Comme promis, une fois les fêtes de fin d’année passées, Prisme s’est penché sur les renseignements fournis par la série de tableaux présentés sur le Site Mémoire des Hommes / Base des Fusillés concernant les fusillés dits « pour l’exemple ».
Plusieurs tableaux de chiffres nous sont proposés. Nous allons les examiner successivement.
Tableau 3 : Fusillés dont la condamnation est documentée par les archives des conseils de guerre
Parlons clair. Ce premier tableau manque nettement de sérieux scientifique.
Plusieurs tableaux de chiffres nous sont proposés. Nous allons les examiner successivement.
Tableau 3 : Fusillés dont la condamnation est documentée par les archives des conseils de guerre
Parlons clair. Ce premier tableau manque nettement de sérieux scientifique.
Ici, ce qui saute aux yeux est la dénomination arbitraire, aberrante et fantaisiste, des colonnes. Ces dernières ne rendent absolument pas compte de la façon dont la Justice militaire était rendue durant la guerre, et cette juxtaposition sans expliquer les différences d’administration de la Justice ne peut qu’induire les chercheurs, en ce domaine, dans l’erreur.
Les fusillés y sont répartis en quatre colonnes, « Aux Armées », « Régions militaires », « Paris », « Outre-mer ». Elles n’attirent pas l’attention sur le fait que les jugements l’ont été par des Conseils de guerre fonctionnant avec des garanties différentes pour les accusés, ce qui est, pourtant, de la plus grande importance.
Durant toute la guerre, la Justice militaire a, en effet, fonctionné différemment selon que l’on était au front ou à l’arrière.
Le Temps de Paix
En temps de paix, il n’existait qu’un type de Conseil de guerre, dit « permanent », implanté au siège des Quartiers Généraux des Corps d’armée. Régis par le Code de justice militaire de 1857, il prenait son temps pour instruire les affaires, veillant à la bonne tenue des procédures, car ses décisions pouvaient être l’objet de pourvoi en cassation.
Le Temps de Guerre
Tout autre a été le Conseil de guerre « temporaire » itinérant, mis en place pour la première fois au déclenchement du premier conflit mondial. Ce dernier, dans l’esprit et la lettre, avait été anticipé, pensé et défini par une loi dite « pour le temps de guerre » du 18 mai 1875 : restriction du nombre des juges, confusion des fonctions du juge d’instruction et d’accusateur public, suspension possible du droit d’appel, exécution à la discrétion du commandement militaire, maintien du bout des lèvres de la possibilité de recourir au droit de grâce du Président de la République. Pour indiquer dans quel état d’esprit devaient se comporter les juges militaires et quelles étaient alors les priorités, une phrase lapidaire du rapport introductif montrait la voie :
« L’instruction pourra être aussi sommaire qu’on le jugera convenable et les formalités ordinaires ne seront remplies que si on a le temps de les appliquer. »
Cette brutale transformation ne concernait que ces Conseils de guerre temporaires aux armées, non les Conseils de guerre permanents qui continuaient, en temps de guerre, à siéger dans les mêmes lieux qu’en temps de paix, sous le contrôle du Ministère de la Guerre. La justice a continué à y être rendue par un collège de sept juges. Les condamnés ont continué à avoir le droit de se pourvoir en révision, voire en cassation. La seule différence notable a tenu à l’accroissement des compétences.
L’état de siège
Déjà, le 2 août 1914, au lendemain de la mobilisation générale, un décret, confirmé le 4 août par les Chambres, plaçait le territoire entier de la France et de l’Algérie en état de siège. De ce fait, ces Conseils de guerre pouvaient avoir à juger des civils si le commandement militaire estimait qu’il y avait atteinte à l’ordre public.
Comme l’a précisé le sénateur P.E. Flandin, dans son Rapport « Au nom de la Commission chargée d’examiner la proposition de loi, adoptée par la Chambre des Députés, relative au fonctionnement et à la compétence des tribunaux militaires en temps de guerre » début 1916 :
« A la suite de la déclaration de l’état de siège, la compétence des Conseils de guerre permanents s’étend en outre à tous les crimes et délits contre la sûreté de la République, contre la Constitution, contre l’ordre et la paix publique.
C’est ainsi qu’aux termes de la jurisprudence, les actes de pillage, de sabotage, les actes de destruction, les vols au préjudice de l’Etat, les actes de rébellion, de violence et d’outrages à commandants et agents de la force publique, les actes de provocation à la désobéissance, les cris séditieux, les publications de fausses nouvelles, les outrages et diffamations envers l’armée, les délits d’indiscrétion de presse, etc., pourront être, quelle que soit la qualité des auteurs, et des complices, renvoyés à la connaissance des Conseils de guerre. »
Autre différence : pour faire face à l’afflux supposé de condamnations et permettre l’appel en révision, huit conseils de révision furent initialement créés à l’arrière par décret du 11 août 1914 : Amiens, Châlons-sur-Marne, Troyes, Besançon, Paris, Bordeaux, Marseille, Alger (avec compétence sur les territoires du sud et la Tunisie). Amiens, Châlons-sur-Marne et Troyes n’eurent qu’une vie éphémère du fait de leur passage en zone des Armées, où le pourvoi en révision était suspendu. Nantes prit le relais.
Ce fonctionnement a été maintenu durant toute la guerre dans les sièges de Région militaire dont Paris.
Trois conclusions apparaissent :
- Il est logique de regrouper en un seul ensemble ceux qui ont été jugés par un appareil de justice fonctionnant sur les mêmes règles : Intérieur-Algérie
- Ces juridictions n’ont pas traité que de crimes de soldats mais aussi, à la discrétion du commandement militaire, de ceux de nombreux civils, en particulier pour espionnage
- Contrairement à celle dans la Zone des Armées, cette justice n’a pas eu à traiter de ce qui fait plus de 80 % des crimes militaires, à savoir les abandons de poste et les refus d’obéissance « en présence de l’ennemi », puisque, par définition,cette présence n’existe pas, à l’arrière.
Aussi Prisme a-t-il choisi de décompter à part les fusillés issus de jugements de l’arrière, Algérie comprise, (19ème Région Militaire) puisque jugés par des Conseils de guerre fonctionnant avec les mêmes règles.
La construction des tableaux est toujours une opération scientifique longuement raisonnée pour en faire un véritable outil de recherche.
Le tableau 1 n’en est pas un
Pour nous, il faut regrouper Paris, l’Arrière et l’Algérie. La récupération de données est facile en ce qui concerne Paris et l’Arrière, mais plus problématique pour l’Algérie. On nous a dit que les fusillés d’Algérie étaient regroupés en colonne « Outre-mer », au même titre que les fusillés de l’armée d’Orient. De ce fait, nous ne pouvons pas comparer avec nos chiffres car cette rubrique « Outre-mer », très curieuse d’ailleurs par rapport aux concepts politiques et géographiques enseignés, nous fournit des données inexploitables scientifiquement. Elle mélange, paraît-il, des inculpés jugés, les uns par des Conseil de guerre permanents (Arrière-Algérie), les autres par des Conseils de guerre temporaires (zone de combat : Armée d’Orient).
Le site MDH nous explique que la constitution des tableaux l’a été en exploitant la dénomination des fonds archivistiques. Il y aurait donc un Fonds dit « Outremer » regroupant les départements français d’Algérie, l’Armée d’Orient, le reste du monde ???
On ne peut travailler sur un ensemble qui, historiquement et géographiquement, ne correspond à aucune réalité matérielle, sur un concept qui n’existe pas.
Prisme n’aura pas la cuistrerie de souligner la faiblesse intellectuelle caractérisant la décision de fabriquer cette rubrique fourre-tout, mélangeant les départements français d’Algérie et le théâtre de Salonique, qui ne peut être déclaré « outre-mer » que depuis un continent autre qu’européen. Si le fonds archivistique s’appelle vraiment « outremer », expliquer ce qu’il contient de manière un peu détaillé serait bien venu.
La colonne « Aux Armées », en revanche, n’apporte aucune critique. Il s’agit là de la Justice militaire en temps de guerre, justice marquée par la volonté de faire des exemples, de juger vite, sans trop s’embarrasser des procédures, le critère de rapidité l’emportant sur celui du respect de ces dernières, avec cinq juges et même trois dans les Conseils de guerre spéciaux. Cette justice est surtout protégée de la contestation par l’interdiction de faire appel en révision et même par la quasi interdiction de demander la grâce présidentielle.
A l’arrière au contraire, rien ne presse, les dossiers sont instruits en respectant la procédure, l’accès aux avocats est facilité. La bataille commence quand ces derniers entament les procédures d’appel en révision, en cassation ensuite auprès des magistrats civils. L’épaisseur des dossiers, la longueur des procédures montrent tout de suite qu’on n’est pas dans une justice, auxiliaire directe de la discipline telle qu’elle est pratiquée au front.
Alors que la possibilité de se pourvoir en révision ne sera accordée aux armées que le 8 juin 1916, on en dénombrera déjà 1940 déposés entre le 8 août 1914 et le 15 décembre 1915, 256 d’entre eux ayant provoqué renvoi devant une juridiction nouvelle.
Cette différence entre ces deux fonctionnements dans la lettre et dans l’esprit, est essentielle et impose ce regroupement scientifique en deux colonnes : Zone des Armées, Arrière
Il est à noter ce qui pourrait être considéré comme une incohérence. Le 1er septembre 1914, la mesure qui a fait de l’appel au Président de la République une procédure exceptionnelle a été aussi appliquée temporairement à l’Arrière. Cette anomalie a été rectifiée dès le 15 janvier 1915 par une note très confidentielle du Ministre de la Guerre adressée aux généraux des Régions de l’Arrière et au Commandant supérieur en Afrique du Nord :
« J’ai l’honneur de vous faire connaître que j’ai décidé d’abroger à la date de ce jour, en ce qui concerne les jugements rendus par les Conseils de guerre permanents, les dispositions de la circulaire très confidentielle du 1er septembre 1914 concernant l’exercice du droit de grâce à l’égard des condamnations prononcées devant les tribunaux militaires.
Il ne sera donc procédé dorénavant dans l’étendue de votre commandement, à l’exécution d’aucun jugement rendu par un Conseil de Guerre permanent et prononçant une peine de mort, sans que la condamnation ne soit soumise à l’examen de M. le Président de la République. »
A partir de cette date, nous avons bien deux fonctionnements de la justice différents. Prisme, pour des raisons de comparaison, s’intéresse aux décomptes de ces deux entités mais porte son effort d’interprétation historique sur les soldats fusillés dits « pour l’exemple », soit ceux jugés par la Justice militaire au front, seul véritable objet de débat mémoriel de nos jours.
A ce titre les chiffres donnés ci-dessous ne contribuent pas à répondre à nos interrogations.
Reprenons notre tableau ci-dessus :
Tableau 3 : Fusillés dont la condamnation est documentée par les archives des conseils de guerre
Les fusillés y sont répartis en quatre colonnes, « Aux Armées », « Régions militaires », « Paris », « Outre-mer ». Elles n’attirent pas l’attention sur le fait que les jugements l’ont été par des Conseils de guerre fonctionnant avec des garanties différentes pour les accusés, ce qui est, pourtant, de la plus grande importance.
Durant toute la guerre, la Justice militaire a, en effet, fonctionné différemment selon que l’on était au front ou à l’arrière.
Le Temps de Paix
En temps de paix, il n’existait qu’un type de Conseil de guerre, dit « permanent », implanté au siège des Quartiers Généraux des Corps d’armée. Régis par le Code de justice militaire de 1857, il prenait son temps pour instruire les affaires, veillant à la bonne tenue des procédures, car ses décisions pouvaient être l’objet de pourvoi en cassation.
Le Temps de Guerre
Tout autre a été le Conseil de guerre « temporaire » itinérant, mis en place pour la première fois au déclenchement du premier conflit mondial. Ce dernier, dans l’esprit et la lettre, avait été anticipé, pensé et défini par une loi dite « pour le temps de guerre » du 18 mai 1875 : restriction du nombre des juges, confusion des fonctions du juge d’instruction et d’accusateur public, suspension possible du droit d’appel, exécution à la discrétion du commandement militaire, maintien du bout des lèvres de la possibilité de recourir au droit de grâce du Président de la République. Pour indiquer dans quel état d’esprit devaient se comporter les juges militaires et quelles étaient alors les priorités, une phrase lapidaire du rapport introductif montrait la voie :
« L’instruction pourra être aussi sommaire qu’on le jugera convenable et les formalités ordinaires ne seront remplies que si on a le temps de les appliquer. »
Cette brutale transformation ne concernait que ces Conseils de guerre temporaires aux armées, non les Conseils de guerre permanents qui continuaient, en temps de guerre, à siéger dans les mêmes lieux qu’en temps de paix, sous le contrôle du Ministère de la Guerre. La justice a continué à y être rendue par un collège de sept juges. Les condamnés ont continué à avoir le droit de se pourvoir en révision, voire en cassation. La seule différence notable a tenu à l’accroissement des compétences.
L’état de siège
Déjà, le 2 août 1914, au lendemain de la mobilisation générale, un décret, confirmé le 4 août par les Chambres, plaçait le territoire entier de la France et de l’Algérie en état de siège. De ce fait, ces Conseils de guerre pouvaient avoir à juger des civils si le commandement militaire estimait qu’il y avait atteinte à l’ordre public.
Comme l’a précisé le sénateur P.E. Flandin, dans son Rapport « Au nom de la Commission chargée d’examiner la proposition de loi, adoptée par la Chambre des Députés, relative au fonctionnement et à la compétence des tribunaux militaires en temps de guerre » début 1916 :
« A la suite de la déclaration de l’état de siège, la compétence des Conseils de guerre permanents s’étend en outre à tous les crimes et délits contre la sûreté de la République, contre la Constitution, contre l’ordre et la paix publique.
C’est ainsi qu’aux termes de la jurisprudence, les actes de pillage, de sabotage, les actes de destruction, les vols au préjudice de l’Etat, les actes de rébellion, de violence et d’outrages à commandants et agents de la force publique, les actes de provocation à la désobéissance, les cris séditieux, les publications de fausses nouvelles, les outrages et diffamations envers l’armée, les délits d’indiscrétion de presse, etc., pourront être, quelle que soit la qualité des auteurs, et des complices, renvoyés à la connaissance des Conseils de guerre. »
Autre différence : pour faire face à l’afflux supposé de condamnations et permettre l’appel en révision, huit conseils de révision furent initialement créés à l’arrière par décret du 11 août 1914 : Amiens, Châlons-sur-Marne, Troyes, Besançon, Paris, Bordeaux, Marseille, Alger (avec compétence sur les territoires du sud et la Tunisie). Amiens, Châlons-sur-Marne et Troyes n’eurent qu’une vie éphémère du fait de leur passage en zone des Armées, où le pourvoi en révision était suspendu. Nantes prit le relais.
Ce fonctionnement a été maintenu durant toute la guerre dans les sièges de Région militaire dont Paris.
Trois conclusions apparaissent :
- Il est logique de regrouper en un seul ensemble ceux qui ont été jugés par un appareil de justice fonctionnant sur les mêmes règles : Intérieur-Algérie
- Ces juridictions n’ont pas traité que de crimes de soldats mais aussi, à la discrétion du commandement militaire, de ceux de nombreux civils, en particulier pour espionnage
- Contrairement à celle dans la Zone des Armées, cette justice n’a pas eu à traiter de ce qui fait plus de 80 % des crimes militaires, à savoir les abandons de poste et les refus d’obéissance « en présence de l’ennemi », puisque, par définition,cette présence n’existe pas, à l’arrière.
Aussi Prisme a-t-il choisi de décompter à part les fusillés issus de jugements de l’arrière, Algérie comprise, (19ème Région Militaire) puisque jugés par des Conseils de guerre fonctionnant avec les mêmes règles.
La construction des tableaux est toujours une opération scientifique longuement raisonnée pour en faire un véritable outil de recherche.
Le tableau 1 n’en est pas un
Pour nous, il faut regrouper Paris, l’Arrière et l’Algérie. La récupération de données est facile en ce qui concerne Paris et l’Arrière, mais plus problématique pour l’Algérie. On nous a dit que les fusillés d’Algérie étaient regroupés en colonne « Outre-mer », au même titre que les fusillés de l’armée d’Orient. De ce fait, nous ne pouvons pas comparer avec nos chiffres car cette rubrique « Outre-mer », très curieuse d’ailleurs par rapport aux concepts politiques et géographiques enseignés, nous fournit des données inexploitables scientifiquement. Elle mélange, paraît-il, des inculpés jugés, les uns par des Conseil de guerre permanents (Arrière-Algérie), les autres par des Conseils de guerre temporaires (zone de combat : Armée d’Orient).
Le site MDH nous explique que la constitution des tableaux l’a été en exploitant la dénomination des fonds archivistiques. Il y aurait donc un Fonds dit « Outremer » regroupant les départements français d’Algérie, l’Armée d’Orient, le reste du monde ???
On ne peut travailler sur un ensemble qui, historiquement et géographiquement, ne correspond à aucune réalité matérielle, sur un concept qui n’existe pas.
Prisme n’aura pas la cuistrerie de souligner la faiblesse intellectuelle caractérisant la décision de fabriquer cette rubrique fourre-tout, mélangeant les départements français d’Algérie et le théâtre de Salonique, qui ne peut être déclaré « outre-mer » que depuis un continent autre qu’européen. Si le fonds archivistique s’appelle vraiment « outremer », expliquer ce qu’il contient de manière un peu détaillé serait bien venu.
La colonne « Aux Armées », en revanche, n’apporte aucune critique. Il s’agit là de la Justice militaire en temps de guerre, justice marquée par la volonté de faire des exemples, de juger vite, sans trop s’embarrasser des procédures, le critère de rapidité l’emportant sur celui du respect de ces dernières, avec cinq juges et même trois dans les Conseils de guerre spéciaux. Cette justice est surtout protégée de la contestation par l’interdiction de faire appel en révision et même par la quasi interdiction de demander la grâce présidentielle.
A l’arrière au contraire, rien ne presse, les dossiers sont instruits en respectant la procédure, l’accès aux avocats est facilité. La bataille commence quand ces derniers entament les procédures d’appel en révision, en cassation ensuite auprès des magistrats civils. L’épaisseur des dossiers, la longueur des procédures montrent tout de suite qu’on n’est pas dans une justice, auxiliaire directe de la discipline telle qu’elle est pratiquée au front.
Alors que la possibilité de se pourvoir en révision ne sera accordée aux armées que le 8 juin 1916, on en dénombrera déjà 1940 déposés entre le 8 août 1914 et le 15 décembre 1915, 256 d’entre eux ayant provoqué renvoi devant une juridiction nouvelle.
Cette différence entre ces deux fonctionnements dans la lettre et dans l’esprit, est essentielle et impose ce regroupement scientifique en deux colonnes : Zone des Armées, Arrière
Il est à noter ce qui pourrait être considéré comme une incohérence. Le 1er septembre 1914, la mesure qui a fait de l’appel au Président de la République une procédure exceptionnelle a été aussi appliquée temporairement à l’Arrière. Cette anomalie a été rectifiée dès le 15 janvier 1915 par une note très confidentielle du Ministre de la Guerre adressée aux généraux des Régions de l’Arrière et au Commandant supérieur en Afrique du Nord :
« J’ai l’honneur de vous faire connaître que j’ai décidé d’abroger à la date de ce jour, en ce qui concerne les jugements rendus par les Conseils de guerre permanents, les dispositions de la circulaire très confidentielle du 1er septembre 1914 concernant l’exercice du droit de grâce à l’égard des condamnations prononcées devant les tribunaux militaires.
Il ne sera donc procédé dorénavant dans l’étendue de votre commandement, à l’exécution d’aucun jugement rendu par un Conseil de Guerre permanent et prononçant une peine de mort, sans que la condamnation ne soit soumise à l’examen de M. le Président de la République. »
A partir de cette date, nous avons bien deux fonctionnements de la justice différents. Prisme, pour des raisons de comparaison, s’intéresse aux décomptes de ces deux entités mais porte son effort d’interprétation historique sur les soldats fusillés dits « pour l’exemple », soit ceux jugés par la Justice militaire au front, seul véritable objet de débat mémoriel de nos jours.
A ce titre les chiffres donnés ci-dessous ne contribuent pas à répondre à nos interrogations.
Reprenons notre tableau ci-dessus :
Tableau 3 : Fusillés dont la condamnation est documentée par les archives des conseils de guerre
Il est manifeste que les condamnés civils sont mélangés avec les militaires. Le nombre de 82 espions fusillés au front ne correspond pas du tout à nos décomptes, surtout une fois éliminés les civils espions ou soupçonnés d’espionnage.
Ainsi Prisme, après vérification dans les dossiers de la base des fusillés, considère qu’au front, il y a eu seulement trois fusillés militaires pour ce motif sur le front occidental et un à l’armée d’Orient. L’espionnage-trahison par les militaires a été, soit non sanctionné, soit quasi inexistant de la part des hommes sous l’uniforme. Dans une prochaine livraison, nous essaierons d’expliquer cette énorme différence avec les 82 apparaissant sur le tableau ci-dessus.
Pour les Régions militaires et Paris, si l’on n’est pas d’accord sur les chiffres, l’inversion de proportion avec le front apparaît fidèlement avec cette quasi inexistence de « désobéissance militaire » (6/47 et 1/18) et l’importance corrélative très majoritaire des condamnés pour meurtres ou espionnage.
Enfin, les chiffres opaques de l’Outremer interpellent. Quels sont ces 73 criminels, soit plus de 50% du total, qui ont été fusillés « outremer » alors que le conflit se passait en France ? L’Outremer a-t-il engendré une criminalité spécifique ? Que nous apporte sur la question qui nous occupe, ce surprenant et inattendu gonflement de criminels de droit commun, en des contrées apparemment sans lien avec la zone des combats ? Criminels fusillés pour l’exemple ?
Que penser maintenant des deux tableaux suivants ?
Tableau 4 : Répartition par année des fusillés pour désobéissance militaire documentés par les archives des conseils de guerre
*Pour actes accomplis durant la période des hostilités
Tableau 6 : Fusillés après jugement documentés par d’autres sources (dont le fichier des morts pour la France et les archives des unités et états-majors)
L’étonnement apparaît à la constatation que ces deux tableaux paraissent bien mal mis en phase. Le premier de ces deux tableaux 2 nous donne une répartition annuelle, bien venue, tandis que le deuxième fournit des chiffres additionnels collectés hors archives de Justice militaire. Il nous les fournit de manière globale, alors que l’intérêt aurait été de les répartir annuellement car, si la nature des motifs est connue, et même si elle ne l’est pas, la date d’exécution l’est fatalement aussi. Il est difficile de comprendre que les « collecteurs d’info » n’aient pas senti qu’en répartissant annuellement leurs données, ils ajouteraient un zeste de valeur ajoutée à cette collection de chiffres, en les mettant en phase avec et en complément de premier de ces deux tableaux.
Prisme y attacherait du prix, car lui-même dispose de travaux obtenus à partir des mêmes sources : judiciaires et extrajudiciaires. Aussi, à des fins scientifiques et historiques, la confrontation des chiffres et des noms obtenus indépendamment par deux organismes différents ne pourrait que produire des avancées significatives.
Quant aux derniers tableaux, ci-dessous, il y a peu à en dire, puisque dans le domaine des exécutions sommaires, on ne pourra jamais donner que des estimations car l’absence, par construction, de sources exhaustives, condamne à traiter ce sujet sans prétentions statistiques, bien que des estimations puissent être avancées, mais sans fiabilité aucune.
On le donne donc ici à titre indicatif sans y attacher une particulière importance. La seule chose que l’on puisse dire est que ce nombre est nettement sous-évalué.
Quant aux derniers tableaux, ci-dessous, il y a peu à en dire, puisque dans le domaine des exécutions sommaires, on ne pourra jamais donner que des estimations car l’absence, par construction, de sources exhaustives, condamne à traiter ce sujet sans prétentions statistiques, bien que des estimations puissent être avancées, mais sans fiabilité aucune.
On le donne donc ici à titre indicatif sans y attacher une particulière importance. La seule chose que l’on puisse dire est que ce nombre est nettement sous-évalué.
Tableau 5 : Fusillés sans jugement pour désobéissance militaire documentés par les archives militaires
Conclusion de ce passage à la critique scientifique :
Nous ne pouvons naturellement pas nous appuyer sur ces tableaux, tant de par leur construction non raisonnée que de leur contenu inexploitable.
Aussi en resterons nous à nos tableaux, nourris de nos travaux antérieurs et de notre exploitation des dossiers de jugement mis en ligne dans la base des fusillés de Mémoire des Hommes, source très intéressante, débordant de notions qualitativo-quantitatives très importantes.
Cette exploitation va nous amener à reproposer nos statistiques de mai 2014, avec les évolutions marginales survenues depuis cette période. Nous conservons nos tableaux de mai 2014 pour que nos lecteurs puissent comparer et voir les différences.
Point capital : Prisme ne s’occupe que des militaires dits « fusillés pour l’exemple ». Sous ce vocable flou, on regroupe les fusillés après jugement par les Conseils de guerre temporaires aux armées fonctionnant sur le front Nord-Est et à l’armée d’Orient, les autres, à l’Arrière et en Algérie, disposant d’une justice moins expéditive et gardée sous le contrôle de l’exécutif.
Ce choix est lié au fait que l’enjeu mémoriel encore présent ne concerne que ces soldats dont on soupçonne que la rapidité de jugement, la quasi absence de garde-fous, a pu entraîner des jugements inéquitables par rapport à l’idée que se fait tout un chacun de la Justice. On imagine des erreurs judiciaires possibles mais aussi et majoritairement, le sentiment que la sévérité des peines a peut-être été hors de proportion avec les fautes commises.
La question, de toutes façons, ne rejoindra jamais totalement la poussière de l’histoire, car ce pouvoir de vie et de mort qui est donné au commandement militaire en temps de guerre divise et divisera toujours la société, et la prise de position par rapport à cette question restera un bon marqueur des options idéologiques des uns et des autres par rapport à leurs conceptions du « vivre ensemble ».
De ce fait, Prisme s’interdit de prendre parti. Il souhaite seulement que le débat perdure mais à partir de la mise à disposition des données historiques, et non de constructions purement mémorielles.
Premier principe : se refuser à donner un chiffrage global pour la guerre. Durant quatre ans, le fonctionnement de la Justice militaire a changé et pour percevoir s’il y a eu incidence sur les exécutions, il faut en venir à la distribution statistique mensuelle.
Les espions et criminels seront répertoriés dans l’ensemble mais aussi isolés, tant en Zone des Armées qu’à l’Arrière.
Dans la justice de front, seront aussi mis à part les fusillés du Maroc et du Sud Tunisien. Ces derniers l’ont été car ils ont disposé de Conseils de Guerre temporaires comme en Zone des Armées, compte tenu du conflit présent au Maroc et à la frontière sud tunisienne.
Pour le front nous aurons donc :
- le front Nord-Est
- le front « Armée d’Orient »
- le front Maroc et Sud Tunisie
Pour l’Arrière nous aurons :
- les Régions militaires, y compris Paris
- l’Algérie
Il est vrai, nous ne nous en cachons pas, que nous sommes un peu déçus de la façon dont l’année 1914 a été traitée historiquement lors de la commémoration de l’année passée. Nous avons pu observer l’extraordinaire fertilité des projets lancés localement et l’atonie, la fadeur de la commémoration officielle et aussi l’absence de parution d’ouvrages stimulants apportant du nouveau sur le plan universitaire. Les poncifs sont restés là.
Prisme en a été à se demander s’il ne faisait pas fausse route en cherchant à traquer la vérité historique en ramenant à la connaissance les faits, les chiffres, et si la mode n’était plus qu’à se complaire dans le mémoriel en dédaignant la recherche sur les archives.
Jean-Marc Berlière, brillant universitaire, spécialiste de la Police et de la Deuxième Guerre mondiale, nous a redonné un peu d’espoir en nous montrant que nos interrogations et convictions étaient aussi les siennes dans sa dernière livraison, sur son site « Les Amis de la Police ». Par delà les périodes d’études, il est bon de rappeler quelques fondamentaux que Prisme endosse avec enthousiasme :
« L’histoire n’est pas une science exacte. Elle est avant tout une éthique, la recherche obstinée de la vérité et des faits quels qu’ils soient et aussi différents qu’ils puissent être de l’histoire officielle et des légendes, fussent-elles véhiculées par des auteurs dont personne n’ose même relever approximations ou erreurs tant leur parole est sacralisée depuis des décennies au point de devenir l’histoire officielle.
L’Histoire est aussi une méthode qui consiste à rechercher, à exploiter de façon scrupuleuse et critique les archives contemporaines des faits tout en respectant ce temps essentiel de l’histoire qu’est le futur du passé.
Oublieuse de ces principes, fondée sur des affirmations manichéenne et sans nuance, l’histoire n’est qu’un instrument au service de causes politiques, mémorielles ou idéologiques. »
Aussi en resterons nous à nos tableaux, nourris de nos travaux antérieurs et de notre exploitation des dossiers de jugement mis en ligne dans la base des fusillés de Mémoire des Hommes, source très intéressante, débordant de notions qualitativo-quantitatives très importantes.
Cette exploitation va nous amener à reproposer nos statistiques de mai 2014, avec les évolutions marginales survenues depuis cette période. Nous conservons nos tableaux de mai 2014 pour que nos lecteurs puissent comparer et voir les différences.
Point capital : Prisme ne s’occupe que des militaires dits « fusillés pour l’exemple ». Sous ce vocable flou, on regroupe les fusillés après jugement par les Conseils de guerre temporaires aux armées fonctionnant sur le front Nord-Est et à l’armée d’Orient, les autres, à l’Arrière et en Algérie, disposant d’une justice moins expéditive et gardée sous le contrôle de l’exécutif.
Ce choix est lié au fait que l’enjeu mémoriel encore présent ne concerne que ces soldats dont on soupçonne que la rapidité de jugement, la quasi absence de garde-fous, a pu entraîner des jugements inéquitables par rapport à l’idée que se fait tout un chacun de la Justice. On imagine des erreurs judiciaires possibles mais aussi et majoritairement, le sentiment que la sévérité des peines a peut-être été hors de proportion avec les fautes commises.
La question, de toutes façons, ne rejoindra jamais totalement la poussière de l’histoire, car ce pouvoir de vie et de mort qui est donné au commandement militaire en temps de guerre divise et divisera toujours la société, et la prise de position par rapport à cette question restera un bon marqueur des options idéologiques des uns et des autres par rapport à leurs conceptions du « vivre ensemble ».
De ce fait, Prisme s’interdit de prendre parti. Il souhaite seulement que le débat perdure mais à partir de la mise à disposition des données historiques, et non de constructions purement mémorielles.
Premier principe : se refuser à donner un chiffrage global pour la guerre. Durant quatre ans, le fonctionnement de la Justice militaire a changé et pour percevoir s’il y a eu incidence sur les exécutions, il faut en venir à la distribution statistique mensuelle.
Les espions et criminels seront répertoriés dans l’ensemble mais aussi isolés, tant en Zone des Armées qu’à l’Arrière.
Dans la justice de front, seront aussi mis à part les fusillés du Maroc et du Sud Tunisien. Ces derniers l’ont été car ils ont disposé de Conseils de Guerre temporaires comme en Zone des Armées, compte tenu du conflit présent au Maroc et à la frontière sud tunisienne.
Pour le front nous aurons donc :
- le front Nord-Est
- le front « Armée d’Orient »
- le front Maroc et Sud Tunisie
Pour l’Arrière nous aurons :
- les Régions militaires, y compris Paris
- l’Algérie
Il est vrai, nous ne nous en cachons pas, que nous sommes un peu déçus de la façon dont l’année 1914 a été traitée historiquement lors de la commémoration de l’année passée. Nous avons pu observer l’extraordinaire fertilité des projets lancés localement et l’atonie, la fadeur de la commémoration officielle et aussi l’absence de parution d’ouvrages stimulants apportant du nouveau sur le plan universitaire. Les poncifs sont restés là.
Prisme en a été à se demander s’il ne faisait pas fausse route en cherchant à traquer la vérité historique en ramenant à la connaissance les faits, les chiffres, et si la mode n’était plus qu’à se complaire dans le mémoriel en dédaignant la recherche sur les archives.
Jean-Marc Berlière, brillant universitaire, spécialiste de la Police et de la Deuxième Guerre mondiale, nous a redonné un peu d’espoir en nous montrant que nos interrogations et convictions étaient aussi les siennes dans sa dernière livraison, sur son site « Les Amis de la Police ». Par delà les périodes d’études, il est bon de rappeler quelques fondamentaux que Prisme endosse avec enthousiasme :
« L’histoire n’est pas une science exacte. Elle est avant tout une éthique, la recherche obstinée de la vérité et des faits quels qu’ils soient et aussi différents qu’ils puissent être de l’histoire officielle et des légendes, fussent-elles véhiculées par des auteurs dont personne n’ose même relever approximations ou erreurs tant leur parole est sacralisée depuis des décennies au point de devenir l’histoire officielle.
L’Histoire est aussi une méthode qui consiste à rechercher, à exploiter de façon scrupuleuse et critique les archives contemporaines des faits tout en respectant ce temps essentiel de l’histoire qu’est le futur du passé.
Oublieuse de ces principes, fondée sur des affirmations manichéenne et sans nuance, l’histoire n’est qu’un instrument au service de causes politiques, mémorielles ou idéologiques. »
Bonjour, je me penche en ce moment sur un dossier de soldat fusillé pour espionnage, voilà un éclairage intéressant sur ces conseils de guerre. Merci
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