Prisme poursuit le cycle entamé avec l’article sur le 74e régiment d’infanterie, cycle consacré aux membres du Prisme. Cette fois, c’est le 29e régiment d’infanterie qui est au centre de cet article. L’année 1917 y est toujours présente, marquée comme l’on sait par l’importance des soubresauts au sein de l’armée française, mais qui a-t-il de commun avec ce militaire condamné à mort au cours du mois de juin, et le pic des troubles au sein de l’armée française ?
Le parcours de ce soldat n’est pas exceptionnel, mais au crépuscule de cette affaire, qui aurait pu imaginer ce dénouement ?
Il faut se souvenir que le jugement de ce militaire est intervenu dans la période judiciairement la plus exposée des mutineries, comme aux heures les plus sombres de la répression judiciaire de septembre 1914 à octobre 1915.
Le recours en révision y est suspendu pour certains motifs d’inculpation du code de justice militaire :
Dans une note marquée « secret » relative à la discipline du 18 juin 1917, Pétain adressait ses instructions aux armées.
Pour assurer au fonctionnement de la justice la rapidité qui est essentielle à son efficacité, la note n° 721 du 1er juin 1917 préconisait l’utilisation le 1er alinéa de l’article 156 du code justice militaire : la mise en jugement directe.
Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD - dossiers des Conseils de Guerre aux Armées, les autres documents sont sourcés.
Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux quelle que soit leur apparence.
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C’est dans ce contexte tendu que se situe l’histoire de ce militaire du 29e régiment d’infanterie, une des unités étudiées par Bernard Larquetou, membre du Prisme.
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Au repos et à l’instruction au début de l’année 1917, le 29e RI occupe depuis fin janvier un secteur de l’Argonne avant d’être engagé dans la bataille des Monts au mont Cornillet fin avril. Quelques jours plus tard, il est retiré du front. Durant toute cette période, les pertes mentionnées sur le JMO sont relativement peu importantes. Depuis le 1er juin 1917, le 29ème régiment d’infanterie est au Four de Paris, un hameau de la commune de Lachalade dans la Marne.
Il vient de réintégrer la 169ème division à laquelle il est rattaché depuis janvier 1917, après avoir été mis à la disposition de la 10ème division le 13 mai dernier.
Il vient de réintégrer la 169ème division à laquelle il est rattaché depuis janvier 1917, après avoir été mis à la disposition de la 10ème division le 13 mai dernier.
Le 3ème bataillon, qui est en ligne depuis plusieurs jours, est relevé dans la nuit du 9 au 10 juin, et vient cantonner à la Croix Gentin, en réserve de division.
Le 10 juin après-midi, à Moiremont, plusieurs soldats du 29ème régiment d’infanterie, ivres et en tenue débraillée, cherchent à entrer dans le cantonnement d’une demi-compagnie du génie dans l’espoir d’y trouver un débit de boissons.
Un capitaine qui se trouvait là leur fait des remarques sur leur tenue ; bientôt, d’autres hommes du 29ème régiment d’infanterie se joignent aux premiers et portent des coups au capitaine.
Le principal acteur du pugilat qui s’en suit est Lucien Dupuis.
Qui est Lucien Dupuis ?
Il est né le 1er avril 1895 à Fragnes (Saône & Loire) où ses parents, Marie Olivier et Benoit, sont aubergistes.
Orphelin de père, il s’engage pour la durée de la guerre, à la mairie de Chalon-sur-Saône, le 7 septembre 1914. Il est incorporé dès le lendemain au 10ème régiment d’infanterie, et passe au 29ème le 10 novembre 1914, affecté à la 3ème compagnie.
Lucien Dupuis est célibataire.
Il est blessé une première fois le 31 mars 1915 à Fey-en-Haye (Meurthe & Moselle) par une balle dans la cuisse gauche ; évacué, il rejoint le dépôt le 23 août, et part en renfort le 9 octobre, affecté à la 9ème compagnie.
Il est de nouveau blessé le 21 mars 1916, aux Eparges, par un éclat d’obus à la main gauche, puis le 24 février 1918 à la butte du Mesnil par un éclat d’obus à l’épaule gauche.
Lucien Dupuis est dépeint par sa hiérarchie comme bon soldat, timide, parfois triste, très éprouvé par la perte de plusieurs membres de sa famille. Son commandant de compagnie précise « il m’a toujours donné entière satisfaction depuis qu’il est sous mes ordres » ; son chef de bataillon ajoute : « aux tranchées comme au cantonnement, a toujours été un excellent soldat ; pas de punition ».
Cité à 2 reprises en 1918, Lucien Dupuis reçoit la Croix de Guerre, et sera décoré de la Médaille Militaire en 1934.
Les faits.
Ce dimanche 10 juin 1917, les hommes de la 9ème compagnie sont au cantonnement au camp de la Croix Gentin, près de Vienne-le-Château (Marne), où ils sont arrivés la veille après avoir été relevés.
Après le repas de midi, plusieurs soldats quittent, sans autorisation, le cantonnement et prennent la direction de Moiremont, localité distante d’environ 8 kilomètres, pour faire des achats selon certaines déclarations de prévenus.
Ils boivent beaucoup, et vers 17h00, la plupart sont ivres et en tenue débraillée.
Trois d’entre eux, parmi lesquels Lucien Dupuis, se dirigent vers un immeuble occupé par une compagnie du génie et entrent dans la cour de cet immeuble, pour demander leur chemin disent-ils, mais aussi pour y trouver du vin.
Ils s’adressent au capitaine Mathieu, commandant la compagnie 2/12 du 3ème régiment du génie, présent dans la cour ; ce dernier leur répond qu’il n’y a pas de débit de boisson en ce lieu, et leur fait reproche de leur tenue négligée.
Le ton monte, d’autres hommes du 29ème régiment d’infanterie rejoignent leurs camarades et tous deviennent menaçants. Le capitaine Mathieu leur demande de nouveau de quitter les lieux, et, devant leur refus, saisit le bonnet de police de Dupuis. Celui-ci agresse l’officier, lui portant un coup de bâton sur la tempe droite.
Le capitaine demande de l’aide alors que huit à dix hommes du 29ème régiment d’infanterie ont rejoint Dupuis et ses 2 compagnons ; il est de nouveau frappé, puis parvient à se retirer dans l’immeuble voisin. Un sous-officier de la compagnie du génie, qui s’était porté au secours du capitaine Mathieu, est également frappé.
Les militaires du 29ème quittent le village ; les hommes du poste de police ne parviendront pas à les rattraper.
Le jour même, un médecin major de 2ème classe examine le capitaine Mathieu ; il relève une large ecchymose à la face antérieure du bras gauche, et une plaie superficielle au niveau du dos de la main gauche.
Le lendemain, le capitaine Mathieu adresse un compte-rendu des faits au général commandant la 169ème division d’infanterie :
L’instruction du 1er jugement
Le 13 juin 1917, cette date est importante, le général Sérot Alméras Latour, commandant la 169ème division d’infanterie, ordonne qu’il soit informé contre les auteurs des faits, dont Lucien Dupuis.
On peut remarquer que le commissaire-rapporteur de la 169e DI, n’a pas retenu l’abandon de poste en présence de l’ennemi mentionné sur l’ordre d’informer mais l’abandon de poste sur un territoire en état de guerre uniquement sanctionné par 2 à 5 ans de prison. Cette décision est conforme aux faits, ces derniers étant intervenus dans un cantonnement. De 2 motifs sanctionnés par la peine de mort, il ne reste que « les voies de fait » ce qui suffit amplement à envoyer un militaire devant un peloton d’exécution.
Le relevé de punitions de Dupuis est vierge tout comme son casier judiciaire. Les notes de moralité de sa hiérarchie sont bonnes.
Pour information, le dossier du 1er jugement comportait au moins 51 pièces.
Pour les raisons que l’on découvre ci-après, une partie des pièces de l’instruction et en particulier les interrogatoires des accusés est absente. Mais on peut encore consulter certaines pièces de cette instruction comme le rapport du lieutenant Plantier major du cantonnement de Moiremont, comme le rapport du médecin major qui a examiné le capitaine Mathieu, comme le bulletin n°2 qui est un extrait du casier judiciaire de Dupuis.
1er jugement.
Le conseil de guerre de la 169ème division d’infanterie se réunit le 20 juin 1917.
Deux autres militaires de la 9e Cie du 29e RI sont également jugés avec Dupuis dans la même affaire, les soldats Carte et Carré.
A l’issue des débats, le président du conseil de guerre a posé 16 questions à l’encontre des accusés dont 9 concernant le soldat Dupuis :
-9e question- Le soldat de 2e classe Dupuis de la 9e Cie du 29e RI est-il coupable d’abandon de poste, pour avoir, le 10 juin 197, quitté sans autorisation, ni motif justifié, sa Cie qui était en position de réserve aux bivouacs de la Croix Gontin près de Florent, Marne ?
-10e question- Ledit abandon de poste a-t-il eu lieu en présence de l’ennemi ?
-10e question bis- Ledit abandon de poste a-t-il eu lieu sur un territoire en état de guerre ?
-11e question- Le même soldat est-il coupable de voies de fait envers un supérieur, pour avoir, le 10 juin 1917 à Moiremont, Marne, asséné plusieurs coups de bâton dont un à la tempe au capitaine Mathieu de la compagnie 2/12 du 3e Génie ?
-12e question- Lesdites voies de fait ont-elles eu lieu pendant le service ?
-13e question- Le même soldat est-il coupable de voies de fait envers un supérieur, pour avoir, le 10 juin 1917 à Moiremont, Marne, terrassé et jeté par terre le sergent Julien de la compagnie 2/12 du 3e Génie qui venait au secours du capitaine Mathieu?
-14e question- Lesdites voies de fait ont-elles eu lieu pendant le service ?
-15e question- Le même soldat est-il coupable d’outrages par gestes et menaces envers un supérieur, pour avoir, le 10 juin 1917 à Moiremont, Marne, outragé le capitaine Mathieu de la compagnie 2/12 du 3e Génie en criant à un de ses camarades : « Laisse donc venir ! Amène-le » ? ?
-16e question- Lesdits outrages ont-ils eu lieu pendant le service ?
Les juges ont répondu :
- Sur la 9e question : à la majorité de quatre voix contre une, oui, l’accusé est coupable
- Sur la 10e question : à l’unanimité, non, ledit abandon de poste n’a pas eu lieu en présence de l’ennemi.
- Sur la 10bis question : à l’unanimité, oui, ledit abandon de poste a eu lieu sur un territoire en état de guerre.
- Sur la 11e question : à l’unanimité, oui, l’accusé est coupable.
- Sur la 12e question : à la majorité de trois voix contre deux, oui, lesdites voies de fait ont eu lieu pendant le service.
- Sur la 13e question : à l’unanimité, oui, l’accusé est coupable.
- Sur la 14e question : à la majorité de quatre voix contre une, oui, lesdites voies de fait ont eu lieu pendant le service.
- Sur la 15e question : à la majorité de quatre voix contre une, oui, l’accusé est coupable.
- Sur la 16e question : à la majorité de quatre voix contre une, non, lesdits outrages n’ont pas été proférés pendant le service.
Le conseil de guerre déclare Dupuis coupable d’abandon de poste sur un territoire en état de guerre, de voies de fait envers 2 supérieurs, lesdites voies de fait ayant eu lieu pendant le service, d’outrages envers un supérieur, en dehors du service.
Il le condamne à la peine de mort, aux frais envers l’état, par application des articles 213, 223, 224, 135 et 139 du code de justice militaire.
Le soldat Carte est condamné à cinq ans de travaux publics ; sa peine est suspendue le 27 février 1918 par le général commandant la 169ème division ; Alexandre Carte est affecté au 13ème régiment d'infanterie.
Le soldat Carré est condamné à dix ans de travaux publics ; sa peine est suspendue le 6 avril 1918 par le général commandant la 169ème division ; Claude Carré est affecté au 13ème régiment d'infanterie.
Les juges ont admis que les voies de fait n’avaient pas eu lieu pendant le service d’où les condamnations de 5 à 10 de travaux publics.
Lucien Dupuis se pourvoit en révision ce qui est tout à fait possible car si le recours en révision a bien été suspendu le 8 juin, c’était uniquement pour les militaires inculpés en vertu des articles 208 et 217 du code de justice militaire ce qui n’est pas le cas ici.
Ce recours en révision fait partie des 555 pourvois en révision demandés au cours de l’année 1917 et recensés par Prisme dont 253 en juin.
Le conseil de révision de la IVème Armée se réunit le 28 juin 1917, en audience publique, sous la présidence du général Bassenne.
Le conseil, considérant que le commissaire-rapporteur de la 169ème division a procédé à des actes sans être saisi régulièrement par un ordre d’informer, qu’il y a contradiction entre des voies de fait intervenues pendant le service et des outrages en dehors du service alors qu’ils ont eu lieu au même endroit, au même moment, et envers la même personne, « casse et annule le jugement du conseil de guerre de la 169ème division contre Dupuis ».
L’arrêt du conseil de révision de la IVe Armée souligne que le commissaire-rapporteur de la 169e DI a procédé le 12 juin à l’instruction du soldat Carte, coaccusé du soldat Dupuis, soit un jour avant la délivrance de l’ordre d’informer. Ce moyen à lui seul, aurait suffi à casser ce jugement.
Dupuis est renvoyé devant le conseil de guerre de la 15ème division d’infanterie.
Pour information, en 1917, Prisme a recensé 125 recours en révision qui ont été acceptés dont 65 au cours de juin 1917.
Le dossier du second jugement comporte 37 pièces dont 17 provenant du 1er dossier de procédure qui ont été renumérotées. Les autres pièces du 1er dossier ont disparu ce qui est normal.
Entre le 21 juillet et le 31 août, l’accusé et les témoins sont de nouveau interrogés par le commissaire-rapporteur de la 15e division sur les faits qui se sont déroulés le 10 juin précédent. Interrogé le 12 août, Dupuis exprime des regrets.
Les autres inculpés du 1er jugement ont été interrogés par commissions rogatoires. Le lieutenant Vermeil a également adressé des commissions rogatoires pour auditionner le sergent Julien, le sapeur Demailly, le maréchal des logis Baticle, le lieutenant Plantier et le capitaine Mathieu dont la déposition suit :
D- Avait-il le bâton à son arrivée, dès le début de la scène dans votre cour ?
R- Oui.
D- Avez-vous vu Dupuis aux prises avec le sergent julien ?
R- Oui
D- Lorsque vous vous êtes réfugié chez le major du cantonnement, Dupuis et ses camarades sont-ils partis de suite, sans chercher à vous frapper encore ?
R- Ils n’ont pas cherché à me frapper à ce moment-là ; mais c’est précisément en me retirant chez le major du cantonnement que j’ai mis fin à la bagarre.
D- Dupuis était-il ivre ?
R- Il m’a produit l’effet de quelqu’un qui avait légèrement bu.
Questionné après la lecture du procès-verbal de l’interrogatoire du soldat Carte qui déclare ne pas se souvenir qui a frappé et insulté le capitaine Mathieu, Dupuis n’a rien à ajouter.
Le 12 août, un nouveau rapport est établi par le commissaire-rapporteur, le lieutenant Jean Vermeil de la 15ème division. Tout en précisant que Dupuis n’a pas de condamnation antérieure et qu’il est noté par ses chefs comme un excellent soldat, le commissaire-rapporteur de la 15e DI demande que Dupuis soit traduit devant le conseil de guerre pour abandon de poste sur un territoire en état de guerre, voies de fait sur le capitaine Mathieu et sur le sergent Julien et pour outrages par menaces sur le capitaine Mathieu. Seules les voies de fait sont sanctionnées par la peine de mort si ces dernières ont eu lieu au cours du service.
Suite au rapport du 31 août du lieutenant Vermeil, le 4 septembre, le général Arbanère commandant la 15e DI délivre un ordre de mise en jugement et la convocation du conseil de guerre pour le 6 septembre à 14 heures. A noter que c’est un ordre de mise en jugement ordinaire qui a été délivré mais sans les 3 jours réglementaires prescrits.
L’avocat de Lucien Dupuis, désigné d’office le même jour, est le lieutenant Coustaud du 296ème régiment d’infanterie, avocat à la cour d’appel de Montpellier.
Le conseil de guerre de la 15ème division, présidé par le lieutenant-colonel Greiner, commandant le 56ème régiment d’infanterie, se réunit le 6 septembre 1917 à 14h00 à St Jean de Tourbe.
Le conseil de guerre prend acte des explications fournies par Dupuis et des regrets qu’il exprime.
Le conseil doit répondre à huit questions :
Dupuis est reconnu coupable d’avoir exercé des voies de fait sur le capitaine Mathieu mais pas pendant le service, Dupuis n’est pas reconnu coupable d’avoir abandonné son poste, ni d’avoir exercé les voies de fait et d’avoir outragé le capitaine Mathieu pendant le service. A l’unanimité, le conseil de guerre a reconnu qu’il existait des circonstances atténuantes.
Le conseil de guerre condamne le soldat Dupuis à 5 ans de prison pour voies de fait envers un supérieur.
Dupuis devra s’acquitter des frais de justice qui s’élèvent à 12,65 francs.
Si une condamnation à mort avait été prononcée, un recours en grâce auprès du Président de la République, aurait selon toute vraisemblance abouti à une commutation de peine de mort compte tenu des avis de la hiérarchie, mais les voies de fait n’ayant pas été reconnues exercées pendant le service, Dupuis échappe ainsi à la peine de mort.
Initialement interné à Grenoble, Dupuis est transféré à la prison de Chambéry le 22 octobre 1917.
Quelques jours plus tard, le colonel commandant provisoirement la 15ème division demande son avis au commissaire-rapporteur afin que Dupuis bénéficie de l’article 150 du code de justice militaire qui précise : « le général commandant la circonscription peut suspendre l’exécution du jugement, à la charge d’en informer sur-le-champ le Ministre de la guerre ».
La réponse est positive :
Le 23 novembre, Dupuis est affecté au 10ème régiment d’infanterie,
où il arrive le 9 décembre 1917.
Il est démobilisé le 11 septembre 1919, et se retire à Fragnes, qu’il quitte quelques semaines plus tard pour s’installer à Saint-Ouen (Seine Saint-Denis). C’est dans cette commune qu’il épouse, le jeudi 4 novembre 1920, Marguerite Irma Bro.
En application de la loi du 29/04/1921, Dupuis a été amnistié.
Lucien Dupuis décède à à Sarcelles (Val d’Oise) le 6 avril 1978.
Ce cas montre que les événements constatés lors des mutineries, auxquelles le 29ème régiment d’infanterie n’a pas participé, n’ont pas eu d’emprise sur le fonctionnement de la justice militaire ; le droit est respecté : précipitation du commissaire-rapporteur, contradictions en service/en dehors du service, ont été normalement relevées par le conseil de révision qui a cassé le jugement initial.
Dupuis est certes condamné, mais avec des circonstances atténuantes ; ses regrets, les appréciations positives de sa hiérarchie, ont certainement plaidé en sa faveur.
Il n’est pas sûr néanmoins que les mêmes faits, survenus plusieurs mois auparavant, auraient connu la même issue !
Si lors de sa démobilisation, le certificat de bonne conduite lui est refusé, il recevra la Médaille Militaire quelques années plus tard.
Ces évènements se sont produits dans une période tourmentée pour l’armée française. Le colonel Zopff, chef de la sureté des armées, évoque cet « incident » parmi les actes d’indiscipline et désordres survenus au sein du 29e RI. Ceux-ci sont sérieux.
Le rapport précise les sanctions intervenues :
Au 10 juin : le principal coupable de l’incident de Moirmont est arrêté et va être traduit en conseil de guerre. On poursuit l’enquête en vue de découvrir les autres militaires impliqués dans l’affaire (4e armée-lettre 1459/1 du 14 juin)
Au 20 juin : conseil de guerre de la 169e DI prononce deux condamnations, 1 à la peine de mort et 1 à 10 ans de travaux publics (résumé colonel Zopff du 23 juin).
Le délit ayant eu lieu le 10 juin, on peut s’interroger s’il est lié ou non aux mutineries. Le Four de Paris est loin des principaux sites de mutineries qui ont affecté certaines unités. Le rapport du colonel Zopff ne semble pas rattacher ce cas aux évènements qui ont troublé l’armée française. La lecture du dossier va dans le même sens. L’abus de boisson semble être la cause du délit, reste qu’on ignore les raisons qui ont poussé ces militaires à boire plus que de raison.
Le principal coupable est le soldat Dupuis. Le 2ème condamné en première instance pour les mêmes faits, est le soldat Carte Alexandre, incarcéré à l’atelier travaux publics n°4 à Orléansville qui a bénéficié d’une suspension de peine le 27 février 1918. Passé au 13e RI le 12 mars 1918, le soldat Carte a été tué le 22 septembre à Bernay dans l’Aisne. Le 3ème condamné en première instance pour les mêmes faits, est le soldat Carré Claude, écroué à l’atelier travaux publics n°4 à Orléansville, qui a bénéficié d’une suspension de peine le 6 avril 1918. Passé également au 13e RI le 11 mai 1918, Carré a été blessé le 11 juin à Courcelles dans l’Oise avant d’être transféré en novembre 1918 au 1e RAC et d’être mis à la disposition de la Compagnie des Chemins de Fer en décembre 1918.
Ce cas n’a rien d’exceptionnel. Bien d’autres militaires condamnés à mort ayant été graciés ou non recondamnés à mort comme le soldat Dupuis, sont connus. Une partie de ces graciés figure parmi les militaires « Mort pour la France » signe qu’un soldat condamné même à mort pouvait montrer que sa « faute » ou sa défaillance n’était que passagère. Ces soldats s’étant montrés à la hauteur des attentes de leur hiérarchie.
Le cas du soldat Dupuis n’a pas été impacté par la désactivation du contrôle politique sur le fonctionnement de la justice militaire durant la période des mutineries. Il n’était pas concerné par les conditions de la suspension du recours en révision. D’une certaine façon, les troubles occasionnés par les mutineries, l’ont probablement aidé. En effet, on peut penser qu’en temps normal, le commissaire-rapporteur aurait sûrement attendu l’ordre d’informer. Là, pressé par le temps et par la hiérarchie pour apporter une réponse prompte et ferme aux mutineries, il a omis d’attendre la décision du général de la 169e DI qui n’aurait certainement pas prononcé un refus d’informer. Le président et les juges du conseil de révision n’ont pu que constater les violations des articles 99 et 132 du code de justice militaire et les sanctionner en cassant le jugement prononcé de la 169e DI.
Promis au peloton d’exécution, Dupuis s’est montré un bon soldat comme le montre ses citations.
Le cas Bersot montre que la justice militaire ou plutôt celui chargé de l’appliquer, n’a pas correctement rempli sa fonction. Ici, c’est un peu le contraire. Mal engagé, le dossier du soldat Dupuis a été remis « sur de bons rails » par l’instance chargée de la révision des jugements. Les juges du second jugement ont alors ramené cette affaire à sa vrai dimension : en dehors du service et hors de la présence de l’ennemi. Dans ce cas, la justice militaire a bien fonctionné. Réintégrés dans une unité combattante, Dupuis comme Carte ont montré qu’ils étaient de bons soldats et non pas des délinquants. Ceci dit, les différents témoignages le montrent bien, le soldat Dupuis est l’auteur des coups portés sous l’emprise de la boisson au capitaine Mathieu, scène trop banale d’une violence « ordinaire » à l’arrière des lignes que l’on trouve régulièrement dans les dossiers de conseils de guerre.
Comme le disait le général Bach en 2016 : Le citoyen a le droit de savoir ce que l’Etat a fait concernant la protection des droits des soldats et ses préoccupations pour éviter des injustices et des condamnations trop hâtives. Il paraît sain de saisir l’Etat, encore aujourd’hui, au vu des constatations faites lors des consultations des dossiers.
On le doit aux familles, qui ont le droit de savoir comment leur aïeul a été condamné et pour quel motif. On le doit aussi surtout, en ce qui concerne les fusillés, parce que leur mort a été ignominieuse, et ce, par volonté de l’Etat. On a rarement vu mise en scène plus désolante que ces exécutions, devant des spectateurs convoqués, sur ordre, aux aurores, avec cette liturgie mortifère, pendant laquelle, au nom du peuple français, est piétiné l’honneur d’un homme, d’un citoyen, lié, à genoux à un poteau, un mouchoir sur les yeux. La société de 1914-1918, son gouvernement, a permis de telles horreurs, de telles intimidations dont on ne peut dire qu’elle rencontrait le consensus alors. Les familles ont su tout cela, au fil du temps, par bribes et pour beaucoup reste l’impression diffuse d’une culpabilité terrible puisqu’elle a amené à décider d’user de telles extrémités. Prisme essaie de faire entrer la question des fusillés dans sa réalité historique, mais désapprouve la politique gouvernementale, qui, depuis ces dernières années, a toujours répondu aux demandes des familles de fusillés, par des réponses dilatoires, des mots, comme si l’Etat ne se considère pas comme comptable de ces exécutions, dans des conditions épouvantables, de citoyens.
Le soldat Carré est condamné à dix ans de travaux publics ; sa peine est suspendue le 6 avril 1918 par le général commandant la 169ème division ; Claude Carré est affecté au 13ème régiment d'infanterie.
Les juges ont admis que les voies de fait n’avaient pas eu lieu pendant le service d’où les condamnations de 5 à 10 de travaux publics.
Lucien Dupuis se pourvoit en révision ce qui est tout à fait possible car si le recours en révision a bien été suspendu le 8 juin, c’était uniquement pour les militaires inculpés en vertu des articles 208 et 217 du code de justice militaire ce qui n’est pas le cas ici.
Ce recours en révision fait partie des 555 pourvois en révision demandés au cours de l’année 1917 et recensés par Prisme dont 253 en juin.
Le jugement en révision.
Le conseil de révision de la IVème Armée se réunit le 28 juin 1917, en audience publique, sous la présidence du général Bassenne.
Le conseil, considérant que le commissaire-rapporteur de la 169ème division a procédé à des actes sans être saisi régulièrement par un ordre d’informer, qu’il y a contradiction entre des voies de fait intervenues pendant le service et des outrages en dehors du service alors qu’ils ont eu lieu au même endroit, au même moment, et envers la même personne, « casse et annule le jugement du conseil de guerre de la 169ème division contre Dupuis ».
L’arrêt du conseil de révision de la IVe Armée souligne que le commissaire-rapporteur de la 169e DI a procédé le 12 juin à l’instruction du soldat Carte, coaccusé du soldat Dupuis, soit un jour avant la délivrance de l’ordre d’informer. Ce moyen à lui seul, aurait suffi à casser ce jugement.
Dupuis est renvoyé devant le conseil de guerre de la 15ème division d’infanterie.
Pour information, en 1917, Prisme a recensé 125 recours en révision qui ont été acceptés dont 65 au cours de juin 1917.
L’instruction du 2e jugement
Le dossier du second jugement comporte 37 pièces dont 17 provenant du 1er dossier de procédure qui ont été renumérotées. Les autres pièces du 1er dossier ont disparu ce qui est normal.
Entre le 21 juillet et le 31 août, l’accusé et les témoins sont de nouveau interrogés par le commissaire-rapporteur de la 15e division sur les faits qui se sont déroulés le 10 juin précédent. Interrogé le 12 août, Dupuis exprime des regrets.
Les autres inculpés du 1er jugement ont été interrogés par commissions rogatoires. Le lieutenant Vermeil a également adressé des commissions rogatoires pour auditionner le sergent Julien, le sapeur Demailly, le maréchal des logis Baticle, le lieutenant Plantier et le capitaine Mathieu dont la déposition suit :
D- Avait-il le bâton à son arrivée, dès le début de la scène dans votre cour ?
R- Oui.
D- Avez-vous vu Dupuis aux prises avec le sergent julien ?
R- Oui
D- Lorsque vous vous êtes réfugié chez le major du cantonnement, Dupuis et ses camarades sont-ils partis de suite, sans chercher à vous frapper encore ?
R- Ils n’ont pas cherché à me frapper à ce moment-là ; mais c’est précisément en me retirant chez le major du cantonnement que j’ai mis fin à la bagarre.
D- Dupuis était-il ivre ?
R- Il m’a produit l’effet de quelqu’un qui avait légèrement bu.
Questionné après la lecture du procès-verbal de l’interrogatoire du soldat Carte qui déclare ne pas se souvenir qui a frappé et insulté le capitaine Mathieu, Dupuis n’a rien à ajouter.
Le 12 août, un nouveau rapport est établi par le commissaire-rapporteur, le lieutenant Jean Vermeil de la 15ème division. Tout en précisant que Dupuis n’a pas de condamnation antérieure et qu’il est noté par ses chefs comme un excellent soldat, le commissaire-rapporteur de la 15e DI demande que Dupuis soit traduit devant le conseil de guerre pour abandon de poste sur un territoire en état de guerre, voies de fait sur le capitaine Mathieu et sur le sergent Julien et pour outrages par menaces sur le capitaine Mathieu. Seules les voies de fait sont sanctionnées par la peine de mort si ces dernières ont eu lieu au cours du service.
Suite au rapport du 31 août du lieutenant Vermeil, le 4 septembre, le général Arbanère commandant la 15e DI délivre un ordre de mise en jugement et la convocation du conseil de guerre pour le 6 septembre à 14 heures. A noter que c’est un ordre de mise en jugement ordinaire qui a été délivré mais sans les 3 jours réglementaires prescrits.
L’avocat de Lucien Dupuis, désigné d’office le même jour, est le lieutenant Coustaud du 296ème régiment d’infanterie, avocat à la cour d’appel de Montpellier.
2ème jugement.
Le conseil de guerre de la 15ème division, présidé par le lieutenant-colonel Greiner, commandant le 56ème régiment d’infanterie, se réunit le 6 septembre 1917 à 14h00 à St Jean de Tourbe.
Le conseil de guerre prend acte des explications fournies par Dupuis et des regrets qu’il exprime.
Le conseil doit répondre à huit questions :
Dupuis est reconnu coupable d’avoir exercé des voies de fait sur le capitaine Mathieu mais pas pendant le service, Dupuis n’est pas reconnu coupable d’avoir abandonné son poste, ni d’avoir exercé les voies de fait et d’avoir outragé le capitaine Mathieu pendant le service. A l’unanimité, le conseil de guerre a reconnu qu’il existait des circonstances atténuantes.
Le conseil de guerre condamne le soldat Dupuis à 5 ans de prison pour voies de fait envers un supérieur.
Dupuis devra s’acquitter des frais de justice qui s’élèvent à 12,65 francs.
Si une condamnation à mort avait été prononcée, un recours en grâce auprès du Président de la République, aurait selon toute vraisemblance abouti à une commutation de peine de mort compte tenu des avis de la hiérarchie, mais les voies de fait n’ayant pas été reconnues exercées pendant le service, Dupuis échappe ainsi à la peine de mort.
Initialement interné à Grenoble, Dupuis est transféré à la prison de Chambéry le 22 octobre 1917.
Quelques jours plus tard, le colonel commandant provisoirement la 15ème division demande son avis au commissaire-rapporteur afin que Dupuis bénéficie de l’article 150 du code de justice militaire qui précise : « le général commandant la circonscription peut suspendre l’exécution du jugement, à la charge d’en informer sur-le-champ le Ministre de la guerre ».
La réponse est positive :
Le 23 novembre, Dupuis est affecté au 10ème régiment d’infanterie,
où il arrive le 9 décembre 1917.
Il est démobilisé le 11 septembre 1919, et se retire à Fragnes, qu’il quitte quelques semaines plus tard pour s’installer à Saint-Ouen (Seine Saint-Denis). C’est dans cette commune qu’il épouse, le jeudi 4 novembre 1920, Marguerite Irma Bro.
En application de la loi du 29/04/1921, Dupuis a été amnistié.
Lucien Dupuis décède à à Sarcelles (Val d’Oise) le 6 avril 1978.
Conclusion
Ce cas montre que les événements constatés lors des mutineries, auxquelles le 29ème régiment d’infanterie n’a pas participé, n’ont pas eu d’emprise sur le fonctionnement de la justice militaire ; le droit est respecté : précipitation du commissaire-rapporteur, contradictions en service/en dehors du service, ont été normalement relevées par le conseil de révision qui a cassé le jugement initial.
Dupuis est certes condamné, mais avec des circonstances atténuantes ; ses regrets, les appréciations positives de sa hiérarchie, ont certainement plaidé en sa faveur.
Il n’est pas sûr néanmoins que les mêmes faits, survenus plusieurs mois auparavant, auraient connu la même issue !
Si lors de sa démobilisation, le certificat de bonne conduite lui est refusé, il recevra la Médaille Militaire quelques années plus tard.
Ces évènements se sont produits dans une période tourmentée pour l’armée française. Le colonel Zopff, chef de la sureté des armées, évoque cet « incident » parmi les actes d’indiscipline et désordres survenus au sein du 29e RI. Ceux-ci sont sérieux.
Le rapport précise les sanctions intervenues :
Au 10 juin : le principal coupable de l’incident de Moirmont est arrêté et va être traduit en conseil de guerre. On poursuit l’enquête en vue de découvrir les autres militaires impliqués dans l’affaire (4e armée-lettre 1459/1 du 14 juin)
Au 20 juin : conseil de guerre de la 169e DI prononce deux condamnations, 1 à la peine de mort et 1 à 10 ans de travaux publics (résumé colonel Zopff du 23 juin).
Le délit ayant eu lieu le 10 juin, on peut s’interroger s’il est lié ou non aux mutineries. Le Four de Paris est loin des principaux sites de mutineries qui ont affecté certaines unités. Le rapport du colonel Zopff ne semble pas rattacher ce cas aux évènements qui ont troublé l’armée française. La lecture du dossier va dans le même sens. L’abus de boisson semble être la cause du délit, reste qu’on ignore les raisons qui ont poussé ces militaires à boire plus que de raison.
Le principal coupable est le soldat Dupuis. Le 2ème condamné en première instance pour les mêmes faits, est le soldat Carte Alexandre, incarcéré à l’atelier travaux publics n°4 à Orléansville qui a bénéficié d’une suspension de peine le 27 février 1918. Passé au 13e RI le 12 mars 1918, le soldat Carte a été tué le 22 septembre à Bernay dans l’Aisne. Le 3ème condamné en première instance pour les mêmes faits, est le soldat Carré Claude, écroué à l’atelier travaux publics n°4 à Orléansville, qui a bénéficié d’une suspension de peine le 6 avril 1918. Passé également au 13e RI le 11 mai 1918, Carré a été blessé le 11 juin à Courcelles dans l’Oise avant d’être transféré en novembre 1918 au 1e RAC et d’être mis à la disposition de la Compagnie des Chemins de Fer en décembre 1918.
Ce cas n’a rien d’exceptionnel. Bien d’autres militaires condamnés à mort ayant été graciés ou non recondamnés à mort comme le soldat Dupuis, sont connus. Une partie de ces graciés figure parmi les militaires « Mort pour la France » signe qu’un soldat condamné même à mort pouvait montrer que sa « faute » ou sa défaillance n’était que passagère. Ces soldats s’étant montrés à la hauteur des attentes de leur hiérarchie.
Le cas du soldat Dupuis n’a pas été impacté par la désactivation du contrôle politique sur le fonctionnement de la justice militaire durant la période des mutineries. Il n’était pas concerné par les conditions de la suspension du recours en révision. D’une certaine façon, les troubles occasionnés par les mutineries, l’ont probablement aidé. En effet, on peut penser qu’en temps normal, le commissaire-rapporteur aurait sûrement attendu l’ordre d’informer. Là, pressé par le temps et par la hiérarchie pour apporter une réponse prompte et ferme aux mutineries, il a omis d’attendre la décision du général de la 169e DI qui n’aurait certainement pas prononcé un refus d’informer. Le président et les juges du conseil de révision n’ont pu que constater les violations des articles 99 et 132 du code de justice militaire et les sanctionner en cassant le jugement prononcé de la 169e DI.
Promis au peloton d’exécution, Dupuis s’est montré un bon soldat comme le montre ses citations.
Le cas Bersot montre que la justice militaire ou plutôt celui chargé de l’appliquer, n’a pas correctement rempli sa fonction. Ici, c’est un peu le contraire. Mal engagé, le dossier du soldat Dupuis a été remis « sur de bons rails » par l’instance chargée de la révision des jugements. Les juges du second jugement ont alors ramené cette affaire à sa vrai dimension : en dehors du service et hors de la présence de l’ennemi. Dans ce cas, la justice militaire a bien fonctionné. Réintégrés dans une unité combattante, Dupuis comme Carte ont montré qu’ils étaient de bons soldats et non pas des délinquants. Ceci dit, les différents témoignages le montrent bien, le soldat Dupuis est l’auteur des coups portés sous l’emprise de la boisson au capitaine Mathieu, scène trop banale d’une violence « ordinaire » à l’arrière des lignes que l’on trouve régulièrement dans les dossiers de conseils de guerre.
Comme le disait le général Bach en 2016 : Le citoyen a le droit de savoir ce que l’Etat a fait concernant la protection des droits des soldats et ses préoccupations pour éviter des injustices et des condamnations trop hâtives. Il paraît sain de saisir l’Etat, encore aujourd’hui, au vu des constatations faites lors des consultations des dossiers.
On le doit aux familles, qui ont le droit de savoir comment leur aïeul a été condamné et pour quel motif. On le doit aussi surtout, en ce qui concerne les fusillés, parce que leur mort a été ignominieuse, et ce, par volonté de l’Etat. On a rarement vu mise en scène plus désolante que ces exécutions, devant des spectateurs convoqués, sur ordre, aux aurores, avec cette liturgie mortifère, pendant laquelle, au nom du peuple français, est piétiné l’honneur d’un homme, d’un citoyen, lié, à genoux à un poteau, un mouchoir sur les yeux. La société de 1914-1918, son gouvernement, a permis de telles horreurs, de telles intimidations dont on ne peut dire qu’elle rencontrait le consensus alors. Les familles ont su tout cela, au fil du temps, par bribes et pour beaucoup reste l’impression diffuse d’une culpabilité terrible puisqu’elle a amené à décider d’user de telles extrémités. Prisme essaie de faire entrer la question des fusillés dans sa réalité historique, mais désapprouve la politique gouvernementale, qui, depuis ces dernières années, a toujours répondu aux demandes des familles de fusillés, par des réponses dilatoires, des mots, comme si l’Etat ne se considère pas comme comptable de ces exécutions, dans des conditions épouvantables, de citoyens.
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