A travers des articles statistiques, à travers des articles de fond aussi divers que les mutilations volontaires, le code de justice militaire, la notion de fusillés pour l'exemple, l'ambition du Prisme est de fournir un ensemble d'informations permettant aux lecteurs d'appréhender en toutes connaissances de causes et sans parti pris de notre part la problématique des fusillés du conflit 14/18. Notre but n'est pas de juger mais de présenter, d'analyser les faits, de les porter à la connaissance de nos concitoyens au sujet d'une question qui n'est pas seulement d'ordre historique mais enjeu aussi d'un débat mémoriel, encore présent aujourd'hui.

mardi 3 février 2015

Fusillés pour l’exemple ou fusillés au nom de l’exemplarité de la justice ?

     Le terme « fusillés pour l’exemple » est fréquemment utilisé dans les médias ou par certains historiens, mais l’est-il à bon escient ? Sur les fora ou au cours de discussions, on s’aperçoit que cette terminologie pose problème. Le ressenti de cette notion semble très différent suivant les individus qui l’utilisent.  Prisme 14-18 s’est penché sur cette question afin de tenter d’y apporter une réponse.

1-Questionnement:

     Dans l’esprit d’une partie de nos contemporains, l’utilisation du terme « fusillés pour l’exemple » laisse penser que ces soldats n’ont pas été jugés correctement, du moins pas en regard d’une justice rendue équitablement.
Dans l’armée prime en 1914 le règlement de discipline qui est clair : le soldat doit témoigner « d’une soumission de tous les instants ». Dès qu’il sort de ce cadre, le militaire est susceptible d’être sanctionné. Dans ce système, pas besoin d’introduire une justice militaire, les désobéissances étant par nature flagrantes. En 1857, le pouvoir politique a jugé bon de doter l’armée d’un Code de Justice Militaire qui est la recopie du Code d’Instruction criminelle. Sa seule nouveauté est d’avoir codifié les peines pour désobéissance, rendues définitivement très lourdes alors qu’en absence du code cela pouvait se régler avec plus de liberté.
Parmi tous les procès qui ont eu lieu pendant cette guerre, sommes-nous dans le cadre de jugements rendus au nom de l’exemplarité de la justice (d’hier et d’aujourd’hui) ou devant un soldat pris comme bouc émissaire et donc fusillé pour l’exemple ? L’ambivalence de l’interprétation de ce terme est source de confusion. La problématique de la notion de « fusillés pour l’exemple » est que chacun y voit ce qu’il veut y voir. On appelle cela la polysémie d’un concept.

2-Aspects de la justice criminelle:

     Même si l’infraction a été de tout temps comprise comme une violation d’une coutume ou d’une loi, le droit pénal a, cependant, beaucoup varié selon les époques car il doit tenir compte des mutations de la société. En effet de nombreux actes qui nous paraissent aujourd’hui criminels étaient autorisés ou inversement, des actes anodins de nos jours étaient perçus comme des actes criminels. Ainsi, la conception morale de la répression qui prévaut dans l’ancien droit est abandonnée par le législateur révolutionnaire. Ainsi s’expliquent, au cours des âges, les mouvements de dépénalisation qui apparaissent comme une adaptation aux réalités et aux sensibilités du moment ? Ainsi, la dépénalisation en matière de mœurs dans les années 1975-1981 marque la tolérance sociale à des comportements jusqu’alors incriminés (avortement, adultère). Ainsi s’exprime Marie Hélène Renaut (1), maître de conférences à la faculté de droit.
     Sans se pencher sur le droit pénal au Moyen Âge qui n’a rien d’angélique (la torture est, par exemple, un des moyens d’obtenir l’aveu) et sous l’Ancien Régime, il est utile de s’intéresser au code pénal qui est une réponse au « comment punir et pourquoi », en particulier à celui de 1810. Pourquoi le code pénal de 1810 ? La raison en est simple, c’est ce code avec ses évolutions qui va prévaloir jusqu’en 1914 et bien au-delà. 


     Aujourd’hui, il faut toujours garder à l’esprit le caractère spécifique de la période où s’est appliqué ce droit. Ce code pénal est marqué par un net durcissement de la justice criminelle qui correspond à une société où l’homme est réputé responsable de ses actes (2)
Les peines deviennent plus sévères et plus répressives. La prison devient un moyen d’exclure de la société les personnes à problème par le biais de peines de travaux forcés par exemple. Des juridictions d’exception existent déjà à cette époque, comme les tribunaux criminels spéciaux.

Ce « raccourci » de droit pénal montre que le code de justice militaire s’inscrit dans le contexte du droit de l’époque.

Au mot exemplarité, l’encyclopédie Larousse mentionne : caractère de ce qui est exemplaire, de ce qui est destiné à servir de leçon en frappant les esprits par sa rigueur : l’exemplarité des peines.

     La notion d’exemplarité n’est pas une nouveauté. Dans la deuxième partie de son livre (3) consacrée à l’Ancien Régime, Jean Marie Carbasse rappelle l’exemplarité des peines : les châtiments sont terribles, et visent spécifiquement à effrayer les « méchants » pour les dissuader de commettre un crime. Le régicide est écartelé.

Les archives de l’anthropologie criminelle et des sciences pénales de 1892 fournissent des indications sur la notion d’exemplarité : le but essentiel de la loi pénale est de prévenir le délit, non pas seulement de la part d’un individu déjà délinquant mais encore de la part de tous les individus quelconques. A l’encontre de ces derniers, elle n’a pas d’autre moyen que de les menacer d’un mal plus ou moins considérable qu’on leur fera subir. Pour que cette menace produise tous ses effets, il faut qu’elle soit mise à exécution une fois le délit réalisé. Car tant que la peine est exemplaire, elle agit sur l’ensemble de la société et prévient une foule de délits résultant soit d’une action, soit de l’influence de l’esprit d’imitation. A ce point de vue de l’exemplarité, la peine sera déterminée par un ensemble de considérations essentiellement sociales, à savoir notamment : l’intérêt de la société à empêcher tel ou tel délit.
     On le voit bien, il y a une volonté pédagogique dans l’exemplarité : il s’agit d’effrayer, de terroriser et ainsi d’empêcher toute tentative d’imitation du crime sanctionné. Comme l’indique Nicole Gonthier (4) dans son ouvrage consacré au Moyen Âge : fournir un exemple à la société est l’aspect didactique du châtiment qui prend même le rôle d’une catharsis sociale.

Même si cela n’est écrit dans aucun texte législatif de l'époque et ne l'est pas davantage aujourd'hui, il y a dans toute justice une idée qui renvoie à l’exemple, à savoir dissuader, par les jugements, les délinquants à aller tâter de la prison.
Sans surprise, on voit que l’exemplarité des peines est donc une notion bien présente dans le contexte « juridique » de la société du début des années 1900.

    Au chapitre « fusillés » par l’institution militaire, les historiens distinguent deux catégories :
⦁    Les exécutés sans jugement
⦁    Les fusillés après jugement par les Conseils de guerre
Les exécutés sommaires l'ont été en application du décret sur le Règlement sur le Service en campagne, promulgué le 2 décembre 1913 sous la signature du Président de la République, Raymond Poincaré, lequel stipule dans son article 121 :
« Les officiers et les sous-officiers ont le devoir de s’employer avec énergie au maintien de la discipline et de retenir à leur place, par tous les moyens, les militaires sous leurs ordres, au besoin, ils forcent leur obéissance. »
On ne peut indiquer plus clairement que l’exécution sommaire est prescrite non comme une possibilité mais comme un devoir dans les cas évoqués dans l’article.
Comme nous l’avons déjà mentionné dans un précédent article, les fusillés après jugement l’ont été par 3 catégories de Conseils de guerre :
⦁    Les Conseils de guerre permanents à 7 juges statuant au siège des régions militaires comme en temps de paix
⦁    Les Conseils de guerre temporaires à 5 juges statuant principalement au niveau des divisions
⦁    Les Conseils de guerre spéciaux temporaires à 3 juges statuant principalement au niveau des régiments ou bataillons
Ces Conseils de guerre ont fonctionné selon les règles fixées par les autorités civiles. Nous rappelons que les Conseils de guerre spéciaux qui ont fonctionné de septembre 1914 à avril 1916, n’ont représenté que 26% des exécutions pour les 4 derniers mois de 1914, 22% pour 1915 et 7% des 4 premiers mois de 1916.

    Comment la notion de « fusillés pour l’exemple » a-t-elle été introduite dans le débat actuel ? Pendant le conflit, comme on peut le voir ci-après, si le mot « exemplarité » est toujours usité, des terminologies proches du mot « exemple » apparaissent dans les communiqués : « quelques exemples », « il est nécessaire de faire un exemple ». Bien évidemment, comme dans la société civile, les généraux ont souvent utilisé ce mot dans leurs courriers.

3-Illustrations:









 4-Présentation des catégories:

     Après-guerre, les mouvements contestataires se sont emparés de cette notion pour faire le procès de l’armée, en faisant de tous les fusillés, des fusillés « pour l’exemple », constitués en un seul et unique bloc. Les fusillés sont devenus, pour ces mouvements contestataires, un de leurs chevaux de bataille idéologiques. Certains mouvements, iront même jusqu’à remettre en cause l’impartialité des juges et les principes du droit quand les décisions de justice leur seront défavorables. Les campagnes en faveur des fusillés deviennent un outil de militance qui dépasse les seules actions de la justice militaire.
     Pour asseoir leurs démarches, les mouvements contestataires vont mettre en avant les cas de fusillés les plus flagrants. Certaines ré-inhumations furent également l’objet d’une réappropriation militante des fusillés, les corps étant transportés encadrés de drapeaux rouges, ce qui déplut à certaines familles.
     Ce concept de bloc d’apparence homogène des « fusillés pour l’exemple », a été renforcé par le fait qu’on ne donne d’habitude qu’un chiffre global laissant croire à tous nos contemporains que tous les fusillés ont été condamnés pour le même motif. Le dernier livre sur les fusillés a participé à ce mouvement en agglomérant tous les fusillés, aussi bien les fusillés de la zone des Armées, les exécutés sommaires, les fusillés en Afrique du Nord, alors que les conditions des jugements sont très différentes, comme  Prisme 14-18 l’a démontré dans l’article intitulé "Un peu de méthodologie". On peut difficilement comparer un jugement rendu, par exemple, à Marseille, au siège de la 15e Région militaire, fonctionnant à 7 juges comme en temps de paix, bien loin de la zone des combats, et un jugement rendu par un Conseil de guerre de division à 5 kms du front. L’observation du flux des fusillés laisse à penser que la façon de rendre la justice a été modifiée au cours du conflit, le phénomène a été évolutif, le Prisme 14-18 l’a bien observé par le biais de la ventilation mensuelle des graphiques.

     In fine, la notion d’exemplarité des peines a été complètement effacée du débat par les discours militants.
Pendant toutes les années qui se sont écoulées, les auteurs d’études sur les fusillés n’ont pas cherché à savoir si les « fusillés pour l’exemple » constituaient ou pas un ensemble uniforme. Aujourd’hui, le Prisme 14-18, après avoir dépouillé de très nombreux dossiers de Conseils de guerre, constate que les fusillés de ce conflit sont en réalité constitués d’un agglomérat de plusieurs catégories assez dissemblables.
En avançant avec la prudence requise pour analyser ces phénomènes, après avoir passé beaucoup de temps à identifier les causes de tous ces jugements et en établissant une décomposition de type « juridique » des cas, nos recherches laissent apparaître que la population des fusillés n’est pas uniforme et se compose de plusieurs catégories très différentes :
⦁    Les criminels de droit commun
⦁    Les condamnés récidivistes ou multirécidivistes aussi bien pour crimes de droit commun que de ceux spécifiquement militaires.
⦁    Les condamnés non récidivistes
⦁    Les soldats acquittés "post-mortem"
Le but de cette décomposition n’a nullement pour objectif de déterminer qui est coupable et qui est innocent. Ce rôle n’incombe pas au Prisme 14-18 mais à la justice de la république, qu’elle soit d’hier ou d’aujourd’hui, dans le cas d’un procès en révision par exemple. Notre travail ne vise qu’à analyser statistiquement les faits contenus dans les différentes archives.
L’étude des 2ème et 3ème catégories fera l’objet d’un prochain article du Prisme 14-18. Une amorce de réponse à la définition du terme « fusillés pour l’exemple » peut s’envisager à partir de l’étude de chacune de ces catégories.

A. - Les criminels de droit commun:



Cette première catégorie est illustrée par l’un des 70 cas recensés parmi les criminels de droit commun. Le choix de présenter un extrait du journal « le Bien Public » du 11/07/1915 est volontaire pour ne pas asseoir une analyse sur une seule source, à savoir les dossiers de Conseils de guerre qui sont, par ailleurs, une excellente source.
Les lieux ont été masqués pour préserver l’anonymat de la jeune fille de 13 ans assassinée en 1915 par un soldat qui a été jugé pour ces faits, condamné et exécuté. En tant que militaire, il a été fusillé ; s’il avait été jugé par une juridiction civile, il aurait été très probablement guillotiné. Il faut préciser que notre réflexion se fonde en fonction des textes de lois en vigueur et ne comporte pas de jugement de valeur sur leur contenu.
Dans ce cas, la peine requise l’a sûrement été au nom de l’exemplarité face à un acte ignoble comme n’importe quel procureur de la république actuel pourrait réclamer une peine exemplaire, mais on est loin du sens « fusillés pour l’exemple ».












B.- Les condamnés récidivistes:

Cette deuxième catégorie est illustrée par le cas suivant, pris parmi d’autres, qui reflète une réalité.
Comme pour le précèdent cas et pour le suivant, les informations concernant les dates et lieux sont volontairement masquées pour ne pas permettre l’identification du soldat. Nous dirons simplement que ce soldat est originaire du nord de la région parisienne. D’une grande taille, d’un niveau d’instruction 3 (5)  très courant à cette époque parmi la majorité des soldats, il était domestique lors de l’établissement de la fiche de matricule.
Au civil, ce soldat a été :





Par l’institution militaire, il a été :




Ces condamnations civiles ne signifient pas pour autant que ce soldat était d’office un mauvais soldat, beaucoup de soldats au passé « chargé » se sont révélés d’excellents et de courageux combattants.
A la suite de son dernier passage devant un Conseil de guerre, ce soldat a été fusillé le 3 mars 1916 dans la Marne.
Sur le seul aspect de la justice militaire, il a été condamné 4 fois par un tribunal militaire à 7 juges statuant à l’arrière, et sa peine a été suspendue à chaque fois. Son 5ème passage devant une juridiction militaire avec une inculpation résultant de l’article 213 l’a conduit devant le peloton d’exécution en application du Code de justice militaire. A cette époque, le recours devant le conseil de révision n’a pas encore été rétabli. La modification de la règle pour l’exercice du droit de recours en grâce instituée par Millerand, le 1er septembre 1914, avant le départ pour Bordeaux du gouvernement concernant les condamnations prononcées par les Conseils de guerre est la suivante : l’exécution avec compte rendu à l’issue du procès, la demande de la grâce présidentielle doit devenir l’exception.

    On pourrait nous objecter que ce cas n’est pas représentatif, nous pourrions en prendre un autre, 10 autres, 50 autres…, le schéma est similaire.
Dans cette deuxième catégorie, sommes-nous face à une notion d’exemplarité de la justice ou devant un soldat fusillé pour l’exemple?  A chacun de se faire une opinion.

C. - Les condamnés non-récidivistes:

     Cette catégorie représente la majorité des fusillés. La première faute de ces soldats a été fatale quel que soit le motif : abandon de poste en présence de l’ennemi, mutilation volontaire, pillage, voies de fait envers un supérieur, refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi, révolte, violence à main armée envers une sentinelle, désertion à l’ennemi.

     L’exemple choisi au hasard pour illustrer cette catégorie a été puisé parmi le motif le plus fréquemment rencontré : abandon de poste en présence de l’ennemi. Comme pour les deux précédents exemples, nous avons retiré les éléments permettant d’identifier ce soldat, originaire de l’actuel département des Yvelines.
Dans la nuit du 20 au 21 juin 1915, la compagnie de ce soldat allait occuper les tranchées en première ligne. Le soldat Hébert, de la même escouade, dit l’avoir vu marcher à côté de lui, jusqu’à moment où la compagnie dut sortir de la sape pour gagner la tranchée à occuper en traversant un terrain à découvert. A ce moment, le soldat Hébert le perdit de vue. Il fut porté disparu mais réapparut après la relève de sa compagnie en indiquant qu’il avait été blessé par un éclat d’obus. Il affirme s’être rendu au poste de secours où le médecin l’aurait soigné et ordonné de se rendre aux cuisines.
L’enquête montre qu’aucun obus n’est tombé dans le voisinage de la compagnie. Le soldat modifia une première fois sa version des faits en indiquant qu’il s’était blessé en frottant à des équipements de soldats qu’il avait croisés. Il modifia une seconde fois sa version des faits en affirmant que sa blessure provenait d’une particule métallique restée dans sa main et provenant d’une ancienne blessure. Le médecin qui examinait la blessure le 24 juin, constata que les 2 blessures étaient indépendantes, que l’introduction de cette particule métallique ne devait pas remonter à plus de deux ou trois jours. Le médecin ajouta que la blessure était absolument insignifiante et que même, si elle avait été réellement reçue, il ne l’aurait pas autorisé à quitter sa compagnie.
Le sergent Porst, commandant la section, ne s’est aperçu de la disparition de ce soldat que le 21 juin au matin. Le sergent déclare « ne pas avoir à se plaindre de ce soldat mais que celui-ci passe auprès de ses camarades pour avoir l’habitude de se défiler ».
Le sergent-fourrier Geulin a vu arriver ce soldat le 21 juin vers 11h00 aux cuisines et lui déclarer : « j’ai été blessé, juste au même endroit que ma première blessure, le médecin m’a dit de rester aux cuisines pendant que la compagnie était aux tranchées ».
Le médecin-major que ce soldat prétend avoir rencontré pour le soigner, déclare que ce soldat ne s’est nullement présenté à la visite du 20 juin.




Ce soldat a été inculpé d’abandon de poste en présence de l’ennemi, il est passé en jugement le 8 août 1915, il a été condamné  mort à l’unanimité par le Conseil de guerre en application de l’article 213 du Code de justice militaire. Il a été fusillé le 9 août 1915 à 7h00 du matin.
Bien évidemment, à chaque fois, c’est le cadre global du secteur qu’il faut étudier, l’intensité des combats, des bombardements, la peur des hommes, le risque encouru au moment des faits, l’épuisement des soldats. Autant de facteurs à prendre en compte pour se forger une opinion.
Pour cette troisième catégorie, à chacun de s’interroger sur les faits et de prendre position entre un cas d’exemplarité de la peine ou un cas de fusillé « pour l’exemple ».

D. - Les soldats acquittés "post-mortem" :


     Trop souvent utilisé à tort, en particulier par les médias ou les mouvements contestataires, et donc incrusté dans l'opinion publique, le terme « réhabilité » n’est pas correct. On ne le retrouve jamais, par exemple, dans les arrêts de la Cour Spéciale de Justice Militaire.
 
     
     Différemment du sens commun que l’on pourrait prêter à ce terme, la réhabilitation judiciaire s’applique à des condamnés ayant subi leur peine en bonne et due forme et non à des innocents injustement punis. La réhabilitation judiciaire ne doit donc pas être confondue avec celle pouvant résulter de la pratique de la révision, comme ce fut le cas pour Alfred Dreyfus en 1906. Il s’agit donc bien d’une mesure de pardon spécifique inaugurée par les codes napoléoniens, rétablissant le condamné dans ses droits (6).Si une action contemporaine est entreprise dans le but « d’innocenter » un soldat, elle le sera en « révision » et non pas en réhabilitation.

Cette catégorie regroupe 44 individus dont 35 fusillés Armées et 9 exécutés sommaires.

Deux sous-ensembles sont regroupés dans cette dernière catégorie :
⦁    Le cas typique du premier sous-ensemble est celui de Lucien Bersot. Son cas est caractérisé par une parodie de justice, un total non-respect des règles du Code de justice militaire puisque le colonel du régiment ne pouvait pas signer l’acte de mise en accusation et présider le Conseil de guerre, un jugement totalement disproportionné avec les faits, où dans ce cas une simple réprimande aurait suffi. Nous sommes en présence d’un déni de justice.

⦁    Le second sous-ensemble est parfaitement illustré à travers l’affaire des caporaux de Souain. A la base, il y a bien une faute de la part de tous les soldats impliqués dans l’affaire, mais le fait de choisir uniquement certains soldats pour les faire passer devant un Conseil de guerre dans le but de faire un exemple montre bien que dans ce cas précis, nous sommes en présence de condamnations pour l’exemple qui se solderont par des fusillés pour l’exemple. L’utilisation de la notion de « fusillés pour l’exemple » est parfaitement adaptée pour ce cas.

De ce fait, la notion de fusillés « pour l’exemple » est-elle réservée aux fautes commises en groupe ? Certainement pas.

5 -Exemplarité ou pour l’exemple:

     Ces notions sont difficiles à apprécier. Une chose est certaine, la notion « pour l’exemple » ne peut être globalisée et généralisée à tous les militaires fusillés. La présence parmi les fusillés d’une tranche non négligeable de « droits communs » montre à quel point, il faut être prudent avec un tel postulat.
Chaque cas est différent, par conséquent, il semble extrêmement difficile d’attribuer arbitrairement l’une ou l’autre de ces notions sans un examen attentif de chaque dossier de fusillé.
La déclaration publique de la petite fille de Lucien Bersot, lors du colloque sur les fusillés à l’hôtel de Ville de Paris en janvier 2014, est un indicateur précieux, elle qui déclarait être contre une « réhabilitation collective », mais qui comprenait tout à fait la démarche individuelle d’une famille visant à obtenir la révision du procès d’un fusillé.
Cette ébauche d’analyse de la notion des « fusillés pour l’exemple » va être poursuivie avec l’étude de l’ensemble des dossiers des militaires fusillés.


Prisme, comme maintes fois annoncé, ne s'interdit pas de lancer des clins d'œil à l'actualité.

     Aujourd’hui, notre pays, placé dans une situation internationale tendue, vient de mettre en œuvre la nouvelle loi du 14 novembre 2014 pour lutter contre le terrorisme.


Voici ce qu’écrit le journal « le Monde » le 13 janvier 2015 à ce sujet : Jusqu'au mois de novembre, la provocation et l'apologie des actes de terrorisme étaient considérées comme de simples délits de presse, relevant de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 (article 24). La loi de « lutte contre le terrorisme » voulue par le gouvernement Valls a fait passer ce délit au code pénal (article 421-4-5). Ainsi, l'usage de ce chef d'accusation a été grandement facilité. Il a permis ces derniers jours aux tribunaux de prononcer des condamnations rapides, « pour l'exemple », en comparution immédiate (une procédure exclue pour les délits de presse). La plupart des condamnés avaient été placés en détention provisoire, une procédure simplifiée par la loi de novembre 2014, même si la précédente loi « antiterroriste » de décembre 2012 avait prévu de telles mesures en cas d'apologie d'acte de terrorisme. Enfin, la nouvelle loi permet le placement sous contrôle judiciaire et les saisies.


On pourrait, à l'inverse, s'interroger sur l'opportunité du classement parmi les délits de presse de faits de provocation qui s'apparentent à la complicité par incitation.

Encore récemment, certains pouvaient croire que cette notion « pour l’exemple » ne s’était appliquée qu’à de lointaines pratiques de la guerre 14/18, l’histoire se répète-t-elle ou est-ce la gravité des circonstances qui l’impose ?


Suite aux attentats des 7 et 9 Janvier, il ne fait aucun doute que nous allons, en effet, voir apparaître de nouvelles lois durcissant singulièrement certaines peines, transformations présentées comme résultant de la situation de fait, et qui seront facilement acceptées par une population qui, jusqu'à présent s'y refusait. Nos magistrats, en accord avec la société, vont à nouveau juger " pour l'exemple".
Jusqu'où ira-t-on en ce domaine, de moindre sensibilité aux droits individuels en matière de justice? Certainement pas jusqu’à la pratique de 1914. Les temps ont d'abord bien changé,  et de plus, la menace était alors bien plus terrifiante pour le devenir de communauté nationale. Enfin la peine de mort est devenue hors la loi.
Retenons en la rapidité avec laquelle peut s'instaurer consensuellement des pratiques de justice "pour l'exemple". Ce phénomène doit nous fait mieux toucher du doigt le fait que nos ancêtres en 1914 n'ont, en connaissance de cause, rien trouvé à redire aux prescriptions en vigueur en matière de Justice militaire.
Que vont penser nos descendants dans cent ans quand ils découvriront les sévères lois dont nous allons nous doter? Que penseront-ils de cette acceptation de lois "pour l'exemple"?
L'historien doit être humble dans sa reconstruction du passé et ne pas prêter à nos ancêtres les réactions qui sont les nôtres.
Plus sérieusement, on a entendu que les journalistes ont estimé à un million et demi la foule qui inondait les rues parisiennes le 11 janvier. Si on avait demandé aux participants de se coucher sur place et si on avait pris une photo aérienne de l'ensemble, on aurait pu prendre conscience visuellement de l'insupportable ponction humaine prélevée sur les Français par la Grande Guerre.




1-Histoire du droit pénal - édition ellipses - 2005 - page 5
2-Histoire du droit pénal – édition ellipses – 2005 - page 110
3-Histoire du droit pénal et de la justice criminelle – Presse Universitaire de France – 2000 – 445 pages.
4-Nicole Gonthier – Le Châtiment du crime au Moyen Âge – Presses Universitaires – 1998.
5-Possède une instruction primaire plus développée suivant la codification du degré d'instruction des recrues mentionné sur les tableaux de recensement des jeunes gens et sur les fiches de matricules des soldats, des sous-officiers et de officiers conformément à l'instruction du 20 octobre 1905
6-Le Pardon ou l'oubli - La réhabilitation judiciaire en France sous la IIIe République - Anthony Coltel - Crime,Histoire & Sociétés, Vol.11, n°2 - 2007



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