A travers des articles statistiques, à travers des articles de fond aussi divers que les mutilations volontaires, le code de justice militaire, la notion de fusillés pour l'exemple, l'ambition du Prisme est de fournir un ensemble d'informations permettant aux lecteurs d'appréhender en toutes connaissances de causes et sans parti pris de notre part la problématique des fusillés du conflit 14/18. Notre but n'est pas de juger mais de présenter, d'analyser les faits, de les porter à la connaissance de nos concitoyens au sujet d'une question qui n'est pas seulement d'ordre historique mais enjeu aussi d'un débat mémoriel, encore présent aujourd'hui.

samedi 3 avril 2021

Les citations directes responsables d’une majorité de condamnations à mort : réalité ou discours idéologique ?

     Parmi les mythes qui peuplent le paysage de la Justice Militaire de la Grande Guerre, les citations directes figurent en bonne place.

Avant d’aller plus avant, il est utile de s’imprégner du contexte de l’époque et des textes en vigueur à la veille de la Grande Guerre.

L’introduction du livre IV du commentaire abrégé de 1876 sur le code de justice militaire du capitaine Vexiau, licencié en droit, rappelle que : la peine est donc un mal infligé par la société à l’auteur d’un crime, d’un délit ou d’une contravention, en raison de l’infraction aux lois qu’il a commise.

Le commentaire abrégé de 1876 sur le code de justice militaire du capitaine Vexiau souligne que les peines n’ont pas seulement pour but de punir les coupables, mais aussi de servir d’exemple à tous, et de prévenir ainsi, autant que possible, les infractions aux lois (livre IV, commentaire).

Cette notion de « servir d’exemple » est déjà bien présente dans les mœurs des années 1900. On la retrouvera dans certains courriers de généraux réclamant une peine exemplaire au sujet d’un condamné à mort. Après-guerre, elle sera largement reprise quel que soit le motif de la condamnation à mort requise envers les militaires français.

Mais revenons au sujet de l’article.

La citation directe a fait l’objet de la part de certains milieux d’une mise en cause qui lui attribue des condamnations à mort massives.

L'extrait suivant du journal L’Œuvre du 11 décembre 1915 fait part des remises en cause de Paul Meunier concernant la justice militaire: l’état de guerre a créé une division de la justice militaire. Il y a des conseils de guerre aux armées à cinq juges et les conseils permanents à sept juges. Dans les conseils de guerre aux armées, l’instruction préalable n’est pas obligatoire et le prévenu peut être cité directement vingt-quatre heures à l’avance. Pas d’avocat, pas de loi Bérenger, pas de circonstances atténuantes, pas de pourvoi en cassation. L’absence d’avocat, surtout, lui parait intolérable à lui qui est de la partie. Un seul recours prévu est le recours en révision dans la zone des armées comme dans la zone de l’intérieur. Mais un décret en date du 10 août a suspendu le recours en révision pour tous les jugements. Restait le recours en grâce : il a été supprimé. La situation des justiciables des conseils de guerre s’en est trouvée aggravée dans des proportions regrettables. Des condamnations à mort hâtives ont été prononcées par une juridiction militaire irrégulière, celle des cours martiales. « Votre commission de législation civile et criminelle a jugé qu’il n’était pas possible de maintenir plus longtemps une pareille situation » ajoutait Paul Meunier. La joie des socialistes ne connait plus de bornes. Leur vieux dada de la réforme des conseils de guerre est enfourché à nouveau. Et en temps de guerre.

Cet article du journaliste Jean Drault comporte plusieurs erreurs : sont-elles de son fait ou de Paul Meunier ? Bien évidemment, il est difficile de le savoir. De toute façon, ces erreurs reflètent bien la méconnaissance du fonctionnement de la justice militaire, que ce soit hier mais également aujourd’hui. Cette méconnaissance était également entretenue par des organismes comme la L.D.H. dans ses «cahiers des droits de l’homme» comme cette affaire extraite du cahier n°7 de 1922 qui, sous le titre les « Crimes de la Guerre », évoque le cas du soldat Santerre abattu en septembre 1914, période très critique pour la nation, dans le cadre dévoyé de l’application l’article 121 du règlement sur le service en campagne. Car sous le même titre « Crimes de la Guerre », la L.D.H. évoque sans distinction les jugements de la justice militaire s’étant conclus par une exécution, que les militaires abattus par l’usage plus ou moins légal de l’ancien mais toujours en usage article 121 du règlement sur le service en campagne. Cet article ne s’appliquait qu’au combat en 1ère ligne. Cet amalgame avec un usage dévoyé de cet article 121, article d’un règlement relevant directement du pouvoir exécutif, n’était pas de nature à clarifier ce qui était du ressort de l’évolution du fonctionnement de la justice militaire, du reste des règlements en vigueur au sein de l’armée.

Toujours est-il que la mise en cause de la citation directe et des cours martiales [conseils de guerre spéciaux] qui appliquent systématiquement cette procédure est nette. Ceci dit, les propositions de Paul Meunier visant à réformer la Justice Militaire et les conseils de guerre étaient novatrices pour l'année 1915. 

Qu’en est-il exactement ?

Ces citations directes ou mises en jugement directes sont-elles réellement responsables d’une partie importante des condamnations à mort ?

Prisme va donc appréhender ce fameux article 156 du code de justice militaire à travers le panel de l’ensemble des fusillés dans la zone des Armées car bien évidemment, seuls les conseils de guerre temporaires aux Armées sont concernés par cet article. Il faut rappeler que la compétence des conseils de guerre aux Armées est plus étendue que celle de conseils de guerre permanents. Le Pradier-Fodéré/ Le Faure de 1873 l’explique ainsi dans le commentaire de l'article 62 : Une Armée en campagne, placée sous le feu de l’ennemi et exposée à des dangers de toutes sortes, exige pour sa sûreté les précautions les plus énergiques et les plus minutieuses. Les principes du droit commun doivent fléchir devant une situation aussi éminemment exceptionnelle ; le succès d’un plan de campagne, le salut du pays, qui souvent en dépend, dominent toutes les autres considérations : inter arma silent leges [citation de Cicéron dont la traduction courante est : « en temps de guerre, les lois sont muettes » ou plus précisément « en temps de guerre, la loi se tait » ].

Dans son commentaire de 1876, le capitaine Vexiau soulignait un point important : La loi du 18 mai 1875 a profondément modifié les articles 33, 71, 85 et 156 du Code de 1857 ; l’ensemble des dispositions nouvelles comprend tout ce qui est relatif à l’organisation, à la compétence et à la procédure des conseils de guerre aux armées, dans les circonscriptions territoriales en état de guerre et dans les places assiégées ou investies. Le législateur de 1875 a pensé que, dans ces circonstances exceptionnelles, il fallait, sans violer en rien les garanties de l’accusé, donner à l’action régulière de la justice l’énergique célérité qui peut seule assurer à la répression, le salutaire effet qu’on doit en attendre. Les prescriptions qu’il a édictées tendent uniquement à ce but, et permettent d’éviter de recourir à la justice sommaire des Cours martiales, que l’on avait dû établir pendant les guerres de la Révolution et pendant celle de 1870/71.

« L’instruction pourra être aussi sommaire qu’on le jugera convenable et les formalités ordinaires ne seront remplies que si on a le temps de les appliquer ».

Ainsi dans l’esprit du législateur, la création des conseils de guerre temporaires ordinaires aux Armées avait pour but d’éviter le recours aux Cours martiales. Un mois après le début du conflit, ces propos rassurants ont été démentis.

Prisme a utilisé les informations saisies dans ses bases de données, en l’occurrence les mises en jugement ordinaires et les mises en jugement directes.

Prisme rappelle qu’il appréhende l’ensemble de ces évènements à travers la notion, pratiquée en sociologie, de « cohorte ». Une cohorte mensuelle est constituée de tous les condamnés à mort au cours du même mois. Le condamné peut être exécuté dans le mois. Mais il a le risque de l'être aussi dans les mois suivants si son pourvoi en révision a été rejeté ou si sa demande de grâce, après examen, a été rejetée. Les autres condamnés échappent à la mort puisque leur peine est commuée.

Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.
Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux quelle que soit leur apparence.

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Le 6 novembre 1874, le Lt Colonel Boudet, sous-chef d’état-major général du 10ème corps d’armée, adressait au ministre de la Guerre une longue note de 36 pages de commentaires sur les modifications à apporter au code de justice militaire.


En préambule, le Lt Colonel Boudet rappelait qu’il était nécessaire de fortifier la discipline : « la discipline fait la force principale des armées ». Cette vérité par laquelle débute le règlement sur le service intérieur des corps de troupe n’a jamais été mieux ni plus généralement reconnue qu’en ce moment. Assurément, elle est de tous les temps et pour tous les peuples. Les évènements accomplis en 1870 et 1871 n’ont pas laissé d’en faire mieux ressortir l’importance.

Si l’obéissance, la soumission aux règlements militaires et aux ordres reçus ont toujours fait la force principale des armées, cette condition du succès s’impose bien plus impérieusement avec la nouvelle organisation militaire, le travail a pour but d’en indiquer les motifs principaux et de préciser les modifications les plus essentielles à introduire dans le code de justice militaire pour atteindre cet important résultat.

Le Lt Colonel Boudet explique qu’il faut chercher les moyens d’agir sur les mauvaises natures en les plaçant toujours dans cette alternative, ou de faire leur devoir ou d’avoir à subir inévitablement et sans retard, une répression plus pénible que l’accomplissement de leur devoir. Le Lt Colonel développe ainsi ses propos :

- les nombreux effectifs appelés à prendre part à la guerre, la faiblesse de leur instruction, la promptitude avec laquelle ils seront mis en mouvement changent totalement les conditions dans lesquelles l’armée nouvelle se trouvera. Boudet explique : avec les lois de 1818 et 1832, les appelés restaient sept ans sous les drapeaux, leur instruction et leur éducation militaire pouvaient être complètes. Lorsqu’on appelait les réserves, les hommes allaient aux dépôts faire leur instruction. On avait ainsi le temps de les instruire et de leur inculquer les principes essentiels de la discipline. Ainsi, à cette époque, on engageait la lutte avec des sous-officiers et des soldats sachant leurs métiers. Les officiers connaissaient leurs hommes. De plus, les armées n’avaient pas les énormes effectifs qu’elles auront dans l’avenir. Il s’écoulait des mois entiers entre le jour où la mobilisation était décidée et la première bataille. Les circonstances donnaient aux cadres des facilités pour prendre sur les hommes l’ascendant qui rend l’obéissance facile. Elles laissaient en outre, aux corps, le temps de prendre de la cohésion et de resserrer les liens de la discipline. 

- les conditions sont essentiellement différentes aujourd’hui. La préparation se comptera par heures et la puissance qui sera le plus tôt prête, aura considérablement augmenté ses chances de succès. A peine la guerre sera-t-elle déclarée, qu’elle sera entreprise. Elle le sera avec le gros des forces, c'est-à-dire avec de très grandes masses. Quelques jours suffiront pour effectuer la mobilisation et la concentration des troupes de première ligne. De la rapidité et de l’ordre de ces opérations dépendra en grande partie la victoire....

Au moment de la mobilisation, lorsqu’on appellera les réserves, les régiments composés d’hommes dont les plus anciens auront à peine quatre ans de service, recevront un grand nombre de jeunes soldats de la 2ème portion du contingent dont l’instruction militaire aura été seulement ébauchée. Il serait imprudent de les croire, sans s’exposer à de graves mécomptes, bien pénétrés des exigences de la discipline. Cette condition nouvelle de n’avoir que bien peu de soldats faits, s’impose impérieusement. C’est incontestable. Le service étant obligatoire, tous sont appelés. La dépense est telle que le budget ne permet plus de garder qu’un nombre d’hommes fort limité de trois ans et demi à quatre ans au plus. Cet état de choses qu’il faut subir, car les ressources du pays ont des limites, feront baisser sensiblement la moyenne de l’instruction militaire des corps et aussi l’esprit de discipline. Lors de la mobilisation, on aura peu de temps pour les remonter, car la lutte s’engagera quelques jours après l’arrivée de ces réservistes. La cohésion qu’avaient ces régiments sera affaiblie et les causes d’indiscipline seront assurément plus grandes, puisqu’il arrivera instantanément dans les rangs, un grand nombre d’homme qui ne sont pas façonnés aux exigences de la vie militaire.

Boudet poursuit en énonçant que :

L’organisation militaire nous place donc dans les conditions suivantes :

1- soldats moins anciens de service que par le passé et, par suite, moins habitués aux règles de la discipline.

2- passage très rapide des occupations de la vie ordinaire aux exigences de la vie militaire et du champ de bataille.

3- augmentation instantanée des effectifs dans de très fortes proportions ; ce qui porte un certain trouble dans le service intérieur du corps et rend l’action des cadres plus laborieuse et plus difficile.

Ce sont là des causes sérieuses d’affaiblissement pour la solidité des corps de troupes. Elles imposent l’obligation absolue, pour en atténuer les conséquences, de fortifier la discipline et de rendre plus prompte et plus énergique l’action judiciaire.

Boudet poursuit son analyse :

La discipline et la pratique des devoirs militaires dans les armées, tiennent à la discipline d’esprit et aux habitudes de la population. Elles dépendent aussi des règlements et de la juridiction militaire. Les contingents, en arrivant au corps, y apportent l’esprit des populations. Suivant qu’elles ont des habitudes d’ordre et le respect de l’autorité, ils ont plus ou moins de facilité pour se soumettre à toutes les obligations du Devoir militaire.

Boudet souligne que le meilleur moyen de trouver ces dispositions dans nos contingents, serait de veiller à ce que dans toutes les écoles, on enseigne aux enfants le respect de l’autorité, qu’on leur entretienne fréquemment de ce qu’ils doivent à leur pays,...., les institutions militaires ne peuvent rien pour cette préparation première qui est la plus importante. Mais l’Etat peut beaucoup. Il est d’une importance extrême qu’il mette tous les soins à développer chez les contingents à venir l’amour du Devoir, le respect de la loi et la soumission à la règle. Il en a les moyens par l’action qu’il exerce sur l’instruction première.

Boudet continue en explicitant les modifications disciplinaires introduites par la loi du 10 août 1872 puis décline ses propos autour de l’action judiciaire.

La loi du 9 juin 1857 (code de justice militaire) a réalisé un progrès pour la bonne administration de la justice mais les changements profonds à nos institutions et les enseignements des dernières guerres imposent l’obligation d’y introduire d’importantes modifications :

1- mettre le code [de justice militaire] en concordance avec la loi du 24 juillet 1873 sur la nouvelle organisation de l’armée.

2- donner exceptionnellement aux gouverneurs de Paris et de Lyon la direction de l’action judiciaire sur les militaires stationnés....

3- simplifier et abréger la procédure des conseils de guerre aux armées et dans les corps mobilisés.

4- créer une quatrième juridiction aux armées et dans les corps mobilisés sous le nom de cours martiales.

5- étendre la juridiction militaire pour les crimes et délits prévus par le titre II du livre IV et autres du code de justice militaire sur tous les hommes non encore libérés du service actif.

6- modifier et compléter la rédaction de certains articles du code pour faciliter la marche de la justice militaire aux armées qui ne sont pas spécifiés, soient visés et que leurs auteurs ne puissent échapper ainsi à la répression.

Boudet signale : nous nous bornerons à faire remarquer au sujet du § 1 de l’article 5 du projet de loi du 12 mars 1874 qu’il y aurait utilité suivant nous, à spécifier que la citation à faire au prévenu doit être signée et envoyée le jour même où le commissaire du gouvernement reçoit l’ordre de mise en jugement. Aucun retard ne pourrait alors de produire. On aurait ainsi les moyens de faire juger les crimes et délits le surlendemain du jour où ils auraient été commis. Cette répression immédiate produirait le plus salutaire exemple, ce à quoi doit toujours tendre l’action judiciaire.

Boudet poursuit son argumentaire sur la quatrième juridiction à créer aux Armées sous le titre de cours martiales : De sa nature, la justice militaire requiert célérité dans les formes et dans la punition des coupables. La nécessité de cette juridiction des cours martiales s’est toujours imposée dès que les circonstances sont devenues graves. On en trouve la preuve, sans remonter au-delà du commencement du siècle, dans les dispositions prises par les gouvernements, les chefs d’armées et aussi dans les correspondances de la plupart des généraux qui ont exercé des commandements importants à la guerre. Qu’il se soit agi de maintenir la discipline ou de la rétablir, c’est le moyen auquel on a dû avoir recours. Mais ce moyen par cela seul qu’il était créé au moment où il s’imposait, d’une manière absolue, ne remplissait pas entièrement le but.

A la fin de son long exposé, Boudet concluait : La France éclairée par de cruels désastres, a accepté le service obligatoire ; elle en acceptera les conséquences. Ce sera la gloire de ceux qui ont la direction et la conduite des affaires de la préciser. Dans une bonne loi. Il ne dépend pas de nous d’obtenir du jour au lendemain des contingents préparés dès leur enfance, comme ceux de nos voisins, à recevoir l’éducation militaire, à mettre en honneur la discipline, à l’appliquer partout et toujours. Nous y arriverons plus tard, c’est certain, si l’éducation dans les écoles est dirigée avec suite dans ce sens. En attendant, c’est en rendant plus efficace la répression que nous marcherons vers ce but. L’hésitation n’est plus possible, la grandeur du pays en dépend. L’existence des armées de même que la justice militaire ont surtout pour base la nécessité. Il est donc logique que les moyens de répression soient ceux qui doivent avoir pour résultat de maintenir la plus forte discipline et d’assurer par là leur triomphe, c'est-à-dire, dans le cas particulier qui nous occupe, le triomphe de la France, but suprême de nos efforts.

Prisme a volontairement transcrit une partie de l’analyse de Boudet, rendant ainsi compte de l’état d’esprit de l’époque d’un officier d’état-major.

Ces commentaires sont intéressants. Ils reflètent une opinion certainement répandue au sein de l’Armée et d’une partie de la classe dirigeante.

En résumé, pour le Lt Colonel Boudet, la modification du recrutement qui fait suite aux conséquences du conflit de 1870, rend la cohésion des armées plus précaire et la discipline moins efficace. Le seul moyen, à ses yeux, de contrebalancer ces effets « néfastes », est de durcir la justice militaire, le conflit de 1870 ayant montré la faillite et l’inefficacité du code de justice militaire de 1857 en temps de guerre.

Le Lt Colonel Boudet se souvient probablement du projet de loi présenté par le maréchal Niel, Ministre de la Guerre, repoussé par la chambre. A cette occasion, Thiers réfuta les estimations de Niel concernant la puissance de l’armée allemande. Le 14 décembre 1868, la réforme adoptée est sans commune mesure avec les enjeux. A l’instar de Gambetta qui signa un manifeste : Nous voulons la suppression des armées permanentes, cause de la ruine pour les finances et les affaires de la nation. Les hommes politiques sont grandement responsables de la défaite de 1870 en sous-estimant par idéalisme ou pacifisme les besoins en hommes et en matériel de secteur comme l’artillerie de l’armée française. Certaines de ces causes seront encore d’actualité quarante ans plus tard.

Le commentaire sur le code de justice militaire de Paul Pradier-Fodéré juriste, professeur de droit public, et d’Amédée Le Faure, publié en 1873, est également intéressant. Ces auteurs écrivaient : « Les tribunaux militaires sont des tribunaux d’exception. C’est de la nécessité que leur légitimité dérive, et ils n’ont plus de raison d’être sitôt que cesse cette nécessité......Les nécessités politiques veulent que la justice militaire ait pour caractère particulier la célérité ; c’est la condition même de son existence. La loi ne satisfera donc aux besoins de l’armée que si elle laisse debout ce principe sauveur de la discipline ; de là l’obligation de donner aux règles ordinaires de la procédure plus de flexibilité et de souplesse ; mais la célérité ne doit point exclure les formes protectrices. Les militaires sont des hommes, ils sont citoyens ; ils ont droit, comme nous, à toutes les garanties qui appartiennent à l’accusé.

Ce commentaire présente quelques « réticences » sur l’article 156. Ce texte indiquait que le droit commun autorisait la citation directe en matière correctionnelle. Cette restriction a été proposée dans la procédure et la disposition a paru justifiée à la commission parlementaire par cet état exceptionnel, qui commande de laisser à la répression militaire son énergie et sa rapidité ; mais toutes les formalités qui suivent l’ordre de mise en jugement doivent être observées. Dans les discussions avec le Conseil d’état, il a été admis que la permission de traduire l’accusé devant le conseil de guerre, directement et sans instruction préalable, devait s’entendre en ce sens que, sauf la suppression de l’instruction préalable, toutes les autres garanties seraient maintenues ; ainsi il faudrait au moins trois jours de délai, nomination d’un avocat d’office, qu’en un mot, les choses se passeraient comme en matière correctionnelle. Ainsi, lorsque le général commandant [la place ou la division] jugera nécessaire de traduire directement devant le conseil de guerre, l’ordre de jugement énoncera le fait pour lequel l’accusé sera traduit, donnera à ce fait sa qualification légale et citera le texte de la loi pour lequel ce fait sera réprimé. L’ordre contiendra, de plus, la convocation du conseil de guerre. L’ordre sera adressé au commissaire du gouvernement avec toutes les pièces de procédure, ce dernier remplira alors toutes les formalités prescrites par les articles 109 et suivants du code de justice militaire. Le général, auquel il appartient de donner l’ordre d’informer, ne doit traduire directement devant le conseil de guerre que pour les crimes de haute gravité, qui réclament un châtiment aussi prompt qu’exemplaire et quand les documents qui lui sont remis fournissent tous les éléments nécessaires pour caractériser le crime et permettent de réunir immédiatement devant le conseil les témoignages et les preuves. L’ordre de mise en jugement devient alors la première pièce de la procédure ».

Le commentaire de Victor Foucher, conseiller à la Cour de cassation, de 1858 sur le code de justice militaire explicitait déjà une partie de ces idées.

Dans le dernier alinéa de sa lettre « très confidentielle » du 10 août 1914, Messimy, Ministre de la guerre, rappelait le caractère de cette procédure : « en tous cas, cette procédure demeurera toute exceptionnelle et ne sera employée que si les circonstances exigent une immédiate répression et s’il n’existe aucun doute sur la culpabilité du prévenu ».

Le courrier « très confidentiel » signé Millerand daté du 16 septembre 1914 rappelait également le cadre d’utilisation de l’article 156 aux conseils de guerre aux armées.

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Tout d’abord, que dit cet article 156 et en quoi son application a-t-elle pu changer le processus d’instruction d’un prévenu ?


Rappelons une nouvelle fois que cet article 156 fait partie du titre II du livre premier du code de justice militaire et ne s’applique qu’aux conseils de guerre temporaires aux Armées et par conséquent en temps de guerre.

Comme le soulignait Victor Foucher, conseiller à la Cour de cassation, dans ce type de procédure, l’ordre de mise en jugement devient alors la 1ère pièce de la procédure.

A- Rappel/résumé des procédures relatives aux mises en jugements :

     L’article 152 du code de justice militaire stipule : la procédure établie pour les conseils de guerre dans les divisions territoriales en état de paix est suivie, dans les conseils de guerre aux armées.

De facto, en état de guerre, les articles 83, 84 et 85 s’appliquent ce qui signifie que les chefs de corps peuvent faire personnellement, ou requérir les officiers de police judiciaire de faire tous les actes nécessaires à l’effet de constater les crimes et les délits, et d’en livrer les auteurs aux tribunaux chargés de les punir.

Quand un délit ou un crime a été commis par un militaire, son chef rédige un rapport qu’il adresse au chef de corps, demandant la traduction de ce militaire devant le conseil de guerre. Le chef de corps qui a autorité d’officier de police judiciaire procède à une enquête ou délègue ses pouvoirs à un de ses officiers. L’officier de police judiciaire procède alors à l’interrogatoire du prévenu et auditionne les témoins. A l’issue de cette enquête, une plainte est transmise au général commandant la division sous la forme d’un dossier/rapport quand le prévenu est du ressort de cette entité par exemple. Le général, alors, ordonne au commissaire-rapporteur, qu’il soit informé contre le prévenu. A son tour, le commissaire-rapporteur interroge le ou les inculpés et auditionne les témoins par le biais de commissions rogatoires si nécessaire. A l’issue de son enquête, le commissaire-rapporteur adresse son rapport et ses conclusions au général commandant la division par exemple en recommandant soit un refus d’informer, soit la traduction du ou des inculpés devant le conseil de guerre. Dans ce dernier cas, le général ordonne la mise en jugement de l’inculpé et la convocation du conseil de guerre à une date fixée. S’en suis alors la tenue du conseil de guerre et son verdict.

Comme cela a été dit précédemment, il existe une seconde procédure dite en citation directe. Conformément à l’article 156 du code de justice militaire, l’officier qui délivre l’ordre de mise en jugement, peut se dispenser de l’instruction préalable et peut délivrer directement un ordre de mise en jugement direct. C’est donc la part de ce type de jugement remis dans le cadre des conseils de guerre ordinaires que nous allons étudier.


1-Choix de la base d’étude :

    A la 4ème armée, il existe un document très intéressant qui répertorie d’une part les mises en jugement ordinaires et d’autre part les mises en jugement directes.

Ces documents se présentent sous la forme de 5 cahiers au format A4, un par année de guerre. Chaque cahier a été ouvert le 1er jour de l’année d’enregistrement. Les mises en jugement ordinaires y sont enregistrées chronologiquement.


A la suite, les mises en jugement directes sont également enregistrées chronologiquement.

Les précisions suivantes sont mentionnées pour chaque cas : le numéro d’enregistrement, la date de la plainte, les noms et prénoms des inculpés, le grade et le corps pour les militaires, la nationalité pour les civils, l’ordonnance de mise en jugement ou de non-lieu, la nature du délit, les sanctions prononcées, la date de la séance du conseil de guerre ou de « non-lieu » et les observations (exécution de la peine suspendue ou exécuté le ...). Malheureusement, ces documents qui auraient pu servir de base d’étude, ne concernent que le Quartier Général de la 4ème Armée, donc insuffisamment large pour un panel d’étude représentatif.

Prisme reste attaché aux idées du général André Bach qui considérait qu’avant de le décrire, un phénomène historique doit être quantifié pour s’en imaginer l’importance. Tout ceci pour mettre fin aux approximations que l’on lit çà et là dans les ouvrages universitaires ou pas, voire diffusées sur les canaux officiels de la République.

Comme panel d’étude de ces jugements, Prisme s’est donc concentré sur la population des fusillés dans la zone des Armées. Malheureusement, ce panel ne sera pas aussi étendu que le nombre de condamnés à mort et cela pour plusieurs raisons :

- un nombre conséquent de jugements ne nous sont connus que par le seul registre des jugements ou par la seule minute du jugement, ou par une fiche de Mort pour la France ou encore par une fiche de Non Mort pour la France

- certains ordres de mise en jugement sont absents des dossiers de procédure

- dans une partie des dossiers, les généraux ont modifié l’imprimé « formule n° 10 » référencé 956 à la nomenclature générale en remplaçant l’indication « 108 et 111 » qui caractérise une mise en jugement ordinaire par l’indication « 155 » qui précise simplement que « l’ordre de mise en jugement et de convocation du conseil de guerre est donné par l’officier qui a ordonné l’information ». Ainsi modifié, on peut présumer qu’on est en présence d’une mise en jugement ordinaire par absence d’une référence à une citation directe.

De facto, le panel d’étude de ces jugements sera donc inférieur au nombre de condamnés à mort référencés dans son article Précis de justice militaire.

Rappel : l’officier qui a délivré l’ordre d’informer peut seul donner l’ordre de mise en jugement et de convocation du conseil de guerre en utilisant l’imprimé modèle n°10.


Cet officier peut toutefois se dispenser de décerner un ordre d’informer et délivrer directement un ordre de mise en jugement avec l’imprimé modèle 10 quater.


La notification à l’accusé de cette mise en jugement est faite par le commissaire-rapporteur, qu’il y ait eu un ordre d’informer suivi d’une mise en jugement ou mise en jugement directe. Pour cela, le commissaire-rapporteur se conforme aux prescriptions de l’article 156 du code de justice militaire, notamment à celles relatives à la notification de la citation directe dont une copie doit être laissée à l’accusé par l’imprimé modèle n°13 bis.


Pour notre étude, il faudra bien distinguer les ordres de mise en jugement faits à partir des imprimés 10 ou 10 quater.

2- Base d’étude :

Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de bien préciser la place des conseils de guerre spéciaux dans l’établissement de cette base d’étude.

Les conseils de guerre spéciaux ont fonctionné du 6 septembre 1914 au 27 avril 1916.

Le mode de convocation des conseils de guerre spéciaux ne peut donner lieu à questionnement puisqu’il résulte du décret ministériel du 6 septembre 1914 et de l’instruction d’application du 9 septembre 1914, qui précise dans son alinéa IV : « le décret se réfère aux articles 152 à 158 du code de Justice Militaire ». Dans ce cadre, l’officier qui ordonnait la mise en jugement, n’avait pas le choix du type de procédure, c’est la mise en jugement directe qui devait être utilisée.

Ainsi les 125 jugements des conseils de guerre spéciaux qui se sont conclus par une exécution, ont été convoqués en application de l’article 156 du code de justice militaire.

Contrairement aux conseils de guerre ordinaires, les conseils de guerre spéciaux ne sont pas bien référencés ; pourtant le G.Q.G., informé des diverses procédures utilisées à l’archivage des jugements rendus par les conseils de guerre spéciaux après leurs suppressions, adressait le 19 mai 1917, une note n°17417 prescrivant l’envoi des dossiers de procédure au greffe du conseil de guerre permanent de la région territoriale dans laquelle se trouve actuellement le dépôt du corps, tout ceci afin de faciliter l’examen des questions consécutives aux jugements rendus par lesdits conseils. Ainsi en exécution de cette demande, le 1er bureau de l’état-major du 10e CA adressait un courrier du 12 juin 1917 précisant que 29 dossiers de procédure de la 20e DI ont été envoyés au conseil de guerre de la 10e région militaire dont 6 du 136e RI, 1 du 47e RI, 8 du 25e RI et 14 du 2e RI. Ces envois fournissent des résultats très variables ; ainsi on apprend par le général de Lardemelle que les conseils de guerre spéciaux n’ont pas fonctionné à la 74e DI.


Par conséquent, il reste à s’interroger sur les convocations des conseils de guerre ordinaires et sur le type de mise en jugement utilisé. Ce sont donc ces conseils de guerre ordinaires dans la zone des Armées qui serviront de base d’étude.

B- Répartition mensuelle par année hors conseils de guerre spéciaux :

Comme nous l’avons indiqué, les résultats que nous allons présenter doivent être « tempérés » par les diverses restrictions que nous avons énumérées précédemment.

1-année 1914 :


Les types de mises en jugement qui nous sont inconnues, représentent presque 15% du panel. Les citations directes s’élèvent à 55% et sont donc largement majoritaires par rapport aux mises en jugement ordinaires qui ne représentent que 30% de l’ensemble des jugements connus.

2-année 1915 :


Les types de mises en jugement qui nous sont inconnues, représentent presque 21% du panel. Les citations directes s’élèvent « quasiment » à 24% et sont donc minoritaires par rapport aux mises en jugement ordinaires qui représentent 56% de l’ensemble des jugements connus. A noter que les citations directes sont plus présentes au début de l’année 1915.

3-année 1916 :



Les types de mises en jugement qui nous sont inconnues, représentent 24% du panel. Les citations directes s’élèvent presque à 16% et sont donc minoritaires par rapport aux mises en jugement ordinaires qui représentent 60% de l’ensemble des jugements connus.

4-année 1917 :



Les types de mises en jugement qui nous sont inconnues, représentent presque 22% du panel. Les citations directes « avoisinent » 20% et sont donc toujours minoritaires par rapport aux mises en jugement ordinaires qui représentent 57% de l’ensemble des jugements connus.

5-année 1918 :



Les types de mises en jugement qui nous sont inconnues, représentent presque 9% du panel. Les citations directes s’élèvent « à près de » 18% et sont donc très minoritaires par rapport aux mises en jugement ordinaires qui représentent 72% de l’ensemble des jugements connus. Mais pour cette année 1918, la population étudiée est trop petite pour en déduire des conclusions fiables.

Pour l’ensemble des 5 années de guerre, la part des types de mises en jugement qui nous sont inconnues est de 20%, la part des citations directes s’élève presque à 28% et celle des mises en jugement ordinaires à 52%.

C- Répartition par division :

     Sur les tableaux suivants, nous avons quantitativement listé les divisions les plus répressives car bien évidemment cette liste ne se résume pas à une douzaine de divisions.

1-année 1914 :

Au cours de cette année 1914, certaines divisions comme la 12e, la 27e et surtout le QG de la 4ème armée utilisent majoritairement les citations directes mais on ne peut pas généraliser cette tendance à toutes les divisions qui, comme la 10e ou la 29e, ne semblent pas suivre cette ligne de conduite.

2-année 1915 :


En 1915, on semble être sur la même tendance en particulier pour le QG de la 4ème armée mais pour certaines divisions comme la 29e, le phénomène s’est inversé.

3-année 1916 :


En 1915, nous remarquions que la tendance semblait moins marquée qu’en 1914. En 1916, le « virage » semble se confirmer. Les divisions semblent beaucoup moins enclines à utiliser les citations directes.

4-année 1917 :


En 1917, les mises en jugement directes sont devenues bien moins nombreuses que le type « ordinaire ».

5-année 1918 :


En 1918, c’est également le cas mais nous sommes sur des petits nombres ce qui exclut toute conclusion.

6-totalité du conflit :

Plusieurs divisions ont largement fait usage des citations directes comme la 11e DI ou la 5e DI mais également et surtout le QG de la 4ème armée.

 

C- Evolution des mises en jugement ordinaires et citations directes dans la zone des armées : 

 



Tout d’abord, il est nécessaire d’évoquer les types de mise en jugement qui nous sont inconnus. Globalement, ces cas représentent 20% du panel total des fusillés dans la zone des armées hors conseils de guerre spéciaux. Bien évidemment, le graphique le montre assurément, une forte quantité de cas inconnus correspond à un manque d’information pour les jugements ordinaires comme on peut le voir pour les mois de mai 1915 et 1916. Globalement, cela représente 111 cas ou en moyenne, mensuellement à 2 cas.

La courbe d’évolution mensuelle des jugements en citation directe présente 3 pics importants en octobre 1914, mars 1915 et juin 1917. Quelle est l’origine de ces 2 premiers pics ? Prisme, souhaitant vérifier une hypothèse, s’est référé à certains indices mentionnés dans les courriers officiels comme celui-ci-dessous.


Pour cela, Prisme a réalisé la simulation suivante permettant d’évaluer l’impact des mutilations volontaires sur les 2 types de mise en jugement comme si les mutilations volontaires n’avaient pas été sanctionnées par la peine de mort suivi d’exécution.

Prisme rappelle qu’il a déjà publié 2 articles concernant ces mutilations volontaires : « les mutilations volontaires et l’affaire du chasseur B » et « les mutilés volontaires ».

 


Cette simulation montre que le retrait des cas de mutilation volontaire diminue notablement l’importance des pics de fusillés par citation directe. Il ne fallait pas s’attendre pour autant à la disparition des mises en jugement directes ; la circulaire « très confidentielle » du 16 septembre du ministre de la Guerre concernant l’application de l’article 156 du code de justice militaire diffusée depuis Bordeaux, rappelait sans ambages les directives à appliquer.


C’était toujours le cas en juin 1917 sous la houlette de Pétain.


Le 3e pic apparaissant en juin 1917 sur les courbes ci-dessus correspond aux évènements des mutineries. Comme le rappelait le général Pétain, à chaque fois que la « gravité » d'un crime réclamera un châtiment prompt et exemplaire, l'article 156 pourrait être utilisé. La période des mutineries a généré beaucoup de condamnations à mort dont une grande majorité ont été soit cassées par les conseils de révision, soit commuées par les décrets de grâce du Président de la République. Néanmoins on doit constater une nette augmentation du recours aux citations directes, l'importance des mutineries justifiant, aux yeux de la haute hiérarchie militaire, une réponse ferme et rapide. La position de cette haute hiérarchie militaire étant mal aisée quand on se souvient des propos du Ministre Painlevé, à la réunion de Compiègne, qui demandait pourquoi les officiers n’appliquaient pas les prescriptions de l'article 121 du règlement sur le service en campagne en forçant l'obéissance des soldats impliqués dans les mutineries. Le Général Pétain ayant fait observer qu’il est extraordinaire que, alors qu’à l’intérieur on n’ose prendre aucune mesure ou qu’on les prend en s’entourant de toutes les précautions possibles contre un fauteur de désordre, à l’avant, au contraire, on doit prendre les mesures les plus graves immédiatement.

E- Quelques exemples de militaires français fusillés avec citation directe :

1-cas Eymonet/Tachon :

Le 1er septembre 1914, dépendant du 15e CA, l’objectif du 61e RI est de s’emparer des hauteurs au nord de Lunéville et s’y maintenir. Après plusieurs tentatives infructueuses, les unités engagées ne pourront s’acquitter de leur objectif.


Le rapport du lieutenant Boulanger nous apprend que : le soldat Eymonet a abandonné sa section, au cours de l’engagement du 1er septembre et n’a rejoint la compagnie que le 3 septembre. Ce soldat ayant déjà abandonné son poste, le 20 août à Dieuze, le Commandant de la 1ère compagnie à l’honneur de demander que cet homme soit traduit devant un conseil de guerre.

La plainte du Lt Boulanger a été transmise au chef du bataillon puis au commandant du régiment qui ont approuvé cette demande. A noter que ce lieutenant n’a déclenché aucune plainte lors de la précédente « défaillance » du soldat Eymonet.


Le lendemain, 4 septembre, le général Colle commandant la 30e DI ordonna la mise en jugement directe du soldat Eymonet et du soldat Tachon également concerné dans cette affaire. Le conseil de guerre est convoqué le 10 septembre à 14 heures.

Le dossier de cette affaire située, rappelons-le, en septembre 1914, est plutôt succinct : les ordres de mise en jugement, les plaintes, les relevés de punitions, les états signalétiques, les citations directes, le PV d’exécution, le rapport du médecin mais on ne trouve pas trace d’interrogatoires des accusés, ni de notes d’audiences.


Nous savons que lors du jugement, 3 questions ont été posées aux juges :

1-le soldat Eymonet du 61e RI est-il coupable d’avoir le 1er septembre abandonné son poste ?

2-Ledit abandon a-t-il eu lieu en présence de l’ennemi ou de rebelles armés ?

3- Ledit abandon a-t-il eu lieu sur un territoire en état de guerre ?

A l’unanimité, les juges ont répondu « oui » à ces 3 questions.

En conséquence, en application des articles 213 et 188 du code de justice militaire, les juges ont condamné les soldats Eymonet et Tachon à la peine de mort et à la dégradation militaire.


Le lendemain, le médecin aide-major Daumas commis à cet effet, a constaté le décès de ces militaires. A noter qu’un 3ème militaire français du 55e RI, le soldat Maire, a été condamné à mort avec le même type de procédure le 10 septembre 1914 par le conseil de guerre de la 30e division puis fusillé avec Eymonet et Tachon au lieu-dit « le pré » dans la Meuse.

Le jugement de cette affaire a eu lieu le 10 septembre au cours de la 1ère période de l’exceptionnalité du recours en grâce, période la plus critique pour un condamné à mort. Visiblement, le général Colle a estimé que ce dossier ne méritait pas d’être adressé au Président de la République pour un recours en grâce. Le décret du 1er septembre lui donnait le droit d’être le seul juge en la matière. Le recours en révision était également suspendu depuis le 17 août 1914. Dans ces circonstances et compte tenu de la très délicate situation militaire côté français qui rappelait l’épilogue de la guerre de 1870, le destin de ces 2 hommes était malheureusement tout tracé : la mort.

Dans ce dossier, le général Colle a eu recours à l’article 156, mais compte tenu des circonstances, s’il avait décidé d’utiliser la procédure normale, il est fort probable que le résultat aurait été le même. Néanmoins, l’absence d’une instruction préalable instruite par un officier de police judiciaire nuit gravement aux droits d’un prévenu. Par ailleurs, les courbes ci-dessus le montrent bien, plus on avancera dans la guerre, moins cette procédure sera utilisée.

Victor Foucher, conseiller à la Cour de cassation, indiquait que : le général, auquel il appartient de donner l’ordre d’informer, ne doit traduire directement devant le conseil de guerre pour des crimes de haute gravité.

2-cas Chenut :

Le 24e RI dont le soldat Chenut fait partie, occupe une position à Cormicy au nord/ouest de Reims. Le JMO du service de santé divisionnaire de la 6e DI mentionne pour le mois de janvier 1915 et concernant le 24e RI : 7 tués, 25 blessés et aucun disparu. C’est un secteur « relativement » calme.


Le 15 janvier 1915, vers 6 heures du soir, le soldat Chenut Raoul faisant du bruit dans le cantonnement, le caporal Huet Léon lui donna l’ordre de faire silence. A cet ordre, le soldat Chenut, sans aucun autre motif, se jeta sur le caporal Huet et lui lança 2 coups de poing à la figure et un coup de crosse à la hanche en lui disant : « Merde, tu me fais chier ».

Deux jours plus tard, le sous-lieutenant Fournier, commandant la compagnie demanda au colonel commandant le régiment, la traduction de Chenut devant le conseil de guerre pour voies de fait envers son supérieur. Le 21 janvier, cette plainte a été transmise avec avis favorable au général Jacquot commandant la 6e division.

Le 27 janvier, le général Jacquot, commandant la 6e division, ordonna la mise en jugement directe de Chenut et la convocation du conseil de guerre pour le 29 janvier à 13 heures. Le même jour, le sous-lieutenant Bourgeois, commissaire-rapporteur rédigeait la comparution de Chenut devant le conseil de guerre. Cette convocation a été signifiée à Chenut par le gendarme Chiroux de la prévôté de la division. Les témoins convoqués étaient le caporal Huet, les soldats Marquis, Quedville et Leperrier.

A ce stade, on remarque que la plainte du sous-lieutenant Fournier, comme la transmission de celle-ci par le colonel commandant le 24e RI, n’ont pas été faites avec célérité. On remarque également que même si aucun officier de police judiciaire n’a été nommé, le prévenu, la victime et les témoins des évènements ont été entendus, leurs dépositions ont été actées et transmises au général Jacquot.

D- Qu’avez-vous fait en rentrant ?

R-J’ai mangé et c’est pendant le repas que la discussion a commencé.

D- Comment a commencé la discussion ?

R- Je ne sais comment a commencé la discussion. Tout ce que je me rappelle, c’est que je causais avec des camarades et c’est en chinant le caporal Huet que la discussion a dû arriver. Je ne me rappelle pas avoir frappé le caporal Huet et le matin en m’éveillant, je ne savais plus où j’étais.

D- Avez-vous eu déjà des discussions avec le caporal Huet ?

R- Non, j’étais venu avec lui de Bernay.

D- Regrettez-vous cette faute ?

R- Je la regrette profondément.

D- Vous êtes-vous aperçu qu’il avait bu ?

R- Je ne me suis aperçu qu’il avait bu que quelque temps après.

D- Qu’a-t-il fait à sa rentrée ?

R- A sa rentrée, il a commencé par la soupe. Il est entré ensuite en conversation avec les autres hommes de son escouade

D- Quel était l’objet de la conversation ?

R- La conversation portait sur les gradés et qu’il n’y en avait pas besoin. A ce moment, je lui ai donné l’ordre de se taire, il m’a répondu que ce n’était pas un caporal qui allait le faire taire. Je me suis approché de lui pour l’inviter au silence et c’est à ce moment qu’il m’a lancé deux coups de poing à la figure et s’emparant de son fusil, m’en a lancé un coup avec la crosse au côté gauche.

D- Chenut avait-il l’habitude de boire ?

R- Je ne me suis jamais aperçu qu’il buvait

D- Quelles relations avait-il avec ses camarades ?

R- Il était toujours en discussion avec ses camarades et pour un oui ou un non, il leur cherchait querelle et parlait de prendre sa baïonnette.

faire taire et Chenut lui alors lancé 2 coups de poing puis attrapant son fusil à côté de lui, il l’a frappé d’un coup de crosse à la hanche

D- Chenut est-il un bon camarade ?

R- C'est un sale individu, il cherche des raisons à tout le monde ; c’est un homme qui n’est pas intéressant et j’avais l’intention de demander à changer d’escouade. D’ailleurs, Chenut se vante d’avoir passé en cours d’assises pour meurtre et d’avoir fait 6 mois de prison pour coups et blessures et d’être insoumis à la loi militaire. C’est pour ces raisons qu’il aurait été incorporé aux Bon d’Afrique.

Les dépositions des soldats Quedville, Mézières et Marquis sont similaires à celle du soldat Leperrier ci-dessus.

Si le relevé de punitions du soldat Chenut est très peu étoffé, son casier judiciaire montre 3 condamnations : la 1ère pour abus de confiance sanctionné par 2 mois de prison avec sursis, la 2e pour vol sanctionné par 3 mois de prison, la 3e toujours pour vol sanctionné par 1 mois de prison. Son incorporation aux Bataillons d’Afrique est bien réelle mais pour des motifs un peu moins impressionnants que ceux décrits par Chenut selon le soldat Leperrier. Le soldat Chenut est arrivé à la 5e compagnie le 1er septembre 1914, il n’a jamais pris part à un engagement selon son commandant de compagnie et sa conduite n’a pas donné lieu, selon lui, à critique jusqu’à présent.

L'instruction de l'affaire semblait se dérouler selon le schéma "classique". Pourtant le 27 janvier 1915, le général Jacquot commandant la 6e Division, au vu du dossier d'instruction préparatoire adressé le 21 janvier par le colonel Pineau commandant le 24e RI, utilisa l'article 156 pour convoquer le conseil de guerre deux jours plus tard.

Le conseil de guerre de la 6e DI s’était réuni le 29 janvier 1915 :


Le défenseur désigné d’office était le sergent Legrand du 5e RI.

Les notes d’audience de Chenut ne fournissent pas d’autres éléments éclairants les faits.

J’ai en ma faveur d’avoir toujours été sur le front, dans la tranchée. Je reconnais avoir encouru trois condamnations (1 mois, 2 mois, 3 mois de prison) pour vol et abus de confiance. Envoyé aux bataillons d’Afrique en 1913, j’y suis resté 13 mois. J’étais bien noté par mon capitaine et n’ai encouru que deux punitions de consigne sans gravité.
J’étais soldat auxiliaire au 5e bataillon d’Afrique. J’avais été classé dans le service auxiliaire pour mauvaise dentition. J’ai cherché au bataillon à racheter mes fautes passées. Je regrette maintenant la faute grave que je viens de commettre sous l’emprise de l’ivresse. Je demande l’indulgence du conseil. Je n’ai rien d’autre à ajouter.

La déclaration du caporal Huet devant les juges reflète sa déposition antérieure mais il ajoute : c’est bien en ma qualité de gradé que j’ai dû intervenir et dans le but de mettre de l’ordre dans le gourbi. Je crois que Chenut était jaloux de moi parce que je venais d’être nommé caporal et qu’il aspirait lui-même à ce grade.

Je n’étais guère camarade avec Chenut parce que pour les motifs les plus insignifiants, il nous menaçait. J’aurais été heureux de le voir quitter l’escouade. Le caporal est intervenu en sa qualité de gradé pour faire cesser le bruit que faisait Chenut. Le caporal a bien dit à Chenut un peu avant la scène : » je ne te demande pas ce que tu as bu ». Je n’ai rien d’autre à ajouter.

Sur les faits, les déclarations des autres témoins sont similaires à celle du soldat Quedville.

A l’issue des débats, 4 questions ont été posées aux juges :

1-Le soldat Chenut Raoul Charles du 24e RI est-il coupable d’avoir, le 15 janvier 1915, à Cormicy (Meuse) exercé des voies de fait envers son supérieur le caporal Huet du même régiment ?

2-Lesdites voies de fait ont-elles eu lieu à l’occasion du service ?

3-Le même est-il coupable d’avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, outragé par paroles son supérieur, le caporal Huet, du même régiment ?

4-Lesdits outrages ont-ils eu lieu à l’occasion du service ?

Les juges ont répondu :

A la 1ère question : à l’unanimité, oui, l’accusé est coupable

A la 2ème question : à la majorité de quatre voix contre une, oui

A la 3ème question : à l’unanimité, oui, l’accusé est coupable

A la 4ème question : à la majorité de quatre voix contre une, oui

En conséquence, le conseil de guerre a condamné, à l’unanimité, le soldat Chenut à la peine de mort par application des articles 223, 224, 135, 185, 187 et 139 du code de justice militaire.

Ce jugement permet de revenir sur cet article 223 car un des juges a estimé que les voies de fait et les outrages n’avaient pas eu lieu à l’occasion du service. Au-delà du débat concernant « le service » ou « à l’occasion du service » qui a eu lieu entre les législateurs de l’époque, il faut revenir sur la définition « du service » qui est formulée ainsi dans le commentaire sur le code de justice militaire de Pradier-Fodéré / Le Faure : toutes les fois que le militaire accomplit un des devoirs qui lui est commandé tels qu’une corvée, une garde, un exercice, une prise d’armes, il est de service.

Ainsi, il a été jugé le 4 juillet 1874, par le 2e conseil de guerre de Paris, qu’un officier en tenue est dans le service lorsqu’il donne l’ordre de rentrer à la caserne à un soldat causant du scandale dans la rue (commentaire abrégé sur le code de justice militaire du capitaine A Vexiau de 1876). Ce jugement a été confirmé le 15 du même mois par le conseil de révision de Paris (après 1906 et hors période de guerre, la Cour de Cassation s’est substituée au conseil de révision).

Dans le cas Chenut, un des juges a estimé que le fait d’être au cantonnement, rendait le lieu des évènements hors du service. Or, Chenut a reçu un commandement de la part du caporal Huet, c’est ce qui ressort des dépositions des témoins, Chenut était donc en service.

Comme pour le soldat Eymonet, cette affaire a eu lieu au cours de la 1ère période de l’exceptionnalité du recours en grâce, période la plus critique du conflit pour un condamné à mort. Le recours en révision était également suspendu depuis le 17 août 1914. Pour Chenut, le général Jacquot a estimé que son dossier méritait d’être adressé au Président de la République pour un recours en grâce. Le décret du 1er septembre 1914 lui donnait le droit d’être le seul décideur en la matière car à cette date aucun juge n’avait le droit de demander un recours en grâce.

Il s’est passé un mois entre le jugement et l’exécution de Chenut, période au cours de laquelle le dossier de Chenut a d’abord transité par la direction du contentieux du Ministère de la guerre qui a émis un avis puis par la direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la justice. C’est une des raisons qui a conduit le général Bach à introduire dans les études du Prisme, la notion de « cohorte » explicitée en tête de cet article.

Pour Chenut, le commissaire-rapporteur a demandé la commutation de la peine de mort ; le général de division comme son supérieur le général de Corps d’Armée ont également demandé la commutation de la peine. Ces derniers ont considéré que Chenut était un bon soldat au feu mais le général d’Armée, le général en Chef et la direction du contentieux du Ministère de la guerre étaient d’un avis contraire. Le général en Chef et le Ministre de la Guerre proposent l’exécution.


Comme « d’habitude », la direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la justice et le garde des Sceaux ont suivi l’avis de la « Guerre ». Le Garde des Sceaux a déclaré qu’il n’avait aucune objection à ce que la justice suive son cours.


Le 26 février 1915, le recours en grâce de Chenut était rejeté. Deux jours plus tard, vers 15 heures, la vie de ce militaire s’achevait à la ferme de Châlons le Vergeur sur la commune de Bouvancourt dans la Marne.

Dans ce dossier comme dans 32% des cas au cours de la 1ère période de l’exceptionnalité du recours en grâce, le général de division a adressé un recours en grâce mais, même soutenu par le commissaire-rapporteur et le général de Corps d’Armée, le général de division n’a pas le « poids » du général d’Armée et du général en Chef. Il faut bien « mesurer » l’importance de ces 32% au cours d’une période où le recours en grâce aurait dû rester « exceptionnel » selon le décret du 1er septembre 1914, car ces 32% sont très loin de l’exceptionnalité recommandée, et on doit s’interroger sur ces généraux qui ont demandé ces recours en grâce au cours d’une période où ils étaient les seuls à pouvoir le faire. Le soldat Chenut fait partie des 82 cas pour lesquels, au cours de la 1ère période de l’exceptionnalité du recours en grâce, le Président de la République a estimé que la justice devait suivre son cours.

3-cas Vaucel :


Le 10 janvier 1916, au cours d’une action dans laquelle sa compagnie était engagée depuis la veille aux environs de Maisons de Champagne, le soldat Vaucel du 317e RI fut désigné par son caporal pour aller à la corvée d’eau. Il quitta la tranchée et ne revint pas. Il sortit des boyaux, grimpa dans une voiture de ravitaillement, prit un train de permissionnaires, se rendit à Dreux, cacha ses effets militaires et travailla dans différentes fermes où il fut interpellé le 29 mai 1916 par la gendarmerie.


Vaucel déclara se nommer Spinasse en congé de convalescence jusqu’au 11 juillet. Sous prétexte d’aller chercher ses papiers restés à la ferme, Vaucel s’enfuit. Repris par les gendarmes 2 km plus loin, il finit par avouer sa véritable identité et être déserteur du 317e RI depuis le 11 janvier 1916.

Soldat de la classe 1908, ses parents étant décédés, Vaucel a été appelé à la mobilisation début 1915. Arrivé le 26 janvier 1915 au dépôt du 101e RI, affecté au 301e RI le 4 mai 1915, Vaucel a été versé au 317e RI le 12 juin 1915 avant d’être porté disparu 11 janvier 1916.

Le relevé de punitions de ce militaire est presque vierge mais son casier judiciaire comporte 2 condamnations pour vol en 1905 et 1906. Au 317e RI, avant sa défaillance du 10 janvier, Vaucel s’est bien comporté.

Une plainte ayant été déposée par le commandant de la compagnie, le général Rozée d’Infreville commandant la 8e DI ordonna la mise en jugement direct de ce militaire le 19 juin 1916.


Suivant l’ordre du général Rozée d’Infreville, le conseil de guerre de la 8e DI s’était réuni le 26 juin 1916.


Les notes d’audience fournissent certains éléments.

Je suis revenu à la borne 16, j’ai pris la voiture de ravitaillement et je suis arrivé à Valmy. Je me suis dirigé vers la gare où j’ai pris un train de permissionnaires. Je suis arrivé à Dreux où je me suis habillé en civil.

Le 1er témoin est le sergent Amourette qui a déclaré : Je connaissais l’accusé avant les faits qui lui sont reprochés. Le 10 janvier, nous avons eu une attaque. J’ai commandé Vaucel pour une corvée d’eau. Il est parti et n’est pas revenu à la compagnie. Depuis qu’il est sous mes ordres, j’ai toujours été satisfait de lui au petit poste. J’attribue son fait à une faiblesse morale. Le neuf, jour de l’attaque par les flammes, Vaucel s’est fort bien conduit.

Le 2e témoin, le soldat Lallier, témoigne : Etant à l’escouade, j’ai été désigné par le sergent Amourette pour aller faire une corvée d’eau avec Vaucel et Vergnaud. J’ai fait les combats de Champagne avec Vaucel et il s’est fort bien conduit.

Le 3e témoin, le soldat Vergnaud, raconte : Mon caporal m’avait désigné avec Vaucel pour aller faire une corvée d’eau. A ce moment-là, il y a eu un violent bombardement. Mon camarade Vaucel part, moi je suis retourné à la compagnie. Le neuf janvier, nous étions en ligne. Il y a eu beaucoup de marmitages et nous cherchions un abri pour nous mettre. Il y avait attaque le dix et le onze janvier. Le dix, elle a eu lieu à trois heures et nous avons été commandés à ce moment pour la corvée. J’ai pu rejoindre les tranchées seulement vers minuit. Il faisait encore jour lorsque je me suis aperçu que Vaucel n’y était plus. J’ai cru qu’il avait été tué dans le boyau. En retournant, mon caporal m’a demandé où était mon camarade : j’ai répondu que je n’en savais rien.

A l’issue des débats, à l’unanimité, les juges ont déclaré Vaucel coupable et l’on condamné à la peine de mort par application des articles 213 § 1 et 187 du code de justice militaire.

Comme il en avait le droit depuis la parution du décret du 8 juin 1916 rétablissant le recours en révision, Vaucel a demandé la révision de son jugement.


Le 4 juillet, le conseil de révision de la 4e Armée a rejeté le pourvoi du soldat Vaucel.

Deux juges, le capitaine Eluard et l’adjudant Desile, tous deux du 317e RI ont signé une demande de recours en grâce en faveur de Vaucel considérant que ce dernier s’était bien conduit lors des combats du 9 janvier 1916.

Le sergent-major Amat, son avocat, a écrit au Président de la République pour demander la grâce du soldat Vaucel.


Le dossier de Vaucel a été transmis à la direction du contentieux du Ministère de la guerre qui a émis un avis défavorable, le destin de Vaucel était malheureusement tout tracé.

La direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la Justice, comme dans la grande majorité des cas, a suivi l’avis du Ministère de la Guerre. Le Garde des Sceaux n’a émis aucune objection, le sort de Vaucel était définitivement joué.


Le Président de la République n’a fait qu’entériner les avis des Ministères de la Guerre et de la Justice.


Le 23 juillet 1916 vers 4 heures du matin, la vie du soldat Vaucel s’achevait dans un vallon près du bois de Nixeville (Meuse), le médecin aide-major Ducros constatant son décès.

Contrairement aux précédents cas, le jugement de Vaucel a eu lieu au cours de la seconde période de l’exceptionnalité du recours en grâce, période qui fut moins critique pour les militaires français condamnés à mort que la précédente. Il a pu bénéficier du rétablissement du recours en révision, du soutien de la demande de grâce de 2 juges du conseil de guerre qui obligeait le général de division à transmettre automatiquement son dossier au Président de la République mais cela n’a pas suffi. En effet, ce dernier a suivi l’avis de la direction du contentieux du Ministère de la Guerre, ignorant celui du commandement local pourtant mentionné dans la synthèse de la direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la Justice.

Le recours à l’article 156 a-t-il contribué à cette triste conclusion ? On ne peut pas mettre ce résultat sur le compte de la célérité de la procédure ; 14 jours se sont écoulés entre l’arrestation de Vaucel et le dépôt de la plainte, puis 5 jours avant l’ordre de mise en jugement direct, et enfin 7 jours avant le jugement ; c’est plus que beaucoup d’autres procédures. On ne peut que présumer de la volonté des autorités hiérarchiques de sanctionner la « cavale » de 5 mois de Vaucel aggravée par la dissimulation de son identité et sa tentative d’échapper aux gendarmes.

F-Conclusion :

D’emblée, comme Prisme le soulignait en introduction, le recensement des 2 types de mise en jugement s’avère plus délicat qu’on le pense et nécessite un regard attentif à chaque dossier de militaire français fusillé.

La découverte du boson de Higgs au CERN en 2012 a été très importante pour les chercheurs en physique théorique ; on ne peut dire qu’il en a été de même en ce qui concerne l’utilisation de l’article 156 du code de justice militaire. Cet article ne concerne pas toutes les condamnations à mort conduisant à l’exécution de fusillés. L’étude de ces procédures ne permet pas de formuler une théorie bien rangée, bien structurée permettant d’expliquer ces évènements.

Comme cela a été indiqué précédemment, Prisme rappelle que son étude a été réalisée sans tenir compte des conseils de guerre spéciaux car ceux-ci ont fait systématiquement appel à l’article 156 du code de justice.

Le recensement des types de mise en jugement des fusillés hors conseils de guerre spéciaux montre que dans 20,4%, des cas on ignore, pour les raisons précédemment énoncées, le type de mise en jugement qui a été utilisé. Les mises en jugement directes ou citations directes représentent 27,4% de l’ensemble des militaires français fusillés dans la zone des armées. La part des mises en jugement ordinaires s’élève à 52,1%. S’agissant de la population des mises en jugement connues, les mises en jugement ordinaires représentent les 2/3 du panel.

Les courbes de l’évolution mensuelle des 2 types de mises en jugement des militaires français fusillés montrent qu’en dehors de 3 pics importants en octobre 1914, mars 1915 et juin 1917, l’utilisation des mises en jugement directes a été relativement minoritaire. Certes, la citation directe fluctue suivant les périodes mais les mises en jugement ordinaires représentent la majorité.

Prisme a remarqué que les cas de mutilations volontaires ont été souvent sanctionnés par des citations directes répondant en cela aux directives ministérielles. Nous avons évalué l’impact sur les citations directes comme si les mutilations volontaires n’avaient pas été sanctionnées soit par l’article 213 § 1, soit par l’article 218 § 1 et donc passibles de la peine de mort. L’allure du graphique sans les mutilations volontaires change assez fortement surtout en ce qui concerne la courbe représentant les citations directes ; certes les 2 pics du début du conflit sont encore présents mais ils sont notablement plus atténués. Ils sont explicables par l’entrée en guerre et la nécessité par l’autorité militaire, appuyée en cela par les directives du ministre de la Guerre, d’affirmer l’impérieuse nécessité de discipline militaire énoncée par les théoriciens du code de justice militaire de 1875. Si les mutilations volontaires n’avaient été sanctionnées par la peine de mort, la part de mises en jugement ordinaires connues s’élèveraient alors aux ¾ du panel des fusillés dans la zone des armées hors conseils de guerre spéciaux.

Que les cas de mutilations volontaires soient ou ne soient pas pris en compte, Prisme remarque qu’à partir du mois d’avril 1915, hormis le mois de juin 1917, les citations directes sont généralement assez peu utilisées parmi la population des militaires français condamnés à mort puis fusillés. Bien sûr, ces remarques doivent être tempérées par la part non négligeable du type de mises en jugement qui sont inconnues.

En tenant compte des types de mises en jugement qui nous sont inconnus, cette étude montre que les mises en jugement directes utilisées par les conseils de guerre « ordinaires » ne sont que très minoritairement responsables des condamnations à mort qui ont conduit des militaires français devant un peloton d’exécution. Être traduit devant un conseil de guerre ordinaire pour un motif conduisant à la peine de mort et ce quel que soit le type de mise en jugement, n’avait donc que peu d’influence sur le destin d’un potentiel fusillé, en particulier au cours la 1ère partie de la période de l’exceptionnalité du recours en grâce (septembre 1914/octobre 1915). Une nouvelle fois, Prisme, en étudiant ces mises en jugement directes, démontre que le mythe associé à ces jugements n’a aucun fondement statistique. Etude après étude, Prisme continue de « déconstruire » plusieurs de ces mythes créés au sortir de la Grande Guerre sans aucune base statistique. Prisme n’épiloguera pas sur les raisons qui ont permis à ces mythes de se maintenir au fil des années comme des croyances populaires irrationnelles.

A l'instar du général André Bach, la position du Prisme est toujours la même : le citoyen français a le droit d’être informé sur les conditions de fonctionnement de la Justice militaire de cette époque et de connaître la part de responsabilité respective du pouvoir politique, de la haute hiérarchie militaire et des militaires français inculpés.

Pour André


 

 

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