A travers des articles statistiques, à travers des articles de fond aussi divers que les mutilations volontaires, le code de justice militaire, la notion de fusillés pour l'exemple, l'ambition du Prisme est de fournir un ensemble d'informations permettant aux lecteurs d'appréhender en toutes connaissances de causes et sans parti pris de notre part la problématique des fusillés du conflit 14/18. Notre but n'est pas de juger mais de présenter, d'analyser les faits, de les porter à la connaissance de nos concitoyens au sujet d'une question qui n'est pas seulement d'ordre historique mais enjeu aussi d'un débat mémoriel, encore présent aujourd'hui.

vendredi 5 juillet 2024

Trois vices de procédure dans le jugement du soldat Holagne

  

     Après l’article sur le soldat Pennerat, Prisme poursuit ses recherches en regardant si les dispositions de l’article 74 du code de justice militaire ont été respectées. Rappelons que le conseil de révision se substitue, en temps de guerre, à la Cour de Cassation. Comme le précise le titre II du livre II du code de justice militaire qui définit les compétences de cette entité, les conseils de révision se prononcent sur les recours formés contre les jugements des conseils de guerre établis dans leur ressort.

Dans ses derniers articles, Prisme concentre ses recherches sur la période où le conseil de révision a été suspendu par décret du Chef de l’Etat comme le prévoit l’alinéa 2 de l’article 71 du code de justice militaire et sur les jugements des conseils de guerre temporaires spéciaux. En effet, ces juridictions d’exception étaient plus propices à engendrer des vices de procédure par l’absence de personnel dédié au bon fonctionnement de la justice militaire et par la célérité de mise en œuvre de ces juridictions. Cette recherche se polarise, pour l’instant, sur 2 types de vices de procédure qui sont factuellement faciles à déceler et ne prêtent pas à controverse.

Comme le souligne le traité des recours en révision contre les jugements des conseils de guerre en temps de guerre du colonel Augier et de Le Poittevin (édition de la société du recueil Sirey – 1915, page 1), le conseil de guerre étant juge souverain du fait, le conseil de révision était juge du droit. Les conseils de révision sont pour les militaires condamnés ce qu’est dans l’ordre civil la Cour de cassation pour les individus condamnés en matière criminelle ou correctionnelle.

Pour détecter ces vices de procédure, la lecture des arrêts de la Cour de cassation sont très utiles mais aussi la connaissance des ouvrages de référence en la matière comme l’Augier/Le Poittevin, le Pradier-Fodéré/Le Faure, le Victor Foucher, le Leclerc de Fourolles/Coupois qui apportent de précieuses informations même si le plus petit de ces ouvrages comporte 740 pages.

Nous rappelons que Prisme appréhende l’ensemble de ces évènements à travers la notion, pratiquée en sociologie, de « cohorte » introduite par le général Bach. Une cohorte mensuelle est constituée de tous les condamnés à mort au cours du même mois. Le condamné peut être exécuté dans le mois. Mais il peut l'être aussi dans les mois suivants si son pourvoi en révision a été rejeté ou si sa demande de grâce, après examen, a été rejetée. Les autres condamnés échappent à la mort puisque leur peine est commuée.

Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.

Les phrases en italiques sont la copie exacte des documents originaux, quelle que soit leur apparence.

--------------------------

Le 27e bataillon de chasseurs alpins est entré dans le conflit en Lorraine, à Dieuze précisément le 19 août 1914 au sein de l’armée de Castelnau. Entre novembre et décembre 1914, cette unité est en Belgique, à Ypres, Poperinghe pour arrêter l’ennemi. Fin décembre, le 27e BCA se bat au nord d’Arras. Pour cette attaque du 27, le JMO mentionne 8 officiers tués, 2 blessés et 347 sous-officiers, caporaux et chasseurs tués, blessés ou disparus.

Début janvier 1915, le bataillon est en Alsace. Dès le 20 janvier, il est sur les pentes de l’Hartmannswillerkopf pour essayer de secourir un peloton du 28e BCA encerclé par l’ennemi, sans succès. Fin mars, l’attaque sera reprise avec d’autres unités et le 6 avril l’Hartmannswillerkopf sera conquis. Au cours du mois de juin 1915, le 27e BCA prend part aux attaques sur la cote 955 et sur Metzeral.

Le 8 juin 1915, les gendarmes de la commune de St Amarin située à 15 km à vol d’oiseau au sud de Mittlach le Haut, rattachés à la prévôté de la 66e division, ont procédé à l’arrestation du chasseur Holagne Joseph du 27e BCA dénoncé par un habitant comme pouvant être un déserteur. Interrogé, ce militaire a déclaré avoir quitté son bataillon à Greff près de Steinbach le dimanche 23 mai 1915 vers 16 heures au moment d’une attaque. Holagne expliqua qu’il travaillait aux travaux des champs chez un civil auquel il avait affirmé qu’il était l’ordonnance d’un capitaine. Ce militaire expliquait sa désertion par le fait que le sergent de sa section avait menacé de le punir car son fusil n’était pas propre.

Pour sa part, le lieutenant Bonichon commandant la 1ère compagnie du 27e BCA rédigeait un rapport au sujet du chasseur Holagne.

Le 27 mai 1915, la 1re compagnie commandée par le capitaine Wagner quittait le cantonnement de Steinlebach pour se rendre à la cote 1025 où il devait être en réserve pour une attaque faite par le 28e BCA. Le chasseur était présent.

La compagnie se trouvait massée en ligne de sections par deux sur les pentes de nord-ouest de [la cote] 1025, lorsqu’un obus éclatant au-dessus de la formation, causa la mort de 6 chasseurs et en blessa 8. Le capitaine donna l’ordre de reformer la compagnie à 100 mètres plus bas vers le ravin et de faire l’appel.

Dans chaque section, les caporaux firent l’appel par escouade et c’est alors que l’on s’aperçut de la disparition du chasseur Holagne. On pensa qu’il avait été blessé et qu’il avait gagné le poste de secours.

A ce moment, la compagnie se porta en avant pour occuper les tranchées.

Le lendemain, le sergent major de la Cie s’étant renseigné, rapporta que des chasseurs l’avaient rencontré, paraissant blessé et se dirigeant vers l’arrière.

Le chasseur Holagne, déjà condamné à 2 ans de prison, exécution du jugement retardé, est à la compagnie depuis le mois de janvier 1915.

Ce chasseur qui semble ne pas avoir la plénitude de ses facultés, avait cherché à racheter sa faute : lors du séjour du bataillon à Ventron et quand on demanda l’envoi de patrouilles à l’Hartmannswillerkopf, Holagne se présenta comme volontaire et partit sous les ordres du sergent Hillereau Georges et s’acquitta de la mission avec une bonne volonté évidente.

Au combat du 6 avril, son capitaine alors, M. Paul Wagner, le félicita et lui promit même d’intercéder à l’effet de lui faire lever sa peine de prison ; c’est pour ces raisons que l’on ne douta pas, le jour de sa disparition, que ce chasseur avait abandonné son poste sans motif.

Le chasseur Holagne, ayant commis une faute très grave, le lieutenant commandant la compagnie demande à ce qu’il soit traduit devant un conseil de guerre pour son abandon de poste.

Le soldat Holagne fait partie de la classe 1913, incorporé au 27e BCA et arrivé au corps le 26 novembre 1913. La notice individuelle le décrit comme cultivateur et maçon à son compte résidant dans les Bouches du Rhône, célibataire, catholique, ne s’adonnant pas à l’ivrognerie, ne se livrant pas au libertinage, ni à la débauche, ne vivant pas en concubinage mais passablement noté dans sa commune. Comme cela est mentionné dans le rapport du lieutenant Bonichon, ce militaire a déjà été condamné le 7 décembre 1914 par le conseil de guerre de la 64e division à trois ans de prison pour un abandon de poste sur un territoire en état de guerre. Le même jour, l’exécution de la peine a été suspendue par ordre du général Compagnon commandant cette division.

Cette mesure est très répandue. Elle est prévue par l’article 150 du code de justice militaire et rappelée par le ministre de la Guerre dans son courrier du 20 septembre 1914 : le commandement ne doit pas hésiter dans tous les cas où, après examen, il le reconnaîtra justifié, d’user des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 150 du code de justice militaire, et à suspendre l’exécution du jugement. Ne nous leurrons pas, cette suspension a un but bien précis qui est explicité dans le courrier du 20 septembre 1914 : mon attention a été appelée sur le fait que, trop fréquemment à l’heure actuelle, des militaires commettent des délits et même des crimes dans le but unique d’être incarcérés et éloignés ainsi des champs de bataille et des dangers de la guerre. Il me parait indispensable de prendre toutes les mesures propres à mettre un terme à des actes qui constituent un grave manquement au devoir militaire et privent l’armée du concours d’un certain nombre de soldats.

A la suite du rapport du lieutenant Bonichon, le 1er juillet 1915, le chef de bataillon Stirn, commandant le 27e BCA a ordonné la traduction du soldat Holagne devant le conseil de guerre spécial du 27e BCA pour un abandon de poste en présence de l’ennemi.

Le lieutenant Martin, agissant par délégation conformément à l’article 85 du code justice militaire en tant qu’officier de police judiciaire, a interrogé Holagne. Cet officier n’a posé qu’une question :

D-comment êtes-vous parti et quel jour êtes-vous parti ?
R-je suis parti au moment où on allégeait les sacs de la compagnie à la cote 1025, le 27 mai 1915, avant de partir à l’attaque.
Parmi les trois témoins cités dans le rapport du lieutenant Bonichon, deux n’ont pas été auditionnés, le sergent Baudelin blessé puis évacué et le caporal Vassal porté disparu. L’officier de police judiciaire a auditionné le 3e témoin cité dans le rapport du lieutenant Bonichon. Il s’agit du sous-lieutenant Chailloux qui a déclaré : le 27 mai, alors que la 1ère compagnie était depuis quelque temps sous le bombardement à la cote 1025, un obus vient tomber au milieu de la 1ère section dont faisait partie l’accusé tuant 6 chasseurs et en blessant 7. Les blessés se dirigèrent sur le poste de secours et Holagne partit avec eux ; on le croyait blessé à ce moment-là. Le lendemain lorsque l’on fit l’appel, le chef de section constata qu’Holagne n’avait pas rejoint la section et n’avait pas passé au poste de secours pour se faire évacuer.

Un autre témoin en la personne de l’adjudant Hillereau a été entendu par le conseil de guerre.

Le 2 juillet 1915, les pièces du dossier de procédure ne le précisent pas, probablement à la lecture des éléments recueillis par l’officier de police judiciaire, le chef de bataillon Stirn, commandant le 27e BCA, ordonnait la mise en jugement directe du soldat Holagne en application de l’article 156 du code de justice militaire. Le conseil de guerre spécial du 27e BCA était convoqué pour le jour même à Mittlach le Haut.

Le chef de bataillon Stirn avait-il anticipé le résultat de l’audition des témoins et l’interrogation du prévenu ? Toujours est-il que le 1er juillet, comme on peut le constater ci-dessus, cet officier avait déjà désigné les juges du conseil de guerre dont lui-même. Le chef de bataillon Stirn avait également désigné un commissaire-rapporteur en la personne du lieutenant Giaubert, un greffier en la personne du soldat Fraggianelli qui a remis la cédule de convocation aux témoins. Le défenseur désigné d’office par le commissaire-rapporteur était l’aspirant Mutters.

Le conseil de guerre s’était réuni le 2 juillet à Mittlach le Haut devant le poste de commandement. Le chef de bataillon Stirn, président de ce conseil, a procédé à l’audition des témoins dont l’adjudant Hillereau qui a déclaré : avoir connu quand il était sergent-major à la 4e compagnie, il se souvient que l’accusé quitta la compagnie au cours d’une marche de nuit d’Andilly à Bernécourt puis à l’interrogatoire de l’accusé même si les notes d’audience n’en font pas mention.

A l’issue des débats, les juges du conseil de guerre ont condamné à mort à l’unanimité le soldat Holagne pour abandon de poste en présence de l’ennemi en application de l’article 213 &1 du code de justice militaire.

Le même jour, à 11h30, le chasseur Holagne a été fusillé.

 -------------------------

Faut-il s’étonner que ce militaire ait été fusillé si peu de temps après le verdict du conseil de guerre ? Pas vraiment, c’est ce que prescrivait le décret ministériel du 1er septembre 1914 : dès qu’une condamnation capitale, prononcée par un conseil de guerre sera devenue définitive [….] l’officier qui a ordonné la mise en jugement prendra immédiatement les mesures nécessaires pour assurer l’exécution du jugement. La condamnation était devenue définitive puisque le conseil de guerre était une juridiction souveraine des faits et que le recours en révision a été suspendu le 17 août 1914.

Restait le recours en grâce dont le nouvel usage était précisé dans le même décret ministériel : à moins qu’exceptionnellement, il n’estime [l’officier qui a ordonné la mise en jugement] qu’il y a lieu de proposer au Chef de l’Etat une commutation de peine. Lorsqu’il décidera que la Justice doit suivre son cours, il se conformera, sans m’en référer aux dispositions finales de l’article 71 du code de justice militaire et donnera l’ordre d’exécution dans les 24 heures qui suivront la réception du jugement.

Pour le cas Holagne, le chef de bataillon Stirn n’a pas proposé de recours en grâce mais a rapidement ordonné l’exécution.

Dans ce dossier, le respect des procédures laisse un peu à désirer, ainsi le lieutenant Giaubert se présente comme commissaire du gouvernement alors que cette fonction n’existe pas au sein des conseils de guerre temporaires puisque les fonctions de commissaire du gouvernement et de rapporteur ont été réunies en 1875 lors de l’importante refonte du code de justice militaire du moins pour les conseils de guerre temporaires qui ont jugé 96% des militaires français condamnés à mort puis fusillés. On remarque que beaucoup de documents sont encore manuscrits alors que le jugement a eu lieu en juillet 1915 soit presque une année après le début du conflit.

L’interrogatoire de ce militaire par l’officier de police judiciaire a été très bref. Cet officier n’a pas d’éléments à décharge mais pouvait-il en être autrement vu la réponse donnée par ce soldat. De même, lors du jugement, les notes d’audience des 2 témoins sont plutôt succinctes. Dans ce jugement, on se demande si on n’a pas confondu célérité avec précipitation.

Pour Holagne, était-on dans le cas d’un flagrant délit qui aurait justifié le recours à un conseil de guerre temporaire spécial ? Ce soldat a été arrêté le 8 juin suite à un abandon de poste en présence de l’ennemi survenu le 27 mai 1915, le jugement ayant eu lieu le 2 juillet. Le recours à cette procédure ne semblait plus justifié. Le conseil de guerre de la 66e division, juridiction plus rompue au fonctionnement de la justice militaire avec un commissaire-rapport à plein temps, aurait probablement évité les tâtonnements et imprécisions de ce conseil de guerre spécial.

Ce jugement comme d’autres, souffre de plusieurs vices de procédure.

Comme on peut le voir, ci-dessus, sur l’ordre de convocation du conseil de guerre, le chef de bataillon Stirn a présidé ce conseil de guerre spécial mais il a également nommé les juges du conseil de guerre dont lui-même. C’est formellement interdit par l’article 24 du code de justice militaire qui précise que nul ne peut siéger comme président ou juge s’il a précédemment connu de l’affaire comme administrateur.

Selon le commentaire abrégé sur le code de justice militaire du capitaine Vexiau de 1876, licencié en droit, par celui qui a connu de l’affaire comme administrateur, il faut entendre celui qui a été appelé par ses fonctions à en faire l’examen et à donner son avis sur les faits qui font l’objet de la poursuite. Le capitaine Vexiau reprend la fin de l’alinéa 96 (page 91) du commentaire sur le code de justice militaire de 1858 du conseiller à la Cour de cassation Victor Foucher.

La minute du jugement mentionne cette phrase qui s’avère inexacte : lesquels [les juges dont le président] ne se trouvant dans aucun des cas d’incompatibilité prévus par les articles 22, 23 et 24 du code précité. Dans le cas du soldat Bersot, l’arrêt de la Cour de cassation a bien précisé ce point, l’officier qui a ordonné la mise en jugement d’un militaire ne peut pas présider un conseil de guerre.

Ce type de vice de procédure ne se produit pas au sein des conseils de guerre temporaires ordinaires car c’est le général de division qui nomme les juges (le président du conseil de guerre étant dans la plupart des cas un lieutenant-colonel) et ordonne la mise en jugement en adressant un courrier au commissaire-rapporteur de la division.

Ce jugement présente un autre vice de procédure. La minute du jugement a été rédigée sur un document manuscrit baptisé « Formule n°16-2 » par analogie aux modèles de référence présents en annexe du code de justice militaire. Sur cette pièce, il est écrit : En conséquence, le conseil déclare que le prévenu est coupable et le condamne en vertu de l’article 213 à la peine de mort. Or, selon l’article 140 du code de justice militaire, « le jugement fait de l’accomplissement de toutes les formalités prescrites par la présente section …..Il énonce à peine de nullité….6° les questions posées, les décisions et le nombre de voix ». Sur la minute de ce jugement « modèle n°16-2 », le nombre de voix n’a pas été mentionné. Quelle aurait été la réaction du conseil de révision, s’il avait eu à se prononcer, devant ce fait ?

Dans ce dossier, il existe un troisième vice de procédure. Il est écrit, « le président a posé la question, ….…, ainsi qu’il suit : l’accusé est-il coupable du fait qui lui est imputé ? » Selon l’article 132 du code de justice militaire, la 1ère question doit porter sur le fait principal et chaque circonstance aggravante devant faire ensuite l’objet d’une question séparée sous peine de tomber dans le vice de complexité. Exemple : le soldat X est-il coupable d’avoir le dix mai 1916 devant Verdun, abandonné son poste en présence de l’ennemi réunit ainsi en une seule question le fait principal « d’abandon de poste » et la circonstance aggravante de « présence de l’ennemi ». Ce vice de procédure aurait suffi pour casser ce jugement si les conseils de révision n’avaient pas été suspendus.

Parmi tous les vices de procédure sanctionnés soit par la Cour de cassation, soit par les conseils de révision, ces 3 catégories sont assez faciles à identifier sur un jugement.

Si le conseil de révision de la VIIe Armée n’avait pas été suspendu le 17 août 1914 comme d’ailleurs tous les autres conseils de révision statuant sur les jugements des conseils de guerre temporaires, il est certain que ce jugement aurait été cassé et renvoyé devant une autre juridiction. Pour autant, quel jugement aurait été rendu par cette nouvelle juridiction ? Avant l’admission des circonstances atténuantes, mesure phare de la loi du 27 avril 1916, il est fort peu probable que ce jugement ait été différent, même si les notes d’audience ne le réaffirment pas, le soldat Holagne ayant admis son abandon de poste en présence de l’ennemi devant l’officier de police judiciaire.

In fine, en l’absence du conseil de révision qui était juge du droit, l’emploi de ce type de juridiction s’est avéré encore une fois très préjudiciable au bon fonctionnement de la justice militaire. Du reste, les statistiques le montrent bien, juillet 1915 est le dernier mois d’usage des conseils de guerre temporaires spéciaux avant que ce type de juridiction ne tombe en désuétude.

Prisme est sûr de ses statistiques. Comme le général Bach le soulignait : avant de le décrire, un phénomène historique doit être quantifié le plus finement possible afin d’en appréhender au plus près l’ampleur. Il faut mettre fin aux approximations que l’on lit çà et là dans les ouvrages universitaires ou pas, parfois même diffusées sur les canaux officiels de la République à commencer par les « 639 ».

Pour André 


 

 



samedi 8 juin 2024

Encore un vice de procédure dans le jugement du soldat Pennerat

 

     Après l’article sur le soldat Giraud, Prisme poursuit ses recherches en regardant si les dispositions de l’article 74 du code de justice militaire ont été respectées. Rappelons que le conseil de révision se substitue, en temps de guerre, à la Cour de Cassation. Comme le précise le titre II du livre II du code de justice militaire qui définit les compétences de cette entité, les conseils de révision se prononcent sur les recours formés contre les jugements des conseils de guerre établis dans leur ressort.

A la suite des précédents articles illustrant des vices de procédure présents dans les jugements des conseils de guerre temporaires spéciaux au cours de la période de la suspension des conseils de révision, notre recherche se polarise, dans un 1er temps, pour des raisons de facilité de présentation, sur 2 types de vices de procédure qui sont factuellement faciles à déceler et ne prêtent pas à controverse

Pour détecter ces vices de procédure, la lecture des arrêts de la Cour de cassation sont très utiles mais aussi la connaissance de l’Augier/Le Poittevin, du Pradier-Fodéré/Le Faure, du Victor Foucher, du Leclerc de Fourolles/Coupois qui apportent de précieuses informations.

Nous rappelons que Prisme appréhende l’ensemble de ces évènements à travers la notion, pratiquée en sociologie, de « cohorte » introduite par le général Bach. Une cohorte mensuelle est constituée de tous les condamnés à mort au cours du même mois. Le condamné peut être exécuté dans le mois. Mais il peut l'être aussi dans les mois suivants si son pourvoi en révision a été rejeté ou si sa demande de grâce, après examen, a été rejetée. Les autres condamnés échappent à la mort puisque leur peine est commuée.

Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.

Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux, quelle que soit leur apparence.

--------------------------

Après avoir été engagé successivement dans la bataille de Morhange, dans celle du Grand Couronné, puis dans la bataille de Flirey et enfin en Belgique dans la bataille d’Ypres, le 96e régiment d’infanterie a été acheminé en Champagne fin février 1915 où il entre en ligne le 4 mars 1915 dans le secteur de Beauséjour.

Les attaques sur la butte du Mesnil se succéderont durant le mois de mars sans grands résultats. Avec le mois de mai, débutera la guerre des mines. Les combats continueront ainsi en juin avec des pertes élevées.

Le soldat Pennerat de la classe 1903, engagé volontaire, renvoyé dans la réserve en 1908 avec le certificat de bonne conduite refusé suite à un séjour dans une section de discipline, a été rappelé à l’activité le 1er août 1914. Affecté au 153e régiment d’infanterie, blessé, puis évacué vers le dépôt de son unité selon le dossier de procédure, ce soldat est affecté au dépôt du 96e régiment d’infanterie de Béziers le 15 décembre 1914.

Le 11 mai 1915, le lieutenant Loubatière commandant la 2e compagnie de cette unité rédigeait le rapport ci-dessous :

Cet homme, qui est arrivé au PC4 le 6 mai au soir, s’est à nouveau fait porter malade le 7 et a été reconnu propre au service par M. le médecin aide-major Lecomte. Sur sa demande, il a été soumis à une contre-visite qui a confirmé la première décision.

Le lieutenant Vigneron a donné l’ordre à Pennerat de rejoindre sa compagnie aux tranchées. Cet homme ayant refusé d’exécuter l’ordre reçu, le lieutenant Vigneron, en présence du sergent-major Vidal de la 2e compagnie et du caporal sapeur Roualdès de la CHR [compagnie hors rang] lui a lu l’article 218 du code de justice militaire relatif au « refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi » et l’a fortement engagé à ne pas persévérer dans son refus ; il est resté avec les sapeurs du régiment au PC4.

Le 9 mai, la compagnie se trouvant au PC4, le lieutenant Loubatière, en présence du sergent -major Vidal et du caporal fourrier Deleuil de la 2e compagnie a réitéré au soldat Pennerat l’ordre de prendre sa place à la section où il était affecté. Le soldat Pennerat a opposé un nouveau refus catégorique.

En conséquence, le commandant de la 2e compagnie a l’honneur de demander que le soldat Pennerat soit traduit en conseil de guerre pour refus d’obéissance en présence de l’ennemi (art. 218 du code justice militaire).

Des renseignements recueillis, il résulte que le soldat Pennerat appartenait à la 30e compagnie du 153e régiment d’infanterie. Ayant été blessé, il fut évacué sur le dépôt de son régiment à Béziers d’où il partit avec un renfort du 96e en date du 16 décembre 1914 ; il quitta le détachement à Nîmes et alla à Paris, voir sa famille. Après une absence illégale de trente heures, il se présenta de lui-même au dépôt d’éclopés du Bourget où il fut admis. En janvier, il s’absenta de ce dépôt, alla à Paris et se rendit de lui-même après une absence illégale de dix-sept heures. De là, il revint au dépôt, repartit de Béziers avec un renfort du 15 avril 1915 et se fit porter malade à son passage au Bourget. Il quitta de nouveau l’hôpital, alla à Paris et après une absence illégale de quarante-huit heures, se rendit de lui-même. Pour ce motif, il eut 8 jours de prison et fut renvoyé à l’avant.

Bien que malade au dépôt de Béziers, cet homme ne s’est pas présenté à la visite avant son départ pour le front.

Tous ces renseignements ont été donnés par le soldat Pennerat qui, d’autre part, a certifié n’avoir jamais été arrêté.

En résumé, cet homme qui, aujourd’hui, invoque la maladie comme excuse, ne s’est pas présenté à la visite à Béziers avant son départ pour le front.

Il s’est échappé à Nîmes (absence illégale de 30 heures), puis du dépôt des éclopés du Bourget (absence illégale de 17 heures), et en avril (absence illégale de 48 heures).

Il a encouru de ce fait plusieurs punitions pour absence illégale qui sont inscrites à Béziers au dépôt, punitions qui devraient entraîner déjà son envoi en conseil de guerre.

Le soldat Pennerat demande qu’une contre visite lui soit passée par un oculiste.

A ce stade du récit, deux remarques sont à formuler : 

-si les auditions des témoins confirment le refus d’obéissance, les faits sont graves.

-le refus d’obéissance en présence de l’ennemi énoncé dans le rapport du lieutenant n’existe pas dans le code de justice militaire, il s’agit bien entendu du refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi (article 218).

Le 13 mai, le Lt colonel Pouget commandant le 96e régiment d’infanterie a délégué ses pouvoirs au chef de bataillon Riols comme officier de police judiciaire pour instruire l’affaire comme le permet le code de justice militaire. Ce dernier a interrogé le prévenu et auditionné les 4 témoins cités dans ce dossier.

Procès-verbal d’interrogatoire du soldat Pennerat par l’officier de police judiciaire :

D- vous êtes inculpé de refus d’obéissance en présence de l’ennemi. Qu’avez-vous à dire pour votre justification ?
R- j’ai fait cette bêtise parce que je n’y vois que d’un œil. Je ne voudrais pas exposer ma vie mal à propos du moment que ne je n’y vois pas. Je ne veux aller aux tranchées qu’après avoir vu un oculiste à Châlons.
D- jusqu’à quel point votre vue est-elle diminuée ?
R- j’y vois de jour, la nuit pas beaucoup
D- où avez-vous accompli votre service actif ?
R- j’ai fait une partie de mon service au 129e au Havre et l’autre partie en Afrique où j’ai été envoyé par mesure disciplinaire.
D- l’article 218 du code de justice militaire vous ayant été lu, vous saviez à quoi vous vous exposez en refusant d’aller aux tranchées ?

R- non
D- pourquoi le 9 mai 1915 quand il ne s’agissait que de prendre place dans votre section, avez-vous refusé de le faire ?
R- parce que je voulais passer chez un oculiste avant
D- vous rendez-vous compte cette seconde fois, de la faute que vous commettez ?
R- ma foi non.
D- pourquoi au dépôt à Béziers, dans vos différentes absences illégales à Paris, n’avez-vous pas vu un oculiste et pris des certificats qui auraient prouvé votre incapacité de servir ?
R- j’en ai vu un à Béziers qui m’a mis à l’hôpital, j’en suis sorti parce que je m’étais absenté de l’hôpital pendant 2 heures.
D- pourquoi ne vous êtes-vous-pas présenté au médecin du dépôt avant le départ pour le front ?
R- quand on est reconnu, on part quand même
D- qu’avez-vous à ajouter à votre défense ?

R- je ne demande qu’à racheter ma faute.
D- de quelle façon, voulez-vous vous racheter ?
R- en allant aux tranchées et de changer de régiment pour rejoindre mon frère.
D- vous admettez donc que vous pouvez faire votre service ?
R- en passant chez un oculiste avant.

Procès-verbal d’information du lieutenant Vigneron recueilli par l’officier de police judiciaire

D- dans quelles conditions avez-vous été amené à donner l’ordre à l’inculpé d’aller aux tranchées ?
R- Pennerat rejoignant le corps avec le ravitaillement s’est présenté à moi pour connaître l’affectation. Lui ayant dit qu’il était affecté à la 2e Cie, je lui ai donné l’ordre de suivre son sergent-major qui le ferait conduire aux tranchées. Pennerat a déclaré qu’il était malade et désirait passer la visite. Je l’ai fait conduire au poste de secours où le médecin major a reconnu qu’il pouvait faire son service à la condition de venir chaque jour au poste de secours se faire soigner. En conséquence, j’ai donné l’ordre à Pennerat de rejoindre sa Cie, en même temps que le cuisinier le soir même. Pennerat a refusé d’exécuter l’ordre. J’en ai rendu compte au colonel qui a prescrit de lui faire passer une contre visite. Le lendemain matin, j’ai fait conduire cet homme au médecin chef de service qui a confirmé la décision du médecin du bataillon. J’ai donné l’ordre à Pennerat de suivre le sergent-major de sa Cie que j’avais fait mander. Cet homme a refusé, j’ai appelé comme second témoin le caporal Roualdès de la Compagnie Hors Rang et en présence du sergent-major et du caporal, j’ai réitéré deux fois le même ordre à Pennerat en lui lisant l’article 218 du code de justice militaire. Pennerat n’en a pas moins persisté dans son refus.

J’ai adressé aussitôt un rapport à son commandant de Cie afin que ce dernier prononce la punition qui a déterminé la mise en prévention de conseil de guerre de Pennerat
D- Pennerat a-t-il refusé d’obéir ou s’est-il contenté de ne pas exécuter l’ordre ?
R- Pennerat n’a pas exécuté l’ordre en déclarant que son état ne lui permettait pas d’aller aux tranchées, qu’il voulait passer une autre contre visite que celle qu’il venait de passer.

Les procès-verbaux des autres témoins relatent les mêmes faits.

Le caporal Deleuil indique notamment : le lieutenant Loubatière a dit qu’il lui mettrait huit jours de prison et qu’il ferait une demande en conseil de guerre. Le caporal Roualdès précise : j’ai été appelé par le lieutenant Vigneron qui m’a chargé de conduire Pennerat au colonel. Le colonel, sur demande de contre visite a répondu à Pennerat qu’il n’avait qu’à exécuter les ordres du médecin. Pennerat a été conduit le lendemain au médecin chef du service qui l’a reconnu apte à aller aux tranchées. Le lieutenant Vigneron a donné l’ordre à Pennerat de suivre le sergent major Vidal aux tranchées. Pennerat a répondu qu’il n’y allait pas tant qu’il avait son œil malade. Quant au sergent major Vidal, son audition permet de partager le même récit des faits : le lieutenant Vigneron a fait appeler le soldat Pennerat et en même temps le caporal sapeur Roualdès. Devant nous, il lui a rappelé et lu la décision des médecins, lu l’article du code de justice militaire concernant le refus d’obéissance et par deux fois lui a donné l’ordre de suivre le sergent major pour aller aux tranchées. Pennerat a répondu qu’il ne considérait pas la contre visite du médecin chef comme une contre visite, qu’il était malade et qu’il ne montrait pas aux tranchées se faire tuer bêtement.

Ces procès-verbaux sont très intéressants à lire. Ils sont certifiés exacts par leurs auteurs. Ils sont quasiment les seules sources authentiques de la parole des inculpés hormis les notes d’audience qui sont manquantes dans ce dossier.

Le médecin major de 1re classe Bory a fait le même diagnostic que celui fait précédemment par son confrère le médecin aide major de 2e classe Lecomte du 3e bataillon.

Le 17 mai, à la suite à l’établissement de ces documents, le Lieutenant-colonel Pouget a adressé au général Vidal commandant la 31e division une plainte comportant 12 pièces dont les auditions des témoins, l’interrogatoire du prévenu, la délégation du chef de corps, le rapport du commandant de compagnie, l’état signalétique et des services de confection locale, l’état des effets, la visite du médecin du 3e bataillon, la contre visite du médecin du régiment, le relevé de punitions. Il ne manquait que le relevé de casier judiciaire de ce soldat.

A cet instant, la procédure était respectée.

Le dossier de procédure ne contient pas de pièce mentionnant une éventuelle réponse du général Vidal dans cette affaire. L’absence d’une mise en jugement par le conseil de guerre de la 31e division porte à croire que le général Vidal a laissé le choix du type de conseil de guerre au chef de corps du 96e régiment d’infanterie. En effet, à partir de ce moment, c’est le chef de bataillon Genet commandant provisoirement le régiment qui va prendre en charge le dossier. On ignore la raison de l’absence du Lieutenant-colonel Pouget. Toujours est-il que le 19 mai, le chef de bataillon Genet commandant provisoirement le régiment convoquait un conseil de guerre spécial :

Le lendemain, suite à ce texte manuscrit peu protocolaire, le chef de bataillon Genet rédigeait une convocation du conseil de guerre un peu plus règlementaire.

Le conseil de guerre était convoqué pour 14 heures. Sur ce second document, les juges, le commissaire-rapporteur, le greffier, le défenseur n’avaient pas changé. Sur le document ci-dessus, deux détails montrent le manque de connaissance du fonctionnement de la justice militaire : le commissaire-rapporteur était encore appelé « commissaire du gouvernement » mais cette fonction n’existe qu’au sein des conseils de guerre permanents. Le soldat Pennerat est une nouvelle fois accusé de « refus d’obéissance en présence de l’ennemi », motif qui n’existe pas dans le code de justice militaire. Mais n’oublions pas que les conseils de guerre temporaires créés en 1875, n’avaient jamais fonctionné avant août 1914, ceci expliquant le peu de pratique des intervenants.

Soulignons que ces pièces du dossier sont encore manuscrites alors que les imprimés idoines existaient. Par exemple, le dossier de procédure du soldat Devilde Joseph jugé en janvier 1915 montre bien que le commissaire-rapporteur de la 31e division en avait à sa disposition en particulier la formule 13bis intitulée « citation directe à comparaitre à l’audience ».

Pour le soldat Pennerat, aux yeux des juges, les deux refus d’obéissance s’ajoutant aux avis des deux médecins vont peser lourd.

La minute du jugement « Formule n°16 » est absente du dossier de procédure. On trouve, à la place mais qui ne la remplace pas, une pièce de confection locale collationnant les votes des juges.

Le 20 mai 1915, à l’unanimité des voix, le conseil de guerre spécial du 96e régiment d’infanterie siégeant au PC du bois de la Truie a condamné à la peine de mort le soldat Pennerat en application de l’article 218 & 1 du code de justice militaire. Le 24 mai 1915, ce soldat a été fusillé à Somme Tourbe.

------------

Prisme a déjà trouvé, parmi les conseils de guerre temporaires spéciaux, des signes de la précarité de la connaissance du fonctionnement de la justice militaire par ceux qui étaient censés la mettre en œuvre. Dès le début du conflit, la mise œuvre des conseils de guerre temporaires « ordinaires » à 5 juges n’a pas dû être aisée. En effet, cette catégorie de conseil de guerre n’avait jamais fonctionné depuis leur création en 1875. Mais la création des conseils de guerre temporaires spéciaux par le décret du 6 septembre 1914 s’est faite dans la précipitation.

Comme d’autres jugements déjà dénoncés par Prisme, ce jugement comporte un vice de procédure : comme il est mentionné au bas de l’extrait du jugement ci-dessus, le chef de bataillon Genet a présidé ce conseil de guerre spécial mais il a également nommé les juges du conseil de guerre dont lui-même. C’est formellement interdit par l’article 24 du code de justice militaire qui précise que nul ne peut siéger comme président ou juge s’il a précédemment connu de l’affaire comme administrateur.

Selon le commentaire abrégé sur le code de justice militaire du capitaine Vexiau de 1876, licencié en droit, par celui qui a connu de l’affaire comme administrateur, il faut entendre celui qui a été appelé par ses fonctions à en faire l’examen et à donner son avis sur les faits qui font l’objet de la poursuite. Le capitaine Vexiau reprend la fin de l’alinéa 96 (page 91) du commentaire sur le code de justice militaire de 1858 du conseiller à la Cour de cassation Victor Foucher.

Si le conseil de révision de la IVe Armée n’avait pas été suspendu le 17 août 1914 comme d’ailleurs tous les autres conseils de révision, ce jugement aura été cassé et renvoyé devant une autre juridiction appelée à statuer de nouveau sur le sort de ce militaire.

Pour autant, dans le cadre d’un nouveau jugement, à supposer que les conseils de révision n’aient pas été suspendus, le sort du soldat Pennerat aurait-il-été différent ?

Mais d’abord rappelons la réglementation en matière de refus d’obéissance. Selon le traité théorique et pratique de droit pénal et de procédure criminelle militaires à l’usage des membres des conseils de guerre et des officiers de l’armée de terre du colonel Augier et de Le Poittevin (Edition de la société du recueil Sirey – 1918, page 582), les éléments constitutifs du refus d’obéissance sont : qu’il y ait eu refus d’obéir d’un militaire à son supérieur, que ce refus se soit produit à propos d’un ordre de service, qu’il y ait eu intention coupable. L’expression refus d’obéir ne doit pas être prise à la lettre : il n’est pas nécessaire qu’il y ait refus manifesté par une démonstration extérieure ; il suffit que l’ordre n’ait pas été exécuté, pourvu qu’il y ait eu, non simple négligence, mais intention arrêtée de ne pas se conformer à cet ordre. L’article 218 du code de justice militaire prévoit deux cas distincts de refus d’obéissance, suivant la nature de l’ordre qui a été donné : le premier est le refus d’obéir, quand un militaire est commandé pour marcher contre l’ennemi ; le second consiste dans le refus d’obéir à un ordre de service quelconque, autre que celui de marcher contre l’ennemi.

Si le 1er cas est puni par la peine de mort, le second est sanctionné par une peine de 5 à 10 ans de travaux publics.

C’est le 1er cas qui a été utilisé, à tort, par le lieutenant-colonel Auroux pour le jugement du soldat Lucien Bersot. Or, ce militaire n’a pas été commandé pour marcher contre l’ennemi. C’est pour cette raison, entre autres, que la Cour de cassation a cassé le jugement de ce militaire et l’acquitté.

Qu’en est-il pour le soldat Pennerat ? Les juges ont eu à déterminer si le refus d’obéissance de ce soldat relevait du premier ou du second cas prévu par l’article 218 du code de justice militaire.

Avant le 27 avril 1916, date de parution de la loi qui autorisait l’admission des circonstances atténuantes pour les crimes militaires, on peut penser que le verdict n’aurait pas été changé dans cette affaire, les deux refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi étant confirmés par les témoins. Les visites et contrevisites des médecins ne plaident pas en la faveur de Pennerat. Pour ce cas, les juges n’avaient que pour seuls choix l’acquittement ou la condamnation à mort.

Si ce jugement avait eu lieu après le 27 avril 1916 ou si les circonstances atténuantes avaient existé en temps de guerre pour les crimes militaires, quel aurait été le verdict des juges ? Les statistiques montrent que les jugements survenus suite à un 1er jugement cassé par un conseil de révision, se sont rarement soldés par une nouvelle condamnation à mort suivie d’une exécution mais ces évènements sont intervenus après avril 1916. On pourrait imaginer un autre sort car certains jugements montrent que des présidents de conseils de guerre ont demandé des compléments d’informations auprès du personnel médical. Mais on est là dans la conjecture.

A la date de ce jugement, les juges ne pouvaient pas formuler une demande de recours en grâce auprès du président de la République, seul l’officier qui avait ordonné le jugement avait ce droit. Ici, comme Prisme l’a expliqué ci-dessus, le chef de bataillon Genet a confondu son rôle d’administrateur et de juge mais on peut s’interroger sur les 4 jours qui se sont écoulés entre le jugement et l’exécution de Pennerat. Le décret du 1er septembre 1914 signé Millerand est très clair sur ce point : lorsqu’il décidera [le conseil de guerre] que la Justice doit suivre son cours, il se conformera, sans m’en référer, aux dispositions finales de l’article 71 du code de justice militaire, et donnera l’ordre d’exécution dans les 24 heures qui suivront la réception du jugement. Pourtant, il s’est passé encore 3 jours avant l’exécution, on peut se questionner sur une éventuelle demande de recours en grâce formulée par le chef de bataillon Genet auprès du général Vidal. C’est une spéculation que rien ne vient étayer mais on ne peut manquer de s’interroger.

Prisme a trouvé d’autres vices de procédure de cette catégorie au sein d’autres dossiers de procédure existants des conseils de guerre temporaires spéciaux qui feront l’objet d’autres articles. Toute la question est de savoir si ces vices de procédure auraient été susceptibles de changer le destin de ces soldats si le fonctionnement de la justice militaire n’avait pas été modifié sous la pression des évènements par l’autorité politique, ce que le général Bach avait appelé « le Poids du politique dans le fonctionnement de la justice militaire ».

Comme le disait le général Bach : l’historien est à l’aise tant qu’il présente des preuves archivistiques. Il en est tributaire mais il n’arrête pas sa réflexion quand celles-ci se raréfient. Au-delà, il conceptualise et émet des hypothèses, des paradigmes, termes scientifiques bien identifiés. Il quitte le domaine de la preuve irréfutable pour entrer en dialectique.

Pour André




samedi 4 mai 2024

Plusieurs vices de procédure dans le jugement du soldat Giraud

 

     A la suite de l’article publié sur le soldat Laforest, Prisme poursuit ses recherches en essayant de détecter la présence d’éventuels vices de procédure dans les dossiers de procédure des conseils de guerre temporaires spéciaux.

Prisme concentre ses recherches sur la période où le conseil de révision a été suspendu par décret du Chef de l’Etat comme le prévoit l’alinéa 2 de l’article 71 du code de justice militaire et sur les jugements prononcés par les conseils de guerre spéciaux. En effet, ces juridictions d’exception étaient plus propices à engendrer des vices de procédure par l’absence de personnel dédié au bon fonctionnement de la justice militaire et par les principes de fonctionnement de ces juridictions.

Parmi tous les cas de vices de procédure qui ont été relevés soit la Cour de cassation, soit par les conseils de révision, Prisme s’est concentré sur deux ou trois types de ces vices de procédure qui sont factuellement assez faciles à détecter et à présenter.

Comme le souligne le traité des recours en révision contre les jugements des conseils de guerre en temps de guerre du colonel Augier et de Le Poittevin (édition de la société du recueil Sirey – 1915, page 1), le conseil de guerre étant juge souverain du fait, le conseil de révision était juge du droit. Les conseils de révision sont pour les militaires condamnés ce qu’est dans l’ordre civil la Cour de cassation pour les individus condamnés en matière criminelle ou correctionnelle.

Nous rappelons que Prisme appréhende l’ensemble de ces évènements à travers la notion, pratiquée en sociologie, de « cohorte » introduite par le général Bach. Une cohorte mensuelle est constituée de tous les condamnés à mort au cours du même mois. Le condamné peut être exécuté dans le mois. Mais il peut l'être aussi dans les mois suivants si son pourvoi en révision a été rejeté ou si sa demande de grâce, après examen, a été rejetée. Les autres condamnés échappent à la mort puisque leur peine est commuée.

Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.

Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux, quelle que soit leur apparence.

--------------------------

C’est encore dans le secteur de l'Hartmannswillerkopf que se situe cet épisode de la guerre. Après avoir combattu en Alsace au début du conflit, le 7e bataillon de chasseurs alpins est engagé dans la « course à la mer », période au cours de laquelle Mémoire des Hommes mentionne 222 décès, puis ce sont les combats dans la Somme et en Belgique qui ont causé 416 décès selon la même source.

En janvier 1915, le 7e BCA est de retour en Alsace. Le 23 janvier, le bataillon qui fait partie de la 1ère brigade de chasseurs, reçoit l’ordre de se porter au secours d’une compagnie du 28e BCA encerclée puis de s’emparer de l'Hartmannswillerkopf, ce qu’il ne pourrait pas réussir. Le 27 février, le bataillon participe aux attaques sur ce sommet tout comme les 5, 17, 23 mars. Enfin le 26 mars, le 7e BCA s’empare avec d’autres unités du sommet de l'Hartmannswillerkopf. Les combats vont se poursuivre jusqu’au 20 avril où le bataillon sera relevé et ira stationner à Moosch.

Depuis le 1er octobre 1914, le bataillon est commandé par le chef de bataillon Hellé. Nous connaissons bien cet officier qui a été amené à juger le 7 mars 1915 les soldats Botté et Camier. Nous avons évoqué le cas de ces 2 soldats dans un précédent article.

Le 6 avril, à 16h10, la 3e section de la 2e compagnie du 7e BCA, déboucha pour coopérer à l’attaque du 53e BCA. Après avoir dépassé les défenses accessoires de la 6e compagnie, elle corrigea sa formation de façon à marcher en bon ordre face à son objectif. Cette opération causa l’arrêt momentané de quelques éléments donc les chasseurs s’agenouillèrent ou s’abritèrent. Le chasseur Giraud Victor, Mle 3828 descendit dans un trou d’obus, au bout duquel un arbre était couché. Il se trouvait si bien masqué qu’il prétend ne pas s’être aperçu de la reprise de la marche et ne rejoignit pas sa section. Il déclara qu’après un certain temps, il s’inquiéta de ce qu’elle avait pu devenir et s’avança d’une vingtaine de mètres. Ne voyant rien, prit le parti de rester là, passa la majeure partie de la nuit au pied d’un arbre et rentra dans la ligne au matin.

Or, l’emplacement où Giraud termina ses recherches se trouve être un pli de terrain aussi susceptible de le cacher aux vues que de l’empêcher de voir lui-même. Si peu qu’il ait continué de marcher, il aurait pu apercevoir sa section qui ne dépassa le fond du ravin. Cette section avait, sur sa droite, une patrouille de protection reliée au point de débouché par chaine ininterrompue d’hommes de communication, et tout égaré pouvait être remis en chemin.

Il faut plutôt admettre que Giraud n’a pas eu la volonté de rejoindre. Avant le départ, il avait fallu que son caporal vint l’appeler à plusieurs reprises et que le sous-lieutenant Alguier-Bouffard intervint pour qu’il se décidât à quitter l’abri de son escouade. Ayant été obligé de suivre sa section, il dut chercher la première occasion de l’abandonner. Après l’arrêt au trou d’obus, il n’a pas été possible de contrôler les dires de Giraud. Il parait bizarre qu’il n’ait pas vu ou entendu sa section remonter à la tombée de la nuit et qu’il ait attendu le matin pour entrer dans les lignes. Il indique avoir pris comme dernier abri une case de l’ancienne tranchée de la 6e Cie située à une dizaine de mètres des cases de sa section ; on s’explique difficilement qu’ayant retourné jusqu’à la route du retour, il ne se soit présenté à sa section que vers 8h00. Il faut supposer qu’il a voulu donner le change.

Les antécédents de Giraud ne plaident d’ailleurs pas en sa faveur. Le 26 mars, après l’enlèvement de la position, il faisait partie d’une corvée chargée de transporter les sacs de terre de l’ancienne tranchée allemande à celle que nous établissions. Le trajet était dangereux par suite du tir ennemi partant du rocher Wicklé. Giraud s’accommoda de rester dans la tranchée allemande, pour passer les sacs à ses camarades, après l’expérience d’un transport. Déjà, après l’attaque du 23, il avait disparu de sa section, placée en réserve dans un boyau proche de notre organisation nouvelle où les balles arrivaient. Une partie de cette section était employée à transporter les sacs de terre et les rondins utiles à la première ligne. La surveillance de cette corvée était difficile en raison de la circulation générale au milieu de nombreux boyaux entrecroisés. Giraud en profita pour s’éclipser, passa la nuit aux anciens abris de la Cie occupant précédemment le secteur et ne reparut qu’au matin.

Le fait récent, pas plus que les précédents ne témoignent formellement d’un abandon de poste. Giraud explique qu’il se perd, qu’il cherche ou qu’il attend vainement et s’il se met en quête d’un abri c’est qu’il juge qu’il n’a plus rien de mieux à faire. Il n’empêche qu’aux reproches de couardise qui lui sont adressés, il se contente de courber la tête.

Quand il n’est pas exposé, Giraud fait assez bien son service ; mais la peur le domine dès qu’il y a du danger. Si les faits qui lui sont reprochés se trouvent insuffisamment motivés pour une traduction devant le conseil de guerre, une sanction disciplinaire exemplaire parait s’imposer.

Le dernier paragraphe du rapport du capitaine Ferrand résume sa pensée, le capitaine laissant à sa hiérarchie le degré de sanction à prendre envers Giraud, conseil de guerre ou sanction disciplinaire.

Le soldat Giraud natif de Marseille appartient à la classe 1912. Célibataire, exerçant le métier de charretier, sa fiche de matricule mentionne une condamnation à 3 mois de prison pour détournement de mineur.

Son dossier de procédure qui comporte 15 pièces, n’est pas aussi bien structuré que ceux des conseils de guerre temporaires ordinaires. Beaucoup de pièces du dossier sont encore manuscrites. Néanmoins, pour un conseil de guerre spécial et comme le mentionne l’article 156 du code de justice militaire de 1875 qui prévoit que l’accusé peut être traduit directement et sans instruction préalable devant le conseil de guerre, le dossier de ce militaire est plutôt assez documenté. Il manque plusieurs pièces au dossier comme le bulletin n°1 (casier judiciaire) que le commissaire-rapporteur de la 66ème division qui contrôle ces documents, a réclamé au chef de bataillon Hellé et qui lui ont été fournies comme c’est indiqué sur le retour du courrier du 22 avril 1915. Souvenons-nous ce que le législateur a indiqué lors de la création des conseils de guerre temporaires en 1875 : « L’instruction pourra être aussi sommaire qu’on le jugera convenable et les formalités ordinaires ne seront remplies que si on a le temps de les appliquer. »

A une date non précisée, probablement le 8 avril, le chef de bataillon Hellé a délégué ses pouvoirs d’officier de police judiciaire au lieutenant Miranchaux comme le prévoit le code de justice militaire. Parmi les 15 pièces du dossier, on ne trouve pas trace de l’interrogatoire de l’accusé et des dépositions des témoins, ce qui n’est pas anormal puisque, comme dans la totalité des conseils de guerre spéciaux, c’est l’ordre de mise en jugement directe qui a été utilisé mais alors sans l’établissement de ces 2 documents et celui d’un rapport sur les circonstances des évènements, pour à l’officier de police judiciaire, quelles formalités reste-t-il à faire : demander le relevé de punitions, l’état signalétique et des services de l’accusé, le bulletin n°1.

Le même jour, le chef de bataillon Hellé a convoqué le conseil de guerre pour 16h00 afin de juger le soldat Giraud inculpé d’abandon de poste en présence de l’ennemi.  Il a nommé comme juges le capitaine Martin, l’adjudant Coux et lui-même comme président du conseil de guerre. Il a nommé l’adjudant Devaux comme greffier, le lieutenant Abbo comme défenseur de ce soldat et le lieutenant Miranchaux comme commissaire du gouvernement, ce qui est inexact : cette fonction n’existe que dans les conseils de guerre permanents. Depuis l’établissement du code de justice militaire de 1875, pour les conseils de guerre temporaires, les fonctions de commissaire du gouvernement et de rapporteur ont été réunies sous les prérogatives exercées par le commissaire-rapporteur qui se charge donc à la fois de l’instruction et de l’accusation. A la décharge du chef de bataillon Hellé, depuis leur création en 1875, les conseils de guerre temporaires n’ont jamais prononcé de jugement puisqu’ils ne fonctionnent qu’en temps de guerre.

Le conseil de guerre a eu lieu au camp Renié sur la face sud du Silberloch à l’ouest de l'Hartmannswillerkopf.

Les notes d’audience sont très intéressantes. Elles sont rarement aussi longuement reproduites et surtout détaillées, c’est pour cette raison que nous avons choisi de les présenter mais également pour que chaque lecteur puisse constater les réponses et les contradictions des protagonistes. Dans le cas de ce soldat, ces notes remplacent avantageusement les dépositions des témoins et l’interrogatoire de l’accusé.

Au cours de la séance du conseil de guerre qui a débuté vers 17h00 le 8 avril, le soldat Giraud a été interrogé :

D- combien de temps a duré l’arrêt ?
R- je ne puis préciser mais c’est de 5 à 10 minutes
D- où étiez-vous ? R- je me suis assis dans un trou d’obus
D- qui aviez-vous à vos côtés ? R- à droite Murraccioni, à gauche un sergent
D- à quelle distance étiez-vous l’un de l’autre ? R- de 7 à 8 mètres. Un arbre nous séparait, à un moment donné, je me suis tourné et je n’ai plus vu mes camarades.
D- à quelle distance êtes-vous allé en avant ? R- à 400 mètres
D- il ne vous était guère possible de vous porter de 400 mètres en avant car vous seriez allé chez les boches / R- je ne puis préciser exactement la distance.

D- jusqu’où êtes-vous allé ? R- jusqu’au petit sentier. Je suis remonté puis je suis redescendu. J’ai entendu du bruit sous-bois. J’ai cherché à voir. Je n’ai rien vu.
D- ceci se passait combien de temps après avoir quitté le trou d’obus ?
R- je n’avais pas de montre / D - je vous demande le temps approximatif ?
R- je ne puis préciser ; / D- quels bruits avez-vous entendu ?
R- la canonnade, la fusillade, des bruits de pelle et de pioche.
D- vous avez dit que vous aviez entendu du bruit sous-bois, ce n’était pas la canonnade ? Avez-vous cherché vos camarades du côté d’où venaient ces bruits ?

R- je n’ai pu me rendre compte de l’endroit d’où venaient ces bruits
D- qu’avez-vous fait exactement ? R- j’ai cherché mes camarades, je me suis égaré. Je suis remonté une 2ème fois à la nuit.
D- combien de temps s’est-il écoulé entre le moment où vous avez perdu la section et le moment où vous avez essayé de retrouver nos lignes ? R- je ne puis savoir.
D- faisait-il nuit lorsque vous êtes remonté ? R- il faisait nuit
D – s’est-il écoulé 2 heures, 1 heure, une ½ heure ? R- plutôt une heure que deux.
Le président : votre section a débouché à 16h10 et il fait nuit à 18h 1/2. Il s’est donc écoulé 2 heures 20 depuis le moment où vous avez laissé votre section et le moment où vous avez voulu rentrer. R– pas fait attention

D- à partir de la nuit, qu’avez-vous fait ? R- j’ai cherché à rejoindre mon cantonnement. Je me suis tourné au sens contraire de mon trou.
D- vous étiez donc dans un trou ? R- j’étais derrière une espèce de rocher. Il y avait un arbre.
D- pourquoi n’avez-vous pas regagné nos lignes avant la nuit ? R- j’espérais toujours retrouver nos lignes.
R- où avez-vous passé la nuit ? R- j’ai essayé de franchir nos lignes. J’ai trouvé du fil de fer et du grillage. Je n’ai pas pu trouver de passage. Je me suis couché derrière un arbre, je me suis assoupi jusqu’au l’aube.

D- à l’aube, qu’avez-vous fait ? R- j’ai trouvé un passage, j’ai passé et me suis mis à l’abri dans une baraque. Il pleuvait, j’étais fatigué.
D- à quelle heure avez-vous passé les fils de fer ? R- vers 5 heures
D- qu’avez-vous fait ensuite ? R- je suis parti. Je me suis égaré. Je me suis retrouvé vers les cuisines de la compagnie. J’ai reconnu un chemin muletier.
D-pourquoi ne pas rentrer de suite, en suivant ce chemin, à votre Cie ? R- j’étais arrivé sur le flanc de la montagne et non par le sentier. J’ai essayé de rejoindre ma Cie. J’ai trouvé un chasseur du 15e qui m’a indiqué le chemin. J’ai pris le boyau et me suis fait porter rentrant.

D- n’y avait-il pas une autre baraque à côté de celle où vous vous êtes reposé ? R- je n’ai pas fait attention.
D- comment avez-vous passé nos lignes en rentrant ? N’avez-vous rencontré personne ? R- j’ai rencontré des terrassiers qui piochaient.
D- pourquoi ne leur avez-vous pas demandé l’emplacement de votre Cie ? R- je me trompe, c’est en allant que nous avions rencontré des terrassiers.
D- précisons, le matin après avoir quitté l’arbre au pied duquel vous avez passé la nuit, qu’avez-vous vu ? R- du grillage, des fils de fer, une tranchée.
D- y avait-il quelqu’un dans la tranchée ? R- il n’y avait personne.
D- ce n’est pas possible car on ne peut pénétrer dans nos lignes sans être vu ? R- j’ai traversé à l’aube la 6e Cie.

D-avez-vous vu quelqu’un ? R- j’ai vu des sentinelles.
D- pourquoi ne leur avez-vous pas demandé où était la 2e [Cie] R- j’étais persuadé de retrouver la 2e derrière la 6e.
D- étaient-ce des chasseurs de la 7e ? R- je ne puis préciser.
D- à quelle distance avez-vous passé d’eux ? R- de 4 à 5 mètres
D- vous avez dû voir leurs écussons à cette distance ? R- je n’ai pas fait attention
D- passons, qu’avez-vous fait après avoir franchi nos lignes ? R- je suis allé me faire porter rentrant à mon adjudant

D- quelle heure était-il ? R- il était 5 heures ½.

D- le rapport de votre capitaine porte que vous êtes rentré à 8 heures. R– l’adjudant peut attester que je l’ai vu à 5h½.

Le président décide d’entendre l’adjudant Lazoore.

D- qu’avez-vous fait le 26 mars ? R- la Cie charriait des sacs à terre. J’ai fait trois voyages puis je suis descendu dans la tranchée allemande pour faire passer les sacs à terre à mes camarades.
D- combien avez-vous fait de voyages ? R- trois
Le défenseur dit que ces faits-là ne sont pas du ressort de l’accusation. Le président répond que le conseil doit se renseigner sur les antécédents de l’inculpé

D- comment se fait-il que le 23 mars, vous avez abandonné votre section ? R- j’avais un éclat de pierre dans le doigt. Je me suis pansé et suis allé me coucher dans une guitoune. Je ne pouvais pas transporter des sacs ni des rondins.
D- la blessure avait-elle saigné ? R- oui
D- avez-vous demandé l’autorisation à quelqu’un pour vous retirer ? R- à personne
D- où avez-vous été blessé par un éclat de pierre ? R- en entrant dans le boyau

D- pourtant, il n’y avait pas eu d’obus ennemis à ce moment-là et à l’endroit où vous vous trouviez, les balles passaient très haut. Comment expliquez-vous cette blessure ? R- je ne puis pas vous renseigner, je ne me suis pas rendu compte
D- quand avez-vous rejoint votre Cie ? R- au matin

Le président aux juges : avez -vous d’autres questions à poser à l’accusé ?

Capitaine Martin- l’accusé doit avoir cherché un passage dans les grillages. Je voudrais savoir sur quelle distance et pendant combien de temps ? R- sur 15 mètres et pendant 10 minutes. Je me suis arrêté de chercher de peur de recevoir une balle sur la tête.

 Le président : vous dites être allé en patrouille le matin, où êtes-vous allé ? R- j’étais allé en patrouille fixe, mais en avant de nos lignes et non pas à l’endroit d’où nous sommes partis pour l’attaque

Interrogatoire des témoins :

Capitaine Ferrand
Mon rapport ayant été lu en séance, je ne puis que le confirmer et en préciser certains points.

L’adjudant Lazoore m’a rendu compte vers 7h1/2 que Giraud manquait à l’appel du matin. Vers 8 heures, il s’est présenté à moi. Je l’ai interrogé et comme ses explications me paraissaient confuses, je l’ai prié de me mener vers l’endroit où il s’était arrêté la 1ère fois. J’ai vu que c’était un trou d’obus qui se trouve dans une espèce de repli de terrain où l’on est parfaitement à couvert. Si Giraud s’était avancé de 20 à 30 mètres, il aurait certainement vu sa section dans le ravin ou au moins la patrouille de flanquement à droite de sa section ou encore un des hommes de la chaine ininterrompue de tirailleurs reliant la droite de la section à la Cie. Je suis convaincu que Giraud est resté dans son trou lors du départ de sa section et qu’il n’a rien fait pour rejoindre ses camarades. Je me suis fait conduire par Giraud à l’endroit où il avait passé quelques instants pour s’abriter. C’est une cabane occupée par des terrassiers de la 6e compagnie qui m’ont affirmé ne pas avoir vu Giraud. Cette cabane est d’ailleurs à 20 mètres de l’emplacement de sa section de Giraud, il semble au moins bizarre qu’il n’ait pu retrouver sa section dès son arrivée à cet endroit.

Giraud est un chasseur qui fait à peu près bien son service lorsqu’il ne court aucun danger.

Le 23 mars, il a quitté sa section pour aller dormir dans une cahute ; le 26 mars, il n’a pas quitté la tranchée boche d’où il faisait passer les sacs à ses camarades car les balles venant du rocher Wicklé étaient dangereuses pour les corvées de sacs. Il n’a fait qu’un voyage a-t-il avoué.

Le président : accusé ! combien avez-vous fait de voyages de sacs ? R- trois

F [pour Ferrand] : d’ailleurs Giraud se contredit. Il m’a déclaré qu’il avait passé la nuit au pied d’un arbre ; à l’adjudant Lazoore, il a déclaré que c’était dans une case. Lorsque je lui ai demandé à qui il avait menti, il a déclaré que c’était à l’adjudant Lazoore.

Sous-lieutenant Alquier-Bouffard

Le chasseur a fait des difficultés pour se rassembler. Le caporal s’en est plaint à l’adjudant Lazoore. Il n’est venu que lorsque je l’ai appelé.
D- quand il est sorti, quelle était sa tenue ? R- je n’ai pas fait attention. J’ai débouché avec ma section et j’ai marqué un temps d’arrêt pour déployer ma troupe.
D- combien a duré ce temps d’arrêt ? R- 3 minutes environ. J’ai fait un 2e bond de 50 mètres. On n’a plus revu Giraud. Je n’en ai été averti qu’au fond du ravin. Giraud a été porté manquant 2 appels du soir et du lendemain matin.

Le président à l’inculpé : vous avez dit ne pas avoir vu le lieutenant. R- j’ai dit qu’il ne m’avait pas appelé.

Le président au témoin : l’avez-vous appelé ? R- deux fois, à la 2e fois, j’ai dit : s’il ne veut pas sortir, flanquez-lui une balle dans la tête. J’étais à 10 mètres de la cahute. Il est sorti aussitôt.

Adjudant Lazoore

Nous avons débouché mais je n’ai pas vu Giraud car j’étais devant. J’ai su qu’il manquait à l’appel du soir. J’ai revu Giraud au réveil entre 5h et 6h un instant après avoir fait porter l’appel au capitaine. Je l’ai envoyé vers le capitaine se faire porter rentrant.
D- comment avez-vous su que Giraud vous avait lâché le 23 mars ?

R- je m’en suis aperçu la nuit en faisant l’appel dans le boyau. Il n’est rentré que le lendemain matin. Il avait un linge autour du doigt.

Caporal Lesné

J’ai appelé Giraud 5 fois. Il m’a répondu d’abord par un grognement puis par ces mots : ça va bien, puis il ne m’a plus répondu. J’ai rendu compte au fait à l’adjudant. Le lieutenant ayant entendu, a dit : s’il ne veut pas sortir, il n’y a qu’à lui flanquer une balle dans la tête. Giraud est sorti avec son équipement à la main. J’ai perdu de vue Giraud à la sortie du boyau de la 6ème car j’étais en tête de mon escouade. J’ai revu Giraud le lendemain vers 8h1/2.

Chasseur Murracioni

Giraud était avec moi à droite de la section en tirailleurs à 2 ou 3 pas. J’étais à genoux, lui aussi.
D- quelle était la distance ? R- 2 ou 3 pas, pas plus. J’étais un peu en avant. J’ai vu partir les autres, je me suis porté en avant, je n’ai pas vu que Giraud restait là.

Le président fait placer les 2 hommes dans la position qu’ils occupaient au moment où la section s’était arrêtée. Il fait remarquer à Giraud qu’il est étrange qu’il n’ait vu partir ni son camarade de gauche, ni son camarade de droite, ce dernier étant de plus en avant de lui. Giraud répond qu’en se mettant dans le trou d’obus, il n’avait pas eu le temps de se retourner que ses camarades étaient partis.

Réquisitoire du commissaire-rapporteur

Le lieutenant Miranchaux demande l’application de l’article 213 du code de justice militaire, l’abandon de poste étant nettement caractérisé.

Plaidoirie

Le lieutenant Abbo défenseur plaide non coupable et demande l’application de peines disciplinaires, Giraud n’étant coupable que de paresse.

Les débats sont clos.

Les juges ont reconnu le soldat Giraud coupable d’abandon de poste en présence de l’ennemi et l’ont condamné à mort en application de l’application de l’article 213 & 1 du code de justice militaire. Le 9 avril 1915 à 6 heures du matin, ce militaire a été fusillé.

Après la restauration du pourvoi en révision le 8 mai 1916 qui avait été suspendu le 17 août 1914 par décret ministériel, ce jugement aurait été cassé car il comporte un vice de procédure : comme il est mentionné au bas de l’extrait du jugement ci-dessus, le chef de bataillon Hellé a présidé ce conseil de guerre spécial mais il a également nommé les juges du conseil de guerre, dont lui-même. C’est formellement interdit par l’article 24 du code de justice militaire qui précise que nul ne peut siéger comme président ou juge s’il a précédemment connu de l’affaire comme administrateur.

Selon le commentaire abrégé sur le code de justice militaire du capitaine Vexiau de 1876, licencié en droit, par celui qui a connu de l’affaire comme administrateur, il faut entendre celui qui a été appelé par ses fonctions à en faire l’examen et à donner son avis sur les faits qui font l’objet de la poursuite. Le capitaine Vexiau reprend la fin de l’alinéa 96 (page 91) du commentaire sur le code de justice militaire de 1858 du conseiller à la Cour de cassation Victor Foucher.

Ce qui est encore plus étonnant, c’est la phrase rédigée à la fin de l’extrait ci-dessus : lesquels ne se trouvant dans aucun des cas d’incompatibilité prévus dans les articles 22, 23 et 24 du code précité. C’est faux, le greffier auteur probable de la rédaction du jugement et donc de cette phrase a commis une erreur quand il a rédigé cette phrase.

Cette doctrine a été confirmée par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 juillet 1922 concernant le cas du soldat Lucien Bersot.

Faute d’imprimés réservés à cet usage, le greffier a probablement recopié à l’identique le document « Formule n°16 » reproduit dans tous les codes de justice militaire. Il ne s’est pas rendu compte du vice de procédure qu’il était en train d’avaliser.
Parmi les documents appelés « formules de procédure » concernant un jugement, les greffiers ont à leur disposition 4 imprimés : la formule n°16 qui doit être utilisé pour rédiger la minute du jugement, la formule n °16 bis qui sert à l’expédition du jugement, la formule n°17 qui est un extrait du jugement à adresser au ministre, la formule n°18 qui est un extrait du jugement à adresser au corps, à la division, à la prison, etc… Dans le dossier de procédure de Giraud, on trouve 3 pièces relatives au jugement. Deux pièces appelées « formules 16 et 17 » et une pièce appelée « jugement » qui est un document que l’on retrouve très souvent dans les dossiers. Etabli localement, ce genre de document collationne les votes des juges pour chaque question posée. 

Selon l’article 140 du code de justice militaire, « le jugement fait de l’accomplissement de toutes les formalités prescrites par la présente section... Il énonce à peine de nullité….6° les questions posées, les décisions et le nombre de voix ». Or, sur la minute de ce jugement « formule n°16 », le nombre de voix n’a pas été mentionné même s’il est écrit sur le document non réglementaire baptisé « jugement » sur le sommaire du dossier. Quelle aurait été la réaction du conseil de révision, s’il avait eu à se prononcer, devant ce fait ?

D’autres jugements ont ainsi été cassés pour ce motif comme celui du soldat Rebet par le conseil de révision de la IVe armée le 4 octobre 1917. Dans le dossier de procédure du soldat Rebet, il existe également une pièce non réglementaire établie par le greffier du conseil de guerre de la 15e division, de facture locale, listant le nombre de votes par question posée.

Visiblement, ni la pièce non réglementaire établie par le greffier du conseil de guerre de la 15e division, ni la minute du jugement modèle n°16 sur laquelle il est mentionné « à l’unanimité » n’ont satisfait les juges du conseil de révision qui ont cassé ce jugement. A juste raison car l’avant-dernier paragraphe de l’article 156 du code de justice militaire prescrit bien que les questions sont résolues et la peine prononcée par trois voix contre deux lorsque le conseil n’est composé que de cinq juges.

Dans ce dossier de procédure, il existe un troisième vice de procédure :

Cet extrait présent sur la 2e page du modèle n°16 qui doit être utilisé pour rédiger la minute du jugement, ici manuscrite, pose la question concernant la culpabilité de l’accusé. Or, selon l’article 132 du code de justice militaire, la 1ère question doit porter sur le fait principal et chaque circonstance aggravante devant faire ensuite l’objet d’une question séparée sous peine de tomber dans le vice de complexité. Sur l’extrait ci-dessus, le fait principal et la circonstance aggravante sont réunis dans la même phrase qui, rédigée de la sorte, aurait suffi à casser le jugement de Giraud si le conseil de révision n’avait pas été suspendu. De plus, les éléments constitutifs de l’infraction doivent être spécifiés dans la 1ère question, ce qui n’est pas le cas dans l’exemple ci-dessus.

Qui plus est, dans les pièces consultables de ce dossier de procédure, on ne trouve pas l’ordre de mise en jugement selon le modèle n°10 en application de l’article 108 du code de justice militaire. Il semble que la pièce « ordre du bataillon n°? » ait servi à cet usage. Or l’ordre de mise en accusation ne peut se borner à une qualification vague de la poursuite (abandon de poste en présence de l’ennemi), il doit au contraire préciser la nature des faits, leur date, le lieu où ils ont été commis, de manière à permettre à l’accusé de présenter utilement sa défense et au conseil de révision d’exercer son contrôle.

A notre connaissance, le chef de bataillon Hellé n’a pas utilisé le droit que lui avait octroyé le décret du 1er septembre 1914, d’adresser au Président de la République un recours en grâce pour ce militaire.

-------------

Le jugement du soldat Giraud est entaché d’au moins trois vices de procédure. Ces catégories de vices de procédure reposent sur des éléments factuels qui ne sont pas sujets à interprétation, la Cour de cassation ou le conseil de révision ayant déjà confirmés ces cas.

Reste que, pour l’observateur d’aujourd’hui ou pour le juge occasionnel de l’époque, certains motifs de condamnation comme l’abandon de « poste » pouvaient se comprendre différemment suivant la lecture individuelle qu’on en faisait.

Si les juges du conseil de révision avaient eu à statuer sur le cas Giraud, ils auraient sans nul doute cassé ce jugement pour les raisons énoncées précédemment.

Pour autant, dans l’éventualité où le jugement du conseil de guerre spécial du 7e BCA aurait été cassé, le nouveau conseil de guerre amené à statuer sur ce cas aurait-il jugé différemment ce soldat ?

Pour répondre à cette question, comme les juges de l’époque, il faut se référer aux textes de lois, décrets et référentiels en vigueur durant le conflit.

Deux cas sont à considérer :

1-période où les circonstances atténuantes n’existaient pas en temps de guerre c’est-à-dire avant la loi du 27 avril 1916

Les  juges d'un conseil de guerre n’avaient alors que 2 possibilités : acquitter l’accusé ou le condamner à mort si l’abandon de poste en présence de l’ennemi était avéré.

Selon le traité théorique et pratique de droit pénal et de procédure criminelle militaires à l’usage des membres des conseils de guerre et des officiers de l’armée de terre du colonel Augier et de Le Poittevin (Edition de la société du recueil Sirey – 1918, page 268), le mot poste signifie, sans aucun doute, l’endroit où le militaire doit être présent pour l’accomplissement d’un service déterminé. C’est d’ailleurs cette phrase que le Ministre de la Guerre A. Millerand a utilisé dans son courrier signé le 9 septembre 1914, phrase reprise par Joffre dans son courrier du 10 août 1915.

Selon les mêmes juristes, « le mot abandon dans les articles 211 et 213 signifie toute absence du poste non autorisée, que l’inculpé ait eu ou non l’esprit de retour et quelle qu’ait été la durée de l’absence. Les juges n’ont pas à se préoccuper de la durée de l’absence, pas plus que de la question savoir si l’inculpé avait ou non l’intention de revenir ». (Édition de la société du recueil Sirey – 1918, page 271).

Il faut souligner que dans son arrêt du 12 juillet 1921 qui a acquitté le fusillé Lucien Bersot, la Cour de cassation s’est appuyée sur les textes de ces deux juristes.

Pour les juges, la question était donc de savoir si Giraud était ou non à son poste. Sur ce point, pour les juges, les réponses de ce militaire lors de sa comparution devant le conseil de guerre sont assez confuses. Comme l’expliquent les juristes Augier et Le Poittevin, le conseil de guerre étant juge souverain du fait, c’était à ces 3 juges de répondre à cette question.

On peut d’ailleurs s’interroger sur la question du motif d’inculpation, était-il le plus adapté ? L’absence du commissaire-rapporteur menant son enquête et rendant ses conclusions se fait sentir dans ce dossier.

2- période où les circonstances atténuantes existaient en temps de guerre c’est-à-dire après le 27 avril 1916

Les juges avaient plus de latitude pour juger un militaire. Ils pouvaient reconnaître qu’un militaire avait commis un abandon de poste en présence de l’ennemi, motif qui le condamnait à mort, mais ils pouvaient lui accorder les circonstances atténuantes.

Avec l’admission des circonstances atténuantes, le militaire condamné à mort voyait sa peine réduite. Il ressort de l’article 188 du code de justice militaire qu’il existe, pour les crimes militaires, les peines de mort avec ou sans dégradation militaire. Quand la peine de mort avec dégradation militaire est prononcée, la peine appliquée est la peine de mort du droit commun. Par voie de conséquence, si les circonstances atténuantes sont admises, le conseil de guerre applique la peine des travaux forcés à perpétuité ou à temps. Si la dégradation militaire n’est pas prononcée, le conseil de guerre doit appliquer la peine de 5 à 10 ans de travaux publics pour les soldats ou les sous-officiers. L’abandon de poste en présence de l’ennemi (article 213) est toujours prononcé sans la dégradation militaire.

Les circonstances atténuantes ont bénéficié à beaucoup de soldats. Cela a été le cas du soldat Guibout du 134e régiment d’infanterie dont le jugement a été cassé par le conseil de révision de la Xe Armée. Appelés à rejuger ce soldat, les juges du conseil de guerre de la 8e division ont déclaré que Guibout était coupable d’un abandon de poste en présence de l’ennemi mais qu’il existait des circonstances atténuantes. En vertu de la loi d'amnistie du 29 avril 1921 comme d’autres soldats, le soldat Guibout condamné le 17 mars 1917 à 10 ans de travaux publics, a été libéré en juin 1921.

Les juges de conseils de guerre n’ont pu qu’appliquer les lois et textes en vigueur. Durant la 1ère période de l’exceptionnalité du recours en grâce qui court du 1er septembre 1914 au 17 octobre 1915 au cours de laquelle le contrôle du pouvoir politique sur le fonctionnement de la justice militaire était désactivé, l’avenir d’un militaire condamné à mort était très compromis. Les juges des conseils de guerre ne pouvaient pas appliquer les circonstances atténuantes puisqu’elles n’existaient pas. Les juges des conseils de révision ne pouvaient pas statuer sur les jugements prononcés par les conseils de guerre, ces juridictions étant suspendues.

Si on ajoute à un début de guerre militairement très difficile, les vices de procédure commis par des officiers commandants des unités insuffisamment rompus au fonctionnement de la justice militaire dans le cadre des juridictions d’exception qu’étaient les conseils de guerre temporaires spéciaux, vices de procédure qui ne pouvaient pas être détectés de par la suspension des conseils de révision, le sort de certains condamnés à mort étaient peu enviables.

Dans un article de novembre 1914, le général Bach, pierre angulaire de Prisme, avait démontré le poids du politique dans l’évolution du fonctionnement de la justice militaire. A travers des articles comme celui-ci ou celui du soldat Roby, Prisme développe des articles pour présenter les conséquences de la désactivation contrôle du pouvoir politique sur le fonctionnement de la justice militaire et les conséquences de la suspension des conseils de révision.

Pour André