A travers des articles statistiques, à travers des articles de fond aussi divers que les mutilations volontaires, le code de justice militaire, la notion de fusillés pour l'exemple, l'ambition du Prisme est de fournir un ensemble d'informations permettant aux lecteurs d'appréhender en toutes connaissances de causes et sans parti pris de notre part la problématique des fusillés du conflit 14/18. Notre but n'est pas de juger mais de présenter, d'analyser les faits, de les porter à la connaissance de nos concitoyens au sujet d'une question qui n'est pas seulement d'ordre historique mais enjeu aussi d'un débat mémoriel, encore présent aujourd'hui.

jeudi 2 octobre 2025

Plusieurs fois condamné à mort, le soldat Piedevache a finalement été gracié

 

    Dans un précédent article, Prisme a présenté l’influence des décisions des conseils de révision temporaires sur le sort des militaires français condamnés à mort après la période de suspension des conseils de révision temporaires.

Cet article expose avec plus de détails le cas de ce militaire qui a été condamné à mort à plusieurs reprises avant d’être gracié.

L’importance de ces conseils de révision est restée « sous les radars » des historiens et encore plus du grand public. Quand on étudie ces juridictions au cours de la période où elles ont fonctionné, on s’aperçoit que leur action est loin d’être négligeable.

Piedevache ayant été condamné par des conseils de guerre temporaires de la VIe armée, c’est le conseil de révision temporaire de cette armée qui a été appelé à statuer sur son sort. Les conseils de révision permanents ne statuaient que sur les jugements prononcés par les conseils de guerre permanents.

Comme le rappelle le traité des recours en révision contre les jugements des conseils de guerre en temps de guerre du colonel Augier et de Gustave Le Poittevin (édition de la société du recueil Sirey – 1915, page 1), le conseil de guerre étant juge souverain du fait, le conseil de révision était juge du droit.

Nous rappelons que Prisme appréhende l’ensemble de ces évènements à travers la notion, pratiquée en sociologie, de « cohorte » introduite par le général Bach. Une cohorte mensuelle est constituée de tous les condamnés à mort au cours du même mois. Le condamné peut être exécuté dans le mois. Mais il peut l'être aussi dans les mois suivants si son pourvoi en révision a été rejeté ou si sa demande de grâce, après examen, a été rejetée. Les autres condamnés échappent à la mort puisque leur peine est commuée.

Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.

Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux, quelle que soit leur apparence.

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     Le chapitre III du titre II du livre IV du code justice militaire de 1875 traite de la révolte, de l'insubordination, de la rébellion à travers les articles 217 à 225 dont :

-l’article 220 qui punit de mort tout militaire coupable de violence à main armée envers une sentinelle ou une vedette.

-l’article 221 qui punit de mort toute voie de fait commise avec préméditation ou guet-apens par un militaire envers un supérieur.

-l’article 222 qui punit de mort toute voie de fait commise sous les armes par un militaire envers un supérieur.

-l’article 223 qui punit de mort les voies de fait exercées pendant le service ou à l’occasion du service par un militaire envers un supérieur.

Quand le législateur a créé ces articles du code de justice militaire, il n’a pas eu beaucoup à chercher, il lui a suffi de s’inspirer des textes existants, en particulier de l’article 209 du code pénal ordinaire de l’époque, qui indiquait : « Toute attaque, toute résistance avec violence et voies de fait envers les officiers ministériels, les gardes champêtres ou forestiers, la force publique, les préposés à la perception des taxes et des contributions, les porteurs de contrainte, les préposés des douanes, les séquestres, les officiers ou agents de la police administrative ou judiciaire, agissant pour l’exécution des lois, des ordres ou ordonnances de l’autorité publique, des mandats de justice ou jugements, est qualifiée, selon les circonstances, crime ou délit de rébellion ».

Comme il est mentionné à la page 513 du Pradier-Fodéré/Le Faure, véritable « bible » de plus de 800 pages concernant la justice militaire citant le rapport de Monsieur Langlais, « L’ordre du projet [établissement du code de justice militaire] nous conduit à un crime de la plus haute gravité dans l’Armée : c’est la voie de fait commise par un inférieur contre son supérieur. Ce crime a été frappé de peines redoutables dans tous les temps. L’ordonnance du 1er juillet 1727 punissait de mort, dans tous les cas, la voie de fait envers l’officier. La peine était encore de mort, quand la voie de fait avait eu lieu pendant le service, envers un sergent ou maréchal des logis. La loi du 19 octobre 1791, celle du 12 mai 1793, la loi du 21 brumaire an V n’admettent aucune distinction de grade et punissent toute voie de fait envers un supérieur de la peine de mort ».

Quel que soit le régime politique en place, la voie de fait a toujours été très sévèrement punie.

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Enfant de père inconnu, Piedevache a d’abord été garçon fumiste puis maçon lors de son recrutement. En 1909, Piedevache a été condamné pour outrages par un tribunal civil (Seine). De la classe 1910, il est positionné dans le service auxiliaire en novembre 1911, ce soldat est passé au service actif en mai 1913.

Le 31 juillet 1916, le soldat Piedevache a été condamné à 5 ans de travaux publics par le conseil de guerre de la 70e division d’infanterie pour voies de fait envers un supérieur en dehors du service. Peine suspendue, il est passé au 226e régiment d’infanterie le 1er août 1916.
Le 12 août 1916, vers 18 heures, la 18e Compagnie du 226e régiment d’infanterie était rassemblée prête à partir. Un groupe d’aviateurs passa, Piedevache les traita d’embusqués ajoutant : vous, vous allez du bon côté ; nous, nous allons de l’autre. Son chef de section lui ordonna de se taire mais Piedevache répondit : « ce sera dur pour me faire taire ; ce n’est pas ici qu’il faut dire aux gens de se taire ; sale con ». Le sous-lieutenant rendit compte des évènements au commandant de compagnie puis revint au rassemblement pour demander à Piedevache quelles étaient les raisons de sa conduite. Ce dernier répondit à son chef : « tu es déséquipé ? moi je le suis aussi » et s’élançant sur le sous-lieutenant, il le frappa d’un violent coup de poing au visage en disant : ce n’est pas fini, on se retrouvera ». Le lieutenant Moingeon commandant de compagnie fit immédiatement arrêter Piedevache.

Une plainte ayant été déposée pour voies de fait envers un supérieur, Piedevache a été convoqué devant le conseil de guerre de la 70e division d’infanterie.

Le 1er septembre 1916, ce soldat a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 70e division d’infanterie pour voies de fait envers un supérieur pendant le service en application de l’article 223 du code justice militaire.


Avec la parution du décret du 8 juin 1916, le recours en révision a été ré-instauré. Piedevache a donc pu se pourvoir en révision.

Le conseil de révision de la VIe armée, statuant sur les conclusions du défenseur de Piedevache a relevé que : le président du conseil de guerre a posé la question principale relative à chacune des accusations ; que seule la question relative à la troisième accusation a été résolue négativement, que la peine de mort a été prononcée [….] Attendu que l’irrégularité grave qui a été commise aux circonstances aggravantes « à l’occasion du service » pour les deux incriminations résolues par l’affirmation, constitue une violation de l’article 132 du code de justice militaire [….] Qu’en effet les formes substantielles ont été violées et que l’accusation n’a pas été entièrement purgée pour celles des incriminations résolues affirmativement ; Que l’annulation s’impose en application de l’article 74 & 4 du code de justice militaire ; Attendu, au contraire, que l’incrimination ayant été purgée sur le troisième chef d’accusation, il y a lieu de maintenir à l’accusé le bénéfice de la réponse négative qui lui profite, conformément à l’article 137 du code de justice militaire.

Cette décision de ce conseil de révision montre au moins deux choses : 
-Que ces juges possédaient des connaissances approfondies de la justice militaire qui vont bien au-delà de la simple constatation d’un nombre de voix absent lors d’un jugement ce qui dénote la présence de juristes expérimentés.

Que ces juges n’avaient rien de « va-t-en guerre » ou de « fusilleurs » comme on a pu le lire sur certains ouvrages mais de juges appliquant strictement la loi y compris quand elle profite à l’accusé.

Ce jugement ayant été cassé le 6 septembre 1916 par le conseil de révision de la VIe armée. Piedevache a été renvoyé devant le conseil de guerre de la 77e division d’infanterie.

Malheureusement, suite à cette cassation, la plupart des pièces de cette procédure ont été détruites.

Convoqué le 27 septembre 1916 devant le conseil de guerre de la 77e division d’infanterie, ce militaire a été condamné à mort pour des voies de fait envers un supérieur. Suite à cette condamnation, Piedevache s‘est pourvu en révision comme il en avait le droit.

Ce jugement a été cassé le 4 octobre 1916 par le conseil de révision de la VIe armée qui a indiqué dans sa décision que le conseil de guerre 77e division d’infanterie s’était réuni sans une convocation ordonnée par le général commandant cette division.


Piedevache a été renvoyé devant le conseil de guerre de la 10e division d’infanterie.

Le jugement ayant été annulé, la plupart des pièces du dossier de procédure ont été détruites.

Le 10 octobre 1916, le général Valdant commandant la 10e division d’infanterie a convoqué le conseil de guerre pour le 2 janvier 1917.


On peut penser que le général Valdant a donné 2 mois et ½ au commissaire-rapporteur pour bien préparer ce dossier déjà cassé à plusieurs reprises ce qui a profité de facto à l’accusé et surtout à son défenseur pour bien préparer son argumentaire. Mais il est singulier de constater que cette convocation a été faite au titre de l’article 156 du code de justice militaire, c’est-à-dire en citation directe. Cela signifie que l’instruction aura lieu au cours du jugement. Les témoins seront auditionnés au cours du jugement et le président du conseil interrogera l’accusé au cours du jugement. On ne comprend pas pourquoi le général Valdant a convoqué le conseil de guerre avec l’article 156 tout en fixant une date du conseil de guerre aussi éloignée.

Les 3 témoins convoqués à l’audience sont le sous-lieutenant Aubert, l’adjudant-chef Gaudubois et le soldat Beaumont.

Le 31 décembre 1916, le sapeur Mille a prévenu qu’il ne pouvait pas plaider « malgré lui » pour Piedevache». C’est le sergent Courteille du 31e régiment d’infanterie qui a assuré la défense de ce militaire.

Les notes d’audience du 2 janvier 1916 nous éclairent sur les évènements.


Témoin Aubert : les faits reprochés au soldat Piedevache sont déjà lointains. J’étais présent à cette scène en question du 12 août 1916, j’ai entendu Piedevache traiter les aviateurs d’embusqués. Le lieutenant Ladonet lui a ordonné de se taire et Piedevache lui a répondu qu’il ne se tairait pas et l’a appelé : « sale con ». Le lieutenant Ladonet se déséquipa, avança sur Piedevache pour essayer probablement de lui faire entendre raison et c’est à ce moment que Piedevache le frappa à la figure. Aussitôt, le lieutenant Moingeon fit arrêter Piedevache et le tint en respect avec le revolver sous le nez.

Témoin Gaudubois : j’étais présent, quand le 12 août 1916, le soldat Piedevache a traité les aviateurs d’embusqués. C’est à ce moment que le lieutenant Ladonet a donné l’ordre à Piedevache de se taire. Ce dernier lui a répondu : « ce sera dur de me faire taire, ce n’est pas ici qu’il faut dire aux gens de se taire et il traita l’officier qui s’en allait de « sale con ». Le lieutenant Ladonet qui était déséquipé, rendit compte de ce qui venait de se passer au commandant de la compagnie et revint vers Piedevache en lui demandant des explications sur son attitude. C’est alors que ce dernier jeta son équipement et s’écria : tu es déséquipé, moi, je le suis aussi. Piedevache frappa le lieutenant Ladonet d’un coup de poing à la figure. Le lieutenant Moingeon commandant de compagnie fit arrêter immédiatement le soldat Piedevache.

Le soldat Beaumont n’a pu venir témoigner, il a été évacué le 4 décembre 1916 vers une formation sanitaire non connue.

A l’issue des débats, le président du conseil de guerre a posé 4 questions. Les juges ont répondu, à l’unanimité, que Piedevache était coupable. A remarquer que ces questions ne présentent pas de vice procédure.

Piedevache a donc été condamné à mort en application de l’article 223 du code de justice militaire.

Le dossier de procédure de ce dernier jugement indique ce soldat ne s’est pas pourvu en révision.

Un des juges a formé le recours en grâce. Comme le prévoit le courrier du 17 octobre 1915, le dossier a donc été adressé au Président de la République via la direction du contentieux du ministère de la Guerre qui l’a fait suivre à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice.

Prisme a volontairement reproduit la synthèse de la direction des affaires criminelles et des grâces pour permettre aux lecteurs d’apprécier la qualité et la précision des explications fournies par le rédacteur de cette synthèse.


Le sous-lieutenant Ladonet, étant intervenu, Piedevache l’a outragé.

Comme, après avoir rendu compte de la scène au commandant de compagnie, le sous-lieutenant Ladonet déséquipé, se rapprochait de Piedevache pour lui demander les motifs de son acte, le condamné s’élança sur son interlocuteur et le frappa d’un coup de poing au visage en lui disant : « ce n’est pas fini, on se retrouvera ».

Traduit le 1er septembre 16 devant le conseil de guerre de la 70e division, Piedevache a été condamné à mort ; ce jugement a été cassé.

Traduit devant le conseil de guerre de la 77e division, Piedevache a de nouveau été condamné à mort. De nouveau, le jugement a été cassé.

Traduit une 3e fois devant le conseil de guerre de la 10e division, Piedevache a enfin été régulièrement condamné à mort une fois de plus.

Les 5 juges du 2e conseil de guerre ont signé un recours en grâce.

Un des juges du 3e conseil de guerre a également signé un recours [en grâce].

Les 2 défenseurs successifs ont enfin adressé une supplique au Président de la République.

Piedevache est marié ; il compte 20 mois de présence au front et a été cité à l’ordre du jour ; il a été atteint récemment d’une fièvre typhoïde qui aurait beaucoup influé sur son caractère.

L’enquête à laquelle il a été procédé, paraît avoir été par trop sommaire ; il n’y a pas eu d’instruction préalable.


Le 9 février 1917, à la demande de la direction du contentieux du ministère de la guerre, le Président de la République a gracié ce militaire et a commuée sa peine de mort en 15 ans de prison. La direction du contentieux du ministère de la guerre a justifié sa décision en prenant en compte la bonne conduite du condamné, son repentir et l’ancienneté des faits.


Le 12 juin 1917, ce soldat a été transféré au 89e régiment d’infanterie, sa peine ayant été suspendue par le général commandant la 10e division d’infanterie. Piedevache a été démobilisé en août 1919, le certificat de bonne conduite lui a été refusé.
En avril 1923, Piedevache sera de nouveau condamné, cette fois au civil, pour violences à particulier (Amnistié en 1925). 

La synthèse de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice mentionne les suppliques qui ont été rédigées par les 2 défenseurs de ce soldat. Dans le dossier de procédure du jugement devant la 10e division d’infanterie, on trouve la supplique du sapeur Mille du 7e génie, compagnie 15/17, docteur en droit.

Cette supplique que nous avons reproduite en partie ci-dessous, a apparemment influencé le rédacteur de la synthèse.

[……]

     Toutefois, je note que les voies de fait reprochées ne consistaient qu’en un coup de poing, sans contusion d’aucune sorte ; le seul geste de violence et de colère était puni de la peine suprême, sans indulgence pour l’âge de l’inculpé, ni pour sa situation d’homme marié, ni encore pour son long séjour au front.

    Mais d’autres considérations devraient militer en faveur de l’accusé aux yeux mêmes de ses juges.

    Le code de justice militaire se préoccupe uniquement dans la répression des délits et des crimes, de l’exemplarité de la peine.

     Les magistrats qui composaient le conseil de guerre de la 77e DI ont été pénétrés de cette vérité.

     Or, les faits incriminés se sont déroulés à la face d’une compagnie du 226e de ligne, dans une autre division que celle devant le tribunal de laquelle se présentait Piedevache.

     Au 226e, s’était répandue la triste nouvelle que Piedevache avait été condamné à mort par le conseil de guerre de la 70e DI, devant lequel il avait répondu une première fois de son crime.

     L’opinion des milieux militaires était satisfaite. La réaction de conscience sociale produite par le fait délictueux était traduite dans une sanction qui répondait largement au besoin imminent de justice, si elle ne dépassait pas ce sentiment.

     Puis, le silence et l’oubli se firent. Seuls, les membres du greffe ont connu le pourvoi en révision, et quand l’affaire Piedevache est revenue hier devant un nouveau conseil de guerre, personne, ni dans la salle d’audience, ni aux alentours, ne le connaissait.

     Il n’y avait plus d’exemple à poursuivre.

    Les juges l’ont compris, et aussitôt après avoir sacrifié au précédent d’une première condamnation capitale, cédant ainsi à la force du passé, ils ont, à l’unanimité signé un recours en grâce à votre nom, Monsieur le Président.

     C’est l’efficacité de cette demande de commutation de peine que j’ai l’honneur de plaider devant vous.

     Il y va du respect de la volonté des juges qui me paraît s’imposer au premier magistrat du pays.

     Cette mesure sollicitée répond au désir si légitime de concilier le besoin de paix sociale et les nécessités de la discipline.

     Je vous supplie, Monsieur le Président de faire sortir à effet le recours que, sur les impressions d’audience, les magistrats qui ont jugé Piedevache, vous présentent eux-mêmes et que je me suis permis d’enrichir des développements qui précédent.

Et vous ferez justice
Jérôme Mille

Les suppliques des défenseurs sont peu courantes dans les dossiers de procédure. Le sapeur Mille est tout à fait dans son rôle de défenseur quand il affirme : « Le code de justice militaire se préoccupe uniquement dans la répression des délits et des crimes, de l’exemplarité de la peine » tout en soulignant son statut de militaire quand il dit, « je m’incline respectueusement devant sa gravité [du conseil de guerre], sans en discuter la solidarité toute militaire. Dans ce texte ci-dessus, le sapeur Mille souligne : « un seul geste de violence était puni de la peine suprême sans l’indulgence pour l’âge et la situation d’homme marié de l’inculpé » mais oublie-t-il, volontairement ou pas, le cadre qui a été fixé par le législateur lors de création de l’article 223.

En effet, le législateur a bien indiqué : Dans tous ces cas [meurtre, assassinat, blessures ou coups portés], la loi militaire ne distingue et ne devait pas distinguer, pour deux raisons : la première, c’est que, quelle que soit la qualification que la loi commune donne à la voie de fait, simple coup ou assassinat, le fait étant celui d’un militaire, c’est le crime militaire d’insubordination qui domine et que la loi militaire entend punir ; le délit ou le crime commun que renferme la voie de fait est bien la cause du crime militaire, mais ce n’est pas cette cause que la loi militaire veut atteindre ; c’est le crime d’insubordination qui s’est produit par la voie de fait.

Le législateur ayant refusé de distinguer les degrés de gravité des voies de fait, les juges militaires étaient obligés d’appliquer la loi. Pour les juges, les seules alternatives visant à atténuer la peine, reposaient d’une part sur les circonstances atténuantes et d’autre part sur le recours en grâce. Ainsi entre le 17 octobre 1915 et le 20 avril 1917, c’est-à-dire au cours de la seconde période de l’exceptionnalité du recours en grâce, 68% des dossiers de procédure des militaires français condamnés à mort ont été adressés au Président de la République. On est très loin du principe de l’exceptionnalité du recours en grâce édicté par le pouvoir politique dans la circulaire ministérielle du 1er septembre 1914.

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L’analyse des différentes condamnations à mort de ce militaire est pleine d’enseignements. Ce cas montre d’abord toute l’importance du conseil de révision, juridiction qui se substituait durant le conflit à la Cour de cassation. Durant le conflit, les conseils de révision temporaires ont fonctionné au niveau de l’armée. Cette juridiction a parfaitement rempli son rôle au cours de la période où le pouvoir politique ne l’a pas suspendu.

Pour Piedevache, le conseil de révision de la VIe armée, juge du droit, a annulé les jugements porteurs de vice de procédure.

Le code de justice militaire sanctionne les peines criminelles en deux peines de mort distinctes : avec ou sans dégradation militaire. Lorsque la peine de mort est prononcée avec la dégradation militaire, la peine de mort appliquée est celle du droit commun. Dans ce cas, l’effet des circonstances atténuantes est réglé par l’article 463 du code pénal. Au contraire, quand il s’agit de la peine de mort sans dégradation militaire, si les circonstances atténuantes sont admises, c’est la peine des travaux publics de cinq à dix ans qui est appliquée pour un sous-officier, caporal ou soldat.

L’ouvrage du colonel Augier et de Gustave Le Poittevin « Traité théorique et pratique de droit pénal et de procédure criminelle militaires » à l’usage des membres des conseils de guerre et des officiers de l’armée de terre (édition de la société du recueil Sirey – 1918), détaille parfaitement ces principes généraux et les effets des circonstances atténuantes aux pages 215 à 229.

Piedevache, jugé plusieurs mois après la parution de l’article 1 de la loi du 27 avril 1916 portant sur l’admission des circonstances atténuantes en temps de guerre, n’a pas bénéficié de cette « avancée » pour un motif non sanctionné par une dégradation militaire.

Le sapeur Mille, docteur en droit, évoque dans sa supplique, la notion de l’exemplarité de la peine. Ce terme est rarement évoqué dans les dossiers de procédure des militaires français condamnés à mort.

Les archives de l’anthropologie criminelle et des sciences pénales de 1892 explique cette notion : le but essentiel de la loi pénale est de prévenir le délit, non pas seulement de la part d’un individu déjà délinquant mais encore de la part de tous les individus quelconques. A l’encontre de ces derniers, elle n’a pas d’autre moyen que de les menacer d’un mal plus ou moins considérable qu’on leur fera subir. Pour que cette menace produise tous ses effets, il faut qu’elle soit mise à exécution une fois le délit réalisé. Car tant que la peine est exemplaire, elle agit sur l’ensemble de la société et prévient une foule de délits résultant soit d’une action, soit de l’influence de l’esprit d’imitation. A ce point de vue de l’exemplarité, la peine sera déterminée par un ensemble de considérations essentiellement sociales, à savoir notamment : l’intérêt de la société à empêcher tel ou tel délit. Dans le domaine public, cette notion de l’exemplarité de la peine a été remplacée par le terme « fusillés pour l’exemple » qui n’a pas reçu de définition officielle hormis l’approche formulée par la Cour Spéciale de Justice Militaire dans les arrêts innocentant les 4 caporaux de Souain et les fusillés de Flirey.

La synthèse de la direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la Justice est une source précieuse venant éclairer les procédures des conseils de guerre surtout en cas d’absence du dossier de procédure ce qui est le cas pour un certain nombre de fusillés.

On y apprend que lors du 2e jugement, les 5 juges ont formé un recours en grâce. Elle nous apprend également certaines informations comme la citation à l’ordre du jour de Piedevache et sa maladie qui ont eu une importance déterminante dans l’avis de la direction du contentieux du ministère de la Guerre. Mais le rédacteur de la synthèse commet une erreur en indiquant : « L’enquête à laquelle il a été procédé, paraît avoir été par trop sommaire ; il n’y a pas eu d’instruction préalable ». Or, la convocation du conseil de guerre de la 10e division d’infanterie a été faite en application de l’article 156 du code de justice militaire, c’est à dire sans instruction préalable. On peut regretter le choix du général Valdant mais il était le seul décideur.

Dans ce dossier, on ne comprend pas la décision du général Valdant de convoquer le conseil de guerre le 2 janvier 1917 soit 2 mois et ½ plus tard tout en utilisant l’article 156, c’est à dire en citation directe. En fixant la séance du conseil de guerre au 2 janvier 1917, cet officier laissait largement le temps à une instruction « classique » menée par le commissaire-rapporteur en vertu de l’article 111 du code de justice militaire.

Comme dans presque tous les recours en grâce, la « Justice » suit toujours l’avis de la « Guerre ». Dans ce dossier, la « Guerre » a proposé une commutation de la peine de mort en 15 ans de prison, peine que Piedevache ne fera pratiquement pas puisque sa peine a été suspendue par le général Valdant. Ce militaire fait partie des 1000 militaires français condamnés à mort qui ont été graciés suite à un recours en grâce favorablement accepté.

Prisme rappelle ce précepte du général André Bach, pierre angulaire du groupe : il faut toujours de la rigueur intellectuelle, toujours revenir aux faits, aux chiffres le tout contextualisé, faire preuve de transparence et de pédagogie, mettre à disposition les sources à la base des recherches pour éviter le soupçon.

Pour André




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