A travers des articles statistiques, à travers des articles de fond aussi divers que les mutilations volontaires, le code de justice militaire, la notion de fusillés pour l'exemple, l'ambition du Prisme est de fournir un ensemble d'informations permettant aux lecteurs d'appréhender en toutes connaissances de causes et sans parti pris de notre part la problématique des fusillés du conflit 14/18. Notre but n'est pas de juger mais de présenter, d'analyser les faits, de les porter à la connaissance de nos concitoyens au sujet d'une question qui n'est pas seulement d'ordre historique mais enjeu aussi d'un débat mémoriel, encore présent aujourd'hui.

samedi 11 février 2023

Un cas d’école : le soldat CRAYSSAC est-il un fusillé, un exécuté sommaire ou un abattu ?


    Prisme avait précédemment rédigé plusieurs articles, présentant les parcours « tourmentés » de certains militaires. Cela a été le cas pour Pierre Mestre, pour le soldat Robert, pour le soldat Le Parc. En partant de peu d’éléments factuels, nos recherches nous ont amenés à découvrir les documents expliquant la disparition de ces soldats.

Le périmètre principal des recherches de Prisme se concentre sur les militaires français condamnés à mort par des conseils de guerre puis fusillés, mais pour cela il est nécessaire de connaître au mieux les parcours de certains soldats pour lesquels les informations sont plus que parcellaires.

Comme les soldats Robert et Le Parc, d’autres militaires occupent une zone de pénombre d’où les recherches de Prisme ont toujours tenté de les faire sortir. Le soldat Crayssac fait également partie de ceux-là.

L’histoire de ce soldat comporte un pan bien « identifié », ce qui ferait plaisir au physicien Simon-Pierre Laplace et à son « déterminisme » : nous connaissons parfaitement le nom, l’état civil, le lieu et la date du décès de ce militaire. Néanmoins, des éléments factuels comme le motif du décès, les circonstances du décès sont encore sujets à controverse, nous sommes là plus proches du principe d’incertitude ou plus précisément d’indétermination énoncé par le physicien Werner Heisenberg.

Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.

Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux quelle que soit leur apparence.

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1-Rappel des principes directeurs :

Comme le général André BACH, grand spécialiste de la question, l’avait précisé lors du colloque de Vic-sur-Aisne en 2012, il faut bien distinguer parmi les militaires français tués par des balles françaises :

1-ceux qui ont été condamnés à mort par un conseil de guerre puis sont passés devant un peloton d’exécution qu’on nomme des fusillés conformément au décret du 25/10/1874 et à l’article 187 du code de justice militaire.


Si la Justice « civile » fait décapiter les condamnés à mort, la Justice militaire fait fusiller les militaires condamnés à mort par un conseil de guerre qui n’ont pas été graciés par le Président de la République.

2-ceux tués en application plus ou moins « correcte » de l’article 121 du règlement sur le service en campagne qu’on nomme des exécutés sommaires.

3-ceux tués par des sentinelles ou par les forces de l’ordre qu’on nomme des abattus.

Trop souvent, tous les militaires français décédés, aussi bien les fusillés de la zone des Armées, dans la zone de l’Intérieur, les exécutés sommaires, les abattus, les fusillés en Afrique sub-saharienne sont amalgamés alors que les conditions des jugements, quand elles existent, sont très différentes. On peut difficilement comparer un jugement rendu, par exemple, à Marseille, au siège de la 15e Région militaire, fonctionnant à 7 juges comme en temps de paix, bien loin de la zone des combats, et un jugement rendu par un conseil de guerre de division à 5 km du front, un exécuté sommaire comme Hurtault ou un abattu par les gendarmes comme le soldat Manat.

Aussi, cette distinction est éminemment préférable :

-elle permet, d’emblée, de savoir dans quel type de circonstances tel ou tel soldat est décédé.
-elle évite d’agglomérer des militaires décédés suite à l’application de textes réglementaires très distincts ou sans rapport.
- elle évite de chercher des dossiers de procédure qui n’ont jamais existé pour les exécutés sommaires ou les abattus.
- elle évite « d’accroître » abusivement la liste des militaires français fusillés d’au moins une centaine de militaires sommairement exécutés ou abattus.

Le 1er septembre 1914, deux semaines après la suspension du pourvoi en révision, le recours en grâce était profondément modifié laissant au seul officier qui avait ordonné la mise en jugement du militaire condamné à mort, le choix d’envoyer un militaire devant un peloton d’exécution ou d’adresser exceptionnellement son dossier au Président de la République pour un recours en grâce. Quelques jours plus tard, le 6 septembre 1914, sous la pression des évènements, Joffre obtient du gouvernement, la création des conseils de guerre temporaires qualifiés de « spéciaux », les conseils de guerre temporaires à 5 juges prenant la dénomination « d’ordinaires ».

Les textes d’application des conseils de guerre temporaires « spéciaux » sont parus le 9 septembre 1914.


L’instruction du 9 septembre 1914, a été adressée le 11 septembre par le Grand Quartier Général. Comme on peut le constater ci-dessus, à la IVème Armée, cette instruction a été reçue le 11 septembre 1914 à 15h30. A titre d’information, par exemple, les archives de la IIème Armée fournissent les mêmes informations.

Pour arriver jusqu’à l’échelon régimentaire, nous pouvons considérer d’une manière générale, qu’aucun conseil de guerre spécial n’a fonctionné avant le 12 septembre 1914. Pour information, le 1er conseil de guerre spécial connu a siégé le 16 septembre 1914.

Avant le 12 septembre 1914, un militaire peut être condamné à mort par un conseil de guerre ordinaire puis fusillé ou exécuté sommairement ou abattu. Après la promulgation de la loi du 27 avril 1916 entérinant la suppression des conseils de guerre spéciaux, c’est exactement le même schéma. Entre ces 2 dates, un militaire peut être fusillé suite à un jugement d’un conseil de guerre ordinaire ou spécial mais peut être sommairement exécuté ou abattu.

2- Crayssac : un cas d’école :

Ce militaire originaire de l’Aveyron où il exerçait la profession de cultivateur comme beaucoup à cette époque, était de la classe 1912.

Incorporé au sein du 163ème régiment d’infanterie, il arrivait au corps le 10 octobre 1913. Le 19 août 1914, quelques jours après le déclenchement du conflit, ce régiment est engagé en Alsace dans les combats de Tagolsheim. Fin août, il est dans les Vosges dans les combats d’Anglemont puis à la Chipotte et à Raon-l’Etape.

Le 4 septembre 1914, l’offensive allemande visant à encercler puis prendre Verdun est lancée. Verdun était prise en tenaille entre la 5e Armée allemande à l’ouest et la 6e Armée allemande à l’est. Le 24 septembre, les Allemands prennent St-Mihiel ; le 25, c’est le Camp des Romains qui tombe. La résistance du fort de Troyon arrête les Allemands, sauvant Verdun. Le saillant de St-Mihiel est formé, globalement, la situation restera ainsi jusqu’à l’attaque franco-américaine de septembre 1918.

Le 24 septembre, le 163ème quitte les Vosges pour être envoyé dans la Meuse. Le 26 septembre, il est stationné au sud de Raulecourt. Le 27 septembre, le régiment est engagé, les pertes sont sévères, Mémoire des Hommes affiche 212 militaires « Morts pour la France » entre le 26 septembre et le 3 octobre 1914.

Le 29 septembre 1914, la compagnie de Crayssac, la 3ème  est positionnée au Sud du bois de Haute Charrière-Géréchamp avant d’être relevée le 3 octobre, jour du décès de ce soldat, par le 157ème RI.

Qu’est-il arrivé à ce militaire ?

Le décès de ce militaire est bien mentionné sur un des 5 registres d’état civil des décès du 163ème RI.

L’officier d’état civil n’a pu constater le décès, le corps de ce soldat ayant déjà été enterré. Cet acte a été rédigé sur les déclarations des 2 témoins dont l’un est le capitaine Fèvre. Il n’est pas fréquent de trouver un officier parmi les témoins d’un décès. Contrairement à l’acte de décès précédent ou suivant, l’acte de décès de Crayssac ne porte pas l’indication « tué sur le champ de bataille ».

L’extrait ci-dessous de la fiche de matricule du soldat Crayssac, n’est guère précis sur les circonstances du décès.

Comme Prisme l’a souvent indiqué, la mention « passé par les armes » qui apparaît également sur la fiche de Non-Mort pour la France de Crayssac, ne présage en aucun cas de la tenue d’un conseil de guerre. Cette mention que l’on retrouve souvent sur les fiches dites des « Non morts pour la France » n’a pour fonction que d’exclure un militaire qui ne répond pas aux critères de l’instruction ministérielle du 11 janvier 1922 de l’attribution de la mention « Mort pour la France », et donc de l’inscription sur le livre d’Or de la commune de naissance ou de résidence à la mobilisation.

Si la cause de décès semble due à une possible mutilation volontaire, rien n’est mentionné sur les circonstances de son décès.

Examinons les 3 motifs possibles du décès du soldat Crayssac.

Tenue d’un conseil de guerre ordinaire :

La 76ème division (ex 44ème DI) possède un registre des jugements.

Les jugements sont rédigés dans l’ordre chronologique et sans « trou ». Le soldat Crayssac n’apparaît pas sur ce registre dont le 1er jugement est daté du 6 septembre 1914. On ne trouve pas de dossier de procédure à son nom ce qui est somme toute logique.

Notons qu’à la 76ème division d’infanterie, il existe bien un tableau statistique de l’administration de la justice militaire, malheureusement pour la seule année 1917.

Tenue d’un conseil de guerre spécial :

Plusieurs de ces conseils de guerre ont fonctionné au sein du 163ème régiment d’infanterie. Au Service Historique de la Défense, sous la cote 11 J 3192, on en compte 34. En 1915, 30 de ces conseils de guerre ont fonctionné du 17/01/1915 au 16/02/1915. En 1914, on en dénombre 4 dont le 1er a fonctionné le 3 octobre 1914. Ce conseil de guerre a jugé le soldat Albertini pour un refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre. Parmi ces 34 militaires jugés, deux ont été condamnés à 6 ans de travaux publics, neuf à 2 à 5 ans de prison, quatre à 4 à 6 mois de prison et dix-neuf ont été acquittés. Tous ces conseils de guerre ont eu lieu à Bouconville.

La peine prévue par le code de justice militaire pour ce délit est de 5 à 10 ans de travaux publics, Albertini a été condamné à 6 ans de travaux publics. Il est utile de s’intéresser quelque peu à ce jugement car il nous fournit quelques précieuses indications.

L’ordre de mise en jugement a été signé le 3 octobre à Bouconville par le lieutenant-colonel Lecreux commandant le régiment. L’interrogatoire de l’accusé a été signé à Raulecourt le 3 octobre par le sous-lieutenant Simoutre, porte-drapeau du régiment faisant fonction de commissaire-rapporteur. L’ordre de convocation de ce conseil de guerre a été signé le 3 octobre à Raulecourt par le lieutenant-colonel Lecreux. A remarquer que si l’ordre de convocation du conseil de guerre prévoyait un jugement à Raulecourt à 8 heures, celui-ci s’est réuni à Bouconville. Le président du conseil de guerre était le capitaine Aulois commandant la 7ème compagnie, assisté du capitaine Huillet commandant la 6ème compagnie et de l’adjudant Cazenave. Ces 2 officiers font partie du 2ème bataillon qui vient de débarquer de Commercy au matin du 1er octobre 1914.

Ce jugement a été prononcé le 3 octobre 1914, jour du décès du soldat Crayssac. La grande question est : ce militaire a-t-il été condamné puis fusillé par ce conseil de guerre spécial ?

Raulecourt est situé à 3,8 km au Sud-Ouest de Bouconville, c’est dans cette commune de Bouconville que le conseil de guerre spécial du 163ème a jugé Albertini le 3 octobre 1914. On imagine mal pourquoi le même conseil n’aurait pas jugé Crayssac à Bouconville ou pourquoi ce conseil ayant potentiellement jugé Crayssac à Raulecourt, lieu de son décès, il se serait ensuite transporté à Bouconville pour juger Albertini ou l’inverse. Enfin, on imagine également mal pourquoi Crayssac potentiellement jugé à Bouconville aurait été transporté à Raulecourt pour y être fusillé. Généralement, les exécutions ont eu lieu dans la proximité du lieu de jugement, en particulier pour les conseils de guerre spéciaux, surtout en 1914.

Exécution sommaire :

Nous n’avons pas trouvé d’éléments factuels pour confirmer cette circonstance.

Abattu :

Nous n’avons pas découvert d’éléments factuels attestant de cette circonstance.

Pour l’instant, concernant les circonstances du décès de Crayssac, seule l’hypothèse « conseil de guerre ordinaire » peut être écartée.

Parmi les archives judiciaires de la 76ème Division, on trouve un carnet de correspondance qui fournit des informations très intéressantes. La lecture de ce carnet laisse apparaître un rédacteur, en la personne d’un commissaire-rapporteur bien au fait du fonctionnement de la justice militaire, minutieux, procédurier. En somme, un homme du métier. Il relance les commandants des régiments ou sa hiérarchie pour obtenir les documents sur les affaires en cours. Il adresse les comptes-rendus détaillés des conseils de guerre au général commandant la division. Le commissaire-rapporteur ne manque pas de faire la leçon en rappelant aux commandants d’unités les directives à suivre : il y aurait lieu de rappeler…., ses remarques s’adressent également aux gendarmes de la prévôté :


La suite du texte n’est sûrement pas très agréable à lire pour une autorité de gendarmerie. Dans tous ces courriers, si les formules de politesse sont bien présentes, le ton reste très ferme.

La comparaison de ce carnet de correspondance avec le registre des jugements « ordinaires » au cours du mois de septembre 1914, montre une parfaite adéquation entre ces 2 documents. Tous les conseils de guerre ordinaires sont bien repris et documentés sur le carnet. Il ne faut pas oublier que cet officier de la justice militaire va devoir fournir, comme chaque année, à l’état-major de l’Armée à destination du Ministre de la Guerre conformément à la circulaire ministérielle du 19 août 1905, un tableau statistique précis de toutes les condamnations survenues au sein de la division y compris les conseils de guerre spéciaux. Fin décembre 1918, on compte 902 jugements ordinaires à la 76ème DI ; il a donc tout intérêt à avoir des données parfaitement en ordre.

Le commissaire-rapporteur mentionne bien les acquittements, les ordonnances de non-lieu et les peines pour ceux qui sont condamnés. A l’issue des jugements, il retourne un extrait des jugements aux colonels des différentes unités. A noter, qu’il n’y a pas eu de conseil de guerre ordinaire au cours du mois d’octobre. Le seul conseil de guerre ayant siégé en novembre est bien documenté. Le dernier conseil de guerre de l’année qui a eu lieu le 6 décembre, qui a jugé et condamné à mort le soldat Fortoul fait l’objet d’un 1er commentaire de 4 pages. Pour les conseils de guerre ordinaires, force est de constater que ce carnet a été fort bien documenté par son rédacteur.

Ce carnet mentionne le cas du soldat Génillier qui a précédemment fait l’objet d’un 1er courrier du 9 septembre au colonel commandant le 5ème régiment d’infanterie coloniale :


Ce militaire a fait l’objet d’un commencement d’instruction qui n’a pas été à son terme.

Ce que ne dit pas le commissaire-rapporteur dans son courrier adressé le 17 octobre au général commandant le 76ème division, c’est que le soldat Génillier a été abattu par une sentinelle lors de sa tentative d’évasion.

Au sujet des conseils de guerre spéciaux, que peut-on lire ?

Le 1er courrier faisant référence à un conseil de guerre spécial date du 11/11/1914. Le commissaire-rapporteur renvoie au général de division le dossier du soldat Albertini qui a été condamné à 6 ans de travaux publics comme mentionné précédemment.
Ce conseil de guerre a eu lieu le 3 octobre 1914. Aucune mention d’un autre conseil de guerre qui se serait tenu le même jour concernant le soldat Crayssac.


Un mois plus tard, une seconde référence est faite sur le soldat Albertini.

Le commissaire-rapporteur accuse réception du dossier Albertini. Notons la précision apportée : le dossier comporte 4 pages, ce qui est exact.

Le commissaire-rapporteur accuse également réception d’un dossier de conseil de guerre spécial au 6ème colonial, celui du soldat Soleilharou jugé le 14 octobre 1914. Le même jour, il accuse réception d’un autre dossier de conseil de guerre spécial du 5ème colonial qui a condamné le 22 octobre 1914 le soldat Le Mevel à 5 ans de travaux publics. Toujours le 11 novembre, il accuse réception de 3 dossiers de conseil de guerre spécial du 157ème RI qui a condamné le 13 octobre 1914 le soldat Comberousse à 2 ans de prison (dossier de 5 pièces), le soldat Ligouza à 2 ans de prison (dossier de 6 pièces), le 8 octobre 1914 le soldat Despesse à 2 ans de prison (dossier de 7 pièces), le soldat Conorton a été acquitté le 8 octobre 1914. Il accuse également réception d’un dossier de conseil de guerre spécial de l’artillerie divisionnaire qui a condamné le 2 octobre 1914 le maréchal des logis Vinay à 2 ans de prison (dossier de 14 pièces).

Jusqu’au 20/11/1914, date où le cas du soldat Fortoul est évoqué, on ne remarque aucune référence à une quelconque condamnation à mort prononcée par un conseil de guerre temporaire, qu’il soit ordinaire ou spécial.

A la lecture de ce carnet de correspondance, on imagine mal le commissaire-rapporteur oubliant le cas du soldat Crayssac s'il avait été condamné à mort par un conseil de guerre spécial du 163ème RI, mais ceci est un jugement de valeur.

3- Synthèse :

Le cas Crayssac est un cas « d’école » qui s’applique à d’autres militaires décédés dans des conditions mal ou non documentées. En cas d’absence d’archives militaires judiciaires sur tel ou tel militaire, la 1ère question à se poser est la suivante : se trouve-t-on ou pas en présence d’une division d’infanterie comme la 66ème, la 74ème, la 75ème ou la 41ème ? Pour les divisions citées ci-dessus, la possibilité de pouvoir trouver une réponse affirmant que tel militaire a été soit fusillé, soit abattu, soit sommairement exécuté est très faible. Par contre, pour une division documentée, la possibilité de pouvoir apporter une réponse est plus importante surtout en dehors de la période de fonctionnement des conseils de guerre spéciaux où si un soldat n’est pas mentionné dans le registre de jugements ou dans le minutier, c’est indubitablement un exécuté sommaire ou un abattu.

Durant la période de fonctionnement des conseils de guerre spéciaux comme c’est le cas pour Crayssac, il faut se plonger dans la consultation de tous les documents annexes pour déceler des indices.

Une certitude concernant Crayssac, il n’a pas été jugé par un conseil de guerre ordinaire. Ni le registre des jugements, ni les dossiers de procédure n’en font mention.

Contrairement aux conseils de guerre ordinaires, les conseils de guerre spéciaux sont rarement référencés dans un registre des jugements par exemple. Ne parlons pas des minutiers qui sont inexistants.

Certaines divisions n’ont jamais eu recours à ces conseils de guerre spéciaux.

C’est le cas de la 74ème division. Le 25 mai 1917, le général de Lardemelle confirmait ce fait. Remarquons que cette division n’a quasiment pas d’archives judiciaires, ce qui simplifie notamment la recherche des exécutés sommaires ou des abattus.

Au sein de la 76ème division et en particulier au 163ème RI, nous avons vu que de tels conseils de guerre ont bien fonctionné.

Dans ses bases de données, Prisme n’a pas de condamnés à mort fusillés par un conseil de guerre du 163ème RI. Les informations fournies par la cote 11 J 3192 ne mentionnent aucune condamnation à mort au sein de ce régiment, seulement des condamnations à quelques années de prison, peines généralement suspendues.

Le contenu du carnet de correspondance évoqué précédemment, sans être une référence absolue, ne laisse guère présager de la tenue d’un tel conseil de guerre spécial.

Le carnet de correspondance évoque bien le soldat Génillier qui a été abattu par une sentinelle lors d’une tentative d’évasion, rien de tel pour Crayssac.

Par déduction, la seule manière d’expliquer la disparition du soldat Crayssac est une exécution sommaire réalisée en application plus ou moins « correcte » de l’article 121 du règlement sur le service en campagne.

Même si cette part « d’incertitude » ne concerne que les circonstances du décès et une potentielle mutilation volontaire, le chercheur ne se peut se satisfaire pleinement d’une réponse par raisonnement. La recherche d’éléments factuels et des circonstances du décès n’est pas achevée. Pour Prisme, le soldat Crayssac est typiquement un cas d’école comme l’avait été ceux des soldats Robert et Le Parc.

Le général André Bach appréciait Jean-Marc Berlière, brillant universitaire, spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale, qui nous rappelle quelques fondamentaux que Prisme endosse avec enthousiasme : « L’Histoire est aussi une méthode qui consiste à rechercher, à exploiter de façon scrupuleuse et critique les archives contemporaines des faits tout en respectant ce temps essentiel de l’histoire qu’est le futur du passé. Oublieuse de ces principes, fondée sur des affirmations manichéenne et sans nuance, l’histoire n’est qu’un instrument au service de causes politiques, mémorielles ou idéologiques »

Pour André