A travers des articles statistiques, à travers des articles de fond aussi divers que les mutilations volontaires, le code de justice militaire, la notion de fusillés pour l'exemple, l'ambition du Prisme est de fournir un ensemble d'informations permettant aux lecteurs d'appréhender en toutes connaissances de causes et sans parti pris de notre part la problématique des fusillés du conflit 14/18. Notre but n'est pas de juger mais de présenter, d'analyser les faits, de les porter à la connaissance de nos concitoyens au sujet d'une question qui n'est pas seulement d'ordre historique mais enjeu aussi d'un débat mémoriel, encore présent aujourd'hui.

mercredi 14 juillet 2021

Les cours martiales américaines et la peine de mort, 1917-1920

     

     Depuis 2014, Prisme 1418 a tenté de parcourir les chemins tortueux et souvent méconnus de la Justice Militaire de l'armée française. Sous l’égide du général André Bach et maintenant suivant son exemple, les publications se sont jusqu’alors principalement concentrées autour des militaires français condamnés à mort / fusillés dans la zone des armées durant la première guerre mondiale. Aujourd’hui, Prisme1418 sort de ce cadre et souhaite découvrir une autre approche en abordant le cas de la justice militaire d’un autre belligérant. L’article ci-dessous tâchera donc d’expliciter le fonctionnement de la justice militaire de l’armée des Etats-Unis d’Amérique.

 

La Grande Guerre est terminée. La justice militaire, au sein des forces armées américaines comme dans les rangs des autres armées belligérantes, a œuvré : entre le 6 avril 1917 et le 30 juin 1920, 576.393 soldats américains de tous grades et de toutes armes, et autres personnels soumis aux règlements militaires, ont été condamnés par une cour martiale, aux Etats-Unis ou en Europe. En sus des données chiffrées, qui ne sont certes pas dénuées d’intérêt, il importe tout d’abord de savoir comment s’est construite la justice militaire outre-Atlantique, et comment elle a été administrée à l’intérieur et à l’extérieur des frontières nationales.

Une longue histoire venue de Grande-Bretagne 

Les officiers des forces armées américaines et leurs subordonnés, au sein de l’armée de terre (U.S. Army), de la marine (U.S. Navy), et des Marines (U.S. Marine Corps) voient, en 1917, la discipline de leur arme encadrée par des textes dont l’origine est très ancienne : à l’éclatement de la Guerre d’Indépendance, en avril 1775, le Congrès provisoire de la Baie du Massachusetts adopte comme levier de la discipline et du fonctionnement des cours martiales, le code britannique de 1774, appelé « Articles of War », qui devient le « Massachusetts Articles of War ». Ce corpus institue deux types de cours martiales : la « cour martiale générale » (general court-martial) et la « cour martiale régimentaire » (regimental court-martial). Le « Massachusetts Articles of War », parfois modestement amendé depuis son adoption, subsiste jusqu’en 1786. C’est à cette date qu’une nouvelle instance est ajoutée aux deux existantes, à savoir la « cour martiale de garnison » (garrison court-martial) ; celle-ci, à l’instar de la cour martiale régimentaire, a cependant des pouvoirs réduits en comparaison de ceux que possède la cour martiale générale. Un juge-avocat (judge advocate) assigné à une cour martiale y poursuit au nom des Etats-Unis tout en étant conseil de l’accusé. Dans le même temps, si le président est le commandant-en-chef de l’armée de terre et de la marine des Etats-Unis, c’est cependant le Congrès qui dirige la politique du gouvernement et les règlements auxquels obéissent les forces terrestres et navales. Cette première période de l’existence de la justice militaire aux Etats-Unis s’achève sur un fait marquant : les crimes et délits civils et militaires sont dissociés en 1791, quand est ratifié le cinquième Amendement à la Constitution, qui stipule initialement que « Nul ne sera tenu de répondre d’un crime capital ou infamant sans un acte de mise en accusation, spontané ou provoqué, d’un Grand Jury, sauf en cas de crimes commis pendant que l’accusé servait dans les forces terrestres ou navales, ou dans la milice, en temps de guerre ou de danger public. » 

En 1806 advient une série de modifications, dont les principales sont les suivantes : une cour martiale générale peut être convoquée par un général commandant une armée ou un colonel commandant d’unité, ce qui n’était pas le cas auparavant ; un accusé peut remettre en question la nomination de membres d’une cour martiale ; un accusé peut garder le silence et être alors considéré comme plaidant « non-coupable ». C’est en 1874 qu’intervient une autre modification : aux trois cours martiales existantes est ajoutée une « cour d’officier supérieur » (field-officer court : le « field-officer » est un commandant, un lieutenant-colonel, ou un colonel) dont le spectre est le suivant : « En temps de guerre, un officier supérieur peut être délégué dans un régiment afin d’y juger des soldats pour des délits et crimes non capitaux ; nul soldat d’un régiment ne peut être jugé par une cour martiale régimentaire ou une cour martiale de garnison lorsqu’un officier supérieur de son régiment peut être délégué. »

En 1890, le Congrès décrète que la cour martiale sommaire – qui se substitue à une cour martiale régimentaire ou à une cour martiale de garnison en temps de paix afin de juger des soldats poursuivis pour délits mineurs – peut dans les 24 heures suivant une mise aux arrêts, faire comparaître un accusé devant une cour formée d’un seul et unique officier, qui détermine la culpabilité et la peine adéquate – une comparution à laquelle l’accusé peut néanmoins s’opposer. En 1895, un ordre exécutif (signé par le président des Etats-Unis) établit une échelle des peines maximales corrélées aux articles encadrant la discipline au sein des forces armées.

C’est enfin en 1916 que surviennent les dernières modifications de la justice militaire, laquelle est mise en application dans le cadre de l’intervention des Etats-Unis dans la guerre, le 6 avril 1917, comme nous allons le voir dans le détail.

Les Articles du Temps de Guerre, version révisée de 1916 

 

La justice militaire américaine du temps de guerre : 

1. Les cours martiales

Selon le contenu des Articles du Temps de Guerre (Articles of War) révisés en 1916, une cour martiale peut compter parmi ses membres « des officiers de l’armée régulière », « de la milice s’ils sont appelés à servir l’Etat » (autrement dit de la Garde Nationale fédéralisée, c’est-à-dire mobilisée sur ordre du président des Etats-Unis), des Marines détachés à l’armée de terre par ordre du président. Trois types de cours martiales peuvent être convoqués : la cour martiale générale, la cour martiale spéciale, la cour martiale sommaire. En voici les compositions et modes de convocation :

- la cour martiale générale est composée de 7 à 13 officiers. Elle est réunie sur requête du président des Etats-Unis, de l’officier commandant une division territoriale ou une branche des forces armées, du surintendant de l’Académie Militaire (de West Point), de l’officier commandant une armée, un corps d’armée, une division, une brigade, ou après nomination par le président, de tout officier commandant une zone ou un corps de troupe. Lorsque ledit officier a mis le ou les traduits en accusation ou occupe la fonction de procureur, la cour martiale est convoquée par une autorité compétente supérieure, et ne peut siéger dans cette cour nul officier ayant mis en accusation ou étant témoin auprès du procureur. Une cour martiale générale a en son pouvoir de juger toute personne soumise au règlement militaire, pour tout crime ou délit susceptible d’être puni dans le cadre de ces articles, ou toute personne rendue potentiellement responsable devant des tribunaux militaires par son statut ou par les lois de la guerre. Nul officier ne peut être jugé par une cour martiale générale sur requête du surintendant de l’Académie Militaire.

- la cour martiale spéciale est composée de 3 à 5 officiers. Elle est réunie sur requête de l’officier commandant une zone, une garnison, un fort, un camp, ou toute place où des troupes sont en service, de l’officier commandant une brigade, un régiment, un bataillon autonome ou toute autre unité autonome. Lorsque ledit officier a mis le ou les traduits en accusation ou occupe la fonction de procureur, la cour martiale est convoquée par une autorité supérieure, et ne peut siéger dans cette cour nul officier ayant mis en accusation ou étant témoin auprès du procureur. Une cour martiale spéciale a en son pouvoir de juger toute personne soumise au règlement militaire, hormis un officier, pour tout crime ou délit non capital susceptible d’être puni dans le cadre de ces articles. Le président peut, sur décisions prises temporairement, extraire de la juridiction des cours martiales spéciales, un groupe de personnes soumises au règlement militaire. Une cour martiale spéciale ne peut émettre un avis de libération avec un certificat de mauvaise conduite, ni un placement en détention excédant 6 mois, ni décréter une suspension de solde supérieure à 6 mois.

- la cour martiale sommaire est composée d’un officier. Elle est réunie sur requête de l’officier commandant une garnison, un fort, un camp, ou toute place où des troupes sont en service, de l’officier commandant un régiment, un bataillon autonome, une compagnie autonome ou tout autre détachement. La cour martiale sommaire est convoquée par une autorité supérieure, si nécessaire, à condition que lorsqu’un officier exerce un commandement, il assure la cour martiale dudit commandement et détermine les affaires sur lesquelles il a à statuer. Une cour martiale sommaire a en son pouvoir de juger toute personne soumise au règlement militaire, hormis un officier, un officier-élève, un soldat éligible à une promotion, pour tout crime ou délit non capital susceptible d’être puni dans le cadre de ces articles. Les sous-officiers ne peuvent être traduits devant une cour martiale sommaire hors de l’autorité d’un officier compétent en mesure de les faire comparaître devant une cour martiale générale. Le président peut, sur décisions prises temporairement, extraire de la juridiction des cours martiales sommaires, un groupe de personnes soumises au règlement militaire. Une cour martiale sommaire ne peut condamner à un placement en détention excédant 3 mois, ni décréter une suspension de solde supérieure à 3 mois. Lorsque l’officier de la cour martiale sommaire est également l’officier commandant, il ne peut émettre une sentence de détention assortie de travaux forcés, ou de suspension de solde, ou ces deux peines à la fois, pour une durée excédant un mois, avant qu’une telle sentence soit approuvée par une autorité supérieure.

Il est à noter qu’un officier ne peut être traduit que devant une cour martiale générale ; en aucun cas, lorsque cela peut être évité, un officier ne doit être jugé par des officiers d’un grade inférieur au sien.

Concernant la détention de l’accusé antérieurement à sa comparution, elle est encadrée comme suit :

« Article 70. Enquête sur les chefs d’accusation, action sur les chefs d’accusation. Nulle personne arrêtée ne devra être maintenue sous les verrous plus de 8 jours, ou au-delà du temps que mettra une cour martiale à être constituée. Quand une personne est incarcérée en vue d’une comparution, hormis dans des postes ou garnisons reculés, l’officier responsable de l’arrestation veillera à ce qu’une copie des chefs daccusation pour lesquels ladite personne est en attente de comparution lui soit remise sous 8 jours, et qu’elle comparaisse dans les 10 jours qui suivent, à moins que les nécessités du service ne le permettent pas : cette personne comparaîtra alors dans les 30 jours suivant l’expiration de ces 10 jours. Si une copie des chefs daccusation ne lui est pas remise, ou si la personne arrêtée n’est pas présentée en jugement dans les conditions préalablement énoncées, son incarcération prendra fin. Cependant, toute personne remise en liberté, au regard des dispositions du présent article, sera jugée, quand les exigences du service le permettront, dans les 12 mois suivant sa remise en liberté, considérant qu’en temps de paix, nulle personne ne peut contre sa volonté, comparaître devant une cour martiale générale dans une période de 5 jours suivant sa prise de connaissance des chefs daccusation. »

2. La procédure

Une fois la convocation entérinée, la procédure se fonde essentiellement sur les articles suivants :

« Article 11. Désignation du juge-avocat. Pour toute cour martiale générale ou cour martiale spéciale, l’autorité désignant la cour doit désigner un juge-avocat, et pour toute cour martiale générale, un juge-avocat assistant ou plus selon que nécessaire. »

« Article 17. Poursuite par le juge-avocat. Le juge-avocat d’une cour martiale générale ou d’une cour martiale spéciale poursuit au nom des Etats-Unis et doit, sous la direction de la cour, préparer le compte-rendu de l’instruction. L’accusé doit avoir le droit d’être représenté devant la cour par un conseil choisi par lui pour assurer sa défense, si un tel conseil est disponible ; s’il ne pouvait, pour quelque raison que ce soit, être représenté par un conseil, le juge-avocat devra, régulièrement au cours de l’instruction, informer l’accusé de ses droits. »

« Article 24. Interdiction de l’auto-incrimination obligatoire. Nul témoin, devant une cour militaire, une commission militaire, une commission d’enquête militaire, ou devant un officier de l’armée ou de l’état civil, désigné pour recueillir une déposition devant être lue devant une cour militaire, une commission militaire, une commission d’enquête militaire, ne peut être obligé à s’auto-incriminer ou à répondre à des questions tendant à l’incriminer ou à l’avilir. »

Enfin, les membres d’une cour martiale générale ou spéciale peuvent être contestés par l’accusé et par le juge-avocat, mais uniquement pour une raison énoncée devant la cour : en ce cas, la cour détermine la pertinence et la validité de la contestation, mais ne peut recevoir la contestation de plus d’un membre à la fois.

Pour ce qui relève des poursuites auxquelles l’accusé s’expose en cas de condamnation, elles sont limitées tout à la fois dans le temps et dans l’occurrence. Ainsi, hormis dans le cas d’une désertion en temps de guerre, ou dans le cas d’un meurtre, nulle personne soumise aux règlements militaires ne peut être jugée ou punie par une cour martiale pour un crime ou un délit commis plus de deux ans avant sa mise en accusation. Dans le cas d’une désertion en temps de paix, ou dans le cas d’un crime ou délit puni par les articles 93 ou 94 de ce code (lesquels sont détaillés ci-après), la période durant laquelle un jugement ou une punition par une cour martiale peut survenir sera de trois ans. Enfin, il est défini que nul ne pourra être jugé deux fois pour le même crime ou délit.

Lorsque le compte-rendu du jugement d’une cour martiale générale est complet, il est présenté à une autorité de révision, à savoir l’officier ayant convoqué la cour ou son successeur, sans l’approbation duquel la sentence de la cour martiale est invalide. Avant toute action complémentaire, cet officier détermine si le compte-rendu prouve que la cour a été régulièrement constituée, s’il était en son pouvoir de juger cette personne et cette affaire, s’il existait au minimum une preuve de chaque crime ou délit dont la personne était accusée, si la sentence appartenait au cadre des règlements prescrits par les statuts et le président, si aucune erreur ou irrégularité n’avait pu mettre à mal les droits de l’accusé. Dans l’affirmative, pour l’ensemble de ces éléments, l’officier peut approuver la sentence, et si nulle révision n’est nécessaire, ordonner sa mise à exécution. A contrario, l’autorité de révision peut désapprouver la sentence, en partie ou dans sa totalité. La désapprobation de l’ensemble de la sentence peut être fondée sur l’assurance que le compte-rendu du jugement présente des insuffisances légales pour faire appliquer la sentence, d’après ce qu’en pense l’autorité de révision quant au poids ou à la crédibilité des preuves, ou à l’équité du jugement, ou d’après des faits extérieurs au compte-rendu mais révélés par une enquête préliminaire, les conclusions d’un examen psychiatrique de l’accusé, une enquête sur ses antécédents familiaux, son passé civil et militaire, ou si la période déjà passée sous les verrous est une peine suffisante et adaptée à ce pour quoi il a été accusé. L’autorité de révision peut désapprouver une partie de la sentence en considérant qu’elle excède le maximum de la peine requise par les règlements ou par ordre présidentiel.
Si l’autorité de révision trouve dans le compte-rendu du jugement un défaut que la cour martiale est à même de corriger, celle-ci se voit retourner le compte-rendu afin d’y remédier. Ce peut également être le cas pour reconsidérer un acquittement, reconsidérer les éléments ayant produit l’abandon de certains
chefs daccusation, ou réévaluer une sentence. Un nouveau jugement, en revanche, ne peut être demandé par l’autorité de révision sans que l’accusé y consente.

Enfin, l’autorité de révision a le pouvoir d’ordonner la mise à exécution de toute ou partie de la sentence, de procéder à une remise de peine, ou à une réduction de peine, mais ne peut procéder à une commutation.

A l’issue de l’action de l’autorité de révision, un ordre est publié, qui peut annoncer l’acquittement de l’accusé ou la désapprobation de la sentence : dans ce cas, l’affaire est close et le dossier est transmis pour classement au Juge-Avocat Général. Si l’autorité de révision approuve la sentence, le dossier est transmis à une autorité de confirmation. Le président détient, de par la Constitution, le pouvoir de grâce, mais également le pouvoir de commutation d’une peine.

3. Le Juge-Avocat Général et l’action de son bureau ; la révision

Le bureau du Juge-Avocat Général comprend plusieurs services, qui prennent en considération différentes sentences : l’emprisonnement en baraquement disciplinaire, la rétention en service, l’emprisonnement en pénitencier, la peine de mort et la révocation des officiers.

Au sein des deux premiers services, une affaire est initialement visée, et approuvée ou désapprouvée, par un seul officier.

Au troisième service (pour l’emprisonnement en pénitencier) sont affectés six commandants ; l’un prépare son avis par écrit, qu’il transmet au commandant du service pour approbation : si les deux officiers tombent d’accord, leur avis est transmis à une commission de révision – composée de trois officiers – qui fait office de cour d’appel, ces trois officiers devant tomber d’accord à leur tour pour que leur avis soit transmis au commandant de la division de la justice militaire, à qui revient la décision finale avant un paraphe du Juge-Avocat Général.

Au quatrième service (pour la peine de mort et la révocation des officiers), la procédure est identique, mais le commandant du service, après avoir reçu les avis par écrit, désigne un officier qui procède à un nouvel examen du dossier : s’il approuve l’avis initial, le commandant du service doit à son tour l’approuver avant remontée de la voie hiérarchique, mais s’il désapprouve l’avis initial, un troisième officier est désigné, qui consulte le dossier – au final, le commandant du service exige que deux officiers tombent d’accord pour accepter leur avis, l’approuver à son tour et le transmettre à une commission de révision. Au sein de cette commission, trois officiers doivent tomber d’accord pour que le dossier soit transmis au commandant de la division de la justice militaire en vue de son approbation.

La commission de révision est composée de deux branches de trois officiers chacune. Ces hommes sont : un ancien juge de cour suprême d’état, un ancien juge de la cour suprême des Philippines, deux professeurs de droit criminel, et deux juristes.

A la différence de la justice civile, dans laquelle un condamné doit effectuer une démarche d’appel (et en avoir les capacités financières…), la justice militaire garantit une forme d’appel « automatique » grâce à l’existence des autorités de révision et de confirmation, vers lesquelles remontent automatiquement toutes les affaires pour lesquelles sont encourues les peines les plus lourdes. La qualité de cette procédure repose sur le fait qu’à partir de septembre 1917, chaque juge-avocat, nanti d’un grade de commandant ou lieutenant-colonel, est dans l’extrême majorité des cas un juriste venu de la vie civile. En outre, les droits de l’accusé sont assurés à plusieurs échelons successifs : si une autorité de révision approuve une sentence, le dossier est transmis au Juge-Avocat Général, à Washington, D.C. (pour les affaires propres au territoire national) ou à Paris (pour les affaires du corps expéditionnaire américain).

En ce qui concerne l’exécution de la peine, elle se déroule dans l’un des trois baraquements disciplinaires des Etats-Unis : Fort Leavenworth (au Kansas), Fort Jay (sur Governor’s Island, New York), Alcatraz (Californie). Y sont incarcérés les condamnés pour des « crimes militaires » : désertion, mutinerie, absence illégale, désobéissance à un officier, agression sur un officier. C’est dans un pénitencier que purge sa peine celui qui s’est rendu coupable de « crime non militaire » (tel que le meurtre).

Fort Leavenworth, Kansas

4. Les articles punitifs

Concernant les parties consacrées aux « punitions » et aux « actions des autorités supérieures » de ces mêmes Articles du Temps de Guerre, elles comprennent trois articles majeurs, concernant directement ou indirectement la peine de mort, qu’il convient de souligner :

« Article 43. Peine de mort – légitime. Nul ne peut être reconnu coupable, par une cour martiale générale, d’un crime dont la punition, aux termes de la loi, serait impérativement la mort, ou être condamné à mort si ce n’est à la proportion des deux tiers des membres présents, et ce pour un crime devant expressément être puni de mort au regard du contenu de ces articles. Toute autre condamnation, ou toute autre sentence, décidée par une cour martiale générale ou une cour martiale spéciale, doit l’être à la majorité des membres présents. »    
« Article 46. Approbation et exécution de la sentence. Nulle sentence d’une cour martiale ne peut être exécutée avant d’être approuvée par l’officier ayant convoqué la cour, ou par l’officier exerçant le commandement à cette même période. »
« Article 51. Suspension des sentences de révocation ou de mort. L’autorité compétente pour ordonner l’exécution d’une sentence de révocation d’un officier, ou la peine de mort, peut suspendre la sentence jusqu’à ce que l’avis du président soit connu ; dans le cas d’une suspension, une copie de l’ordre de suspension, accompagnée d’une copie des minutes du jugement, seront immédiatement transmises au président. »

Ceci posé, détaillons à présent les peines encourues, telles que présentées dans les « articles punitifs » de ces Articles du Temps de Guerre :

« Article 54. Engagement frauduleux : peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 55. Engagement illégal reçu par un officier : révocation, ou autre peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 56. Faux état d’effectifs : révocation, ou autre peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 57. Rédaction de fausses situations, omission de restitution de situations : révocation, ou autre peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 58. Désertion : toute personne soumise aux règlements militaires, qui déserte ou tente de déserter le service armé des Etats-Unis, sera, si le délit est commis en temps de guerre, punie de mort ou de toute autre peine décidée par la cour martiale. Si le délit est commis hors du temps de guerre, il sera puni de toute peine à la discrétion de la cour martiale, à l’exception de la mort. »  
« Article 59. Aide ou conseil à un déserteur : toute personne soumise aux règlements militaires, qui aide, ou conseille, ou assiste de son plein gré, quiconque à déserter le service armé des Etats-Unis, sera, si le délit est commis en temps de guerre, punie de mort ou de toute autre peine décidée par la cour martiale. Si le délit est commis hors du temps de guerre, il sera puni de toute peine à la discrétion de la cour martiale, à l’exception de la mort. »
« Article 60. Non dénonciation d’un déserteur (par un officier) : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 61. Absence illégale : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 62. Irrespect envers le président, le vice-président, le Congrès, le Secrétaire à la guerre, les gouverneurs, les élus : révocation, ou autre peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 63. Irrespect envers un officier supérieur : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 64. Agression d
un officier supérieur ou désobéissance envers un officier supérieur : toute personne soumise aux règlements militaires qui, sous quelque prétexte que ce soit, frappe son officier supérieur, dégaine une arme contre lui, lève une arme contre lui, ou fait montre de quelque violence que ce soit à son encontre, dans l’exercice du service, ou désobéit de son plein gré à un ordre légitime de son officier supérieur, sera punie de mort ou de toute autre peine décidée par la cour martiale. »
« Article 65. Insubordination à un sous-officier : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 66. Mutinerie ou sédition : toute personne soumise aux règlements militaires qui tente d’initier, d’encourager, de causer, ou de s’associer à une mutinerie, ou à une action séditieuse en une quelconque compagnie ou un quelconque regroupement, dans quelque lieu ou camp, au sein de quelque détachement, garde, ou commandement que ce soit, sera punie de mort ou de toute autre peine décidée par la cour martiale. »
« Article 67. Incapacité à réprimer la mutinerie ou la sédition : tout officier ou soldat assistant à une mutinerie ou à une action séditieuse et n’usant pas de l’ensemble de ses capacités pour y mettre un terme, ou étant informé, ou ayant toute raison de penser qu’une mutinerie ou une action séditieuse est projetée, ou ne donnant pas l’alerte dans les meilleurs délais à son officier exerçant le commandement, sera puni de mort ou de toute autre peine décidée par la cour martiale. »
« Article 68. Bagarres, luttes, désordres : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 69. Arrestation ou détention des accusés, évasions : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
(Article 70. Enquête sur les chefs d’accusation, action sur les chefs d’accusation : article non punitif)
« Article 71. Refus de recevoir ou garder des prisonniers : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 72. Rapport sur la réception de prisonniers : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 73. Libération de prisonniers sans autorisation : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 74. Remise de fautifs aux autorités civiles : révocation, ou autre peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 75. Inconduite devant l’ennemi : tout officier ou soldat adoptant une mauvaise conduite devant l’ennemi, prenant la fuite, ou abandonnant ou livrant un fort, un poste, un camp, une garde, ou tout autre commandement dont il a le devoir d’assurer la défense, ou incitant quiconque à y procéder, ou abandonnant ses armes ou ses munitions, ou quittant son poste ou son uniforme en vue de mise à sac ou de pillage, ou étant à l’origine d’une fausse alerte dans un camp, une garnison, un quartier, sera puni de mort ou de toute autre peine décidée par la cour martiale. »
« Article 76. Injonction de reddition d’un subordonné envers un supérieur : si le commandant d’une garnison, d’un fort, d’un poste, d’un camp, d’une garde, ou de tout autre commandement, est appelé par un officier ou un soldat sous ses ordres à se rendre à l’ennemi, ou à lui livrer l’un des précités, ledit officier ou ledit soldat sera puni de mort ou de toute autre peine décidée par la cour martiale. »
« Article 77. Usage impropre de contreseing : toute personne soumise aux règlements militaires qui fait usage de la parole ou du contreseing d’une personne n’en ayant pas l’usage au regard des lois de la guerre, ou donne indûment sa parole ou son contreseing en lieu et place d’autrui sera, si le délit est commis en temps de guerre, punie de mort ou de toute autre peine décidée par la cour martiale. »
« Article 78. Forçage de coffre-fort : toute personne soumise aux règlements militaires qui, en temps de guerre, force un coffre-fort, sera punie de mort ou de toute autre peine décidée par la cour martiale. »
« Article 79. Prise de guerre destinée à être mise en sécurité par le service public : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 80. Recel de prise de guerre : amende, emprisonnement, ou toute autre peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 81. Libération, correspondance, aide à l’ennemi : quiconque libère un ennemi doté de ses armes, munitions, vivres, fonds, ou quoi que ce soit d’autre, ou l’abrite, ou le protège, ou entretient une correspondance avec l’ennemi, ou l’informe directement ou indirectement, sera puni de mort ou de toute autre peine décidée par la cour martiale. »
« Article 82. Espions : quiconque étant, en temps de guerre, trouvé épiant, ou agissant en tant qu’espion dans une fortification, un poste, un quartier, un campement des armées des Etats-Unis, ou à proximité, sera traduit devant une cour martiale générale ou une commission militaire, et sera, en cas d’établissement des faits, puni de mort. »
« Article 83. Propriété de l’armée : perte, dommages, abandon, volontairement ou involontairement, ou par négligence : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 84. Perte ou abandon illégitime de matériel propriété de l’armée : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 85. Ivresse en service : révocation, ou autre peine à la discrétion de la cour martiale (en temps de guerre) ; toute peine à la discrétion de la cour martiale (en temps de paix). »
« Article 86. Inconduite d’une sentinelle : toute sentinelle trouvée ivre ou endormie à son poste, ou quittant son poste avant d’en être règlementairement relevée, sera, si le délit est commis en temps de guerre, punie de mort ou de tout autre peine décidée par la cour martiale ; si le délit est commis en temps de paix, elle sera punie de toute peine décidée par la cour martiale, à l
exception de la mort. »
« Article 87. Prise d’intérêts personnels dans la vente de vivres : révocation, ou autre peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 88. Intimidation de personnes porteuses de vivres : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 89. Maintien de l’ordre et répression des fautes : révocation, ou autre peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 90. Discours ou gestes provocants : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 91. Duel, tentative de suicide : révocation, ou autre peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 92. Meurtre, viol : toute personne soumise aux règlements militaires, qui se rend coupable de meurtre ou de viol, sera punie de mort ou d’emprisonnement à perpétuité, à la discrétion de la cour martiale. Nul ne peut être jugé par une cour martiale pour un meurtre ou un viol commis dans les états de l’Union et le District de Columbia en temps de paix. »
« Article 93. Crimes et délits divers (homicide volontaire, destruction, incendie volontaire, vol, cambriolage, larcin, détournement de fonds, parjure, agression à des fins de félonie, agression à des fins de lésions corporelles) : toute peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 94. Fraude à l’encontre du gouvernement : amende, emprisonnement, ou toute autre peine à la discrétion de la cour martiale. »
« Article 95. Conduite indigne d’un officier et gentleman : révocation. »
(Article 96. Article général concernant le spectre d’action des trois cours martiales) »

Au total, à l’issue d’une comparution devant une cour martiale, la sentence peut être la peine de mort dans le cas de la mise en accusation dans le cadre de l’un de ces 11 articles punitifs sur 41, soit près d’un quart de ceux-ci. Le colonel William Winthrop, en 1920, dans « Military Law and Precedents », précise : « Notre code [de justice militaire] ne prescrit en aucun cas de quelle manière la peine de mort doit être exécutée. Aussi serait-il tout à fait légal qu’une cour martiale condamne simplement un accusé à être puni de « mort », l’autorité ayant le pouvoir d’approuver la sentence décidant ensuite des modalités – peloton d’exécution ou pendaison – que les usages du service, en l’absence de toute forme d’impératif, considèrent appropriées au crime commis. En pratique, cependant, la cour précise invariablement les modalités d’exécution de la sentence, décrétant généralement que l’accusé soit fusillé en cas de désertion, de mutinerie ou d’un autre crime d’ordre purement militaire, et qu’il soit pendu s’il a commis un crime autre que militaire, tel que le meurtre, le viol, ou l’espionnage. »

5. La peine de mort

La lecture de « Military Law and Precedents », du colonel William Winthrop, dans son édition augmentée de 1920, nous renseigne au sujet de l’application de la peine de mort. Lorsque celle-ci est décidée, aucune forme précise d’exécution n’est prescrite, et la seule obligation légale existante consiste à condamner à mort ; l’autorité en charge de la procédure décide alors du mode d’exécution, qui peut être par arme à feu (« to be shot to death with musketry ») ou par pendaison (« to be hanged by the neck until dead »). La tradition veut que soit punies par arme à feu, la désertion, la mutinerie, ou toute autre forme de « crime militaire » ; sont sanctionnés par la pendaison, le meurtre, le viol, l’espionnage, ou tout autre crime ou délit « non militaire ».

L’autorité compétente, après approbation de la sentence, fixe l’heure et le lieu de l’exécution au regard des avantages et intérêts de la bonne marche du service. Les détails pratiques incombent ensuite à l’officier commandant le poste, le régiment, la brigade, etc., où le prévenu est détenu ou affecté. A défaut d’un règlement fixant le déroulement de l’exécution, celui-ci peut varier à la discrétion de l’officier en charge, selon les exigences du service, mais ledit déroulement est généralement le plus simple possible.

Selon l’usage le plus courant, dans le cas d’une exécution par arme à feu, le détenu, accompagné d’un aumônier, est conduit par un détachement comprenant le peloton d’exécution et des porteurs de cercueil, mené par le grand prévôt ou tout autre officier, et la fanfare jouant la « Dead March », vers un espace ouvert sur trois côtés, où se placent les hommes, faces vers l’intérieur. Le détenu est installé, et l’acte d’accusation, les conclusions, la sentence, et les ordres sont lus à haute et intelligible voix. Le feu est commandé par l’officier. L’exécution achevée, le détachement rompt la formation et défile devant le corps.

Dans le cas d’une pendaison, le détachement se forme en carré autour de la potence, et après des préliminaires identiques, un bourreau, aux ordres de l’officier en charge, fait son office.

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En conclusion, telle est donc la justice militaire à l’entrée en guerre des Etats-Unis, en avril 1917 : trois types de cours martiales ; des Articles du Temps de Guerre contenant 41 articles punitifs dont 11 pouvant entraîner la mort ; une peine de mort exécutée par un peloton d’exécution ou par pendaison selon le crime commis ; une peine de mort pouvant être suspendue (grâce au recours à l’article 51).

A partir de ces éléments, voyons comment la justice militaire américaine a opéré entre le 6 avril 1917 et le 30 juin 1920 (date à laquelle le rapport annuel du Juge-Avocat Général clôt l’exercice de la justice militaire pour l’année 1919-1920, qui inclut des condamnations du temps de guerre).

1917 : l’obsession de la désertion

En 1919, le général Enoch H. Crowder, Juge-Avocat Général de l’armée de terre depuis 1911, publie « Court-Martial Sentences During the War ». Son étude porte sur la période d’octobre 1917 à septembre 1918, et sur les neuf principaux crimes et délits militaires, à savoir la désertion, l’absence illégale, le sommeil en faction, l’agression d’un officier supérieur, l’agression d’un sous-officier, la désobéissance à un sous-officier, la mutinerie, la désobéissance à un ordre, la désobéissance à un officier.

En ce qui concerne la désertion, le général Crowder entame son propos en rappelant les réflexions du général Oakes, portant sur la Guerre de Sécession : « C’est un mal incalculable qui a résulté de la clémence du gouvernement envers les déserteurs. A l’aide d’une sévérité impitoyable dès le début de la guerre, la malice eût été tuée dans l’œuf, et le crime de désertion n’aurait jamais pu prendre les titanesques proportions atteintes à la fin du conflit. Tous affichaient alors une ardente et enthousiaste loyauté, et auraient témoigné un assentiment franc et cordial à toute mesure nécessaire à assurer la force et l’intégrité de l’armée. Ils avaient connaissance des « règles et articles de guerre », et étaient totalement préparés à voir les déserteurs de l’armée dûment arrêtés, jugés par une cour martiale, et, en cas de culpabilité, être fusillés par le mousquet. Telle était, sans nul doute, à la quasi unanimité, l’opinion publique à l’entame des hostilités, et ces justes attentes du peuple n’auraient pas dû être déçues. L’arrestation, le jugement, et l’exécution auraient dû être le sort le plus direct réservé aux premiers déserteurs. Le gouvernement était bien éloigné du peuple en la matière, et continua de l’être, jusqu’à ce qu’une longue et criante impunité ait à ce point peuplé chaque état d’une telle masse de déserteurs et de desperados qu’il soit trop tard pour éviter un tel désastre. Je fais état de cela afin que, si une nouvelle guerre doit avoir lieu, le gouvernement ne manque pas de mettre immédiatement à mort les déserteurs, applique les règlements militaires, frappe fort dès le début, dynamise promptement l’esprit national dans l’idée que la guerre est la guerre, et fasse en sorte que cette politique soit approuvée et soutenue par le peuple. Il existe d’autres suggestions qui puissent être émises au sujet des déserteurs, mais celle que j’ai déjà présentée – l’absence d’application des peines du code militaire quant au crime de désertion, en particulier au début de son apparition – est, hors de toute autre considération, la cause majeure, fondamentale, de l’expansion inégalée de ce crime, et de l’incapacité des marshals à débarrasser le pays des déserteurs en dépit de l’énergie déployée par leur personnel. » 

Ces réflexions sont essentielles en ce qu’elles éclairent ce qui constitue dès le début de l’entrée en guerre des Etats-Unis, une obsession : empêcher les réfractaires de se soustraire à leur appel sous la bannière étoilée. Le 18 mai 1917, le Congrès adopte la « Selective Service Act » (ou « Selective Draft Act »), qui autorise le président à augmenter les effectifs des forces armées grâce à la conscription, mesure impopulaire qui n’a plus été pratiquée depuis la Guerre de Sécession, mais néanmoins imposée par l’échec de l’appel au volontariat. Moins polémique que la mesure préexistante grâce à ses divers aménagements et possibilités d’exemption de service, elle permet au président de fédéraliser la Garde Nationale et de mobiliser tous les hommes âgés de 21 à 30 ans, qui doivent s’inscrire le 5 juin 1917 à la loterie dont le tirage les désignera à la conscription, et ce pour la première fois le 20 juillet suivant. Le procédé se révèle rapidement inégalitaire, et les commissions locales de mobilisation désignent en fait à l’appel, de manière disproportionnée, des immigrants, des fermiers et des Afro-Américains. Aussi est-ce pourquoi une résistance à la conscription croît rapidement, tout particulièrement dans les zones rurales. Elle est en partie fondée sur une opposition à l’entrée en guerre antérieure au 6 avril 1917 : des mouvements tels que le Women’s Peace Party, l’Anti-Preparedness Committee ou encore l’Anti-Enlistment League ont déjà activement lutté contre la préparation du pays à une éventuelle intervention armée. Ces organisations pacifistes ont été épaulées dans leur action par des socialistes, des anarchistes (Emma Goldman et Alexander Berkman, à l’origine de la No-Conscription League et de son manifeste, sont arrêtés le 15 juin 1917 et condamnés à deux ans de pénitencier), des membres des Industrial Workers of the World, des organisations féministes et afro-américaines, et des objecteurs de conscience. Dès lors, la menace pour les autorités civiles et militaires est double : l’insoumission et la désertion. Et cette fois, il s’agit de tirer les leçons apprises de la Guerre de Sécession.

Le premier coup de semonce dans la presse se produit en juin 1917 : le 14 du mois, le Columbus Commercial publie une ferme mise au point concernant les insoumis, intitulée « La fin des beaux jours pour les tire-au-flanc » :
« Le gouvernement fédéral a été plus indulgent envers les tire-au-flanc que ne le sont les institutions financières envers leurs usagers à travers tout le pays, car quand la plupart des banques octroie trois jours de sursis sur des billets à ordre et autres reconnaissances de dettes, le gouvernement a donné aux tire-au-flanc une semaine complète pour prouver leur loyauté au drapeau par le truchement d’un enregistrement volontaire sous les auspices de la loi sur l’incorporation du président Wilson. Ces beaux jours ont pris fin lundi, cependant, et le prévôt principal Crowder a informé tous les personnels en charge de l’application de la loi de s’atteler à ladite application de manière vigoureuse, agressive et efficace en ce qui concerne tous les individus éligibles à la conscription ayant failli à leur enregistrement. La peine encourue pour un défaut d’enregistrement est d’un an d’emprisonnement et un enregistrement forcé, mais le général Crowder a recommandé que les bureaux locaux d’enregistrement offrent une latitude aux délinquants le jour suivant celui de l’enregistrement. Le département de la Justice a notifié à tous les juges fédéraux de relâcher ceux ayant été arrêtés pour défaut d’enregistrement à la seule condition qu’ils procèdent à celui-ci. […] »

L’avertissement ne semble pas avoir suffi. Le 5 août 1917, alors que divers titres de presse, depuis plusieurs jours, informent leurs lecteurs que des insoumis à la conscription sont pourchassés en plusieurs lieux du territoire national, et que des entrefilets et des articles ont déjà été publiés, rappelant la gravité de l’insoumission en temps de guerre, l’Albuquerque Morning Journal, parmi d’autres, frappe un grand coup avec sa « une » large de sept colonnes :

« Une comparution en cour martiale, avec potentiellement la peine de mort pour désertion en temps de guerre, peut viser tous les conscrits refusant de répondre à l’appel sous les drapeaux. Le gouvernement américain, avec ses pleins pouvoirs, fera appliquer la loi sur la conscription ».

 

Albuquerque Morning Journal, 5 août 1917

L’article qui suit insiste particulièrement sur la gravité de la situation en Oklahoma et en Caroline du Nord, états dans lesquels le nombre d’insoumis est des plus inquiétants ; le général Crowder détaille en outre clairement les différentes étapes des poursuites auxquelles s’exposent les candidats à de telles pratiques : une « absence illégale » dans un premier temps, qui si elle perdure devient une désertion, pouvant entraîner une comparution en cour martiale à l’issue de laquelle peut être prononcée la peine de mort, à laquelle seul le président peut s’opposer. Cette fois, nul ne pourra dire qu’il ignorait la loi…

Avant même la parution, le 5 août 1917, de l’article de l’Albuquerque Morning Journal, de lourdes peines sont tombées. C’est ainsi que le 26 juillet, George Vuicich, du 32nd infantry, a écopé de 10 années de travaux forcés pour désertion. A l’automne, l’étau se resserre sur les insoumis et déserteurs, quand une récompense de 50 dollars est offerte pour leur capture et que des listes de noms d’insoumis sont publiées dans la presse. C’est à ce moment que paraît un article dont le contenu est extraordinairement instructif, à plus d’un titre, en cette période-charnière au cours de laquelle les autorités luttent pour endiguer la vague d’insoumissions et de désertions, révélant également quels sont les moyens mis en œuvre par la justice militaire. Voici donc ce que publie le Carson City Daily Appeal le 11 octobre 1917 :

« Pas de peine de mort pour les insoumis.

Washington, 11 octobre.
A moins que la situation ne se détériore, le gouvernement n’infligera pas la peine de mort aux mobilisés qui tentent d’échapper à l’enrôlement. Ces derniers, lorsqu’ils sont appréhendés, sont susceptibles d’être poursuivis pour désertion, et une cour martiale a le pouvoir d’infliger la peine de mort pour désertion en temps de guerre.
Le département de la Guerre a, hier, vigoureusement nié les rumeurs provenant de plusieurs camps, selon lesquelles des commandants de divisions avaient eu pour instruction de transmettre aux cours martiales sous leurs ordres, l’instruction d’appliquer la loi à la lettre « afin de faire des exemples ». D’autre part, selon le bureau du prévôt général Crowder, « la clémence a été vivement recommandée dans toutes les affaires dans lesquelles pouvait subsister la moindre once de doute quant à l’ignorance ou à l’incompréhension de la loi de la part de l’accusé, qui aurait causé sa mise en accusation. Quant aux affaires dans lesquelles une volonté flagrante de contrevenir à la loi sur la conscription existait, nous n’avons donné aucune instruction particulière et avons laissé toute latitude en la matière aux cours martiales. »

Sur le terrain, le fait est, la répression va bon train en cette fin d’année 1917. Le 13 octobre, Otto K. Brennan, servant au sein de la 82nd division, déserteur par objection de conscience, est condamné à 10 ans d’emprisonnement au pénitencier d’Atlanta. Le 2 novembre, Frederick J. Hagin, déserteur, est condamné à 10 ans d’emprisonnement dans l’enfer de Leavenworth. Il en est de même pour le déserteur et membre des Industrial Workers of the World, Felix Thornton, le 27 novembre. Enfin, entre le 18 et le 26 décembre, divers titres de presse accumulent les annonces de peines infligées aux réfractaires : 20 années d’emprisonnement pour les insoumis John T. Dunn et Adolph Yanyar, 15 années d’emprisonnement pour l’insoumis Fritz Stepanovitch, 10 années d’emprisonnement pour les insoumis Alfred Loss et Wallford Marker, la peine de mort en suspens pour le déserteur Lewis DeWitt (finalement condamné à 10 années d’emprisonnement en février 1918), 15 années d’emprisonnement pour le déserteur et membre des Industrial Workers of the World Thomas Brady (finalement condamné à 10 ans de travaux forcés).

Si ces hommes échappent au peloton d’exécution, la mort n’est jamais loin. Quatre événements remettent ainsi la peine capitale au premier plan en cette fin d’année.

Tout d’abord, le 27 novembre, paraît dans le Valdez Daily Prospector un court article au contenu nébuleux :
« La peine de mort d’un déserteur rejetée. La peine de mort visant un soldat stationné à Panama, dans la zone du canal, pour désertion, a été rejetée aujourd’hui quand il a été découvert que l’homme avait déserté dans le but de rejoindre un autre régiment et de partir pour la France. Les conclusions de la cour martiale ont été abandonnées. »
L’individu, dont d’autres articles soulignent indistinctement les « origines allemandes », voire la « citoyenneté allemande » [sic], n’est pas nommé, et son cas demeure énigmatique, si ce n’est en ce qu’il a évité le peloton d’exécution.
Le 11 décembre, en revanche, voit se dérouler la pendaison de 13 soldats afro-américains du 24th infantry, exécutés pour leur participation aux émeutes de Houston, le 23 août 1917. A l’issue de leur comparution devant une cour martiale générale, le général John W. Ruckman n’a pas activé l’article 51 des Articles du Temps de Guerre, précédemment cité.
L’émoi suscité dans le pays par l’exécution des 13 accusés, si peu de temps après leur condamnation et sans recours aucun, est suivi de peu par l’émission de l’Ordre Général n°169 par le département de la Guerre, le 29 décembre 1917. Cet ordre stipule :
« I. Quand, en temps de guerre, le général commandant un département territorial ou une division territoriale confirme une peine de mort, l’exécution de cette sentence doit être différée jusqu’à ce que le contenu de l’instruction ait été pris en compte par le bureau du Juge-Avocat Général, et que l’autorité de révision ait été informée par le Juge-Avocat Général qu’il a été procédé à cette prise en compte et qu’aucune objection légale n’existe à l’exécution de la peine. Un ordre de la cour martiale générale publiant les conclusions de l’instruction portera mention que la date de l’exécution de la sentence sera subséquemment fixée et publiée dans un Ordre Général, et que la décision de fixer cette date d’exécution et sa publication fera suite à la réception de l’avis du Juge-Avocat Général selon lequel aucune objection légale n’existe à l’exécution de la peine. Cette procédure n’a pas trait à une action qu’une autorité de révision puisse souhaiter prendre dans le cadre de l’article 51 du temps de guerre. »

Enfin, cet Ordre Général n°169 est suivi, le 17 janvier 1918, de l’Ordre Général n°7, qui porte ce qui suit :

« La section I. de l’Ordre Général n°169 du département de la Guerre, de 1917, est abrogé, et s’y substituent les procédures suivantes, prescrites par le président. Cet ordre est effectif à compter du 1er février 1918.

Quand, en temps de guerre, le général commandant un département territorial ou une division territoriale confirme une peine de mort, ou une peine de révocation d’un officier, il mentionnera sa décision dans le compte-rendu de l’instruction, mais ne fera pas procéder à son exécution. Son action s’achèvera par un attendu selon lequel l’exécution de cette sentence sera cité dans des ordres après que le contenu de l’instruction aura été pris en compte par le bureau du Juge-Avocat Général ou l’un de ses services, et que sa légalité aura été validée, et que cette juridiction aura été retenue comme ayant tout pouvoir d’action complémentaire ou corrective, que ce soit antérieurement ou concomitamment à la publication de l’ordre de la cour martiale générale autant que nécessaire. Rien de ce qui figure dans ces procédures ne s’applique à une action qu’une autorité de révision puisse souhaiter prendre dans le cadre de l’article 51 du temps de guerre. »

Les Ordres Généraux n°169 et n°7 présentent des avantages multiples : avec ce « retour aux affaires » du politique après les injonctions militaires de l’été 1917, le message adressé au pays est clair, qui tend à prouver la volonté de préserver un équilibre, en temps de guerre, entre le respect des libertés – et les droits des accusés – et la nécessaire rigueur, voire sévérité, d’une justice militaire qui se doit d’être en possession des moyens légaux, si durs soient-ils, de faire appliquer et respecter la discipline au sein des forces armées. Si recours à la justice il doit y avoir, il ne saurait être expéditif, et il ne saurait surtout être biaisé. Pourtant, ce qui paraît être une réaffirmation du droit dans l’armée d’un état démocratique, dans laquelle la justice militaire ne serait donc pas nantie des pleins pouvoirs, va bientôt se révéler être bien arrangeante pour tous les partis.

1918-1919 : la justice militaire frappe tous azimuts

Si les insoumis, déserteurs et objecteurs de conscience voient débuter l’année 1918 avec l’assurance de ne pas faire face à un peloton d’exécution sans avoir été convenablement défendus, il s’avère que les Ordres Généraux n°169 et n°7 permettent à présent aux autorités militaires et aux autorités civiles de jouer un jeu de rôle bien commode. Ainsi les militaires vont-ils pouvoir infliger la peine de mort sans avoir à craindre que les autorités militaires de révision ou les autorités civiles ne reviennent pas sur ladite peine. Certes, comme nous allons le voir dans le détail, des peines capitales prononcées ont été exécutées, mais leur nombre, au regard du volume des affaires jugées, relatives en outre au nombre d’hommes sous l’uniforme durant la guerre, a été faible. En revanche, une fois les troupes du corps expéditionnaire arrivées et engagées en France, la diversité des affaires va croître, avec des cas de figure très variés également.

L’insoumission (ou la « résistance à la conscription »), la désertion (parfois requalifiée en « absence illégale »), et l’objection de conscience continuent à être sévèrement réprimées en 1918 et 1919. Les condamnations à mort, si elles ne donnent pas lieu à des exécutions, sont en revanche commuées en de lourdes peines :

- Chez les insoumis, Silas S. Winn écope de 10 années d’emprisonnement à Leavenworth ;
- Chez les déserteurs, la peine de mort est commuée, rarement, en un emprisonnement court (2 années de travaux forcés pour Franklin W. Czarnecki), et bien plus souvent en des peines longues, le plus fréquemment de travaux forcés pour une durée de 10, 15, 20, voire 30 ans (pour George Barnes). Richard L. Stierheim, pour sa bravoure au combat, dans des circonstances rocambolesques, bénéficie d’un renvoi au corps, alors que Clarence Sperry est finalement gracié ;
- Chez les objecteurs de conscience, la commutation de la peine de mort n’octroie généralement pas de peines bien plus clémentes que chez les déserteurs : Max Sandin, Frank J. Burke, Eric Ostrom et Francis Steiner écopent de 15 années à Leavenworth (avec ou sans l’assortiment de travaux forcés), mais Lester G. Ott est finalement condamné à 6 années d’emprisonnement, et Sam Solnitsky est renvoyé au corps.
Infraction la plus courante aux Articles du Temps de Guerre avec l’absence illégale (la frontière entre l’une et l’autre n’étant pas toujours claire, selon les cas jugés), la désertion a, selon le général Enoch H. Crowder, produit environ 3.000 cas jugés par une cour martiale entre octobre 1917 et septembre 1918, conclus par 24 condamnations à mort, toutes suivies de commutation ou de remise de peine. 
En contrepoint, l’objection de conscience a fait l’objet d’un traitement particulièrement répressif. Celui-ci a été présenté, et dénoncé, par William E. Mason, élu républicain de l’Illinois à la chambre des Représentants, en mars 1919. Le harcèlement, les abus, les privations, et les exactions subis par les détenus – dont les ex-condamnés à mort Mayer Bernstein, Benjamin Breger, Julius R. Greenburg, Herman Kaplan, Lester G. Ott, Max Sandin – au Camp Funston, au Camp Sherman, au Camp Meade, au Camp Wadsworth, à Fort Jay, et à Fort Leavenworth, ont alors suscité une légitime indignation.

Un crime bien plus sévèrement réprimé est la mutinerie. Comme nous l’avons vu, celle de Houston s’est conclue par l’exécution de 13 hommes du 24th infantry le 11 décembre 1917. Le 17 septembre 1918, 6 autres participants à cette mutinerie sont pendus à leur tour. Enfin, 10 autres soldats du 24th infantry, s’ils échappent à la peine de mort, voient leur peine commuée en un emprisonnement à perpétuité à Leavenworth. Cette infraction peu répandue aux Articles du Temps de Guerre a presque exclusivement concerné ces mutins de Houston.

Une audience de la cour martiale de Houston, 1917

Le refus d’obéissance, qui représente un important corpus de cas, fait connaître à ses auteurs des fortunes diverses. En novembre 1917, la peine de mort infligée à Rudolph J. Vrana, du 312th infantry, est annulée par le veto du général John S. Mallory. Le soldat Arshag Ashbahain écope de 10 années de travaux forcés à Leavenworth, quand Nicolas LoCassle et Aaron Smith y partent pour 15 ans, Verner Siro, Salomon Losofsky et Sander Maki pour 20 ans, et que les soldats William A. Kerner et Percy R. Starks sont renvoyés au corps. Cette pratique couramment répandue chez les réfractaires au service armé aux convictions politiques marquées ou aux croyances religieuses rigoristes, a engendré 785 comparutions en cour martiale entre octobre 1917 et septembre 1918.

L’homicide est toujours sévèrement puni : Henry L. Jackson, du 350th field artillery, est condamné à 15 années d’emprisonnement ; Oscar Valentine, du 9th cavalry, voit sa peine de mort par pendaison commuée en 20 années d’emprisonnement, tout comme le stevedore George Davis ; James Workuff, du 349th machine gun battalion, écope de 25 années d’emprisonnement ; sont condamnés à la perpétuité, après avoir été initialement condamnés à mort, le marin Gus Menefee de l’U.S.S. Fanning, Marvin Williamson, du 2nd infantry, Jim Oliphant, du 330th service battalion, Layton James, du 367th infantry (reconnu fou), James C. Skiles, du 321st machine gun battalion, Ernest Crutchfield, du 365th infantry, Buddie Ashworth, du 116th infantry, James H. Payne, du pack train #4, Sam H. Williams, Daniel M. Evans, Alex Bradley, du 20th engineers, William Romes, de la Pontanezen hold company, Jeff Lankford, du 17th infantry. John R. Mann et Walter Matthews, du 370th infantry, sont quant à eux exécutés par pendaison. Nous traiterons plus loin des exécutions ayant eu lieu en France au sein du corps expéditionnaire américain, puisque certaines de celles-ci concernaient des affaires d’homicide.

Enfin, s’il est un crime particulièrement infamant dans le domaine « non militaire », c’est bien celui du viol ou de la tentative de viol. Le 22 septembre 1917 arrive à Leavenworth, en provenance de France, le soldat George E. Beasley, du 26th infantry, qui vient y purger une peine de 30 années d’emprisonnement pour avoir agressé une jeune Française. Le 5 juillet 1918, Stanley Tramble, Fred Allen et Nelson Johnson sont, quant à eux, pendus pour s’en être pris à une jeune fille de 17 ans au Camp Dodge. Le même sort est réservé le 11 juillet suivant au violeur Nat Hoffman, du 19th field artillery, agresseur d’une fillette de 11 ans. En août 1918, ce sont 21 soldats qui comparaissent devant une cour martiale au Camp Grant pour un viol collectif ; le 6 mars 1919, le Washington Herald informe ses lecteurs sur cette affaire :

« Une cour martiale hâtive amène à rejuger 19 hommes. Le nouveau jugement de 19 hommes de couleur au Camp Grant, accusés d’agression sexuelle par une cour martiale, a été ordonné, a annoncé hier le Secrétaire à la Guerre Baker. Il est dit que l’enquête menée par le Juge-Avocat Général a révélé que le jugement avait été si expéditif, en raison du proche départ de la division pour la France, que « les droits fondamentaux des accusés ont été bafoués. » »     
En avril 1920, le président Wilson commue la peine de mort des 8 derniers hommes poursuivis dans cette affaire en emprisonnement à perpétuité, peine qu’ils partent purger à Atlanta.

La répression des crimes au sein du corps expéditionnaire américain 

Voyons à présent comment la justice militaire a opéré en France entre 1917 et 1919, très majoritairement dans le cadre de la répression de « crimes militaires ».

Les exécutions, peu nombreuses, ont concerné des crimes « non militaires » : viol ou tentative de viol suivi(e) de meurtre (Frank Cadue, du 26th infantry, pendu le 5 novembre 1917 ; Joe Cathey, du 321st labor battalion, pendu le 4 avril 1919 ; Clair L. Blodgett, du 822nd aero squadron, pendu le 25 avril 1919), viol (Charles E. Chambers, du 301st stevedore, pendu le 13 juillet 1918 ; William Buckner, du 313th labor battalion, pendu le 6 septembre 1918 ; Claude Wilson, du 596th engineers, pendu le 30 août 1918 ; James Favors, du 331st labor battalion, pendu le 8 novembre 1918 ; John W. Jones, du 508th engineers, pendu le 24 janvier 1919), homicide ou double homicide (William Henry, du 808th pioneer infantry, pendu le 20 juin 1919 ; Sercy Strong, du 808th pioneer infantry, pendu le 20 juin 1919 ; Charles F. Witham, du 16th infantry, pendu le 20 juin 1919).

Une exécution en France en 1919
(in « Alleged Executions Without Trial in France »)

Encore ne s’agit-il là que des exécutions « officielles ». En effet, des rumeurs persistantes sur d’éventuelles exécutions sommaires n’ayant cessé de se répandre depuis la guerre, l’affaire remonte jusqu’au Congrès des Etats-Unis. Le 31 octobre 1921, le sénateur Thomas Watson, fait une déclaration suite à la publication de plusieurs articles du Washington Times, ce même 31 octobre, sur la convention annuelle des anciens combattants à Kansas City :
« Il n’y eut pas de censure du courrier privé au cours de la Guerre de Sécession, de la Guerre d’Indépendance, de la Guerre de 1812 ou de la guerre contre l’Espagne. Dans la guerre menée au-delà de l’océan, la censure la plus inflexible a prévalu, et nul soldat n’a pu informer ses amis, qui auraient pu en faire écho à l’entour, de la façon dont ils étaient traités. Notre peuple n’a jamais rien su des pratiques barbares infligées à nos soldats avant que les troupiers ne reviennent au pays et ne se mettent à révéler une partie de ce qu’ils avaient connu. Comme je recevais des anciens combattants à mon domicile, j’étais impressionné par les pauses qu’ils marquaient à certains moments. Il y avait des choses qu’ils ne voulaient pas dire, et ces choses ont été tues. « Hard-Boiled Smith » [Smith le dur-à-cuire] n’était pas un cas isolé quant au traitement brutal des hommes sous son commandement, alors qu’il se trouvait si loin de nous qu’il n’imaginait pas que sa sauvagerie envers les soldats puisse être entendue en Amérique. Combien sont les sénateurs qui savent qu’il n’était pas rare qu’un deuxième classe soit abattu par ses officiers pour s’être plaint de leur insolence ? Que sur des potences, étaient pendus des hommes, jour après jour, qui n’étaient pas passés en cour martiale ou n’avaient pas été traduits en justice ? Combien sont les sénateurs qui le savent ? J’ai eu, et ai encore, la photographie de l’une de ces potences, sur laquelle, quand elle a été prise, 21 hommes blancs avaient déjà été exécutés à l’aube, pendant que d’autres attendaient leur tour dans les prisons des camps, matin après matin. »
Si les auditions, menées en 1921 et 1922, parfois confuses et peu concluantes, ont fait long feu, il n’en demeure pas moins que des zones d’ombre subsistent, mais également que des recoupements susceptibles d’être effectués à l’aide de divers témoignages et diverses sources, s’ils ne permettent d’en évaluer les proportions, révèlent néanmoins l’existence de ce type de pratique, ne serait-ce « qu’à la marge ». Tel est le cas de la mort du soldat William Wassis, du 165th infantry, dont les circonstances laissent peu de doutes. Dans son carnet, le soldat Joseph Jones, de ce même régiment, écrit laconiquement à la date du 11 mars 1918 : « Un Polack de l’armée de conscription fusillé pour désertion à 8 heures 30. » Stephen L. Harris, dans « Duffy’s War. Fr. Francis Duffy, Wild Bill Donovan, and the Irish Fighting 69th in World War I », expose clairement les faits :

« C’est une tragique destinée que celle du soldat William Wassis, un autre homme de la compagnie F, la nuit de l’éboulement [d’un abri]. Wassis s’est tout bonnement enfui. Pendant le violent bombardement, il s’est précipité hors de la tranchée et s’est rué sur la route de Rouge Bouquet. Le sergent Peter Crotty et une escouade de la compagnie K l’ont pris en chasse. Crotty, qui avait servi comme porteur d’eau régimentaire à l’âge de 12 ans durant la Guerre Hispano-américaine, avait intégré le 71e avec trois copains de son quartier de Chelsea : le caporal Jack Gibbons, et les soldats Jim Corrigan et John Quinn. Ils étaient connus sous le nom des « quatre mousquetaires », car ils étaient inséparables et dédaignaient le danger. Mais pour Crotty, père de trois enfants, pourchasser un déserteur ne prêtait pas à rire. Ses ordres étaient de faire tout ce qui était possible pour capturer ce « rital [sic] de Wassis ». Le déserteur était caché dans un bouquet d’arbres près du Camp New York quand Crotty et son escouade sont arrivés. Il a tiré sur eux. Crotty formait une ligne de tirailleurs au moment où l’un de ses hommes a tiré. Wassis a riposté. Les hommes de Crotty ont riposté à leur tour, et touché le soldat. Crotty a pénétré dans le bois et y a trouvé Wassis, mort, ses mains agrippées à son fusil. » En fin de compte, la fiche de décès de Wassis porte comme cause de décès la mention « blessure par balle »…

Restent les trois pires « crimes militaires » qui se puissent concevoir sur la ligne de feu, et qui ont amené une série d’officiers et de soldats à frôler la peine de mort au plus près après l’avoir croisée, si l’on peut dire, en cour martiale : le sommeil en faction, l’abandon de poste devant l’ennemi, et l’inconduite devant l’ennemi. Il s’agit là des cas ayant le plus largement défrayé la chronique au cours des années 1918 et 1919, et dont l’issue n’a pas manqué de peser dans les modifications apportées après guerre à l’administration de la justice militaire américaine.

Dans le cas du sommeil en faction, trois soldats ont été visés au sein d’un même régiment, le 16th infantry (Forest D. Sebastian, Jeff Cook, Vincent Porru), et un au sein du 51st infantry, Granville M. Reynolds. L’émoi provoqué à l’échelle nationale par le sort de Sebastian et Cook, le déroulement de cette affaire et sa conclusion, valent une étude particulière consacrée à la justice administrée dans ce régiment, qui sera publiée ultérieurement. Au final, ces deux hommes, initialement condamnés à être fusillés, ont été graciés par le président et renvoyés au corps ; Forest D. Sebastian a été tué au combat le 2 juillet 1918. Un troisième soldat de ce régiment, Vincent Porru, a lui aussi échappé au peloton d’exécution, mais a vu sa peine commuée en un emprisonnement de 3 ans assorti des travaux forcés. Granville M. Reynolds, du 51st infantry, condamné à mort lui aussi pour s’être endormi pendant sa garde, est finalement renvoyé au corps. Infraction extrêmement courante sur le territoire national, le sommeil en faction a en effet concerné 575 cas aux Etats-Unis sur 609 au total jugés entre octobre 1917 et septembre 1918.

Concernant l’abandon de poste devant l’ennemi, si Carl R. Bell, du 5th Marines, s’en est extrêmement bien tiré en voyant sa peine de mort commuée en 4 années d’emprisonnement, il en a été tout autrement pour Albert E. Beauregard, du 16th infantry, dont la peine de mort a été ultérieurement commuée en emprisonnement à perpétuité. 

Enfin, pour ce qui touche à l’inconduite devant l’ennemi, celle-ci a été rendue emblématique par les poursuites ayant visé des officiers afro-américains d’un régiment de la 92nd division, le capitaine Daniel Smith, les lieutenants Horace R. Crawford et Judge Cross, les sous-lieutenants Robert W. Cheers et Robert M. Johnson, du 368th infantry. Si l’affaire s’est bien terminée, ces hommes ayant finalement été graciés, elle sera également présentée dans le détail dans une étude séparée, tant la façon dont elle s’est déroulée est riche d’enseignements.

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Tel est donc un aperçu, dans ses grandes lignes, du fonctionnement de la justice militaire américaine de la Première Guerre mondiale. Sur un plan chiffré, voici ce qu’en révèlent dans le détail les rapports annuels du Juge-Avocat Général :

Du 6 avril 1917 au 30 juin 1918 : 12.357 condamnés par des cours martiales générales
Du 6 avril 1917 au 30 juin 1918 : 14.770 condamnés par des cours martiales spéciales
Du 6 avril 1917 au 30 juin 1918 : 229.004 condamnés par des cours martiales sommaires
Du 6 avril 1917 au 30 juin 1918 : 256.131 condamnés par des cours martiales au total

Du 1er juillet 1918 au 30 juin 1919 : 16.547 condamnés par des cours martiales générales
Du 1er juillet 1918 au 30 juin 1919 : 24.567 condamnés par des cours martiales spéciales
Du 1er juillet 1918 au 30 juin 1919 : 209.522 condamnés par des cours martiales sommaires
Du 1er juillet 1918 au 30 juin 1919 : 250.636 condamnés par des cours martiales au total

Du 1er juillet 1919 au 30 juin 1920 : 6.769 condamnés par des cours martiales générales
Du 1er juillet 1919 au 30 juin 1920 : 5.875 condamnés par des cours martiales spéciales
Du 1er juillet 1919 au 30 juin 1920 : 56.982 condamnés par des cours martiales sommaires
Du 1er juillet 1919 au 30 juin 1920 : 69.626 condamnés par des cours martiales au total

Du 6 avril 1917 au 30 juin 1920 : 35.673 condamnés par des cours martiales générales
Du 6 avril 1917 au 30 juin 1920 : 45.212 condamnés par des cours martiales spéciales
Du 6 avril 1917 au 30 juin 1920 : 495.508 condamnés par des cours martiales sommaires
Du 6 avril 1917 au 30 juin 1920 : 576.393 condamnés par des cours martiales au total

Il ressort très nettement que les cours martiales sommaires sont celles qui ont le plus condamné, avec près de 86% de l’ensemble des condamnés en cour martiale. Ceci permet de constater que la considérable majorité des condamnés l’a été pour des délits et non des crimes, et qu’ils n’ont donc pas connu la représentation la plus répressive de l’exercice de la justice militaire, laquelle s’est manifestée dans les cours martiales spéciales et bien plus encore, dans les cours martiales générales.

Outre ces chiffres, les conclusions du général Enoch H. Crowder, livrées en 1919 dans « Military Justice during the War. A Letter from the Judge-Advocate General of the Army to the Secretary of War in Reply to a Request for Information », sont certainement celles qui offrent la vision la plus aboutie du sujet, remarquablement dispensée par l’homme qui, de par ses fonctions, était le plus à même de la présenter. Ses conclusions, les voici pour ce qui relève des « crimes militaires » :

- Au sujet de la désertion : l’article 58 permettant de condamner à mort un déserteur, les faits montrent que les cours martiales n’ont pas fait preuve d’une extrême sévérité. Si certaines ont finalement condamné des coupables à 25 années d’emprisonnement (voire 30 ans, pour George Barnes), il est également avéré que les verdicts n’ont pas été invalidés par le Juge-Avocat Général, que la durée de l’emprisonnement ne doit pas faire oublier la commission de la désertion, et que le service chargé de la clémence au sein du département de la justice militaire n’a pas trouvé à y redire.

- Pour l’absence illégale, laquelle, bien souvent, « est un délit qui n’est autre qu’une désertion », Crowder précise que les déplacements des unités sont la cause de la difficulté à prouver que le déserteur a bel et bien déserté, et n’est plus alors poursuivi que pour « absence illégale ». Il en conclut : « il est donc évident, en ces circonstances, que le délit d’absence illégale mérite une peine extrêmement sévère, similaire à celle de la désertion. En temps de guerre, cette peine est de tout ordre à l’exception de la mort ; en temps de paix, un ordre du président la limite à un maximum de 6 mois d’emprisonnement. »

- Concernant la mutinerie, Crowder souligne que 51 condamnations au sein d’un effectif d’environ 3 millions d’hommes, voilà qui est extrêmement faible. Il ajoute et précise que seules 43 condamnations sont survenues entre juin 1917 et juin 1918, alors que l’armée régulière et la garde nationale regroupaient 300.000 hommes, et que lorsque les forces armées ont atteint dix fois cet effectif, le nombre de cas n’a augmenté que d’un cinquième. En d’autres termes, quand l’accusation de « mutinerie » a été retenue contre un prévenu, c’est qu’il devait en être ainsi, et que la hiérarchie militaire n’a pas cherché à trouver des coupables de mutinerie de manière indiscriminée.

- Avec la désobéissance à un officier, la sévérité des cours martiales en la matière ne saurait être invoquée, dans la mesure où environ 50% des condamnations ont débouché sur des peines d’emprisonnement de moins de 2 ans. En outre, une telle atteinte est certainement, selon lui, la pire qui soit, puisque le fonctionnement même des forces armées a pour fondement l’obéissance aux ordres. Si cette obéissance commence à faire défaut, elle doit être « un symptôme de délitement similaire aux premières marques d’un cancer susceptibles d’inquiéter un chirurgien. »

- Les cas de sommeil en faction se sont soldés par une seule et unique condamnation à plus de 15 ans d’emprisonnement, et quatre condamnations à plus de 10 ans d’emprisonnement. Pour l’ensemble, 10% des condamnés n’ont été visés par aucune peine de prison, 62,4% ont été condamnés à moins de 2 ans d’emprisonnement, 27,42% ont été condamnés à plus de 2 ans d’emprisonnement. Des chiffres qui permettent à Crowder, cette fois encore, d’insister sur l’absence de dureté des peines prononcées.

La justice militaire exercée en temps de guerre, telle que le général Crowder l’a décrite, allait très bientôt changer. Et il n’est sans doute pas de meilleure explication de ce changement à venir, pour achever cet exposé, que la lecture de la requête adressée au Juge-Avocat Général par Newton D. Baker, Secrétaire à la Guerre, le 1er mars 1919 :

« Mon cher général Crowder,
J’ai été très préoccupé, comme vous le savez, par les critiques acerbes récemment adressées à notre justice militaire. En temps de paix, antérieurement à cette guerre, je n’ai pas souvenir que notre justice militaire ait jamais fait l’objet d’attaques publiques concernant ses défauts structurels. Je n’ai pas souvenir que durant toute la période de 1917 et 1918, alors que les camps et les cantonnements regorgeaient d’hommes et que la tension de la préparation culminait, des plaintes aient été formulées à ce sujet dans la presse, au Congrès, ou dans le courrier m’étant adressé. Le récent déferlement de critiques et de plaintes vociférées par quelques individus auxquels leur position confère quelque crédit, relayé à travers tout le pays par la presse, m’a causé bien de la surprise et du regret. Je porte au plus profond de mon cœur les intérêts de l’armée et le bien-être du soldat, et j’ai la plus ferme détermination que la justice soit rendue dans le cadre militaire.
Je n’ai pas été amené par ces plaintes à croire qu’il en va autrement, ou qu’il en est allé autrement durant la guerre. Et ma propre connaissance du cours de la justice militaire – due au grand nombre de cas m’ayant été soumis pour avis – suffit à me convaincre que les motifs de ces récentes plaintes n’existent pas, et n’ont pas existé. La connaissance que j’ai de vous et de nombreux officiers de vos services et de diverses unités me conforte à ce sujet et me donne l’absolue conviction que les craintes populaires sont infondées.         
Je souhaite vous témoigner ici l’expression de la foi qui est la mienne en ce que la justice militaire, dans son organisation sous les auspices du Congrès et du président et dans la manière dont elle a été administrée durant la guerre, est sure.
Mais je ne me satisfais pas de posséder cette foi et cette conviction. Il est d’une importance cruciale que la population soit amplement rassurée à ce sujet. Et si cela est devenu nécessaire, c’est parce que la population a jusqu’ici été abreuvée de reportages hauts en couleurs concernant certaines déclarations extrémistes, et de discours tenus au Congrès qui mettaient en avant de supposés traitements brutaux et illégaux. Le département de la Guerre et ses représentants n’ont pas été en mesure de s’en défendre ou de s’en expliquer publiquement, et se sont passés de le faire. La possibilité récemment donnée aux membres de vos services de se présenter devant la commission des affaires militaires du Sénat a été d’importance et a donné, je l’espère, entière satisfaction aux membres de cette commission. Cependant, je n’ai rien perçu dans l’opinion publique des travaux de cette commission ; les dépositions, quand elles seront publiées, seront volumineuses, cette publication prendra du temps, et elle n’atteindra certainement pas les milliers d’hommes et de femmes ayant l’intelligence de lire ces témoignages originaux. Il est néanmoins essentiel que les familles de tous les jeunes hommes qui ont formé notre magnifique armée soient rassurées. Elles ne doivent pas être abandonnées à la croyance que ces hommes ont été soumis à un système qui soit indigne des mots « droit » et « justice ». Et la nécessité de rassurer ces personnes est, j’en suis sûr, également éprouvée par les membres des deux chambres du Congrès, qui n’ont bien sûr pas encore pris connaissance des débats de la commission du Sénat. Aussi est-il juste et impérieux que les faits soient fournis. Ce n’est en effet qu’une simple question de fournir les faits : car quand ils seront fournis, je suis convaincu qu’ils contiendront de quoi rassurer amplement.            
Ces faits sont, virtuellement, tous en votre possession, archivés dans vos services. J’ai conscience qu’ils constituent une somme volumineuse, et que l’explication et les réponses à donner sur chacun des cas particuliers est impossible. Mais je pense que vous êtes en mesure de donner de l’ensemble un aperçu concis, et de fournir les principaux faits de sorte que tout cela permette aux hommes et femmes éclairés, qui ont un intérêt si grand pour le sujet, d’en prendre une connaissance aisée.      
Il m’a été demandé par un membre de la chambre des Représentants de lui fournir ces éléments. Je fais à présent appel à vous pour me les transmettre dans les meilleurs délais.

Sincèrement vôtre,
Newton D. Baker, Secrétaire à la Guerre »


Les politiques demandaient des comptes, il était temps pour les militaires de les rendre et de réformer la justice militaire américaine.  En effet, si elle avait donné une relative « satisfaction » dans le traitement réservé aux condamnés pour une série de crimes, d’ailleurs punis de mort et suivis d’exécutions, dans un cadre légal et règlementaire, il n’en allait pas de même concernant le sort de bien des insoumis, déserteurs, objecteurs de conscience, et d’un nombre incalculable de soldats punis au front, dans les rangs du corps expéditionnaire, dans le cadre d’une « justice », rendue de manière expéditive par le truchement d’exécutions sommaires, dont le chiffrage est par essence impossible, mais qui ont néanmoins attiré l’attention au point que le Congrès a enquêté sur le sujet, comme nous l’avons évoqué. En l’espèce, aux Etats-Unis comme chez nombre d’autres belligérants, et malgré une réforme de la justice militaire à venir, demeurerait la part d’ombre… 
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Bibliographie et sources
 
  • Alleged Executions Without Trial in France. Hearings Before a Special Committee on Charges of Alleged Executions Without Trial in France. United States Senate. 67th Congress relative to Charges that Members of the American Expeditionary Forces Abroad Were Exectuted Without Trial or Court-Martial (1923, 1048 pages)
  • A Manual for Courts-Martial, U.S. Army (1927, 346 pages)
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  • Military Justice During the War. A Letter from the Judge-Advocate General of the Army to the Secretary of War in Reply to a Request for Information (1919, 64 pages)
  • Proceedings and Report of Special U.S. War Department Board on Courts-Martial and their Procedure (1919, 39 pages)
  • Revision of the Articles of War, 1912-1920: Hearing. Committee on Military Affairs. House. 62d Congress, 2d session; 63d Congress, 2d session; 64th Congress, 1st session. Hearing before subcommittee of Committee on Military Affairs: 64th Congress, 1st session, June 29 and 30, 1916. Hearing. Trials by courts-martial. Committee on Military Affairs, Senate: 65th Congress, 3d session (1920, 194 pages)  
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  • Report of the Judge-Advocate General U.S. Army to the Secretary of War, 1919 (1919, 60 pages)
  • Report of the Judge-Advocate General U.S. Army to the Secretary of War, 1920 (1920, 52 pages)
  • CROWDER, Enoch H. Court-Martial Sentences During the War (1919, 27 pages)
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  • MORGAN, Edward M. Existing Court-Martial System and the Ansell Army Articles (1919, 24 pages)
  • SCHLUETER, David A. The Court-Martial: a Historical Survey (1980, 39 pages)  
  • WIGMORE, John H. Some Lessons for Civilian Justice to Be Learned from Military Justice (1919, 7 pages) 
  • WINTHROP, William. Military Law and Precedents (1920, 1107 pages) 
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