A travers des articles statistiques, à travers des articles de fond aussi divers que les mutilations volontaires, le code de justice militaire, la notion de fusillés pour l'exemple, l'ambition du Prisme est de fournir un ensemble d'informations permettant aux lecteurs d'appréhender en toutes connaissances de causes et sans parti pris de notre part la problématique des fusillés du conflit 14/18. Notre but n'est pas de juger mais de présenter, d'analyser les faits, de les porter à la connaissance de nos concitoyens au sujet d'une question qui n'est pas seulement d'ordre historique mais enjeu aussi d'un débat mémoriel, encore présent aujourd'hui.

lundi 6 avril 2020

L’article 121 du règlement sur le service en campagne est-il responsable de toutes les exécutions sommaires ?



Prisme poursuit ses investigations.

En marge des militaires condamnés à mort par les conseils de guerre avant d’être fusillés, il existe d’autres militaires qui ont été exécutés sans jugement.

Pour bien cerner les militaires passés devant un conseil de guerre, Prisme s’était déjà intéressé aux cas des militaires exécutés sommairement. Dans l’article concernant le soldat Robert, nous avons présenté les recherches qui nous ont permis de déterminer les causes du décès de ce militaire.

Le cas du soldat Robert n’est pas isolé. Très souvent, ces cas nous sont connus par le biais des fiches des N-MPLF (Non Mort pour la France). Bien évidemment, ces fiches sont bien trop laconiques pour permettre de déterminer à coup sûr les causes de décès de ces militaires.

La question est de savoir, puisqu’ils n’ont pas été condamnés à mort par un conseil de guerre, quels textes autorisaient ces exécutions ?

Enfin, l’application de l’article 121 du règlement du service en campagne est-il la cause de toutes ces exécutions ? Prisme va essayer d’approfondir cette question.

Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD Dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés. Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux quelle que soit leur apparence. Les extraits des différentes évolutions d'article 121 proviennent de Gallica.

A- Historique de l’article 121 : 

Que dit cet article dans sa version de 1913 ?

« Les officiers et les sous-officiers ont le devoir de s’employer avec énergie au maintien de la discipline et de retenir à leur place, par tous les moyens, les militaires sous leurs ordres, au besoin, ils forcent leur obéissance ».

Ce texte s’est maintenu quasiment inchangé depuis sa première rédaction dans une ordonnance en 1832.

Le contenu de cet article est sans ambiguïté.

Voici son évolution :

1- Instruction concernant le service en campagne de 1733 :



2- Examen de la législation sur le service en campagne de 1816 :

Titre XX – Instruction pour les jours de combat

Article 732 :


3- En 1832 : 


Titre XIII – article 135 : devoirs des officiers et sous-officiers pendant le combat :


4- Droit et législation des armées de terre et de mer en 1846 :


Tome 6 :


Titre XIII – article 135 : devoirs des officiers et sous-officiers pendant le combat :


5- Décret du 26 octobre 1883 portant sur règlement sur le service des armées en campagne :

Titre X – instruction sommaire sur les combats :

Article 200 : devoirs des officiers et des sous-officiers pendant le combat.


Pas de commentaire dans le décret.

Par rapport à celui de 1832, si le texte a légèrement changé, le sens reste le même. « Au besoin, ils forcent leur obéissance » est en italique comme si on voulait marquer cette partie de la phrase.

6- Décret du 28 mai 1895 portant sur règlement sur le service des armées en campagne : 

Titre XIV : du combat

Chapitre V- article 138 : devoirs des officiers et des sous-officiers


Le général Zurlingen, ministre de la guerre, précise que c’est son prédécesseur, le général Mercier, qui a lancé cette révision. La commission était composée des représentants les plus élevés en grade de toutes les armées.


Dans le décret, les commentaires du chapitre XIV les plus en rapport avec « l’obéissance » sont : pour réussir contre l’ennemi, il doit être prêt, dans les conjonctures imprévues et pressantes qui, en campagne, précédent toujours le combat, à prendre les décisions les plus graves et à les traduire par des ordres nets et précis, en évitant toute perte de temps et en conservant le calme nécessaire pour inspirer la confiance. 

Les 3 premiers mots (pendant le combat) de l’ancien texte ont disparu. Le texte reste dans un titre XIV intitulé : « du combat » qui contient 6 chapitres divers.

7- Décret du 2 décembre 1913 portant sur le règlement sur le service des armées en campagne : 

Titre V – Le combat

Chapitre X - article 121 : devoirs des chefs et des troupes


En résumé, la notion de « forcer leur obéissance » apparait dès 1832 sous la condition « pendant le combat ». Auparavant, la rédaction est différente mais sans équivoque. En 1895, le « pendant le combat » a disparu mais l’article 138 fait partie du chapitre V qui n’est qu’un élément du titre XIV intitulé « au combat ». En 1913, idem mais avec le renvoi (2) rappelle le texte de 1832, de 1883 qui comporte « pendant le combat ». Néanmoins, le renvoi (2) de 1913 laisse penser que le 121 ne s’applique qu’au combat, reste à préciser la notion de « au combat ».

Cette « directive » est mentionnée dans plusieurs ouvrages comme le manuel du soldat d’infanterie.
 

Il faut rappeler que la dernière version du décret du 2 décembre 1913, publié sous la signature du Président Poincaré, est un des 2 grands leviers à la disposition de l’autorité militaire fourni par le pouvoir exécutif.

Dès le début du conflit, Joffre rappelait ce texte :


B- Echantillonnage des exécutés sommaires : 

     Prisme classifie les militaires français tués par des « balles françaises » durant la Grande Guerre en plusieurs catégories :

1-ceux condamnés à mort par un conseil de guerre en application du code de justice militaire, puis passés devant un peloton d’exécution, qu’on nomme des « fusillés » conformément à l’article 187 du code de justice militaire : « tout individu condamné à la peine de mort par un conseil de guerre est fusillé » et dans les conditions du décret du 25 octobre 1874. Ces conditions sont également mentionnées dans l’article 52 du règlement du Service de Place.


2-ceux tués en application de l’article 121 du règlement sur le service en campagne, que Prisme nomme des « exécutés sommaires ».

3-ceux tués mais qui ne rentrent pas dans les 2 catégories ci-dessus, que Prisme nomme des « abattus ». C’est, par exemple, le cas d’un militaire tué par une sentinelle lors d’une désertion à l’ennemi.

Ces distinctions sont nécessaires, les 2 premiers cas correspondant à l’application de textes règlementaires distincts.

Il est néanmoins utile de préciser que les militaires français tués par méprise ou suite à homicide involontaire sont exclus de cet échantillonnage.

Cet échantillonnage présente plusieurs difficultés :

- il existe un certain nombre de militaires pour lesquels les chercheurs ont peu d’informations.

- le seul fait de voir la mention « passé par les armes » ou fusillé sur une fiche N-MPLF ne garantit pas que ce militaire soit passé devant un conseil de guerre, tout comme la mention « passé par les armes devant les troupes » sur le JMO ne garantit pas la tenue d’un jugement en conseil de guerre, plusieurs militaires ayant été exécutés directement sur ordre de la hiérarchie militaire. Il est absolument nécessaire d’obtenir une confirmation de la tenue d’un conseil de guerre soit par le registre des jugements, soit par le dossier de procédure, soit la minute du jugement, soit le jugement du conseil de révision, soit sur l’état des bulletins n°1, soit par les informations contenues dans les registres de correspondance, etc...

- la difficulté est différente avant ou après le 27 avril 1916, date de suppression des conseils de guerre spéciaux. Avant cette date, on peut être en présence soit d’un conseil de guerre ordinaire, soit d’un conseil de guerre spécial, soit d’une exécution sommaire. Après cette date, si le présumé « fusillé » n’apparait pas sur un registre des jugements, par exemple, nous sommes bien en présence d’un « exécuté sommaire ».

Notre présente étude portera sur les militaires français exécutés sans jugement.

C- Classification des causes : 

     Cet échantillonnage est, sans aucun doute, inférieur au nombre réel de militaires français sommairement exécutés au cours de ce conflit. Il est certain qu’il sera impossible de déterminer le nombre réel des militaires qui sont morts dans ces conditions un peu à la manière de la mécanique quantique qui obéit aux lois des probabilités. Prétendre vouloir donner un ordre de grandeur de ces exécutions ne serait pas très cartésien. Ceci amène Prisme à formuler une remarque ; les travaux du général Bach ont démonté que la période des mutineries a finalement engendré peu de militaires français fusillés par rapport à 1914/1915, contrairement aux mythes véhiculés ici et là. Néanmoins, comme certains milieux ne peuvent plus contester le nombre de militaires français fusillés au cours des mutineries, certains croient toujours que plusieurs centaines de militaires français ont été sommairement exécutés au cours de cette même période. Ces croyances sont dénuées de fondement, les recherches du général Bach n’ont jamais permis de trouver des éléments permettant d’accréditer des décimations à grande échelle au sein de l’Armée française au cours de cette période. Le tableau ci-dessous le montre également. Prisme y a exclu les événements pour lesquels, nous n’avons pas d’éléments factuels susceptibles de crédibiliser d’éventuelles exécutions sommaires ; c'est le cas pour les événements attribués au général Pétain dans l'ouvrage "Cahiers secrets  de la Grande Guerre" du Maréchal Fayolle, présentés et annotés par Henry Contamine, Plon, 1964, Paris.

Prisme s’est appliqué à classer toutes les exécutions sommaires dans les différentes causes mentionnées dans les archives.

Si la classification d’une partie de ces exécutions ne pose pas de problème, il n’en est pas de même pour certaines, qui nécessitent plus de réflexion.


La lecture de ce tableau montre une assez grande variété de causes, la plus importante étant le refus d’obéissance avec presque 18% du panel. C’est surtout l’année 1914 qui compte le plus grand nombre d’exécutions, surtout dû à la décimation ordonnée par le général Foch et aux exécutions au 327e RI.

Ce tableau appelle quelques commentaires.

Parmi tous ces cas, certains ont eu lieu à l’intérieur, c’est le point commun des 6 interpellations par les forces de l’ordre en 1915, 1917 et 1918.

En 1915, des rébellions se sont produites au Maroc qui, faut-il le rappeler, fait partie de la zone des Armées, tout comme l’une des deux agressions a eu lieu au sud de la Tunisie.

En 1916, deux des 3 tentatives d’évasion ont eu lieu en Algérie (zone de l’intérieur).

En 1917, trois des 4 tentatives de désertion ont eu lieu au Maroc (zone des Armées). Au cours de cette même année, une des 4 tentatives d’évasion a eu lieu en Algérie.

En 1918, l’accès de folie comme la tentative de désertion ont eu lieu au Maroc. Les 2 tentatives d’évasion ont eu lieu dans la zone de l’intérieur dont une en Algérie.

Parmi tous ces cas, on en compte 11 dans la zone de l’intérieur soit presque 11 % du panel, dont 4 en Algérie.

Pour la zone des Armées, on compte 90 cas soit 89 %, dont 7 cas au Maroc, 1 au sud de la Tunisie et 7 en Serbie/Grèce.

Dans 83 % du panel connu, ces exécutions ont donc eu lieu majoritairement dans la partie Nord/Est de la zone des armées ; dans ce pourcentage, nous avons inclus celles ayant eu lieu en Belgique, dont la décimation ordonnée par le général Foch en 1914.

La grande question est de déterminer les exécutions qui étaient du ressort de l’application de l’article 121.

Parmi toutes ces typologies, Prisme a distingué 3 grandes catégories :

1- celles relevant des conséquences de l’application de l’article 86 du règlement sur le service en campagne concernant le rôle de la sentinelle : les sentinelles ont toujours l’arme prête à faire feu, mais ne tirent que si elles aperçoivent distinctement l’ennemi ou si elles sont attaquées. Elles font également feu sur quiconque cherche à forcer leur consigne. 

Sont concernés par cet article 86 les cas d’une sentinelle qui abat un militaire au cours d’une tentative de désertion, de désertion à l’ennemi ou d’évasion ou non-respect de consigne.

Parmi les archives judiciaires de la 76e DI, la lecture d’un carnet de correspondance nous apprend :


Une plainte ayant été déposée contre lui, écroué à la prison prévôtale, le soldat Génillier du 5e colonial aurait dû passer devant le conseil de guerre pour abandon de poste.

Le 17 octobre 1915, dans un courrier adressé au général commandant la 76e DI, le commissaire-rapporteur indiquait :


La procédure judiciaire lancée contre le soldat Génillier s’éteignait ainsi suite à son décès.


L’épilogue de cette histoire apparaît sur la fiche de matricule de ce soldat : tué par une sentinelle au moment où il cherchait à s’enfuir.

2- celles relevant des conséquences de l’application de l’article 229 du code de justice militaire de 1913 mentionné dans le courrier de Joffre ci-dessus.

Est puni d’un emprisonnement de deux mois à cinq ans, tout militaire qui frappe son inférieur hors les cas de la légitime défense de soi-même ou d’autrui, ou de ralliement des fuyards, ou de la nécessité d’arrêter le pillage ou la dévastation. Loi du 18 novembre 1875. 

Commentaires : Il n’y a ni crime ni délit, lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient ordonnés par la loi et commandés par l’autorité légitime. 

Ce commentaire n’est ni plus ni moins que l’article 327 § III titre II chapitre 1er du code pénal auquel il faut ajouter l’article 328 du même code pénal qui indique : Il n’y a ni crime ni délit, lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui.
Sont concernés par cet article 229 les cas où un gendarme abat un militaire lors d’une arrestation, lors d’une rixe, en cas d’agression.

Un article du journal « Le réveil du Cantal » du 20 février 1918 illustre cette catégorie.

Un déserteur tué au Vaulmier

Dimanche soir, sur un ordre reçu, la gendarmerie de Salers se rendait dans la vallée du Falgoux pour rechercher un déserteur nommé M…, classe 1916 qui, parti du front d’Italie en septembre, n’avait plus rejoint le régiment.

Les gendarmes rencontrèrent en effet ce poilu, en civil ; ils l’interpellèrent et lui demandèrent ses papiers. Celui-ci présenta un acte de naissance qu’il s’était procuré on ne sait comment et dit appartenir à la classe 19, et avoir récemment passé le conseil de révision qui l’avait déclaré bon pour le service.

Doutant de la bonne foi dudit individu, les gendarmes voulurent le conduire à la mairie de Vaulmier pour contrôler ses dires, mais à ce moment il leur dit : vous avez un révolver, moi aussi, et il prit la fuite à travers champs en leur criant : eh bien, puisque vous êtes si malins, attrapez-moi.

L’un des gendarmes tira alors plusieurs coups de révolver en l’air en sommant le fugitif de se rendre, mais celui-ci bravant les coups de feu, continua sa course.

C’est alors que le gendarme tira dans sa direction et l’atteignit mortellement dans le dos, d’une distance de 75 mètres.

Relevé et transporté à la mairie de Vaulmier, M….qui avait déjà déserté deux fois, qui s’était fait remarquer par ses propos défaitistes et qui était craint dans la région, fut interrogé par le lieutenant de gendarmerie qui avait été prévenu aussitôt.

Il expira le lendemain.

Par respect pour la famille qui est fort honorablement connue et estimée, nous tairons le nom de ce malheureux sur la triste fin duquel une information judiciaire est ouverte.

Il s’agit du soldat Manant Antoine du 175e RI, classe 1916, abattu le 18 février 1918 à Vaulmier (Cantal).

La fiche de matricule montre que ce militaire a bien été condamné 2 fois pour refus d’obéissance puis désertion comme l’article du journal le précise. Manat a été incorporé en avril 1915, ce qui, pour un militaire de la classe 1916, est normal ; sa fiche de matricule montre que de changement d’unité en condamnations, de séjours en prison en sections disciplinaires, ce militaire n’a quasiment pas connu le front jusqu’en août 1917 date de son transfert au 175e RI. On ignore la suite de son parcours jusqu’à sa rencontre avec les gendarmes, mais on peut supposer qu’il était de nouveau déserteur depuis le mois de septembre 1917 d’après les indications fournies par le journal. A noter que les 2 condamnations avaient été suspendues comme c’est souvent le cas.

Ce cas nous fait penser à cette phrase du général André Bach : on touche là un des paradoxes de cette justice qui, en punissant les crimes militaires, aboutissait à éviter à certains de leurs auteurs le danger suprême qui guettait quotidiennement tous les autres combattants.

 
3- celles relevant des conséquences de l’application de l’article 121 du règlement sur le service en campagne.


Le vingt-six mai 1915 à 20h30, nous avons reçu l'ordre de faire amener à la prison du Q.G. de la 152e D.I. le soldat Hurtault Raoul, du 268e RI, qui venait des premières lignes en face de l'ennemi où il refusait d'exécuter les ordres qui lui étaient donnés.

Nous avons trouvé ce militaire, couché dans un pré où il a formellement refusé de se lever et de nous suivre.

Monsieur Isay, médecin aide-major de 1re classe au 49e RA, qui nous avait accompagnés, a constaté que ce militaire n'était pas malade et, par les questions posées et les réponses faites par Hurtault, il a conclu qu'il jouissait de toutes ses facultés.

La mauvaise volonté était évidente et nous avons essayé d'amener Hurtault par la force ; il s'y est non seulement refusé, mais il nous a opposé la plus vive résistance. Il nous a de plus adressé des propos injurieux, ainsi qu'au médecin militaire qui nous accompagnait.

Toujours accompagné de monsieur Isay, nous avons rendu compte de notre mission au général commandant la 152e DI, qui nous a immédiatement remis un ordre écrit, nous prescrivant de forcer la résistance de ce militaire et de lui brûler la cervelle, s'il persistait dans son refus.

Cet ordre a été lu trois fois à Hurtault, en présence du sergent et d'un militaire du 268e qui l'avait amené, ainsi que six militaires de la prévôté.

Hurtault est resté couché et à la troisième lecture de l'ordre ci-dessus, il a non seulement persisté dans son refus en nous montrant sa poitrine, mais il nous a répondu par des propos injurieux.

Conformément à l'ordre écrit, dont nous avions donné lecture à Hurtault, trois fois de suite, nous lui avons brûlé la cervelle en lui tirant six balles de revolver dans la tête à 21 heures.

Monsieur le médecin aide-major de 1re classe Isay, du 49e RA, qui nous avait assistés, a constaté la mort en notre présence.

Le corps a été inhumé immédiatement sur place, dans un pré à Brielen (Belgique). La plaque d'identité porte les renseignements suivants : HURTAULT Raoul, classe 1894, Tours, 987.

L’extrait ci-dessous de l’ordre du général Cherrier commandant la 152e DI confirme le rapport du maréchal des logis Dartois.


Le cas du soldat Hurtault se rattache à l’usage de l’article 121, mais pour Prisme à un usage dévoyé de cet article, ce militaire pouvant être traduit devant un conseil de guerre pour refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi. Néanmoins, Hurtault ayant déjà fait l’objet en mai 1915 d’une plainte en conseil de guerre pour insulte envers un supérieur pendant le service, au vu des circonstances du refus d’obéissance, une condamnation à mort semblait inévitable. Les faits se situant avant le 17 octobre 1915, aucun recours en révision et en grâce n’étant possible, la vie et la mort d’Hurtault ne dépendaient que de la décision du général de division. Autant dire que les chances du soldat Hurtault auraient été très minces.

Autre cas mais celui-ci relevant directement de l’article 121, implique le soldat Santer de la 12e Cie du 1er RI.

Par un arrêt n°89 du 7 mai 1925, la Cour d’Appel de Douai prononçait la « réhabilitation » de ce militaire conformément à l’application de la loi d’amnistie du 9 août 1924 dont l’article 2 est ainsi rédigé : « Dans les cas d’exécution sans jugement, la réhabilitation des militaires passés par les armes pourra être demandée par le Ministre de la justice à la requête du conjoint, des ascendants ou descendants ou du Ministre de la guerre ».


Ces cas sont rarement documentés. L’arrêt de la Cour d’Appel de Douai nous apprend que le soldat Santer a été exécuté sommairement et immédiatement par le commandant de la 12e compagnie en application de l’article 121, suite à un refus d’obéissance pour monter contre l’ennemi. Le commandant de la 12e compagnie a appliqué cet article du règlement sur le service en campagne, le pouvoir exécutif lui en ayant fourni cette possibilité.

A noter que l’arrêt de la Cour comporte une grossière erreur. En effet, l’arrêt indique : il n’y a pas eu impossibilité de déférer ledit Santer à un conseil de guerre siégeant aux armées ce qui était effectivement vrai. Le commandant de la compagnie pouvait soit utiliser l’article 121, soit demander que Sander soit déféré devant un conseil de guerre spécial puisque c’est un cas de flagrant délit. Les faits ayant eu lieu le 30 septembre 1914, aucun recours en révision et en grâce n’était possible car nous sommes dans la 1ère période de l’exceptionnalité du recours en grâce, période qui regroupe 64% des militaires français fusillés au cours du conflit. Le destin de Santer ne dépendait que de la décision du général de division. Contrairement à ce qui est indiqué sur l’arrêt de la Cour,  les circonstances atténuantes n’auraient pas pu être appliquées pour la simple raison qu’elles n’existaient pas en temps de guerre pour « les crimes militaires » au moment des faits. C’est la loi du 27 avril 1916 qui les a instaurées.

En somme, pour Santer, même s’il était passé devant un conseil de guerre spécial, sans recours en révision, sans recours en grâce, sans circonstances atténuantes, son avenir était très fortement compromis. L’argumentaire de la Cour qui n’était pas nécessaire puisque la loi ne le demandait pas, est fallacieux et donne l’impression à sa famille que le passage devant un conseil de guerre aurait complètement changé le sort de ce militaire.

Prisme s’est appliqué à classer toutes ces exécutions en fonction de l’application de l’article 121. Prisme a distingué ceux relevant directement ou indirectement de cet article.


L’étude de chacun de ces cas permet de déterminer pour une partie d’entre eux, ceux relevant de telle ou telle catégorie. Prisme a recensé les cas qui semblent relever directement de l’usage de cet article, ceux qui relèvent d’un usage dévoyé de cet article y compris la décimation ordonnée par le général Foch.

Prisme a ainsi compté 10 cas relevant de l’article 121, 20 autres cas qui résultent d’un usage dévoyé de cet article et ceux provenant de la décimation « Foch ». En effet, si le décret du 2 décembre 1913 permet de forcer l’obéissance d’un militaire, cela doit se faire dans l’immédiateté de l’action et non pas plusieurs heures après comme pour Millant et Herduin. Pour ces 2 officiers comme pour ceux dans le même cas, en l’absence de l’utilisation immédiate de l’article 121, une plainte aurait dû être déposée pour une traduction devant un conseil de guerre.

Au bilan, presque 10 % des cas seulement résultent de l’article 121, 30 % d’un usage dévoyé de cet article, 49 % ne résultent pas de l’usage de cet article et 12 % concernent des cas dont les causes nous sont inconnues.

D- Conclusion : 

     Dans cet article, Prisme semble s’être écarté de son domaine de recherche prioritaire, à savoir, les militaires français condamnés à mort par les conseils de guerre temporaires pour s’intéresser aux militaires français exécutés sans jugement. Mais cette attention voulue est nécessaire pour élucider, dans la mesure du possible, les circonstances de chacun de ces cas. Il est important de les factualiser, de déterminer dans quelle catégorie les ranger. En effet, comme nous l’avons déjà mentionné ci-dessus, le seul fait de voir la mention « passé par les armes » ou fusillé sur une fiche N-MPLF ne garantit pas que ce militaire soit passé devant un conseil de guerre comme c’est le cas du soldat Robert pour lequel les recherches ont été simplifiées par l’absence de conseils de guerre spéciaux en 1918. Néanmoins, plusieurs cas restent sans réponse et non comptés dans cette étude durant la période de fonctionnement des conseils de guerre spéciaux, Prisme n’ayant pas pu, à ce jour, trouver un indice probant susceptible de permettre une classification de ces quelques militaires.

Les résultats de cette étude sont à prendre avec précaution, le panel étant assez réduit, aggravé par un taux de causes inconnues proche de 12 %. L’utilisation de l’article 121 s’élève à presque 10 %. Les cas non concernés par l’utilisation « normale » ou dévoyée de l’article 121 concernent 49 % du panel.

L’étude des textes en vigueur lors de la déclaration de la guerre montre que l’autorité militaire avait à sa disposition 4 textes qui couvraient quasiment tous les cas : les articles 86 et 121 du règlement sur le service en campagne et les articles 327 et 328 du code pénal.

Cet arsenal à la disposition du commandement local : officiers, sous-officiers et même soldats dans sa fonction de sentinelle par exemple confère un cadre juridique de l’usage de la « force » pour obtenir l’obéissance ou en cas de non-respect de consigne.

Prisme constate, par contre, que l’usage de l’article 121 sort du cadre fixé par le texte dans 29 % des cas. Pour tous ces cas, le recours au conseil de guerre aurait dû s’imposer. Mais cette hypothèse n’était pas de nature à garantir la non-condamnation à mort d’un militaire surtout en 1914/1915.

Prisme ne porte pas de jugement de valeur sur ces 4 textes représentatifs d’une époque.

Il faut souligner le courrier 1er septembre 1914 de Joffre qui est très clair et « couvre » les commandements locaux dans quasiment toutes les situations.

Prisme rappelle qu’à la fin du mois d’août 1914, la situation militaire est très grave, les armées françaises retraitent partout, le gouvernement français est parti s’installer à Bordeaux, le spectre de la défaite 1870 est là. Le courrier de Joffre s’insère dans ce cadre.

Comme nous l’avons déjà écrit : cent ans après le conflit, le citoyen français a le droit de connaître dans quelles conditions les militaires français ont été condamnés à mort puis fusillés ou exécutés. Faute de clarification, pendant longtemps, mémoire et histoire ont été en décalage, reflet du sentiment profond exprimé par certains que l’on cachait une vérité. Prisme essaie de faire entrer la question des fusillés ou exécutés dans sa réalité historique.

Pour André