UNE AVENTURE QUI NE FAIT QUE COMMENCER
Prisme travaille dans la sérénité. Il a accueilli avec satisfaction la réalisation, cette année, de la promesse faite en novembre 2013 de rendre publics les dossiers de fusillés dits « pour l’exemple », objet entre autres de ses recherches. La consultation des dossiers sur la base des fusillés nous a montré que l’accès en est simple, rapide et que les textes sont très lisibles, bien numérisés. On va donc, à terme, pouvoir faire fi des légendes et éclairer les passions mémorielles en se rapprochant au mieux de la vérité historique grâce à cette manne difficilement accessible jusqu’à aujourd’hui.
UN INCIDENT DE PARCOURS
Pour profiter au mieux de cet apport, le courriel suivant a été envoyé :
« Je me permets de vous contacter en tant que membre du Prisme 14-18 http://prisme1418.blogspot.fr/ au sein duquel nous effectuons un travail historien sur les fusillés pour l’exemple.
Dans le cadre des cérémonies de novembre 2014, le SHD a publié le chiffre de 639 fusillés pour désobéissance militaire.
Une liste des 1008 dossiers mis en ligne a bien été constituée, mais nous n’avons pu trouver la liste spécifiquement liée à ce chiffre de 639. Cette liste patronymique est-elle consultable ? »
La réponse retournée ne nous satisfait pas en tant que chercheurs et citoyens :
« Monsieur,
Un communiqué de presse du secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire, puis le site Mémoire des hommes, ont en effet publié sous la forme de tableaux, une présentation quantitative détaillée des 1008 noms qui composent la base des fusillés, dont 639 pour désobéissance militaire : 563 documentés par un conseil de guerre, 49 au moins documentés par une autre source et 27 fusillés sans jugement.
A ce stade et conformément à la délibération CNIL du 10 juillet 2014 accessible depuis le site http://www.legifrance.gouv.fr/affichCnil.do?oldAction=rechExpCnl&id=CNILTEXT000029312428&fastReqId=1735204600&fastPos=1 , une interrogation nominative par motif d’exécution n’est pas autorisée, dans la mesure où il s’agit d’une donnée sensible au titre de la loi CNIL.
Les 639 noms font donc partie des 1008 noms.
Cordialement »
PRISME MÉCONTENT !
Elle ne nous satisfait pas parce que, d’abord, elle ne répond pas à notre question.
Prisme ne demandait pas la mise en œuvre d’une interrogation nominative mais la simple transmission par courriel, ou autre vecteur, de cette liste de 639 noms, afin que nous puissions comparer avec nos propres listes. Si l’on veut faire avancer la connaissance historique, il faut bien en passer par une analyse contradictoire des données. On ne peut imaginer un travail scientifique sans que celui qui fournit des chiffres se refuse à donner la façon dont il a exploité des sources primaires et donner accès à ces sources. C’est une des premières leçons que l’on inculque à ceux qui aspirent à la recherche. On ne peut imaginer un thésard présentant ses hypothèses en refusant de donner accès à ses sources. Le jury ne s’en trouverait pas favorablement impressionné. Dans cette réponse de fonctionnaire, ayant trait au contrôle scientifique des tableaux présentés, cette ardente obligation semble ne pas faire partie des acquis culturels.
Cette déconvenue est venue s’ajouter à la perplexité qui a saisi Prisme à la découverte des chiffres diffusés début novembre, qui ne correspondent pas à ceux recueillis par lui.
Le mode d’agrégation de ces chiffres, leur précision, avant d’entrer dans le détail du dénombrement, ont interpellé notre raisonnement cartésien. Comment donner des chiffres fermes qui, dans la foulée, ont été quasiment gravés dans le marbre au Musée de l’Armée, présentés au Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants et à la Mémoire – leur donnant ainsi une onction officielle – alors qu’il est précisé que ces derniers regroupent des données issues d’archives bien fournies d’une part, et d’autres lacunaires d’autre part. Comment annoncer que ces chiffres englobent les exécutions sommaires, alors que ces dernières n’apparaissent que de façon épisodique dans les documents ? Aucune structure n’a été chargée de les consigner sur le papier pendant la guerre. L’étude du contexte de l’époque a permis de constater que la plupart ont obtenu la mention « Mort pour la France » et entrent donc dans la cohorte générale. Les différencier quantitativement au Musée de l’Armée des « Morts pour la France » procède au minimum d’une erreur comptable. Afficher officiellement ce nombre de 1008, à la vue des visiteurs du Musée de l’Armée, est une falsification des faits, à moins de faire figurer une note précisant que ce chiffre est scientifiquement à relativiser puisque s’appuyant sur des sources non exhaustives, et qui ne le seront jamais. On peut aussi, comme dans les halls de gare, installer au Musée un panneau électronique qui annonce le chiffre du jour au fur et à mesure qu’un nouveau nom sera glané, car assurément il va y en avoir.
Concernant les 639, ils recouvrent, est-il annoncé, 563 désobéissants militaires dont on possède le jugement, 49 dont on a déterminé qu’ils pourraient en être, et 27 qui ont été exécutés sommairement. Prisme veut bien admettre que les exécutés sommaires devaient bien, peu ou prou, se trouver en état de désobéissance, bien qu’on n’en ait pas la preuve, mais l’historien ne peut que rester dubitatif sur ces 49 + 27 et répugner normalement à les déclarer en lien d’appartenance avec les 563, sourcés sans équivoque. Prisme s’interroge sur les raisons qui ont fait que MDH ne retienne que 27 exécutés sommaires comme désobéissants et se demande quel a été le critère scientifique de différenciation. Quant aux 49 autres, pour lesquels il est reconnu que les sources sont insuffisantes, il serait bien aussi de savoir ce qui a fait prendre la décision, en dehors d’une sentence judiciaire, de les placer chez les désobéissants.
PRISME RENVOYÉ DANS SES BUTS
Au-delà de ces remarques préliminaires, Prisme ne peut que réagir au ton de la réponse. Il lui est d’abord fait la leçon en lui rappelant que MDH n’a pas à répondre sur le plan scientifique, il applique basiquement la loi, à savoir la délibération CNIL du 20 juillet, qui, elle, contrairement à la liste des désobéissants, est accessible. Le lien est même fourni, au cas où on ne pourrait le trouver seul.
On nous rappelle que cette dernière a interdit l’interrogation nominative : « dans la mesure où il s’agit d’une donnée sensible au titre de la loi CNIL. »
Après avoir souligné que nous ne demandions en aucune façon « l’interrogation nominative », et forts de ce rappel à la loi, nous nous sommes penchés sur cette délibération du 20 juillet et avons entrepris d’analyser son contenu comme nous le faisons avec les archives du passé, en commentant les points principaux, après les avoir extraits pour les mettre en valeur :
LA DÉLIBÉRATION DE LA CNIL (EXTRAITS SIGNIFICATIFS)
La CNIL, est-il écrit, a été saisie par le Ministère de la Défense d’une requête en vue de :
« collecter, numériser, indexer, conserver et de diffuser sur Internet des données à caractère personnel issues des archives dont il a la charge aux fins de préservation de la mémoire des conflits contemporains et de mise à disposition d’informations à des fins historiques »
[...]
« Dans ces conditions, la présente autorisation porte uniquement sur les traitements nécessaires à la numérisation et à la diffusion sur ce site internet des dossiers retraçant le parcours judiciaire des soldats fusillés au cours de la période 1914-1918 (dossiers de fusillés). »
[...]
« Cette opération participe au programme national des manifestations organisées pour commémorer le centenaire de la Première Guerre mondiale, à l’instar de l’opération registres matricules autorisée par la délibération précitée du 10 octobre 2013. »
[...]
« Le dispositif du ministère de la défense poursuit des finalités historiques et mémorielles. Ce double objectif consiste, plus particulièrement, à préserver la mémoire des conflits contemporains et à alimenter les analyses historiques en la matière en ouvrant à tout internaute, ayant-droit, citoyen ou chercheur, professionnel ou amateur, l’accès à une source archivistique leur restituant les parcours individuels des hommes mobilisés pour la défense de la France. »
[...]
« La Commission prend acte que les dossiers de fusillés ne seront pas proposés dans le cadre des opérations d’indexation collaborative. »
[...]
« Il s’agit ainsi de documents sensibles qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique nommément désignée ou facilement identifiable et qui font apparaître le comportement d’une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice. »
[...]
« Par principe, la Commission est réservée sur les traitements mis en œuvre à des fins de diffusion sur Internet dès lors qu’ils concernent des données relevant de l’article 9 de la loi Informatique et Libertés (infractions, condamnations ou mesures de sûreté). De même, elle estime traditionnellement que seule la finalité de mise en valeur à des fins historiques, statistiques ou scientifiques, et non le simple devoir de mémoire ou la valorisation du patrimoine auprès du grand public, peut justifier le traitement de données sensibles au sens de l’article 8-I de la même loi. La Commission estime en effet qu’une accessibilité massive de telles données personnelles serait de nature à porter préjudice au respect dû à la mémoire des défunts, ou à la vie privée de leurs ayants-droit, concernés par des périodes mouvementées de l’Histoire. C’est pourquoi elle a fait figurer de telles restrictions dans la délibération n° 2012-113 du 12 avril 2012 (AU-029). »
[...]
« Néanmoins, la Commission relève qu’en l’espèce, la mise en œuvre du dispositif s’inscrit dans le cadre du programme de commémoration du Centenaire de la Première Guerre mondiale et est, dès lors, justifiée par l’intérêt public. »
[...]
« Le ministère précise toutefois que les dossiers de fusillés seront exclusivement indexés par l’administration. »
[...]
« Eu égard à l’hétérogénéité des publics visés par cette diffusion sur Internet et des catégories d’archives concernées par le dispositif, la Commission estime nécessaire de faciliter la consultation des bases mises à disposition sur le site mémoire des hommes, en utilisant notamment les données nominatives avant l’expiration d’un délai de 120 ans. »
[...]
« Les personnes concernées à titre principal par les archives du ministère sont des soldats qui, ayant été fusillés, sont désormais décédés. En outre, l’identité de leurs descendants n’est pas visée par ces archives, pas plus que leurs coordonnées. L’information préalable, ou le recueil de leur consentement à une telle accessibilité sur Internet, se révèle dès lors impossible et exigerait des efforts disproportionnés au regard de l’intérêt du dispositif mis en œuvre à des fins de commémoration. Il en irait de même pour les personnes concernées à titre incident par les dossiers de fusillés (témoins à charge, victimes ou auteurs de signalement de faits, etc.). »
[...]
« Elle l’invite également à renforcer la qualité des éléments accompagnant en particulier la diffusion des dossiers des fusillés afin de permettre une analyse critique des données au regard de leur contexte de production. »
[...]
« Dans ces conditions, la Commission autorise le ministre de la Défense à mettre en œuvre des traitements de données à caractère personnel ayant pour finalités de collecter, numériser, indexer, conserver et de diffuser sur Internet des données à caractère personnel issues des archives dont il a la charge, aux fins de préservation de la mémoire des conflits contemporains et de mise à disposition d’informations à des fins historiques. »
La Présidente
I. FALQUE-PIERROTIN »
ANALYSE DE LA DÉLIBÉRATION PAR PRISME
Dans l’esprit
La CNIL, par ses nombreuses précautions, montre combien elle ne consent à déroger à la protection de la vie privée des citoyens ou de leurs descendants, qu’à titre exceptionnel, à savoir : « aux fins de préservation de la mémoire des conflits contemporains et de mise à disposition d’informations à des fins historiques. »
Prisme, composé de chercheurs qui sont aussi citoyens, ne peut qu’approuver cette limitation.
La Commission rappelle sa jurisprudence :
« De même, elle estime traditionnellement que seule la finalité de mise en valeur à des fins historiques, statistiques ou scientifiques, et non le simple devoir de mémoire ou la valorisation du patrimoine auprès du grand public, peut justifier le traitement de données sensibles au sens de l’article 8-I de la même loi. La Commission estime en effet qu’une accessibilité massive de telles données personnelles serait de nature à porter préjudice au respect dû à la mémoire des défunts, ou à la vie privée de leurs ayants-droit, concernés par des périodes mouvementées de l’Histoire. C’est pourquoi elle a fait figurer de telles restrictions dans la délibération n° 2012-113 du 12 avril 2012 (AU-029). »
Elle insiste sur la raison d’être de la Commission, qui est de veiller à protéger les citoyens de l’intrusion, par voie électronique, dans leur vie privée ou celle de leurs ascendants, sans nécessité absolue. Elle rappelle que les données pour lesquelles le Ministère de la Défense demande une dérogation sont normalement protégées dans l’intérêt des citoyens : « Il s’agit ainsi de documents sensibles qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique nommément désignée ou facilement identifiable et qui font apparaître le comportement d’une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice. »
Elle saute cependant ici le pas : « Néanmoins, la Commission relève qu’en l’espèce, la mise en œuvre du dispositif s’inscrit dans le cadre du programme de commémoration du Centenaire de la Première Guerre mondiale et est, dès lors, justifiée par l’intérêt public. »
Les citoyens chercheurs de Prisme trouvent que cette formulation est limite, puisque est intégré comme mesure dérogatoire l’existence d’un programme de Commémoration et l’intérêt public, brèche dans la jurisprudence jusque là en vigueur. Prisme n’a pas de réponse mais note que l’on va au-delà de la règle observée jusque-là, qui était de n’accorder cette autorisation qu’à des fins d’ordre scientifique ou historique. La commémoration, phénomène éminemment subjectif, s’invite auprès des critères scientifiques, comme moyen d’atteinte au droit de non-intrusion électronique dans le passé et le présent des citoyens. Est-ce une avancée juridique ?
Dans la lettre
Prisme ne commente plus puisque les injonctions qui découlent de cette prise de position sont à respecter à la lettre. Il remarque qu’en effet plusieurs mesures sont détaillées, pour poser des limites précises à cette autorisation, inhabituelle selon la jurisprudence de la CNIL, mais reflétant bien la prudence de cette commission : « Dans ces conditions, la présente autorisation porte uniquement sur les traitements nécessaires à la numérisation et à la diffusion sur ce site internet des dossiers retraçant le parcours judiciaire des soldats fusillés au cours de la période 1914-1918 (dossiers de fusillés). »
Prisme salue cette mesure de sagesse. En effet, la justice militaire a beaucoup jugé durant la guerre de 1914-1918, et en particulier des civils. Ces derniers doivent, à notre avis, à juste titre, être soustraits à la curiosité électronique. Du fait de l’état de siège, les assassins civils ont été, en particulier en Algérie, jugés par ces tribunaux.
La demande sociale, « l’intérêt public », est de permettre de donner une réponse statistique et historique au cas particulier qui est « le parcours judiciaire des soldats fusillés au cours de la période 1914-1918 » pour entorse à la discipline militaire. Les civils ont été jugés, eux, pour crimes, espionnage ou trahison. Leurs dossiers existent, mais nul impératif n’existe pour que soit mises sur la place publique les turpitudes de la plupart d’entre eux, en particulier celles des assassins. Les chercheurs intéressés par les crimes, ceux intéressés par ce qu’il faut bien appeler une répression de type colonial, peuvent, dans les centres d’archives qui les conservent, consulter les dossiers des Conseils de guerre d’Algérie, dossiers volumineux de milliers de pages. Mais ces hommes et ces femmes (espions et criminels), ont droit à l’oubli médiatique et électronique. On n’imagine pas mettre aujourd’hui sur la place publique les dossiers de Justice des assassins condamnés pour crime de droit commun aux Assises. La Justice militaire, dans ces cas, a fonctionné de la même manière que la Justice civile.
UNE DÉCOUVERTE ÉTONNANTE
Puisqu’on a invité Prisme à consulter la délibération CNIL, elle l’a fait et découvert, avec surprise, que MDH a outrepassé l’autorisation à elle donnée de diffuser les dossiers des soldats dits « fusillés pour l’exemple ».
En effet, on peut lire sous la signature d’Agnès Chablat-Beylot et Bertrand Fonck, du Service historique de la Défense, donc supposés être les responsables de cette décision, les propos suivants :
« La base ici présentée permet de consulter intégralement les dossiers de procédure et les minutes de jugement conservés au Service historique de la Défense à Vincennes, pour chaque individu – militaire ou civil, français ou étranger – fusillé par la justice militaire française au cours du conflit, pour quelque motif que ce soit, aussi bien au front qu’à l’arrière.
Les 1008 fusillés et exécutés sommaires recensés, relèvent donc aussi bien de cas de désobéissance militaire que d’affaires d’espionnage ou de droit commun.
Ce projet a par ailleurs reçu l’autorisation de la CNIL dans une délibération en date du 10 juillet 2014. »
Habitués à se pencher sur les archives officielles de la Justice militaire pour les décrypter, Prisme se demande pourquoi il y a un tel hiatus entre ce qu’a accordé la délibération de la CNIL, qui est citée, de plus, en référence, et la liberté prise avec cette autorisation qui portait exclusivement, et à juste titre pour Prisme, sur les citoyens-soldats de 1914-1918.
Nous passerons sur le flou rédactionnel qui fait dire que l’on traite d’individus « fusillés par la justice militaire française », expression incongrue pour parler d’une administration qui énonce des sentences mais qui n’assure pas les exécutions elle-même. Le flou de la rédaction est toujours gênant pour le chercheur.
CONCLUSIONS PROVISOIRES
Certains pourraient voir ici un peu d’humeur, trait absent jusqu’à présent des livraisons de Prisme, mais la leçon du style « Circulez, il n’y a rien à voir ! Consultez la loi ! » a quelque peu choqué notre conception de la recherche historique. Surtout, cela a permis de constater qu’aucun historien n’est là pour cautionner une telle attitude. Et cela est préoccupant. Nous sommes en droit de demander quels sont les historiens qui ont, en amont, apporté leur concours, pour délimiter cette question d’histoire nationale, prise dans les pièges des mémoires concurrentielles, dont on ne peut sortir que par l’histoire et la totale transparence.
RÉSUMONS…
La CNIL autorise de déroger à la protection de la vie privée des familles de fusillés à des fins de recherche statistique et historique. Fort de cette recommandation, Prisme demande à pouvoir prendre connaissance de la liste qui a permis de produire le nombre de 639 « désobéissants militaires » (néologisme anachronique, en outre). La réponse a été négative. Prisme demande alors comment on peut bâtir des statistiques si la mise à disposition des archives empêche en réalité ce travail. Si la consultation ne peut se faire sans pouvoir établir des typologies, des tendances, on passe au stade ubuesque. Dans ce cas, la diffusion des dossiers de meurtriers devient encore plus choquante. Seuls peuvent dès lors être intéressés les adeptes du voyeurisme qui vont aller se repaître des descriptions – que nous avons vues au passage – de meurtres particulièrement horribles, bien relatés par ailleurs. Une fois un dossier de ce type repéré en interrogeant la base, sa localisation se diffusera rapidement pour ceux intéressés par ces descriptions on ne peut plus glauques. Etait-ce, et est-ce, l’intention de la CNIL dans ce texte ?
A l’issue de ce passage du texte de la CNIL au prisme des vérifications, nous pensons être en droit d’attendre une réponse différente à notre demande de pouvoir disposer de données à des fins statistiques et historiques, ou de nous donner une argumentation autrement étayée que par « la CNIL l’interdit ». A première vue, ceux qui sont les plus respectueux de la loi semblent plutôt de notre côté.
Cette première réponse nous a, il faut bien le dire, un peu interloqués. D’abord de par le niveau d’où a émané la réponse à une question qui concerne la pratique historique : il s’agit du niveau du responsable d’un bureau en charge d’applications électroniques. Nous dire : « on connaît la liste des 639 noms ; on les a noyés au sein d’une liste plus importante, qu’on a enrichie par des noms qui n’ont rien à y faire, car hors de la problématique des fusillés pour l’exemple, et maintenant si le jeu vous en dit, essayez de trouver ces 639 par vous-même ». Ou encore : « on a réparti ces noms comme des aiguilles dans une meule de foin. La loi nous interdit de vous aider. Nos sources ne sont pas diffusables. Débrouillez-vous pour reconstituer la liste dont on ne vous dira pas sur quels critères précis elle a été constituée. »
Ce discours ne nous a pas été tenu, mais l’esprit de la réponse à nous communiquée y est pour le moins perceptible.
Nous reposons donc notre question qui porte sur le fait de savoir, si à des fins de comparaison, nous allons pouvoir disposer de la liste de ces 639 noms pour pouvoir la confronter à la nôtre, qui est supérieure à ce nombre. Une fois obtenu, la connaissance de ce fait statistique ne pourra qu’en être améliorée. Alors, refuser ? Pourquoi ?
Nous posons aussi la question qui découle de ce que nous avons découvert. A quel niveau s’est prise la décision d’outrepasser la délibération de la CNIL, en élargissant l’autorisation de répandre électroniquement les dossiers de certains types de délinquants, hors de ce qui a été défini ?
Pour Prisme, cet écran de dossiers, hors-sujet en ce qui concerne le domaine des « fusillés pour l’exemple », est un obstacle mis à nos recherches. Cela est perçu comme un écran de fumée. Prisme a déjà consulté rapidement la liste des 1008 noms sur la base des fusillés et les dossiers afférents quand ils existent. On se demande par exemple ce que vient faire dans ce corpus le cas d’un soldat qui a assassiné deux prostituées à Dakar en avril 1914. Le dossier est fourni. On n’échappe à aucun détail sordide, mais le lien avec la guerre de 1914-1918 est fortement ténu. Ce n’est qu’un exemple. Nous ne sommes pas du tout convaincus du sérieux mis à composer ce corpus. C’est la raison pour laquelle nous aimerions vérifier les procédures mises en œuvre pour nous présenter le nombre de 639. Nous prévoyons une livraison spéciale de Prisme pour présenter une situation, vérifications faites. C’est indispensable pour accorder créance aux chiffres fournis qui, de ce fait, pour l’instant, nous laissent méfiants par leur manque de fiabilité, et que nous ne reprenons pas à notre compte. Il va falloir du temps, au grand dam de la recherche historique, mais on ne peut emboîter le pas à de tels à-peu-près. On se doit de présenter des tableaux statistiques professionnels, non des fourre-tout, inexploitables pour la recherche. Pour se rendre compte de ce qu’est le professionnalisme historique dans la constitution de tableaux statistiques, nous conseillons la magistrale démonstration du soin qu’il faut y apporter en consultant l’excellent ouvrage de Jules Maurin : Armée, guerre, société. Soldats languedociens (1889-1919). Préface d’André Loez et Nicolas Offenstadt. Paris, Publications de la Sorbonne, 2013, 764 p. (première édition en 1982).
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