Entre des articles de fond, Prisme intercale des cas individuels pour établir ou rétablir les faits, cela a été le cas pour Pierre Mestre, pour le soldat Robert, pour le soldat Huchet.
La cause du décès de certains militaires reste toujours équivoque. Ces militaires peuplent une zone d’ombre d’où les recherches de Prisme ont toujours tenté de l’y faire sortir. Le Parc était de ceux-là.
Prisme s’était intéressé au parcours de ce militaire car son jugement était postérieur à son décès. Pour quelle raison avait-t-il été jugé ? Par quelle entité avait-t-il été jugé ? Existait-t-il des documents attestant des conditions de son décès ?
Ce cas est intéressant au vu de la pluralité de destins qu’il était supposé avoir eu pour les uns ou pour les autres : Mort pour la France, fusillé, exécuté sommaire et même déserteur à l’ennemi.
Selon les auteurs d’ouvrages traitant de ce militaire, soit il a été condamné à mort puis fusillé à la ferme de Quennevières le 21 novembre 1915 (1), soit son exécution [sommaire] est possible (2).
Les recherches comportent toujours une part d’incertitude. L’action publique s’éteignant au décès de l’inculpé, nous nous étions interrogés sur ce cas atypique.
Prisme rappelle qu’il appréhende l’ensemble de ces évènements à travers la notion, pratiquée en sociologie, de « cohorte ». Notion introduite par le général André Bach. Une cohorte mensuelle est constituée de tous les condamnés à mort au cours du même mois. Le condamné peut être exécuté dans le mois. Mais il a le risque de l'être aussi dans les mois suivants si son pourvoi en révision a été rejeté ou si sa demande de grâce, après examen, a été rejetée. Les autres condamnés échappent à la mort puisque leur peine est commuée.
Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.
Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux quelle que soit leur apparence.
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Depuis septembre 1914, le 262e régiment d’infanterie est installé dans l’Oise. Ce régiment appartient à la 61e division d’infanterie. Le 6 juin 1915, le 262e RI ne prend pas directement part à la bataille de Quennevières mais est en soutien d’attaque et tient tête aux réactions allemandes. En novembre 1915, il occupe un secteur à l’est de Tracy le Mont limité grossièrement au sud par Moulin sous Touvent et au nord par la ferme de Quennevières. Quotidiennement, le régiment perd des hommes, deux tués en moyenne entre le 14 septembre 1914 et le 20 novembre 1915 dans cette guerre des tranchées et des mines qui « consomme » régulièrement les effectifs des régiments en morts, blessés et disparus.
Selon le JMO, depuis le 6 novembre 1915, suite à une redéfinition des secteurs, le 262e RI occupe le secteur nouvellement appelé C Sud limité au nord par le boyau Charlet et au sud par le ravin de la Faloise. Le 5e bataillon du 262e RI occupe la partie droite du secteur et la 6e la partie gauche. Depuis le 16 novembre 1915, au sein du 5e bataillon, la 17e compagnie dont Le Parc fait partie, est au repos dans les carrières d’Ecafaut. Selon le capitaine Beignier, la 17e Cie ne devait remonter aux tranchées que le 21 novembre. Au cours de cette période, le secteur est plutôt calme. Du 1er au 19 novembre 1915 : RAS côté pertes ; le 20 : vers 11 heures, le soldat Berthelot est tué par une bombe en se réfugiant dans son abri, 2 autres soldats sont blessés ; le 21 : RAS ; le 22 : un blessé ; le 23 : journée calme.
Pour reconstruire l’histoire de Le Parc soldat au 262e RI, un des premiers documents que l’on est tenté de consulter, se trouve aujourd’hui sur le site Mémoire des Hommes.
Cette fiche de « Non Mort pour la France » indique que ce militaire a été « passé par les armes » à la « ferme de Quennerières » lieu bien connu des passionnés d’histoire où se sont illustrées plusieurs unités dont celle des Zouaves. A remarquer le point d’interrogation à droite de « genre de mort », cela semble suggérer que le rédacteur de la fiche en l’occurrence un militaire du dépôt du 262e RI basé à Lorient ignorait, dans un 1er temps, le sort du soldat Le Parc. « Passé par les armes » semble plus incliné que les autres écritures ce qui laisserait penser que cette indication a été ajoutée ultérieurement peut-être par un autre rédacteur du Ministère des Pensions. Nous verrons ci-après si cet ajout était pertinent.
Prisme rappelle, une nouvelle fois, que la présence de l’indication « passé par les armes « ou « fusillé » sur une fiche de « Non Mort pour la France » ne garantit pas la tenue d’un conseil de guerre qu’il soit ordinaire ou spécial.
Ce décès est conforté par les informations portées sur la fiche de matricule de ce militaire. D’abord orienté vers la désertion, le décès à la ferme de Quennevières est mentionné sans aucune autre précision.
Notons que l’avis ministériel date du 5 septembre 1916 soit 10 mois plus tard.
Ce décès est-il bien confirmé à cette date ?
Oui, si on s’en remet au jugement déclaratif de décès prononcé par le procureur de la République. Cela signifierait, théoriquement, que le corps de ce militaire n’a pas été retrouvé, du moins à la date d’établissement du jugement déclaratif de décès ou que son décès n’a pas été régulièrement constaté.
Le soldat Le Parc est officiellement reconnu comme décédé à la « ferme de Quennerières » le 21 novembre 1915 mais il n’est pas mort de ses blessures et il n’est pas officiellement reconnu comme « Mort pour la France » selon les informations fournies par le Ministère des Pensions.
Ce décès a été transmis à la mairie du 1er arrondissement de Paris, l’adresse de résidence du soldat Le Parc étant inconnue par l’administration.
D’emblée, sur cet acte, nous notons deux divergences par rapport au jugement déclaratif. L’acte de décès inscrit à la mairie du 1er arrondissement de Paris qui n’est qu’une recopie dudit jugement déclaratif de décès mentionne que Le Parc est décédé de ses blessures et qu’il est reconnu comme « Mort pour la France ». Pourtant, le nombre de ratures est bien mentionné sur le jugement déclaratif de décès : 14 dont décédé de ses blessures et Mort pour la France. Ces 2 indications portées sur cet acte de décès sont donc des faux.
Ce jugement déclaratif de décès a été établi le 15 septembre 1921. Malheureusement, les pièces annexes n’existent plus.
Les archives judiciaires de la 61e division d’infanterie contiennent des informations sur les circonstances de ces évènements.
Le registre des plaintes de la 61e DI :
Le 4 décembre 1915, la plainte n°248 a été déposée contre ce soldat pour désertion à l’ennemi. En application de l’article 238 du code de justice militaire, la sanction est sans équivoque : la mort avec dégradation militaire. Ce registre des plaintes possède un sommaire alphabétique des condamnés. Le patronyme de « Le Parc » n’y apparait qu’une seule fois sous le numéro de plainte n° 248.
C’est un jugement par contumace. S’il est pris ou si ce soldat se constitue prisonnier, il sera rejugé lors d’un jugement contradictoire.
Ceci est confirmé sur le cahier d’enregistrement de l’envoi des pièces de la justice militaire.
A la date de son jugement par contumace du 16 décembre 1915, le dossier de Le Parc est bien enregistré.
Sur le registre de correspondance de la 61e division d’infanterie :
Nous lisons qu’un extrait du jugement du soldat Le Parc a été adressé au lieutenant-colonel commandant le 262e régiment d’infanterie.
Le dossier de procédure :
Au regard de ces éléments, nous étions tentés d’accréditer la thèse de la désertion à l’ennemi et d’en conclure que Le Parc est passé volontairement à l’ennemi mais comment ?
Le 21 novembre 1915, le capitaine Beignier commandant la 17e Cie rédigeait son rapport sur ces évènements.
Entre les petits postes 6 et 7, il monta sur le parapet en continuant à se diriger vers la gauche. Les sentinelles le firent descendre dans la tranchée et rebrousser chemin. Il fut alors rencontré par le sergent Le Goëvec de la 20 Cie qui crut le reconnaitre comme appartenant à la 17e Cie. Il le laissa passer sans le faire appréhender. Il fut également rencontré par le caporal Le Teuff de la même compagnie qui, de même, le laissa continuer son chemin.
Il escala bientôt à nouveau le parapet et prenant une chicane, il se dirigea vers l’ennemi. Les sentinelles du PP 7, les soldats Sivy et Tréhin, voyant un homme franchir nos fils de fer et se diriger vers les tranchées allemandes tirèrent dessus. Le déserteur roula à terre et les sentinelles semblent être certaines qu’il fut touché mortellement.
Il est hors de doute que ce déserteur est bien le soldat Le Parc Joseph Marie de la 17e Cie cantonnée à la carrière d’Ecafaut. Ce soldat, en effet, légèrement pris de boisson à la soupe du soir, disent ses camarades, fut rencontré vers 18h15 entre la ferme de l’Ecafaut et la côte 149 par les soldats Morvan et Le Pen de la même compagnie qui, chargés de porter un pli au centre Vannier, rentraient à leur cantonnement. La conversation engagée entre eux et lui fut à peu près la suivante : « où vas-tu ? je vais en première ligne, où est-ce ? C’est loin, tu vas te perdre, il vaut mieux rentrer ». Ils ont insisté plusieurs fois, sans pouvoir le décider. Finalement, il les quitta en leur disant : « oh, je n’irai qu’à côté ». Il leur sembla bien qu’il avait bu un peu. D’autre part, le signalement donné par le sergent Le Goëvec correspond bien à celui de Le Parc qui manquait à l’appel du 20 au soir et du 21 au matin.
Le Parc était un soldat faible de constitution, très peu intelligent, sans aucune instruction, sans famille, parlant à peine le français et dans le cas où il ne serait pas tombé sous nos balles, incapable de donner des renseignements sérieux sur notre situation militaire.
Son acte doit être attribué beaucoup plus à son ivresse qu’à la volonté arrêtée de déserter, du moins, c’est l’avis de ceux qui vivaient avec lui. Cela semble d’autant plus vraisemblable que la 17e remontant aux tranchées le 21, Le Parc aurait pu attendre quelques heures pour mettre plus sûrement son projet à exécution.
En conséquence, le capitaine Beignier commandant le 17e Cie à l’honneur de demander à M. Le Lt Colonel commandant le 262e qu’une plainte soit établie contre le soldat Le Parc pour crime de désertion à l’ennemi en vertu de l’article 238 du code de justice militaire.
A cet instant, le capitaine Beignier n’a pas la certitude du décès du soldat Le Parc. La procédure va donc s’enclencher.
Il faut noter que ces évènements sont intervenus fin novembre à une heure où il fait nuit.
Le 30 novembre 1915, le Lt Colonel Boblet commandant le 262e RI désigne le lieutenant Le Blevennec comme officier de police judiciaire pour instruire la plainte formée contre le soldat Le Parc Joseph Marie, classe 1902, matricule 14436 pour désertion à l’ennemi.
Le lieutenant Le Blevennec va auditionner les 6 témoins de cette affaire :
-le soldat Thérin soldat à la 20e Cie auditionné le 1er décembre 1915 :
Demande : l’avez-vous vu se relever plusieurs fois ?
Réponse : non, quand je l’ai aperçu, il rampait, à mon appel, il se leva pour aller vers la ligne ennemie et après que j’ai eu tiré, j’affirme ne pas l’avoir vu se relever.
Demande : l’homme qui était devant vous, était-il équipé ?
Réponse : non, il avait la capote à moitié déboutonnée et c’est ce qui m’a fait croire un instant, que c’était un boche qui était venu rôder près de nos fils de fer. Je n’ai su que c’était un déserteur que lorsque l’on m’a dit qu’il avait causé en breton aux sentinelles de la 22e Cie.
Demande : connaissez-vous Le Parc ?
Réponse : non
-le soldat Sivy soldat à la 20e Cie auditionné le 1er décembre 1915 :
Demande : connaissez-vous Le Parc ?
Réponse : non
-les soldats Le Pen et Morvan soldats à la 17e Cie auditionnés le 1er décembre 1915, précisent qu’ils ont rencontré Le Parc vers 18 heures à environ 50 mètres en avant de la ferme d’Ecafaut, qu’il allait « voir » en première ligne et qu’il avait un peu bu mais qu’il ne chancelait pas. A noter que Le soldat Le Pen connaissait Le Parc.
-le soldat Le Teuff soldat à la 21e Cie auditionné le 1er décembre 1915 :
Demande : où vous trouviez-vous lorsque les sentinelles ont tiré ?
Réponse : j’étais au petit poste n°8 et dès les premiers coups de feu, je me suis rendu au PP7 pour voir ce qui se passait. Je croyais avoir affaire à une patrouille ennemie. Ce n’est qu’en arrivant près de sentinelles Sivy et Tréhin que j’ai su qu’ils avaient tiré sur un homme se dirigeant vers les lignes ennemies
Demande : avez-vous pensé lorsque vous avez connu la désertion que c’était l’homme que vous avez croisé dans la tranchée ?
Réponse : non
Demande : connaissez-vous Le Parc et pouvez-vous donner des renseignements ?
Réponse : non, j’ai pu le voir quelquefois mais ne puis le certifier
Demande : vous êtes-vous aperçu que Le Parc avait bu ?
Réponse : je crois qu’il était légèrement pris de boisson mais ne trébuchait pas.
-l’ex sergent Le Goëvec soldat à la 20e Cie auditionné le 1er décembre 1915 :
Demande : qu’avez-vous fait ensuite ?
Réponse : des renseignements donnés par les sentinelles du PP 7, l’homme sur lequel ils avaient tiré, venait de la gauche. J’allai immédiatement au PP 6 pour savoir si à leur tour les sentinelles avaient aperçu quelque chose. Elles déclarèrent avoir entendu remuer derrière les fils de fer, sans préciser davantage. Je revins ensuite trouver l’homme qui était en liaison gauche avec la 22e Cie, lequel m’affirmé avoir vu un militaire de petite taille rasant les fils de fer et venant du secteur de la 22e Cie. Il me signala le point où il l’avait perdu de vue.
Demande : y-a-t-il une sortie aux environs où l’homme a été perdu de vue par l’homme de liaison et le PP 7 ?
Réponse : oui, je m’en suis assuré en montant sur le terrain. J’ai trouvé une chicane et des traces de pas à la sortie de cette chicane correspondant exactement à l’endroit où a été aperçu le déserteur lorsque les sentinelles ont ouvert le feu.
Demande : à ce moment, avez-vous pensé que l’homme qui venait de déserter pouvait être celui que vous aviez rencontré dans la tranchée ?
Réponse : d’après l’enquête que j’ai faite près des sentinelles des 20e et 22e Cie, les renseignements correspondaient bien au signalement de Le Parc : petite taille, sans équipement, capote et semblant tituber.
Demande : à quel moment avez-vous prévenu votre commandant de Cie de cette évasion ?
Réponse : après avoir exploré le terrain pour savoir si réellement on pouvait passer et après avoir pris des renseignements près des sentinelles de façon à fournir à mon commandant de Cie un rapport circonstancié. J’ajoute que l’homme qui s’est évadé, a été sérieusement touché, les sentinelles ne l’ayant pas vu se relever après le tir.
Demande : connaissez-vous Le Parc et pouvez-vous donner des renseignements ?
Réponse : sa physionomie ne m’est pas inconnue pour l’avoir vu plusieurs fois à la corvée à la 17e Cie, il ne me paraissait pas très intelligent et était plutôt de nature chétive.
Demande : croyez-vous que Le Parc ait prémédité son acte ?
Réponse : je ne le pense pas, il a dû agir plutôt sous le coup de l’ivresse
Demande : connaissez-vous autre chose ?
Réponse : non, j’ajouterai seulement que deux patrouilles sont sorties pour explorer le terrain après la désertion mais qu’elles n’ont rien trouvé.
Après ces auditions, le 4 décembre 1915, le Lt Colonel Boblet commandant le 262e RI adressa une plainte au général commandant la 61e DI concernant le soldat Le Parc pour désertion à l’ennemi.
Les témoins sont :
-Le Goëvec Henri ex sergent à la 20e Cie
-Le Teuff Louis ex caporal à la 20e Cie
-Siry Yves soldat à la 20e Cie
-Tréhin Joseph Marie soldat à la 20e Cie
-Le Pen Yves soldat à la 17e Cie
-Morvan Yves soldat à la 17e Cie
Le même jour, le général Nivelle commandant la 61e DI ordonna qu’il soit informé contre le soldat Le Parc.
Immédiatement, le commissaire-rapporteur Dufaux délivra un mandat d’amener à l’encontre de Le Parc.
Le 5 décembre 1915, le capitaine Dufaux auditionna les témoins cités.
Le soldat Le Pen compléta ses premières déclarations faites devant l’OPJ en indiquant que : il avait son képi [Le Parc]. Dans l’intérieur de la carrière, quand nous sommes en réserve [ce qui était le cas de la 17e Cie], nous mettons nos képis et soulignait qu’il connaissait Le Parc depuis le début de la guerre.
Le commissaire-rapporteur auditionna également le capitaine Beignier qui n’avait pas été entendu par l’OPJ.
force morale, faible de constitution, peu intelligent et qui, sous l’influence de la boisson, qu’il supportait très peu, a parfaitement été capable de concevoir son acte.
Pour le capitaine Beignier, hormis Le Parc absent à l’appel de la 17e Cie, aucun autre homme n’a disparu pendant cette nuit au régiment.
A l’issue de ces auditions, le capitaine Dufaux adressa son rapport au général commandant la 61e DI.
Le 20 novembre 1915, les soldats Tréhin et Sivy, de la 20e Cie du 262e régiment d’infanterie étaient depuis dix-sept heures en sentinelles au petit poste n°7, en 1ère ligne, aux abords de la route Tracy le Mont-Moulin sous Touvent.
Vers 19h30, les deux soldats aperçurent un homme entre les réseaux de fil de fer. Tréhin qui le vit ramper, l’interpella. A cet appel, l’individu, qui avait une capote à moitié déboutonnée, se leva et pressant le pas, se dirigea vers la tranchée ennemie.
Les deux sentinelles, comprenant alors que c’était un déserteur ou un allemand tirèrent sur lui plus d’une vingtaine de cartouches : le fugitif tomba et ne se releva pas. Il fut impossible, dans la suite, d’en retrouver une trace quelconque.
Le lendemain matin, un appel rigoureux fait dans toutes les unités du régiment fit constater la disparition du soldat Le Parc, de la 17e Cie, compagnie qui, le 20, était en réserve à Ecafaut. L’enquête menée sur cette base, aboutit à la conclusion que le déserteur n’était autre Le Parc. En effet, vers 18 heures 30, les soldats Morvan et Le Pen de la 17e Cie revenaient à Ecafaut après avoir été porter un pli au poste Vannier. Ils croisèrent en route Le Parc, qu’ils connaissaient, se dirigeant vers la 1ère ligne. Etonnés, ils l’arrêtèrent et lui demandèrent où il allait, en lui faisant remarquer qu’il risquait de se perdre ou de se blesser. Le Parc qui leur parut être en léger état d’ivresse, leur répondit qu’il voulait aller voir en 1ère ligne, que, d’ailleurs il n’irait pas bien loin et il quitta ses deux camarades, qui revinrent à Ecafaut.
Quelques instants après, successivement, le caporal Le Teuff et le sergent Le Goëvec rencontrèrent dans la tranchée un soldat qui leur demanda où se trouvait la 24e Cie et le sergent Le Goff de cette unité. Ces deux gradés ne s’occupèrent pas davantage de ce soldat qui avait la capote déboutonnée et qui était sans équipement.
Ce fut un peu plus tard que les deux sentinelles tirèrent sur le déserteur.
Le sergent Le Goëvec qui, ayant servi à la 17e Cie comme soldat, avait connu Le Parc de vue, est certain, d’après ses souvenirs, que l’homme qu’il a vu dans les tranchées n’était autre que ce soldat. Il y a lieu de noter, également, qu’à l’endroit où fut aperçu le déserteur par les sentinelles, existait une chicane permettant de sortir de la tranchée sans difficulté.
D’après ces dispositions et les constatations faites, il ne saurait y avoir de doute sur l’identité du déserteur, c’était bien Le Parc.
Faible de constitution, peu intelligent, sans aucune force morale, Le Parc était parfaitement capable de se laisser aller à déserter.
En conséquence, le commissaire-rapporteur est d’avis que les faits ci-dessus relatés constituent à l’égard de Le Parc, surqualifié, le crime de désertion à l’ennemi, prévu par l’article 238 du code justice militaire et qu’il y a lieu d’ordonner sa mise en jugement devant le conseil de guerre pour qu’il soit condamné à la peine indiquée par ledit article.
Au QG, le 5 décembre 1915
Le commissaire-rapporteur
Dufaux
Immédiatement, usant de la procédure classique (article 108 du CDJM), le général commandant la 61e DI ordonna la mise en jugement du soldat Le Parc.
Le soldat Le Parc n’étant pas détenu dans les locaux de la prévôté, le président du conseil de guerre ordonna, en application de l’article 175 du CDJM, à ce militaire de se présenter dans un délai de 10 jours devant le conseil de guerre. Il ne faut pas s’étonner de cette procédure qui répond classiquement au fonctionnement de la justice militaire.
Le délai de 10 jours étant expiré, l’accusé ne s’étant pas présenté, sur la proposition du commissaire-rapporteur, le général commandant la 61e DI ordonna la convocation du conseil de guerre pour juger par contumace le soldat Le Parc.
Le 16 décembre 1915, le conseil de guerre de la 61e DI fut appeler à statuer.
Une seule question a été posée aux juges : Le Parc Joseph, soldat de 2e classe au 262e régiment d’infanterie est-il coupable d’avoir, le 20 novembre 1915, dans le secteur aux environs de la route Tracy Le Mont - Touvent, déserté à l’ennemi ?
Le soldat Le Parc a été condamné, par contumace, à l’unanimité, à la peine de mort avec dégradation militaire, en vertu de l’article 238 du CDJM.
Ce jugement a été mis à l’ordre du jour de la 61e DI. Il a également été affiché sur la porte du conseil de guerre mais surtout sur la porte de la mairie du Faouët (résidence supposée de Le Parc) dans le Morbihan ce qui est confirmé par un courrier de ladite mairie.
Prisme a recensé environ 650 militaire français condamnés à mort par contumace pour désertion à l’ennemi.
Sans appréhender ce dossier de procédure, plusieurs hypothèses pouvaient expliquer la cause du décès de ce militaire :
- une condamnation à mort prononcée par un conseil de guerre temporaire ordinaire ou spécial
- une exécution sommaire en application ou non de l’article 121 sur le règlement sur le service en campagne.
- abattu par une sentinelle ou par les forces de l’ordre
Analyse de ces hypothèses :
1a- Condamnation à mort prononcée par un CdG temporaire ordinaire :
Les tableaux statistiques de l’administration de la Justice Militaire de la 61e DI existent pour les années 1914 à 1917. Prisme a déjà étudié ces tableaux dans un précédent article.
Ces tableaux ont été collationnés en mars 1916 par le greffier du conseil de guerre et certifié exact par le commissaire-rapporteur du conseil de guerre de la 61e DI.
Pour l’année 1915 qui nous intéresse, sur un extrait fait à gauche de la 1ère feuille qui concerne la désignation des crimes et délit, nous constatons :
Au titre de la 1ère section concernant les faits prévus par le code de justice militaire, à la colonne 5, quatre militaires ont été condamnés à mort. Au titre de la 2e section concernant les faits prévus par la loi ordinaire, aucun militaire n’a été condamné à mort.
Comme nous pouvons le voir sur l’extrait ci-dessus, 2 militaires de la 61e DI ont été condamnés à mort pour désertion à l’ennemi et 2 autres pour outrages envers un supérieur.
Sur la même feuille mais à l’extrémité droite, nous lisons :
Dans la colonne « observations », comme c’est prévu par les textes régissant la rédaction de ces documents, les noms des militaires fusillés Pierret et Rolland apparaissent. Dans la même colonne, une autre indication très intéressante apparaît : n° 1) sur le nombre porté à la colonne 4, deux militaires ont été condamnés à mort par contumace.
En 1915, 2 militaires ont été condamnés à mort par contumace. Le 1er est le soldat B... Pierre Alexandre Marie (3) du 264e RI qui a été rejugé le 20 février 1920 par le Conseil de guerre permanent de la 11e RM qui l’a condamné à mort. Gracié par le Président de la République, sa peine a été commuée en 20 ans de prison. Incarcéré à Fontevrault, ce soldat y est décédé le 24 septembre 1921. Le second militaire recensé dans les bases de Prisme et dans le registre des plaintes de la 61e DI est le soldat Le Parc.
Pour les condamnations à mort, les informations de ce tableau statistique sont conformes à celles contenues dans les bases de Prisme.
Ces éléments permettent de conclure que le soldat Le Parc n’a pas été condamné à mort puis fusillé au cours de l’année 1915 par ce type de conseil de guerre.
1b- Condamnation à mort prononcée par un CdG temporaire spécial :
En novembre ou décembre 1915, les CdGS étaient toujours en fonctionnement.
Autant, le classement des CdG ordinaires est bien structuré à travers des registres des plaintes, registres des jugements, minutiers et dossiers de procédure, autant celui des CdG spéciaux est beaucoup plus aléatoire ce qui rend plus difficile les recherches. Parfois, il existe une liste de ce type de CdG ayant fonctionné comme c’est le cas à la 32e DI.
Parfois, il ne subsiste aucune trace d’un classement. Enfin, parfois, il n’y a pas tout bonnement eu de CdGS au sein de telle division comme c’est le cas à la 74e DI.
Nous connaissons au moins un CdGS ayant fonctionné au sein du 262e RI. Le 11 février 1915, le soldat P... Joseph (3) a été jugé.
Potentiellement, d’autres CdGS ont pu fonctionner au sein de la 61e DI ou au sein du 262e RI.
Mais, les tableaux statistiques de l’administration de la Justice Militaire étaient établis en tenant compte des conseils de guerre spéciaux conformément à la lettre n° 5753 du 14 mai 1915 du Grand Quartier Général.
Comme le stipule le renvoi D de la colonne 27 de la 1ère feuille d’un tableau statistique : mentionner à la colonne d’observation (27), les noms des condamnés à mort qui ont été fusillés et la date d’exécution.
C’est le cas ci-dessus pour les soldats Pierret et Rolland.
Si le soldat Le Parc avait été fusillé après la tenue d’un conseil de guerre spécial du 262e RI, son nom apparaitrait comme ceux des soldats Pierret et Rolland. On peut donc en conclure que ce type de CdG, même s’il a fonctionné au sein de la 61e DI, n’a pas condamné à mort puis exécuté le soldat Le Parc.
2- exécution sommaire :
Ce genre de mort est rarement documenté. Le plus souvent, ces décès sont connus à travers des récits. Pour le soldat Le Parc, les informations contenues dans le dossier de procédure ne tendent pas vers cette version.
3- abattu par une sentinelle ou par les forces de l’ordre :
Prisme a déjà explicité cette cause dans son article sur l’article 121 du règlement du service en campagne.
Elle relève des conséquences de l’application de l’article 86 du règlement sur le service en campagne concernant le rôle de la sentinelle : les sentinelles ont toujours l’arme prête à faire feu, mais ne tirent que si elles aperçoivent distinctement l’ennemi ou si elles sont attaquées. Elles font également feu sur quiconque cherche à forcer leur consigne. Sont concernés par cet article 86 les cas d’une sentinelle qui abat un militaire au cours d’une tentative de désertion, de désertion à l’ennemi ou d’évasion ou non-respect de consigne.
Les témoignages contenus dans le dossier de procédure de ce militaire s’orientent vers cette explication. Le Parc a tenté de franchir les lignes pour se rendre à l’ennemi volontairement ou sous l’influence de la boisson mais il a été abattu par les sentinelles du petit poste n°7.
Dans le dossier de procédure, il restait une part d’ombre. Qu’est-il advenu de Le Parc ? Le corps de ce militaire n’ayant pas été retrouvé le 21 novembre 1915 en dépit des recherches menées par les patrouilles, le commissaire-rapporteur avait été contraint de lancer la procédure de mise en jugement malgré les affirmations des 2 sentinelles du petit poste n°7.
La consultation des archives du CICR apporte des réponses à cette question. Le 19 août 1916, le Zentral Nachweise Büro (littéralement bureau central des pièces justificatives) enregistrait le décès du soldat Le Parc de la 17e Cie du 262e régiment d’infanterie au 21 novembre 1915.
L’une des 3 fiches du CICR concernant ce militaire, renvoyant aux cotes + 5416 et + 3755, identifie un soldat dénommé Le Parc de la 17e Cie du 262e RI matricule 2329 de Lorient. Le numéro 2329 du bureau de Lorient correspond bien au soldat Le Parc Joseph Marie comme nous pouvons le constater aussi bien sur la fiche de NMPLF que sur la fiche de matricule de ce soldat. La cote + 3755 confirme ces indications, elle indique : « Erk.Mrk » Lorient 2329 verst 21.11.1915 Quennevières ferme. « Erk.Mrk » est l’abréviation de Erkennungsmarken qui signifie plaques d'identification tout comme « verst » est l’abréviation de verstorben qui signifie mort. En résumé, la cote + 3755 indique qu’un soldat dénommé Le Parc Joseph Marie dont le numéro d’immatriculation est 2329 du bureau de Lorient est mort le 21/11/1915 à la ferme de Quennièvres.
Le 1er octobre 1917, le même bureau central des pièces justificatives enregistrait l’emplacement de la tombe où reposait ce soldat.
En l’occurrence, la sépulture de Le Parc se trouvait dans la section D à Moulin-sous-Touvent côté Nord, précisément il s’agissait de la tombe individuelle n° 50 (E. Grab 50 ci-dessus). A noter les 2 « divergences » sur le nom, sur le régiment de ce soldat mais on remarque également la date présumée du décès : le 20 novembre 1915. Cette date correspond bien à la soirée au cours de laquelle les sentinelles françaises ont affirmé avoir tiré sur Le Parc, l’avoir touché et ne pas l’avoir vu se relever.
Aujourd’hui, la réponse à cette même question se trouve dans la nécropole nationale de Cuts.
Selon les informations du pôle des Sépultures de Guerre de Metz, la dépouille du soldat Le Parc Joseph Marie a été exhumée le 05 juillet 1920 sur le territoire de la commune de Moulin sous Touvent avant d’être inhumée dans la nécropole nationale de Cuts dans l’Oise (tombe 1416).
Lors sa tentative de franchir les réseaux de fil de fer, Le Parc a-t-il été gravement blessé ou tué par les 2 sentinelles françaises ? Ou a-t-il été tué par les soldats allemands lors de son approche des lignes ennemies. A priori, les informations contenues dans le dossier de procédure ne mentionnent pas de tirs en provenance de la 1ère ligne allemande au niveau du petit poste 7 après le franchissement de la 1ère ligne française par Le Parc. Ni les JMO des 262e RI et 61e DI ne mentionnent de tels tirs. Vu les informations contenues dans les archives du CICR, on peut estimer que Le Parc n’a pas survécu au franchissement des réseaux de fil de fer.
A noter que le sénat et la chambre des députés s’étaient saisis de cette question des exécutés sans jugement à travers la loi du 9 août 1924.
En effet, l’article 2 de cette loi prévoyait : Dans les cas d’exécution sans jugement, la réhabilitation des militaires passés par les armées pourra être demandé par le Ministre de la Justice à la requête du conjoint, des ascendants ou descendants ou du Ministre de la Guerre ou de la Marine.
Conclusion :
Cet article n’a d’autre ambition que de rétablir les faits concernant ce militaire. Après-guerre, tant de mythes ont si longtemps perduré que Prisme devait intervenir pour restituer les faits. Certes, ce cas individuel n’égale pas les grands mythes que Prisme s’est toujours efforcé de déconstruire pour présenter le fonctionnement de la justice militaire tel qu’il était au cours de la Grande Guerre mais il est nécessaire de le faire.
Entre la simple lecture de la fiche de non mort pour la France de ce militaire et la réalité des évènements, cela montre à quel point il ne faut pas tomber dans les rets de la facilité en s’épargnant toute recherche sur ces drames mortifères.
Pour ce cas, les recherches menées par Prisme dans les archives judiciaires de la 61e DI permettent d’exclure une condamnation à mort suivie d’une exécution devant un peloton d’exécution que cela soit par un conseil de guerre temporaire ordinaire ou spécial. Les tableaux statistiques de l’administration de la Justice Militaire de la 61e DI confirmant les registres des plaintes et des jugements de cette division.
De plus, matériellement, il est impossible de voir apparaitre une condamnation à mort prononcée par un CdG ordinaire ou spécial suivie d’une exécution devant un peloton comme cause potentielle du décès d’un militaire puis de voir un mois plus tard une condamnation à mort à contumace pour le même individu.
Le dossier de procédure fait apparaitre la cause très probable du décès de ce soldat, abattu par les sentinelles du petit poste n°7 alors qu’il tentait de passer à l’ennemi volontairement ou sous l’emprise de la boisson. Recueilli mourant ou décédé le 20 ou le 21 novembre suivant les sources, cela exclut quasiment tout passage même temporaire dans une unité sanitaire allemande. Le Parc a été enterré dans une tombe individuelle mais on ignore toujours à quel endroit précis ce militaire est décédé.
L’exemple du soldat Le Parc n’est pas isolé, d’autres « Le Parc » se trouvent dans une zone d’ombre où les informations sont très parcellaires surtout si on a affaire à des exécutions sommaires qui sont très rarement documentées dans les archives judiciaires.
Prisme s’était intéressé à ce cas qui est apparemment un « abattu » pour mieux cerner le périmètre de recherche de Prisme : les militaires français fusillés suite à une comparution devant un conseil de guerre.
Prisme se remémore cette phrase du général André Bach : cent ans après le conflit, le citoyen français a le droit de connaître dans quelles conditions les militaires français ont été condamnés à mort puis fusillés ou exécutés. Faute de clarification, pendant longtemps, mémoire et histoire ont été en décalage, reflet du sentiment profond exprimé par certains que l’on cachait une vérité. Prisme essaie de faire entrer la question des fusillés ou exécutés dans sa réalité historique.
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1- 14-18, Les fusillés - Frédéric Mathieu- éditions Sébirot – juillet 2013
2- Les exécutions sommaires- Vincent Herpin- éditions YSEC -mai 2021
3- Prisme a volontairement masqué le nom des militaires condamnés dont le patronyme n’est pas tombé dans le domaine public ou médiatique
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Pour André
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