ve armée précise : attendu que l’inculpation d’abandon de poste constitue un fait nouveau indépendant et sans aucune corrélation avec la désertion qui est une infraction distincte et différente par sa nature et ses éléments constitutifs ; attendu en conséquence, que dans l’espèce, le président du conseil de guerre a outrepassé les droits qui lui sont conférés par la loi ; que la condamnation prononcée manque de base légale et qu’il y a eu violation des articles 99 et 156 susvisés. Par voie de conséquence, ce jugement a été cassé le 12 juin 1917 par le conseil de révision de la Ve armée qui a renvoyé Landucci devant le conseil de guerre de la 151e division d’infanterie.
Le 11 août 1917, ce militaire a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 151e division d’infanterie pour un abandon de poste en présence de l’ennemi. Ce jugement a été cassé le 19 juin 1917 par le conseil de révision de la Xe armée qui a renvoyé ce soldat devant le conseil de guerre de la 9e division d’infanterie.
La décision du conseil de révision de la Xe armée est justifiée par plusieurs causes :
-attendu que dans l’espèce, les questions d’abandon de poste en présence de l’ennemi, résolues affirmativement, montrent que Landucci est coupable d’avoir, le 14 avril 1917, à Hermonville (Marne) abandonné son poste en présence de l’ennemi. Attendu que la décision attaquée n’énonce pas les circonstances de fait permettant de savoir quel poste avait été occupé par Landucci et en conclure si un poste lui avait été assigné. Que, s’il est vrai, que la question a été posée au conseil de guerre dans les mêmes termes que l’ordre de mise en jugement, il incombe au président au fait visé et qualifié dans cette pièce n’étant pas légalement défini, de se reporter à l’exposé contenu dans le rapport du commissaire-rapporteur présent par l’article 108 du code de justice militaire d’y chercher les circonstances du crime et de modifier ou compléter, le cas échéant, la formule consignée dans l’ordre de mise en jugement. Que, dès lors, le jugement attaqué manque de base légale et viole en même temps les articles visés au moyen.
-statuant sur le moyen soulevé d’office par le commissaire du gouvernement [du conseil de révision], tiré de la violation de l’article 140 du code de justice militaire en ce que l’arrêt attaqué n’indique pas par quel nombre de voix la peine a été prononcée.
Par voie de conséquence, ce jugement a été cassé le 15 août 1917 par le conseil de révision de la Xe armée qui a renvoyé Landucci devant le conseil de guerre de la 9e division d’infanterie.
Le 21 août 1917, Landucci a été condamné à 10 ans de travaux publics par ledit conseil de guerre. Ecroué à l’atelier d’Orléanville, ce militaire a été démobilisé le 20 juin 1921.
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Le 16 juillet 1917, le soldat Didier appartenant au 132e régiment d’infanterie a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 56e division d’infanterie pour un abandon de poste en présence de l’ennemi. Ce militaire s’était pourvu en révision devant le conseil de révision de la VIIe armée qui a déclaré :
Que cette question telle qu’elle est posée, non seulement permet de supposer que l’accusé n’est pas parti sans autorisation, mais indique au contraire qu’il a fait connaître qu’il était atteint d’une maladie vraie ou simulée qui l’obligeait à se présenter au médecin ;
Que dès lors le jugement manque de base légale ;
Attendu en outre qu’il résulte du rapport établi par le commandant de la compagnie et de celui établi par le commissaire-rapporteur, en l’absence du rapport dressé en exécution de l’article 108 du code de justice militaire, l’accusé ayant été l’objet d’une mise en jugement directe, que le 16 avril 1917 vers 5 heures, Didier quitta la compagnie pour aller passer la visite au poste de secours régimentaire. Il se présenta au médecin-major de son bataillon qui ne le reconnut pas [malade] et lui prescrivit d’aller trouver le médecin-chef de service ;
Celui-ci ne reconnut pas Didier malade et lui donna l’ordre de rejoindre immédiatement son unité mais Didier ne rejoignit pas la compagnie ;
Que ces faits tels qu’ils sont constatés par les rapports précités constitueraient, s’ils étaient établis, non un « abandon de poste » mais un refus d’obéissance prévu et réprimé par l’article 218 du code de justice militaire ;
Attendu d’autre part, qu’aux termes de l’article 157 du code de justice militaire, en cas d’annulation pour tout autre motif que l’incompétence, il est de règle, il est de règle que l’affaire soit renvoyée devant de conseil de guerre de la division qui n’en a pas connu ;
Par ces motifs, casse et annule à l’unanimité ce jugement.
Ce jugement a été cassé le 22 juillet 1917 par le conseil de révision de la VIIe armée qui a renvoyé Didier devant le conseil de guerre de la 12e division d’infanterie.
Le 4 août 1917, ce militaire a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 12e division d’infanterie pour un refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi.
Le défenseur de Didier, maître Carteron avocat à la Cour d’Appel de Paris qui l’a précédemment défendu, a présenté plusieurs moyens sur lesquels le conseil de révision a statué :
-attendu que le jugement du conseil de guerre énonce en détail qu’au cours de cette délibération, l’un des juges est sorti de la salle en faisant connaître que le conseil de guerre désirait que le commissaire du gouvernement [comprendre le commissaire-rapporteur du conseil de guerre] et le défenseur vinssent dans la chambre du conseil pour fournir un renseignement. Déférant à cette demande, le commissaire-rapporteur du conseil de guerre et le défenseur ont immédiatement suivi le juge et n’ont échangé avec lui aucune observation. Ils sont entrés avec lui en chambre du conseil. Après avoir fourni l’explication demandée, le commissaire-rapporteur du conseil de guerre et le défenseur sont sortis ensemble de la salle des délibérations. Attendu que les faits ci-dessus, quels que soient les motifs qui aient guidé les membres du conseil de guerre, constituent une violation complète de l’article 131 du code de justice militaire, par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de pourvoi, à l’unanimité, casse et annule le jugement.
Ce jugement a été cassé le 11 août 1917 par le conseil de révision de la VIIe armée qui a renvoyé ce soldat devant le conseil de guerre de la 166e division d’infanterie.
Jugé pour la 3e fois par le conseil de guerre de la 166e division d’infanterie, Didier a condamné aux travaux forcés à perpétuité. Ce militaire dont le parcours est quelque peu « chargé » a été renvoyé dans ses foyers le 17 novembre 1923.
Ce cas est intéressant. Il illustre comme Prisme l’a mentionné en tête de cet article dans les prérogatives des conseils de révision, le droit de statuer non seulement sur la forme mais également sur le fond. La décision du conseil de révision ci-dessus a, en effet, reformulé la nature du motif de la condamnation à mort prononcée par le conseil de guerre de la 56e division d’infanterie. Ce faisant, il a cassé le jugement prononcé par le conseil de guerre de cette division.
8-2 : Militaire recondamné à mort, jugement cassé de nouveau, recondamné à mort, jugement cassé de nouveau puis recondamné à temps :
Le 10 juin 1917, le soldat Martin appartenant au 152e régiment d’infanterie a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 164e division d’infanterie pour un abandon de poste en présence de l’ennemi. Ce militaire s’était pourvoi en révision auprès du conseil de révision de la Xe armée qui a statué sur son cas le 13 juin 1917.
Le conseil de révision a déclaré :
Attendu que s’il est vrai que le conseil de guerre peut en l’absence de témoins, passer autre aux débats, il ne doit pas moins être fait mention au procès-verbal d’audience des causes ayant motivé cette absence.
Attendu que le simple aveu de l’accusé ne saurait suffire qu’au surplus, le consentement de ce dernier ne peut couvrir la violation de la règle du débat oral qui est essentiellement d’ordre public.
Attendu que, par jugement en date du 10 juin 1917, le conseil de guerre de la 164e division d’infanterie a, sur ordre de mise en jugement direct, condamné le soldat Martin à la peine de mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi, sans qu’aucun témoin n’ait été cité, ni entendu.
Attendu qu’il n’est fait mention au procès-verbal de l’audience ni de l’impossibilité de citer des témoins, ni des raisons pour lesquelles aucun témoin n’a été cité.
Qu’il y a donc lieu, par application de l’article 74 paragraphe 4 du code de justice militaire de casser le jugement dont est recours pour violation des articles visés. Par ces motifs, casse et annule à l’unanimité le jugement.
Le conseil de révision de la Xe armée a donc renvoyé ce soldat devant le conseil de guerre de la 47e division d’infanterie.
Le 16 juin 1917, le soldat Martin a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 47e division d’infanterie pour abandon de poste en présence de l’ennemi. Ce militaire s’est pourvu en révision devant le conseil de révision de la Xe armée.
Dans sa décision, le conseil de révision de la Xe armée précise :
Attendu que l’ordre de mise en jugement ne peut, dès lors, se borner à une qualification vague et indéterminée de l’infraction.
Qu’il doit préciser la nature des faits, leur date, le lieu où ils ont été commis, de manière, à permettre à l’accusé de présenter utilement sa défense et au conseil de révision d’exercer son contrôle, notamment sur la qualification donnée à l’infraction.
Qu’il en ait ainsi surtout quand le conseil de guerre est saisi par voie de mise en jugement directe.
Attendu, dans l’espère, que l’ordre de mise en jugement directe relève à la charge du soldat Martin le crime « d’abandon de poste en présence de l’ennemi »
Que cette qualification est insuffisante
Que dans ces conditions, l’ordre de mise en jugement et par voie de conséquence, le jugement du conseil de guerre doivent être annulés.
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen [….] casse et annule, à l’unanimité, l’ordre de mise en jugement directe en date du 8 juin 1917 […] et par conséquence, le jugement de condamnation.
Le conseil de révision de la Xe armée a renvoyé ce soldat devant le conseil de guerre de la 9e division d’infanterie.
Le 21 juin 1917, ce militaire a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 9e division d’infanterie pour un abandon de poste en présence de l’ennemi. Comme il en avait parfaitement le droit depuis le 8 juin 1916, Martin s’est pourvu en révision devant le conseil de révision de la Xe armée qui, dans sa décision n°34, a déclaré :
Attendu que le dispositif du jugement attaqué est ainsi conçu : « en conséquence, le conseil condamne le soldat Martin Raphaël à la peine de mort ».
Que ce jugement n’indique pas par quel nombre de voix, la peine a été prononcée. Par ces motifs, casse et annule à l’unanimité le jugement.
Le conseil de révision de la Xe armée a renvoyé ce soldat devant le conseil de guerre de la 10e division d’infanterie qui, dans sa séance du 27 juin 1917 à Courcy, l’a condamné à 10 ans de détention.
Le soldat Martin a obtenu 3 remises de peine et a été démobilisé le 30 août 1919 avec la classe 1913.
8-3 : militaires recondamnés à mort, jugement cassé de nouveau, recondamnés à mort puis graciés
Le cas du soldat Piedevache sera évoqué ultérieurement dans un article dédié.
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Le 1er juin 1917, le caporal Septier a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 17e division d’infanterie pour un abandon de poste en présence de l’ennemi. Septier s’était pourvu en révision comme il en avait le droit avec une simple demande manuscrite.
Dans sa décision, le conseil de révision de la Xe armée indique :
Ce jugement, qui n’indiquait pas le nombre de voix conformément à l’article 140 du code de justice militaire, a été cassé le 6 juin 1917 par le conseil de révision de la Xe armée qui a renvoyé Septier devant le conseil de guerre de la 18e division d’infanterie.
Le 7 juin 1917, Septier a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 18e division d’infanterie pour un abandon de poste en présence de l’ennemi. Par décision n° 15 du 10 juin 1917, ce jugement a été cassé par le conseil de révision de la Xe armée qui a renvoyé Septier devant le conseil de guerre de la 164e division d’infanterie. La raison de cette cassation est simple : le nombre de voix condamnant à mort Septier n'était pas indiqué sur le jugement.
Le 14 juin 1917, ce soldat a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 164e division d’infanterie pour un abandon de poste en présence de l’ennemi. Ce jugement a été confirmé le 16 juin 1917 par le conseil de révision de la Xe armée. Depuis le décret du 20 avril 1917, tous les dossiers de condamnés à mort ont été systématiquement adressés au Président de la République par le circuit classique décrit dans un article rédigé par le général Bach. La synthèse de la direction des grâces et des affaires criminelles du ministère de la justice indique :
Recours en révision rejeté le 16 juin par le conseil de révision de la Xe armée.
Tandis que sa compagnie montait dans la nuit du 8 au 9 mai dernier en ligne en vue d’une attaque, Septier, caporal, s’est esquivé - est volontairement revenu au bout de 7 jours. A attribué sa défaillance à une commotion cérébrale qu’il aurait ressenti en avril 1916 à la suite d’un ensevelissement dans une tranchée.
Traduit devant le conseil de guerre de la 17e division, le 1er juin, Septier se vit condamner à mort, jugement annulé par omission du nombre de voix lors du prononcé de la peine. Déféré en conseil de guerre de la 18e division, une nouvelle sentence de mort fut rendue, mais à nouveau, il y a eu annulation pour le même motif.
Mal noté dans l’action, manquerait de courage. Recours en grâce de tous les juges. Autorités hiérarchiques partagés dans leur manière de voir – général en chef favorable. La « Guerre » conclut en une commutation en 20 ans d’emprisonnement.
Proposition d’adhérer le 04/07/17 - adhésion
Le 8 juillet 1917, suite à la demande de la direction du contentieux du ministère de la guerre, le Président de la République a gracié ce militaire et a commué sa peine de mort en 20 ans de prison. Incarcéré à la Maison centrale de Poissy le 2 août 1917, Septier a contracté un engagement volontaire pour la durée de la guerre le 1er mai 1918. Ce militaire a été réhabilité par la Cour d’appel de Bourges le 13 septembre 1919 en application de la loi du 4 avril 1915 suite à une citation reçue à l’ordre du régiment n°88 du 30 septembre 1918.
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Le 10 juin 1917, le soldat Le Gousse a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 164e division d’infanterie pour un abandon de poste en présence de l’ennemi. Ce militaire s'était pourvu en révision.
Ce jugement pour lequel le président du conseil de guerre s’était entretenu avec le commissaire-rapporteur ce qui contraire à l’article 131 du code de justice militaire, a été cassé le 13 juin 1917 par le conseil de révision de la Xe armée qui a renvoyé Le Gousse devant le conseil de guerre de la 47e division d’infanterie.
Le 16 juin 1917, ce militaire a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 47e division d’infanterie pour un abandon de poste en présence de l’ennemi.
Questionné sur ce jugement, le conseil de révision de la Xe armée a souligné que l’ordre de mise en mise en jugement était trop vague surtout dans le cas d’une citation directe. Cette cause de cassation est un « grand classique » que l’on retrouve régulièrement dans les décisions des conseils de révision. En effet, l’ordre de mise en jugement (l’ordre de mise en jugement en droit pénal militaire est l’équivalent de l’acte d’accusation du droit commun) ne peut se borner à une qualification vague de la poursuite (abandon de poste en présence de l’ennemi), il doit au contraire préciser la nature des faits, leur date, le lieu où ils ont été commis, de manière à permettre à l’accusé de présenter utilement sa défense et au conseil de révision d’exercer son contrôle (articles 108 et 156 du code de justice militaire). Ce jugement a été cassé le 19 juin 1917.
Le Gousse a été renvoyé devant le conseil de guerre de la 9e division d’infanterie qui l’a recondamné à mort. Ce jugement a été confirmé le 24 juin 1917 par le conseil de révision de la Xe armée.
Le 21 juillet 1917, suite à la demande de la direction du contentieux du ministère de la guerre, le Président de la République a gracié ce militaire et a commué sa peine de mort en 20 ans de prison. Ce militaire qui a été incarcéré le 12 août 1917 à la maison centrale de Poissy, a été libéré en 1919.
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Le soldat De Backer du 32e régiment d’infanterie a été condamné à mort le 9 juin 1917 par le conseil de guerre de la 18e division d’infanterie pour provocation de militaires à la désertion en présence de l’ennemi, abandon de poste en présence de l’ennemi et désertion en présence de l’ennemi. A la suite de ce jugement, ce soldat s’était pourvu en révision.
Le 11 janvier 1917, le conseil de révision de la Xe armée a été appelé à statuer sur ce cas.
A la lecture du seul moyen proposé par le défenseur de De Backer, le conseil de révision a approuvé ce moyen. En effet, les articles 33, 34 et 35 du code de justice militaire, le conseil de guerre devant être appelé à juger un soldat doit avoir une composition précise : le président doit être colonel ou un lieutenant-colonel, les 4 autres juges devant être un chef d’escadron ou de bataillon, un capitaine, un lieutenant ou un sous-lieutenant et un sous-officier. Les officiers nommés par le général de division étant empêchés, si aucun officier n’était disponible au sein de la division, du corps d’armée ou de l’armée, le code prévoit qu’il est possible d’y suppléer en descendant dans la hiérarchie même au grade inférieur sans que plus de deux juges puissent être pris dans cette catégorie. Cela n’a pas été le cas dans ce jugement, il y a donc eu violation des articles visés ce qui a justifié la cassation de ce jugement et son renvoi devant le conseil de guerre de 17e division d’infanterie.
Rejugé le 13 juin 1917 par le conseil de guerre de 17e division d’infanterie, le soldat De Backer a été condamné à mort de nouveau pour les mêmes motifs. Le 16 juin 1917, le conseil de révision de la Xe armée, a rejeté son recours en révision.
De Backer, le 1er mai dernier, apprenant qu’on devait monter en ligne, se répartit en propos anarchistes et révolutionnaires.
Quelques jours après, parti pour les tranchées de 1ère ligne, il s’arrêta en route et se replia. Il gagna Paris où il fut arrêté le 16 du même mois.
De Backer a reconnu l’abandon de Poste, l’attribuant toutefois à ce qu’on ne lui avait pas laissé ses armes qui lui avaient été retirées à la suite de son attitude du 1er mai.
Il nie avoir encouragé ses camarades à la désertion, le sergent Malanet a déclaré au cours de l’information que De Backer avait excité les autres militaires à abandonner leur poste mais son témoignage, d’après les notes d’audience, n’a pas précisé comment cette provocation avait été exprimée et le rapport de la « Guerre » le constate d’ailleurs.
Enfin, il paraît bien résulter de la déposition du soldat Fonteneau, que le condamné n’avait pas d‘arme comme il le prétend au moment de son abandon de poste.
Sans antécédent dans sa vie civile, De Backer s’est engagé en septembre 14. Outre quelques punitions disciplinaires, il a été condamné en juin 16 à 2 ans pour ne pas s’être rendu à son poste au moment d’une alerte.
Traduit le 9 juin devant le conseil de guerre de la 18e division d’infanterie, De Backer y fut condamné à mort. Jugement annulé le 11 par le conseil de révision de la Xe armée pour composition irrégulière du conseil de guerre.
Les autorités hiérarchiques et la « Guerre » estiment que la sentence doit être exécutée, malgré un recours en grâce signé par 3 juges, le jeune âge, l’absence d’antécédent de droit commun, le doute qui existe sur l’existence de la provocation à la désertion et le fait que le condamné n’avait pas ses armes lors de l’abandon de poste. 2/7/17.
Un 1er commentaire indique : De Backer est un meneur : son exemple a entraîné plusieurs soldats et son action aurait pu avoir encore des suites plus graves (avis du général commandant la Xe armée).
Tous les avis sont défavorables. Proposition d’adhérer à l’exécution 2/juillet/17
Un 1er commentaire d’une autorité de la « Justice » indique : Je constate que De Backer n’a pas encouru de condamnation dans la vie civile et que trois des membres du conseil de guerre ont signé un recours en grâce en sa faveur.
Un second commentaire d’une autorité de la « Justice » indique : avis de commutation en 20 années de prison.
Ce texte affiche bien les réticences des juristes rédacteurs de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice. Contrairement à la grande majorité des recours en grâce, la « Justice » ne s’est pas alignée sur l’avis de la « Guerre ».
Gracié, incarcéré, De Backer s’en volontairement engagé le 23 juin 1919 à la mairie de Villejuif au titre du 2e bataillon de l’infanterie légère d’Afrique avant d’être libéré de ses obligations militaires le 13 septembre 1919 suite à l’amnistie résultant de l’article 5 de la loi du 24 octobre 1919. Promis à une libération en 1937 avant la parution de la loi d’amnistie de 1919, De Backer a-t-il voulu éviter cette incarcération ?
9-Détail des condamnations à mort cassées puis suivies d’exécutions en 2ème instance :
9-1- le soldat Annuel :
Le 7 mai 1916, la 4e compagnie du 99e régiment d’infanterie au repos à Verdun fut alertée vers 20 heures pour prendre part au combat qui s’annonçait. Le 10 au matin, Annuel se fit porter malade pour une plaie au pied. Le médecin auxiliaire le renvoya vers le médecin chef qui l’examina dans une redoute située à 200 mètres de la position d’attaque de sa compagnie. Le médecin chef prescrivit un simple badigeonnage à la teinture d’iode et donna l’ordre à Annuel de rejoindre sa compagnie. Ce soldat disparut et ne rejoignit son unité que le 14 mai ce qu’il reconnaît.
Pour ces faits, ce militaire a été traduit devant le conseil de guerre temporaire de la 28e division d’infanterie.
Le 22 juin 1916, le conseil de guerre temporaire de la 28e division d’infanterie a condamné à mort le soldat Annuel pour abandon de poste en présence de l’ennemi en application de l’article 213 & 1 du code de justice militaire.
Le décret du 8 juin 1916 a rétabli le droit au recours en révision. Ce soldat a pu se pourvoir en révision devant le conseil de révision de la IIe armée qui a statué sur sa demande le 3 juillet 1916.
Dans sa décision, les juges de ce conseil de révision ont relevé plusieurs vices de procédure dont :
Attendu qu’il ressort du jugement attaqué que le président du conseil de guerre a posé la question suivante : « le soldat de 2e classe Annuel Joseph Marius de la 4e compagnie du 99e régiment d’infanterie est-il coupable d’avoir le dix mai 1916 devant Verdun, abandonné son poste en présente de l’ennemi ? » réunissant ainsi en une seule question le fait principal « abandon de poste » et la circonstance aggravante de « présence de l’ennemi ».
Attendu en conséquence que le jugement dont est recours a été rendu en méconnaissance de l’article 132 précité et doit être cassé.
Par ces motifs, casse et annule à l’unanimité le jugement rendu par le conseil de guerre de la 28e division d’infanterie le 22 juin 1916.
Ce militaire a été renvoyé devant le conseil de guerre de la 154e division pour y être jugé.
Les juges de ce conseil de guerre ont condamné à mort Annuel toujours pour abandon de poste en présence de l’ennemi mais sans commettre le même vice de procédure du 1er jugement.
Ce militaire s’est de nouveau pourvu en révision devant le conseil de révision de la IIe armée.
La longue requête du défenseur d’Annuel, le sergent Marcel Barnier de 9e compagnie du 414e régiment d’infanterie, montre que nous sommes en présence d’un homme de l’art qui connait bien la loi et le code de justice militaire. Les moyens présentés par le sergent Barnier portent aussi sur le fond que sur la forme.
Dans sa décision du 8 août 1916, le conseil de révision a récusé les 2 moyens présentés par le défenseur ce qui a donc confirmé, à l’unanimité, le jugement prononcé par le conseil de guerre de la 154e division d’infanterie.
Depuis le 17 octobre 1915, si un juge formulait une demande de recours en grâce, l’officier qui avait ordonné la mise en jugement, ici le général commandant la 154e division d’infanterie, avait l’obligation de faire suivre cette demande au Président de la République. On ne connaît pas de demande de recours en grâce ayant été formulée pour ce soldat, cela signifie que ni le général de la 154e division, ni les juges du conseil de guerre n’ont formulé de demande de grâce.
Le 12 août 1916, à l’ouest du château d’Ancemont, en présence du commissaire-rapporteur de la 28e division d’infanterie et de l’adjudant Hamon juge du conseil de guerre, après lecture du jugement, le soldat Annuel a été passé par les armes.
9-2- le soldat Autret :
Le cas de ce militaire fera prochainement l'objet d'un article.
9-3- le soldat Le Roux :
Le 29 janvier 1916, ce militaire du 154e régiment d’infanterie fut muté au 155e régiment d’infanterie suite à la condamnation par le conseil de guerre de la 40e division d’infanterie à 5 ans de travaux publics pour désertion à l’intérieur en temps de guerre, peine suspendue.
Le 2 février, le soldat Le Roux quitta sa compagnie au repos à Vésigneul dans la Marne et se constitua prisonnier 4 jours tard à Chartres.
Le 13 mars, il quitta sa compagnie à Sivry la Perche alors que son unité allait attaquer, fut arrêter 10 jours plus tard à Ville sur Cousances.
Le 28 avril, il abandonnait de nouveau son unité alors qu’elle montait aux tranchées dans le secteur du Mort-Homme. Le lendemain, ayant rencontré le sergent-major Glorian de son unité, ce dernier lui donna l’ordre de rejoindre sa compagnie en suivant les voitures de ravitaillement. Ordre réitéré le 30 avril par le même sergent major qu’il rencontra mais Le Roux se dirigea vers Bar le Duc. Le 7 mai, il se présentait au service des étapes qui l’autorisa à passer la visite à l’hôpital d’évacuation avant d’être évacué sur 2 dépôts des éclopés du 14 au 22 mai puis d’être dirigé vers Troyes à destination de son corps. Mais ce soldat prit le train pour Paris où il fut arrêté le 27 mai.
Le 12 juin, le général commandant la 40e division d’infanterie ordonna qu’il soit informé contre ce soldat suite aux évènements du 2 février, du 13 mars et du 28 avril.
Dans cette affaire, le commissaire-rapporteur a demandé des confirmations aux différents intervenants concernant les allégations de ce soldat. Cela a été le cas du médecin major Gachet chef de service du 155e régiment d’infanterie qui a indiqué : le soldat Le Roux de la 7e compagnie s’est, plusieurs fois, fait porter malade. Dans le courant des mois de mars et avril 1916. La visite a été motivée par un état de fatigue et faiblesse momentanées. Mais il n’a été constaté chez lui aucune affection particulière le mettant dans l’impossibilité d’accomplir son service.
Le commissaire-rapporteur a également demandé un ordre d’informer supplémentaire pour les évènements du 30 avril que le général de la 40e division d’infanterie signa le 26 juin.
Dans ses conclusions adressées le 29 juin au général de division, le commissaire-rapporteur recommandait que ce militaire soit déféré devant le conseil de guerre.
Convoqué devant le conseil de guerre de la 40e division d’infanterie le 4 juillet 1916, ce militaire a été condamné à mort en application des articles 213 (abandon de poste en présence de l’ennemi) et 218 (refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi) du code de justice militaire.
Suite à sa condamnation à mort, Le Roux s’était pourvu en révision le 5 juillet.
Dans sa décision, le conseil de révision a indiqué. Attendu que le président du conseil de guerre, en ce qui concerne le refus d’obéissance, a posé question unique : le soldat Le Roux est-il coupable d’avoir, le 30 avril 1916, aux baraquements de Blercourt, refusé d’obéir au sergent-major Glorian, son chef, qui le commandait pour marcher à l’ennemi en lui l’ordre de monter aux tranchées ? Que cette question renferme le fait principal de refus d’obéissance et la question aggravante que le refus d’obéissance a eu lieu lorsque l’accusé était commandé pour marcher contre l’ennemi.
Réunir la question principale et la question aggravante est contraire à l’article 132 du code de justice militaire ce qui justifie à lui seul la cassation de ce jugement. Aux termes de l’article 170 & 2 du code de justice militaire, le jugement a été cassé.
Le soldat Le Roux a été renvoyé devant le conseil de guerre de la 77e division d’infanterie pour y être rejugé.
Le 26 juillet, à l’issue des débats, les juges ont condamné par trois voix contre deux le soldat Le Roux à la peine de mort pour refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi. Cette fois, la question principale et la circonstance aggravante n'ont pas été regroupées au sein d'une même question.
Le lendemain, ce militaire s’est de nouveau pourvu en révision auprès du conseil de révision de la Ière armée qui, le 4 août, a rejeté à l’unanimité le recours formé par Le Roux. Comme on peut le constater sur la synthèse de la direction des grâces et des affaires criminelles du ministère de la Justice, les juges militaires ont formé un recours en grâce unanime.
Le 2 février dernier, Le Roux quitta sa compagnie pendant qu’elle était au repos et alla voir sa mère. Il se constitua [prisonnier]4 jours après.
Dans la nuit du 13 mars, a quitté sa compagnie en cours de route pour les tranchées de 1ère [ligne].
Il récidive le 28 avril et disparaît pendant la montée aux tranchées et est arrêté un mois après à Paris, après avoir refusé les 29 et 30 avril d’obéir à deux sous-officiers qui lui avaient enjoint de retourner à son poste.
Le Roux a mis ses défaillances sur le compte d’une maladie mais ses déclarations ont été en partie reconnues inexactes, il n’a pas été établi notamment qu’il se soit présenté au poste de secours et qu’il ait été autorisé à retourner aux baraquements.
Antécédents : 6 mois en 1914 pour bris de clôture – 5 ans de travaux publics pour désertion à l’intérieur en temps de guerre le 22 janvier 16.
Mal noté dans le service. Recours en grâce unanime des juges militaires. Toutes les autorités hiérarchiques défavorables. La « Guerre » conclut à l’exécution de la sentence. 18/8/16.
A été ajouté au crayon bleu par une autorité de la « Justice » : aucune objection.18 août 16.
Le 29 août 1916 à Morcourt, après la lecture de la décision du Président de la République qui n'a pas cru devoir accueillir son recours en grâce, le soldat Le Roux a été fusillé.
9-4- le soldat Magnouloux :
Le 22 septembre 1916, au cantonnement d’Harbonnières dans la Somme, le soldat Magnouloux du 20e bataillon de chasseurs à pied, ayant manqué la revue de sa section, reçu les observations du sous-lieutenant Verdier qui le punit de 4 jours de prison. Magnouloux sortit de sa poche un revolver automatique trouvé dans une tranchée allemande, tira une 1ère balle à bout portant sur le sous-lieutenant qui en s’enfuyant reçu 2 autres balles, la 4e balle tirée blessa un autre soldat. Le lendemain, sous-lieutenant Verdier décéda suite à ses blessures.
Maîtrisé par les autres soldats du bataillon, Magnouloux a été incarcéré. Une heure après les faits, le capitaine Février mandaté par le général de brigade pour une enquête rapide indique dans son rapport : que Magnouloux se souvenait parfaitement des faits, qu’il avait poursuivi le sous-lieutenant Verdier, qu’il ne savait pas combien de balles il avait tiré et ne semblait pas en état d’ivresse.
Le lendemain, interrogé par le lieutenant Gavard, officier de police judiciaire, Magnouloux a indiqué ne pas connaître le sous-lieutenant Verdier, qu’il regrette son geste et répondit à la plupart des questions par : je ne me rappelle pas.
Bien que Magnouloux ait déclaré avoir bu depuis le matin, lors de leurs auditions, les 2 témoins directs des faits, ont déclaré qu’ils ne pensaient pas que ce soldat était ivre.
Le 27 septembre, ce militaire a été convoqué devant le conseil de guerre de la 13e division d’infanterie.
Le conseil de guerre de la 13e division d’infanterie condamna à mort Magnouloux pour voies de fait envers un supérieur en application des articles 223 et 267 du code de justice militaire.
Le conseil de guerre condamna également Magnouloux pour les blessures infligées au chasseur Lerousseau.
Comme il en avait le droit depuis le 8 juin 1916, ce soldat s’est pourvu en révision devant le conseil de révision de la Xe armée.
Sur le jugement du 27 septembre, on remarque un autre vice de procédure que n’a pas relevé ou pas jugé bon de relever le conseil de révision, le jugement étant déjà cassé. En effet, dans la lecture des motifs faite par le président ci-dessus, le nombre de voix n’apparaît pas ce qui contraire à l’article 140 du code de justice militaire, « le jugement fait de l’accomplissement de toutes les formalités prescrites par la présente section... Il énonce à peine de nullité….6° les questions posées, les décisions et le nombre de voix ».
Le 26 octobre 1916, le conseil de guerre de la 120e division d’infanterie a statué sur le cas Magnouloux.
Au cours des débats, le défenseur de ce militaire a déposé ses conclusions sur le bureau du conseil tendant qu’il a lieu de procéder préalablement à tout jugement à la nomination d’experts qui auront pour mission d’examiner Magnouloux au point vu mental et qui rechercheront et établiront, dans un rapport qui sera déposé au greffe, le degré de responsabilité de l’inculpé.
Le caporal Cadier, défenseur de ce militaire, s’appuie sur le fait que, lors de son interrogatoire par le capitaine Février une heure après les faits, Magnouloux a indiqué qu’il ne se souvenait pas des faits.
En s’appuyant sur l’article 123 du code justice militaire, le conseil de guerre a rejeté, à l’unanimité des voix, les conclusions du défenseur. En effet, cet article précise que si l’accusé a des moyens d’incompétence à faire valoir, il ne peut le faire qu’avant l’audition des témoins. Les commentaires de cet article précise également que ce moyen d’incompétence expire à la fin de l’interrogatoire de l’accusé.
Le caporal Cadier a proposé un autre moyen pour « sauver » son client : plaise au conseil, dire et juger qu’il résulte des débats que c’est à tort que les faits reprochés à Magnouloux ont été qualifiés « voies de fait » par l’accusation et que la sanction requise est celle visée par l’article 223 du code de justice militaire ; qu’il s’agit en réalité d’un meurtre, comme prévu et puni par les articles 295 et suivants du code pénal.
Ce défenseur a raison quand il parle d’un meurtre puisque la préméditation n’existe pas. Le chasseur Lerousseau n’étant pas mort, si ce défenseur pouvait faire admettre ce point de vue, Magnouloux aurait été condamné aux travaux forcés à perpétuité de par l’article 304 du code pénal.
Malheureusement pour le caporal Cadier, Victor Foucher, conseiller à la cour de Cassation, auteur du commentaire sur le code de justice militaire pour l’Armée de terre de 1858 (édition Firmin Didot) a répondu à cette question. Ce juriste explique l’arrêt du 10 janvier 1852 en rapportant les termes du réquisitoire du procureur général Dupin dans cette affaire (pages 706 à 710), « Dans tous ces cas [meurtre, assassinat, blessures ou coups portés], la loi militaire ne distingue et ne devait pas distinguer, pour deux raisons : la première, c’est que, quelle que soit la qualification que la loi commune donne à la voie de fait, simple coup ou assassinat, le fait étant celui d’un militaire, c’est le crime militaire d’insubordination qui domine et que la loi militaire entend punir ; le délit ou le crime commun que renferme la voie de fait est bien la cause du crime militaire, mais ce n’est pas cette cause que la loi militaire veut atteindre ; c’est le crime d’insubordination qui s’est produit par la voie de fait. La seconde, c’est que, la loi militaire punissant le crime d’insubordination de la peine de mort, qui est la peine dont la loi commune punit les voies de fait les plus coupables, il est inutile que le législateur de la loi militaire distinguât entre les voies de fait ». […..] Mais des réponses plus péremptoires et plus puissantes encore nous paraissent repousser l’argumentaire que nous venons de rappeler :
-1er Dans le fait dont il s’agit, il y avait voie de fait avec violence.
-2e L’argumentation relative à la voie de fait serait exacte s’il était possible qu’il y eût tentative d’un crime sans voie de fait.
Mais c’est le contraire qui est vrai. En effet, pour qu’il y ait tentative punissable comme le crime lui-même, il faut, aux termes de l’article 2 du code pénal, qu’elle se soit manifestée par un commencement d’exécution ; or ce commencement d’exécution est évidemment une voie de fait.
En outre, le procureur général Dupin rappelait : sans l’obéissance hiérarchique aux ordres des supérieurs et sans le respect de l’inférieur envers son supérieur, il est impossible de concevoir l’existence d’une armée.
Ce qu’il faut retenir de ce texte :
- toute violence est une voie de fait.
- toutes les formes de voies de fait sont sanctionnées par la peine de mort.
- c’est le crime militaire d’insubordination qui domine et que la loi militaire entend punir ; le crime commun que renferme la voie de fait est bien la cause du crime militaire, mais ce n’est pas cette cause que la loi militaire veut atteindre ; c’est le crime d’insubordination qui s’est produit par la voie de fait.
En résumé, si le soldat Magnouloux avait tué le soldat Lerousseau, ce n’est pas un cas d’insubordination, il aurait été jugé en application de l’article 267 du code de justice militaire et donc par les lois pénales ordinaires du code pénal (article 295 à 305), mais si un soldat tue son supérieur pendant le service ou à l’occasion du service, que ce supérieur soit son caporal ou même un soldat de 1ère classe faisant fonction de caporal, il aurait été jugé et condamné en application de l’article 221, 222 ou 223 suivant le cas pour voies de fait envers un supérieur car c’est un cas d’insubordination.
Le conseil de guerre de la 120e division d’infanterie a, fort justement, rejeté les conclusions de la défense et condamné à mort pour voies de faits envers son supérieur en application de l’article 223 du code de justice militaire.
Le 4 novembre 1916, le conseil de révision de la Xe armée a rejeté le recours en révision formé par Magnouloux.
Suite à cette condamnation, un recours en grâce a été demandé pour ce soldat.
Magnouloux a déclaré qu’il avait tiré en proie à une colère irrésistible, dans un accès de folie et d’inconscience, sous l’influence de l’ivresse.
Il n’a pas été établi que Magnouloux fut en état d’ivresse, comme il le prétend.
Le conseil de guerre a refusé de le faire examiner au point de vue mental.
Traduit devant le conseil de guerre de la 13e division d’infanterie, Magnouloux avait été condamné à mort par jugement du 27 septembre, annulé le 8 octobre dernier par le conseil de révision de la Xe armée.
Le même conseil de révision a rejeté le 4 du courant le recours de Magnouloux contre sa seconde condamnation à mort.
Magnouloux, passé au service armé depuis le 24 juillet 15, est mal noté dans le service. Indiscipliné et buveur.
Les autorités hiérarchiques se montrent défavorables. La « guerre » conclut au rejet, 20/11/16.
Deux autorités de la « Justice » ont écrit : proposition d’adhérer et Adhésion
Le 30 novembre 1916, le Président de la République n’a pas cru devoir accueillir le recours en grâce du soldat Magnouloux. Notons que la synthèse ci-dessus ne précise pas, comme c’est généralement le cas, si c’est un juge qui a formé le recours en grâce. Dans ce cas, c'est peut être le général de la division qui l'a formé. Notons également que le Président de la République a demandé que le dossier de procédure de Magnouloux lui soit communiqué.
Le 4 décembre 1916, à Chatenois dans les Vosges, le soldat Magnouloux a été passé par les armes.
9-5- le soldat Simon :
Lors de la séance du 21 novembre 1916 du conseil de guerre de la 1ère division d’infanterie, le caporal Muller, témoin dans cette affaire, déclara : le 11 [septembre] au soir, j’ai voulu commander le soldat Simon pour une corvée d’eau, il n’était pas là ; j’en ai avisé le commandant de compagnie. Je précise que c’est dans la nuit de 10 au 11 que nous avons pris le garde contre les gaz et que c’est dans la nuit du 11 au 12 que la corvée d’eau a eu lieu, corvée à laquelle Simon n’était pas puisqu’il venait de partir. Notre compagnie était en réserve et nous savions, par ce que nous avait dit notre lieutenant, que nous attaquerions le lendemain et, en effet, nous avons attaqué le lendemain. Simon, après avoir pris sa faction dans la nuit du 10 au 11, pouvait se considérer libéré de ce service de garde sans crainte de devoir prendre la garde à nouveau dans la même nuit, car nous devions partir de cet endroit à 2 heures du matin. C’est dans la nuit du 11 à 12 que j’ai constaté la disparition de Simon ; je ne l’ai pas vu dans la journée du 11, peut-être est-il parti dans la nuit du 10 au 11.
Le 13 septembre, Simon était arrêté par la gendarmerie entre Longueau et Amiens.
Plusieurs fois condamnés au civil, Simon a été condamné le 21 avril 1915 par le conseil de guerre de la 2e division d’infanterie à cinq ans de détention pour désertion en présence de l’ennemi, peine suspendue en juin 1916 par le général commandant cette division. Passé au 110e régiment d’infanterie, Simon a été condamné par le conseil de guerre à 5 ans de prison, circonstances atténuantes admises. Le 30 août, général de division suspendit de nouveau sa peine.
Passé au 8e régiment d’infanterie, Simon a abandonné son poste dans les circonstances relatées ci-dessus par le caporal Muller.
Le 20 octobre, Simon était convoqué devant le conseil de guerre de la 2e division d’infanterie.
Le 23 octobre, le conseil de guerre de la 2e division d’infanterie a condamné le soldat Simon à la peine de mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi en application de l’article 213 du code de justice militaire.
Simon s’est pourvu en révision appuyé par les conclusions de son défenseur.
Le 4 novembre 1916, le conseil de révision de la IVe armée a examiné les moyens avancés par le défenseur de Simon. On doit remarquer que les moyens proposés par le soldat Lamps brancardier divisionnaire suggèrent que ce soldat possède une très bonne connaissance du code de justice militaire.
Le conseil a accepté les 3 moyens présentés par le défenseur. Le 2e moyen portait sur le fait que le caporal Muller témoin des faits n’était pas présent lors du jugement et que son audition, lors de l’instruction, ne présentait les formes légales requises. Le 3e moyen portait sur le fait que le président du conseil de guerre n’avait pas le droit d’exprimer une opinion pendant les débats ce qui a été le cas. Le commissaire du gouvernement du conseil de révision de la IVe armée a soulevé un autre moyen concernant la qualification sommaire de la citation faite à l’accusé. Par voie de conséquence, le conseil de révision a cassé le jugement du conseil de guerre de la 2e division et a renvoyé le soldat Simon devant le conseil de guerre de la 1ère division d’infanterie.
Le 21 novembre 1916, le conseil de guerre de la 1ère division d’infanterie a condamné à mort le soldat Simon pour abandon de poste en présence de l’ennemi en application de l’article 213 & 1 du code de justice militaire.
Ce militaire ne s’est pas pourvu en révision suite à ce jugement mais les juges du conseil de guerre ont formé un recours en grâce. Depuis le courrier ministériel du 17 octobre 1915, si un juge signe une demande de recours en grâce, l’officier qui a ordonné la mise en jugement, dans la plupart des cas il s’agit du général de division, a l’obligation de faire suivre le dossier du condamné à mort à la présidence de la République pour examen. De facto, l’exécution du condamné est suspendue jusqu’à la décision présidentielle. En pratique, comme Prisme l’a déjà expliqué à de nombreuses reprises, le dossier du condamné à mort suit toujours le même circuit, il transite d’abord par la direction du contentieux du ministère de la Guerre qui émet un avis puis est transmis à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice qui également un avis. Comme l’avait constaté le général Bach, dans la très majorité des cas, la « Justice » suit l’avis de la « Guerre ». Enfin ces avis sont transmis au Président de la République qui paraphe le décret de commutation de peine ou laisse la justice suivre son cours.
Pour ce militaire, la synthèse de la direction du contentieux du ministère de la « Justice » précise :
Etant de faction dans la nuit du 11 au 12 septembre dernier, alors que son unité était dans l’attente d’une attaque, qui se produisit le lendemain, Simon disparut, laissant son arme et équipements. Le 13, il était arrêté près d’Amiens, d’où il est originaire.
Le condamné prétend qu’il n’a pas commis d’abandon de poste devant l’ennemi parce qu’il n’occupait pas un poste commandé et qu’il n’était pas en 1ère ligne.
Le commissaire-rapporteur fait observer que le régiment dont Simon faisait partie au moment où il a abandonné son poste, était en soutien dans la Somme, prêt à se porter en avant à tout moment.
Traduit devant le conseil de guerre de la 2e division, Simon avait été condamné à mort par jugement du 23 octobre, annulé le 4 novembre dernier par le conseil de révision de la IVe armée.
Il ne s’est pas pourvu en révision contre sa nouvelle condamnation à mort.
A son casier, figurent une condamnation à 6 mois pour vol et deux pour désertion en août 15 et en août dernier, la première commise devant l’ennemi. Il avait à chaque fois bénéficié de la suspension.
Quatre membres du conseil de guerre ont signé un recours en grâce que repoussent toutes les autorités hiérarchiques.
La « Guerre » conclut, elle-même, au rejet. 6/12/16
Une 1ère autorité de la Justice indique : proposition d’adhérer à l’exécution. Une seconde autorité de la Justice ajoute : adhésion – 7 déc 1916.
A noter que 2 séries de mots ont été soulignées en rouge par une des autorités du ministère de la Justice. C’est un indicateur de « l’agacement » de cette autorité face à la non prise en compte par ce militaire des mesures suspensives antérieures.
Le recours en grâce signé par les juges militaires illustre leur obligation d’appliquer la loi puis de solliciter la clémence du Président de la République : Considérant qu’en présence d’un fait matériel incontestable et du texte absolu de la loi, il ne leur a pas été possible d’abaisser la peine dans les limites qui la rendissent mieux en rapport avec la nature et la gravité des faits incriminés. Considérant que tout l’effet moral qu’on devait attendre a été produit par le prononcée de la peine. Estiment qu’il y a lieu de recommander ledit Simon à la clémence de M. le Président de la République pour une commutation de peine.
Les cas que nous avons évoqué, illustrent le nombre des jugements adressés au Président de la République pour un recours en grâce. En effet, au cours de la seconde période de l’exceptionnalité du recours en grâce, du 17 octobre 1915 au 20 avril 1917, dans 374 cas soit 68% des jugements, un ou plusieurs juges ayant signé une demande de grâce ou sur l’initiative de l'officier qui a ordonné la mise en jugement. Les dossiers de ces condamnés à mort ont été alors envoyés pour examen à la présidence de la République. Notons que ce pourcentage est en total contradiction avec la circulaire du 1er septembre 1914 qui précise que le recours en grâce doit rester exceptionnel.
9-6- le soldat Denison :
Le cas de ce soldat a été longuement évoqué dans la cohorte de juillet de l’article sur le 2e semestre de l’année 1917. Même si ce militaire n’a pas été fusillé, Prisme l’a intégré dans cette étude, Denison s’étant suicidé peu de temps avant son exécution.
L’exécution de Denison était prévue le 8 novembre 1917 à 7 h15 à Somme-Bionne mais ce soldat avait mis fin à ses jours.
Pour résumer très brièvement les faits qui sont largement relatés dans l’article de 1917, le 26 juin 1917, en pleine période des mutineries, après avoir essayé de faire un croc en jambe au sous-lieutenant Lepoutre, ce soldat a mis en joue avec un fusil le sous-lieutenant Thomas qui a détourné l’arme juste avant le départ de la balle.
Convoqué le 4 juillet devant le conseil de guerre de la 16e division d’infanterie, Denison a été condamné à mort pour révolte en application de l’article 217 du code de justice militaire.
Ce soldat s’est pourvu en révision devant le conseil de révision de la IVe armée.
Dans sa décision du 11 juillet, le conseil de révision a d’abord rappelé que le décret du 8 juin 1917 ne permettait pas aux individus condamnés à mort en application des articles 208 et 217 du code de justice militaire, de se pourvoir en révision.
Cependant le conseil de révision a déclaré qu’il avait le droit incontestable de contrôler les qualifications contenues dans le jugement du conseil de guerre et, par suite d’examiner le moyen soulevé par l’accusé, moyen basé sur une fausse application de l’article 217 du code de justice militaire.
A la suite, le conseil de révision a déclaré : que de l’examen des pièces de la procédure, il résulte que les faits reprochés à Denison constituent des voies de fait envers de supérieurs tombent sous l’application de l’article 223 & 1 du code de justice militaire. A l’unanimité accepte de moyen et casse et annule le jugement du conseil de guerre y compris l’ordre d’informer.
Denison et la procédure ont été renvoyés devant le conseil de guerre de la 15e division d’infanterie.
Le 2 août 1917, le conseil de guerre de la 15e division d’infanterie séant à St Jean de Tourbe a condamné à mort ce militaire pour voies de fait envers un supérieur en application de l’article 223 & & 1 du code de justice militaire. Les circonstances atténuantes n’avaient pas été accordées.
Le jour même, l’adjudant Boisdron, commis-greffier avait acté la décision de Denison de se pourvoir en révision. Le 8 août, le Conseil de révision de la 4e Armée s’était à nouveau réuni pour statuer sur le jugement prononcé par la 15e DI. Au vu du mémoire du défenseur de Denison fondé sur 3 moyens, le Conseil de révision a rejeté le pourvoi.
Depuis la parution de loi du 20 avril 1917, tous les dossiers des condamnés à mort ont été systématiquement adressés au Président de la République via le circuit classique déjà décrit (ministère de la Guerre puis ministère de la Justice). A noter qu’un juge avait demandé la grâce au Président de la République.
La synthèse de la direction des grâces et des affaires criminelles du ministère de la Justice fournit un résumé de cette affaire.
Le 6 juin dernier, a pris part à un mouvement nettement séditieux, excitant ses camarades à la désobéissance. Un lieutenant s’étant interposé, Denison s’efforça de le renverser en proférant des propos menaçants. L’officier dut se retirer.
Denison, de plus en plus agressif, se mis à la tête d’une centaine de mutins, qui chantaient des refrains révolutionnaires et déchargeaient leurs fusils en l’air.
Un sous-lieutenant ayant voulu ramener le calme, Denison dirigea son arme vers l’officier qui put l’écarter alors que le canon affleurait son visage.
A reconnu les faits en partie, alléguant son état d’ivresse dans lequel il se trouvait.
Denison a été une 1ère fois condamné à mort le 4 juillet par le conseil de guerre de la 16e division d’infanterie. Le jugement a été annulé le 11 du même mois par le conseil de révision de la IVe armée.
La peine capitale a été prononcée à l’unanimité. Un seul juge a signé le recours en grâce.
Denison a été incorporé au début de 1916 ; le 5 octobre de cette année, il était condamné à 2 ans avec sursis.
Aucune des autorités hiérarchiques n’incline vers la clémence, malgré le jeune âge du condamné et son repentir.
Vu la gravité des faits qui auraient pu susciter un mouvement de révolte dont Denison paraît avoir été un des principaux fomentateurs, la « Guerre » n’a l’intention d’entraver le cours de la justice. 27/8/17.
Une 1ère autorité de la Justice a indiqué : proposition d’adhérer. 27 août 17. Le Garde des Sceaux, quant à lui, a écrit : adhésion le 1er 7bre 17.
Le 6 septembre par dépêche n° 29.250 2/10, le Ministre Painlevé demandait de surseoir à l’exécution et de faire procéder à un examen médico-légal de Denison, en vue de déterminer la mesure de sa responsabilité par des médecins désignés à l’intérieur [en dehors de la zone des armées], en raison d'une blessure à la tête qu’il aurait reçue en 1912. Le 1er octobre, le médecin-expert adressait son rapport : « Il n’a été constaté chez lui aucun signe mental ou physique de nature à diminuer sa responsabilité ».
Suite à cette décision, la synthèse de la direction des affaires criminelles et des grâces indique :
La « Guerre » communique à nouveau le dossier du condamné à mort Denison.
La « Guerre » confirme ses conclusions de laisser libre cours à la justice, conclusions auxquelles la chancellerie a adhéré par lettre du 8 septembre dernier.
Entre temps, la famille du condamné a produit un certificat médical constatant qu’en juin 12, le condamné s’était blessé à la tempe et avait subi une opération.
Afin d’établir si cette intervention chirurgicale avait pu amoindrir la responsabilité pénale du jeune condamné, celui-ci a été mis en observation dans un centre de psychiatrie. Il n’a été constaté chez lui aucun signe mental ou physique de nature à diminuer sa responsabilité.
Les autorités hiérarchiques émettent à nouveau un avis défavorable auquel se rallie pour la seconde fois la « Guerre », malgré le jeune âge et l’ancienneté relative des faits, remontant à 4 mois. 26/10/17.
Une 1ère autorité de la « Justice » mentionne : la situation n’étant en rien modifiée, même avis de maintenir notre précédente adhésion. Décision du Garde des Sceaux : adhésion 31 8bre 17.
Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’exécution de Denison était prévue le 8 novembre à 7h30 en présence du 2e bataillon du 134e régiment d’infanterie sous l’autorité du Chef de bataillon Drüssel. A 9h00, le personnel de l’ambulance 5/8 stationnée à Somme-Bionne, a enregistré le décès par suicide du soldat Denison.
Ce cas présente plusieurs particularités. On remarque qu’un recours en révision a été transmis tandis que ce soldat a été condamné à mort au titre de l’article 217 du code de justice militaire alors que le décret ministériel du 8 juin 1917 l’interdisait. On remarque également que le conseil de révision de la IVe armée a usé de son droit de contrôler la qualification donnée aux faits déclarés constants, pour vérifier la qualification donnée ou refusée mal à propos aux faits tels qu’ils résultent de l’instruction.
La Cour de cassation a, par une jurisprudence constante, hautement affirmé son droit d’examiner les faits incriminés pour rechercher leur véritable rapport avec la loi, son contrôle s’exerçant sur le fait non pour en contester l’existence matérielle, mais pour en apprécier les conséquences juridiques. Pour Denison, cela s’est soldé par la cassation de son jugement en 1ère instance.
Enfin, le ministre Painlevé a accédé à la demande de la famille de Denison de faire examiner ce dernier afin de déterminer sa responsabilité dans ses actes.
Prisme est attaché à la notion de cohorte introduite par le général Bach, elle permet de factualiser les informations primordiales à l’étude d’un jugement à travers ses différents stades.
Cet extrait de l’état glissant de juillet 1917 permet de visualiser une partie des différents stades de certains jugements prononcés au cours dudit mois. La trame de base des mois M+1, M+2, M+3, M+4 est identique, accolée de gauche à droite de manière à personnaliser les différents stades de l’évolution de chacune des procédures. Pour nombre de ces militaires, les différents stades s’étalent en août où 33 militaires ont été graciés après un rejet d’un pourvoi en révision, en septembre, en octobre 1917. Pour le cas de Denison, le dernier stade de sa procédure s’étale jusqu’en novembre 1917. Ces états glissants que Prisme a établi pour chaque mois du conflit sont des aides précieuses pour factualiser statistiquement les données, visualiser par exemple le délai entre le jugement d’un militaire et le dernier stade de sa procédure, dans ce cas 5 mois mais également afficher les grâces transmises puis refusées, les pourvois en révision transmis puis refusés. Comme le disait le général Bach, ces états glissants sont indispensables à la compréhension de ces phénomènes.
10- Conclusion :
Prisme avait déjà évoqué ces jugements cassés mais nous avons décidé d’étudier plus en profondeur ce sujet.
Alors, que retenir de cette étude ?
Après la restauration du recours en révision, du 8 juin 1916 au 23 novembre 1918, les conseils de révision aux armées ont cassé 206 jugements. Ces jugements annulés concernent 198 militaires dont 165 ont été recondamnés à temps soit 83%. Sur le panel restant, 27 ont été graciés suite à une recondamnation à mort soit 14%. In fine, il reste 5 militaires pour lesquels le Président de la République n’a pas cru devoir accueillir un recours en grâce, un sixième militaire s’étant suicidé peu de temps avant son exécution. Prisme a arrêté son décompte au 23 novembre 1918, cette date correspond à un jugement dont l’instruction avait été lancée antérieurement à l’armistice.
Pour les 192 militaires recondamnés à temps ou graciés, les lois d’amnistie ont permis, pour ceux qui ont été incarcérés, de bénéficier d’une libération au plus tard en décembre 1922.
Sur les 1112 jugements prononcés par les conseils de guerre temporaires entre le 8 juin 1916 et fin décembre 1918, 206 jugements ont été cassés représentant 18,5%.
Ces 206 jugements cassés représentent 23% de l’ensemble des jugements pour lesquels un recours en révision a été formé au cours de la période mentionnée ci-dessus.
Sachant que 75% des jugements prononcés par les conseils de guerre ordinaires qui se sont soldés par une exécution ont eu lieu avant le 8 juin 1916, période où le recours en révision a été suspendu par le décret ministériel du 17 août 1914, on n’ose imaginer quel aurait été l’impact sur le sort des militaires français condamnés à mort/fusillés si l’action des conseils de révision n’avaient pas été suspendue. En effet, après le 8 juin 1916 seulement 3% des militaires dont le jugement a été cassé, ont finalement été recondamnés à mort puis fusillés. Si on applique, d’une manière tout à fait théorique ce constat avant le 8 juin, 100 militaires français auraient eu leur jugement cassé. Sur cette centaine de militaires, trois seulement auraient été recondamnés à mort puis fusillés. Cette statistique est tout à fait vraisemblable puisque notre étude sur les vices de procédure impactant les conseils de guerre ordinaires au cours de la période de la suspension des recours en révision, montrent au moins 127 jugements présentaient à minima un vice de procédure. Cela signifie qu’au moins 127 jugements auraient été cassés si les conseils de révision n’avaient pas été suspendus. Bien sûr, on ne peut pas établir un lien de causalité entre le nombre de militaires rejugés et le nombre de militaires fusillés. Mais statistiquement, il est fort peu probable que les 127 militaires fusillés dont les jugements auraient dû être cassés si les conseils de révision n’avaient pas été suspendus, auraient été tous recondamnés à mort puis fusillés.
Cette description des conséquences des décisions des conseils de révision temporaires aux armées après leur réinstauration montre toute l’importance qu’ont eu ces juridictions. De nouveau, on n’ose imaginer ce qu’il se serait passé si ces conseils de révision n’avaient pas été suspendus ou si la suspension avait été de plus courte durée.
L’objectif de cette étude était de démontrer statistiquement l’importance des conseils de révision aux armées qui étaient, rappelons-le, les juges du droit.
Comme le général Bach le soulignait : avant de le décrire, un phénomène historique doit être quantifié le plus finement possible afin d’en appréhender au plus près l’ampleur.
Pour André
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