A travers des articles statistiques, à travers des articles de fond aussi divers que les mutilations volontaires, le code de justice militaire, la notion de fusillés pour l'exemple, l'ambition du Prisme est de fournir un ensemble d'informations permettant aux lecteurs d'appréhender en toutes connaissances de causes et sans parti pris de notre part la problématique des fusillés du conflit 14/18. Notre but n'est pas de juger mais de présenter, d'analyser les faits, de les porter à la connaissance de nos concitoyens au sujet d'une question qui n'est pas seulement d'ordre historique mais enjeu aussi d'un débat mémoriel, encore présent aujourd'hui.

lundi 3 novembre 2025

Rejugé après un 1er jugement annulé, le soldat Autret a été fusillé

    Pour bien appréhender le phénomène des « Fusillés », il est nécessaire de s’appuyer sur les différentes sources existantes.

Malgré l’absence du dossier de procédure, cet article relate le cas de ce militaire qui a été condamné à mort une première fois. Son jugement ayant été cassé, il a été recondamné à mort puis fusillé.

Rappelons qu’en temps de guerre, le conseil de révision se substitue à la Cour de cassation dont il possède les mêmes prérogatives. Cette juridiction n’a rien à voir avec le conseil de révision, entité chargée du recrutement des jeunes gens en application des lois de 1905 et 1912 sur le recrutement militaire, visant à faire effectuer leurs obligations militaires aux individus en âge de le faire.

C’est le conseil de révision temporaire de la IIe armée qui a été appelé à statuer sur le sort d’Autret. Pour mémoire, en temps de guerre, les conseils de révision permanents ne statuaient que sur les jugements prononcés par les conseils de guerre permanents.

Comme le rappelle le traité des recours en révision contre les jugements des conseils de guerre en temps de guerre du colonel Augier et de Gustave Le Poittevin (édition de la société du recueil Sirey – 1915, page 1), le conseil de guerre étant juge souverain du fait, le conseil de révision était juge du droit.

Nous rappelons que Prisme appréhende l’ensemble de ces évènements à travers la notion, pratiquée en sociologie, de « cohorte » introduite par le général Bach. Une cohorte mensuelle est constituée de tous les condamnés à mort au cours du même mois. Le condamné peut être exécuté dans le mois. Mais il peut l'être aussi dans les mois suivants si son pourvoi en révision a été rejeté ou si sa demande de grâce, après examen, a été rejetée. Les autres condamnés échappent à la mort puisque leur peine est commuée.

Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.
Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux, quelle que soit leur apparence.

--------------------------

1-Documents à la disposition des chercheurs :

Le dossier de procédure concernant le jugement de ce soldat est manquant.

Nous pourrions crier haut et fort qu’à partir de cet instant, sans dossier, il est inutile d’aller plus loin et se contenter de réclamer sa « réhabilitation ».

Mais, comme le disait le général Bach : On ne peut ni réhabiliter collectivement des hommes aux destins si différents, en particulier par rapport à l’état de droit, ni proclamer qu’il suffit de les mentionner globalement pour décréter qu’ils ont rejoint la mémoire nationale. C’est faire preuve de désinvolture face à une exigence de justice. Prisme estime qu’il faut dégager les dossiers de ceux qui, manifestement n’ont pas mérité le sort qui leur a été fait. Ce travail doit être fait minutieusement, sans effet de manche, sans a priori idéologique, pour sortir de l’opprobre ces hommes et leurs descendants, car, pour ceux-là, justice doit être rendue.

Malgré l’absence de dossier de procédure, est-il possible de se faire une bonne idée des évènements à travers la consultation des différents documents ?

Nous disposons des pièces suivantes :

A-la fiche de matricule d’Autret

B-la minute du jugement en seconde instance d’Autret auquel est joint le PV d’exécution

C-le dossier de la décision du conseil de révision temporaire de la IIe armée qui contient :

     -le télégramme notifiant le recours en grâce
     -le rapport du chef de bataillon Finestre juge du conseil de révision
    -le mémoire du soldat Bourgain, avocat à la Cour de Paris, défenseur du soldat Autret appartenant au 19e régiment d’infanterie
     -la minute du jugement en 1ère instance d’Autret

D-la synthèse de la direction des grâces et des affaires criminelles du ministère de la Justice rédigé suite au recours en grâce formé par les juges du conseil de guerre.

Examinons chronologiquement chacune des pièces énumérées ci-dessus.

2-La fiche de matricule d’Autret :

Originaire du Finistère, ajusteur de métier, « Bon absent » lors de son recrutement, Autret a effectué son service militaire au 132e régiment d’infanterie. Avant sa conscription, il est condamné pour violences en 1904, 1905 et 1906. Ce soldat effectue son service, sans fait marquant entre 1907 et 1909. Il obtient ainsi le certificat de « bonne conduite » accordé. Jusqu’à son appel à la mobilisation au sein du 19e régiment d’infanterie en août 1914, la vie civile de ce soldat est alors de nouveau entachée de multiples condamnations pour ivresses et/ou violences volontaires.

3-La minute du jugement en 1ère instance du conseil de guerre :

Le 3 octobre 1916, le conseil de guerre temporaire ordinaire de la 22e division d’infanterie a été amené à statuer sur le sort de Pierre Autret soldat au 19e régiment d’infanterie.

D’après le chef de bataillon Finestre, on sait que les témoins ont prêté serment et qu’il n’y a pas eu d’incident au cours de la séance.

Cet extrait de cette minute formule n°16bis ne provient pas du minutier de la 22e division d’infanterie mais du dossier de recours en révision formé par Autret. Cela signifie que même si le minutier de 1916 avait disparu, nous serions en mesure de consulter cette condamnation à mort.

Cette minute est pleine d’informations. Hormis l’aspect « état civil », cette pièce nous apprend :

- le nombre et les motifs des antécédents judiciaires d’Autret,

- le nom du défenseur d’Autret

-les questions posées aux juges qui nous renseignent sur les évènements qui ont amené Autret devant le conseil de guerre.

-les réponses des juges aux questions posées par le président du conseil de guerre.

Cinq militaires ont été jugés par ce conseil de guerre temporaire dont Autret qui présente 13 condamnations au civil (trois pour coups et blessures, une pour tentative de vol et neuf pour ivresse). A l’issue des débats, 3 soldats ont été acquittés, un a été condamné à 7 ans de travaux forcés, Autret a été condamné à mort en application des articles 217 (révolte) et 225 (rébellion) du code de justice militaire.A ce stade des investigations, si une rébellion semble la cause de cette condamnation à mort, les circonstances restent encore vagues.

De ce jugement en 1ère instance, le conseil de révision temporaire ayant cassé ce jugement, la plupart des pièces du dossier de procédure ont été détruites donc de toute façon, il n’y a pas de regret à ne posséder à ce stade que la minute de ce jugement.

4-La décision du conseil de révision temporaire de la IIe armée : 

Comme il en avait le droit depuis le rétablissement du recours en révision le 8 juin 1916, Autret s’est donc pourvu en révision. Son défenseur a présenté un long mémoire de 4 pages pour justifier la cassation du jugement de ce militaire.

Le dossier du conseil de révision de la IIe armée contient, également, un rapport de 9 pages du chef de bataillon Finestre. La lecture de ce rapport montre que ce juge possède les connaissances d’un juriste confirmé.

Les pages 3 à 5 de ce rapport détaille les évènements qui ont amené Autret devant le conseil de guerre :

[……]

     Le 23 septembre 1916 vers 16 heures 30, un groupe de traînards du 19e régiment d’infanterie traversait en désordre le village de Gland. Ces hommes s’assirent sur le bord de la route. L’un d’eux se détacha du groupe et se plaça au milieu de la route pour arrêter la voiture du général Bouisson qui se dirigeait sur Brasles [à l’est de Château-Thierry]. Le général descendit, adressa des observations au soldat et appela le sergent de garde Kéryvin auquel il donna l’ordre de conduire au poste l’homme qui avait troublé la marche de l’automobile. Cet ordre fut exécuté puis le général enjoignit au sergent de prendre les noms des militaires dont certains lui adressèrent des outrages grossiers.

     Quand la voiture du général eut disparu, les hommes marchèrent sur le poste réclamant la liberté de leur camarade Autret, menaçant au besoin de faire usage de leurs armes. Ce soldat en les voyant arriver se répandit en menaces de mort contre les gradés et les hommes de garde. A ce moment, le sergent de garde Kéryvin disposa ses hommes de manière à défendre l’accès de son poste et fit croiser la baïonnette contre le groupe qui s’avançait menaçant et par le geste et par la parole.

     Les assaillants commencèrent alors à mettre ces menaces à exécution. L’un deux, qui fut reconnu pour être Autret, arma son fusil et mit en joue le sergent Kéryvin alors que ce dernier faisait tous ses efforts pour rétablir l’ordre et faire respecter ses consignes.

    Il y eût une mêlée. Un camarade d’Autret releva son arme et la lui arracha des mains.

     La bande se divisa alors en deux. Un groupe tint sous la menace de ses armes une partie des hommes de garde pendant qu’un autre groupe se mettait en demeure d’arracher leur camarade des mains du reste des militaires du poste de police. Le poste fut un instant assailli et submergé. Le sergent Kéryvin fit un dernier effort pour maintenir le soldat détenu mais celui-ci se débattant, le frappa d’un coup de pied au ventre et fut emmené par trois de ses camarades pendant que les autres serraient de près et menaçaient de leurs armes les hommes de garde.

Cet extrait du rapport du chef de bataillon Finestre concernant les éléments factuels de ce dossier remplace le rapport du commissaire-rapporteur du conseil de guerre dont il est probablement fortement inspiré. Ce rapport nous apprend, par exemple, que les circonstances atténuantes n’ont pas été admises. Il reproduit l’ordre de mise en jugement du 1er octobre 1916. Il nous apprend également qu’Autret aurait pu être poursuivi soit pour révolte (article 217), soit pour rébellion armée de plus de 8 hommes (article 225), soit pour voies de fait envers un supérieur (article 223).

Les juges du conseil de révision ont été appelés à statuer sur les moyens proposés par le défenseur d’Autret, avocat à la Cour de Paris rappelons-le.

Ce mémoire est très intéressant. Le narratif des évènements, relaté par le défenseur d’Autret est assez similaire au récit contenu dans le rapport du chef de bataillon Finestre à la différence qu’Autret est présenté comme ayant profité de la confusion pour s’échapper avec la complicité de ses camarades sans être l’instigateur des troubles. Le défenseur mentionne l’audition de témoins à l’instruction et à l’audience. Nous sommes donc en présence d’une instruction « classique » en application de l’article 111 du code de justice militaire et non pas en citation directe. Le défenseur évoque les voies de fait à l’encontre du sergent Kéryvin même s’il épilogue sur l’aspect volontaire ou pas du coup de pied au ventre. Pour les voies de fait, en les sanctionnant de la même manière, le législateur n’a pas voulu distinguer l’intention de l’acte lui-même puisque c’est l’insubordination que le législateur a voulu punir et non le geste. Il en est de même pour le geste de menace d’Autret qui a appuyé le canon de son arme sur la hanche du sergent Keryvin. Que l’arme soit chargée ou pas, la réponse du législateur est la même, ce n’est pas le geste qui est sanctionné par la peine de mort mais l’insubordination. Le défenseur regrettait que sur l’ensemble des militaires interrogés, cinq ont été convoqués devant le conseil de guerre, les autres ayant bénéficié d’un non-lieu, leur participation n’ayant pas pu être établie. A l’issue de 1er jugement, seul Autret a été condamné à mort.

Une remarque générale à ce stade au sujet du type d’instruction. Si l’instruction « classique » en application de l’article 111 donne du temps à l’instruction préalable, elle présente un inconvénient en temps de guerre, celui de ne plus avoir de témoins à interroger lors de la séance du conseil de guerre s’ils ont été tués ou gravement blessés dans l’intervalle.

Le 12 octobre, le conseil de révision temporaire de la IIe armée a rendu sa décision.

     Attendu que ces moyens se bornent à opposer de simples dénégations aux faits déclarés constants par le conseil [de guerre], que l’article 73 du code de justice militaire établit très nettement que le conseil de révision n’est pas une juridiction d’appel et qu’en conséquence il n’a pas à connaître du fond des affaires.

     Que ce principe indiscutable a été confirmé à maintes reprises par la jurisprudence de la Cour de Cassation qui prononce l’irrecevabilité des moyens de cassation tirés d’un fait pris en dehors des constatations du jugement attaqué et interdit même de contrôler par l’examen des pièces de la procédure, l’appréciation des faits souverainement déclarés constants par le conseil de guerre. Par ces motifs, rejette à l’unanimité des voix le triple moyen.

Concernant les 3 premiers moyens soulevés par le défenseur, le conseil de révision a rappelé que le conseil de guerre était juge des faits, ce qui n’est pas le cas du conseil de révision.

Mais le conseil de révision a également énoncé :

     Attendu que les questions posées au conseil visent uniquement un fait de rébellion commis avec violence et voie de fait par des militaires envers un poste de police agissant pour l’exécution d’une consigne de l’autorité militaire, ladite rébellion ayant été commise par plus de 2 militaires dont huit au moins portaient des armes ostensibles dont il a été fait usage.

     Attendu qu’il est de principe que les juges ne peuvent être interrogés par voie principale que sur les faits résultant de l’ordre de mise en jugement, qui a défini limitativement l’objet de la poursuite et a renvoyé les accusés devant le conseil de guerre sous l’inculpation précisée de révolte prévue par l’article 217 avec toutes les conséquences qui y sont attachées, c’est-à-dire obligation pour que la peine de mort soit encourue, qu’une question spéciale soit posée et résolue affirmativement sur le point de savoir si le ou les accusés étaient soit l’instigateur, soit le chef de révolte, soit le militaire le plus gradé.

     Attendu que les questions telles qu’elles ont été posées, ne se réfèrent pas à l’ordre de mise en jugement et qu’il ne suffit pas que celui-ci ait fait allusion peu précise à un fait de rébellion de l’article 225 du code de justice militaire pour saisir efficacement le conseil d’une poursuite en cette matière.

     Pour ces motifs, casse et annule le jugement rendu par le conseil de guerre de la 22e division d’infanterie.

Le défenseur d’Autret a trouvé le point faible de ce jugement : un ordre de mise en jugement insuffisamment précis et des questions posées aux juges qui ne se réfèrent pas à l’ordre de mise en jugement, un grand classique.

Le conseil de révision temporaire de la IIe armée a indiqué qu’une condamnation à mort au titre de l’alinéa 3 de l’article 217 doit résoudre la question de l’instigateur de la révolte ce qui n’a pas été fait dans le jugement du 3 octobre.

5-La minute du jugement en 2e instance du conseil de guerre :

Ce militaire a été renvoyé devant le conseil de guerre temporaire ordinaire de la 9e division d’infanterie.

A l’issue des débats où le lieutenant Le Bot non auditionné à l'instruction, a été entendu à la demande du président, Autret a été condamné pour la seconde fois à la peine de mort pour révolte en application de l’article 217 & 3 du code de justice militaire, ce soldat ayant été reconnu comme l’instigateur de la révolte.

Les juges n’ont retenu que la révolte sanctionnée par l’article 217 du code de justice militaire.

Nous ne disposons pas de l’ordre de mise en jugement pour « mesurer » l’adéquation des questions posées aux juges.

6-La synthèse de la direction des grâces et des affaires criminelles du ministère de la Justice :

La synthèse de la direction des grâces et des affaires criminelles du ministère de la Justice nous apprend que ce militaire ne s’est pas pourvu en révision après l’énoncé de son jugement en 2e instance, pourtant son défenseur était le soldat Bourgain qui avait réussi à provoquer la cassation du 1er jugement.

Cette synthèse nous apprend également que les juges du conseil de guerre ont formé un recours en grâce.

     Faisait partie [Autret], le 23 septembre dernier, d’un groupe d’une douzaine de soldats qui suivaient en état d’ivresse et en désordre un détachement. Survint l’automobile d’un général, Autret se plaça devant la voiture, qui dut faire un écart pour l’éviter.

     Autret fut appréhendé et conduit au local disciplinaire. Pendant le trajet, il injuria le caporal.

    Les camarades d’Autret vinrent pour le délivrer et une scène violente s’en suivit. Autret put s’échapper du local et s’armant de son fusil, mit le sergent en joue et lui décrocha un violent coup de pied dans le bas du ventre. Les camarades d’Autret protégèrent sa fuite, le fusil à la main.

     Enfin, les mutins purent être arrêtés ; deux furent condamnés aux travaux publics et Autret à mort, le 3 octobre par le conseil de guerre de la 22e division. Dernièrement, le jugement fut annulé le 12 du même mois par le conseil de révision de la IIe armée, motif mis de ce que la question spéciale d’instigateur de la révolte n’avait pas été posée au conseil de guerre.

     Autret, alcoolique invétéré passe pour un mauvais soldat. Il a encouru de nombreuses condamnations pour ivresse et coups et blessures et pour vol.

     Faisant état de deux blessures reçues à l’ennemi, de ses deux enfants, le conseil de guerre a formé, à l’unanimité un recours en grâce, auquel ne s’est associé aucune autorité hiérarchique. La « Guerre » n’a pas l’intention de provoquer une mesure de grâce. Le 17/11/16.

     Une autorité de la « Justice » a ajouté « aucune objection » le 19 nov 16.

Il faut bien prendre en compte le fait que cette synthèse des évènements a été rédigée par un juriste du ministère de la justice qui a eu accès au dossier de procédure d’Autret (auditions des témoins, interrogatoire des accusés, notes d’audience, ordre de mise en jugement, casier judiciaire, etc.).

Le 23 novembre 1916, le Président de la République suivant les avis de la « Guerre » et de la « Justice », n’a pas cru devoir accueillir le recours en grâce de ce soldat. Le 25 novembre 1916, à Belleray dans la Meuse, Autret a été fusillé.

7- Synthèse :

A – L’importance du conseil de révision :

Le long rapport de 9 pages du chef de bataillon Finestre juge du conseil de révision temporaire de la IIe armée est particulièrement intéressant. De toute évidence, ce juriste a bien appréhendé la problématique de l’ordre de mise en jugement. Comme l’a fait remarquer ce juge, l’utilisation de l’article 225 pour le cas d’une rébellion d’au moins 8 militaires ayant fait usage de leurs armes, ne nécessitait pas la désignation d’un instigateur ce qui n’est pas le cas avec l’article 217 sanctionnant la révolte.

Comme l’a également fait remarquer cet officier, c’est la rédaction de l’ordre de mise en jugement qui conditionne les questions que le président du conseil de guerre peut poser aux juges du conseil de guerre. Ce juriste a précisé que le président du conseil de guerre peut, s’il le constate, conformément à l’article 108 du code de justice militaire, modifier l’ordre de mise en jugement si nécessaire.

A la suite du 1er jugement, dans son mémoire, le défenseur d’Autret, avocat à la Cour de Paris a présenté plusieurs moyens à l’appui du pourvoi en révision que le conseil de révision n’a pas pris en compte puisqu’il n’est pas juge des faits mais du droit. Néanmoins, à la consultation du dossier, ces juges ont estimé que : les questions telles qu’elles ont été posées, ne se réfèrent pas à l’ordre de mis en jugement et qu’il ne suffit pas que celui-ci ait fait allusion peu précise à un fait de rébellion de l’article 225 du code de justice militaire pour saisir efficacement le conseil d’une poursuite en cette matière. Ce manque de précision a justifié la cassation du 1er jugement.

L’annulation de ce jugement montre une fois de plus l’importance de cette juridiction au cours de la période où le pouvoir politique ne l’avait pas suspendue.

Pourquoi Autret n’a-t-il pas formé de requête en révision à l’issue du second jugement ? 

Le code pénal, à travers la loi du 23 janvier 1873, réprime l’ivresse par des amendes et des peines de prison. Par le passé, ce militaire avait été sanctionné à plusieurs reprises pour des faits similaires. L’action des camarades d’Autret visant à tenter de l’extraire du local disciplinaire, a finalement provoqué l’irrémédiable alors que la sanction pour cette ivresse passagère n’aurait été, au pire, que de quelques mois de prison. Sanction qui comme souvent, était levée au bout de quelque temps.

B – L’absence du dossier de procédure :

Le dossier de procédure du jugement en 2e instance d’Autret est manquant. Doit-on s’arrêter à ce constat et réclamer sa « réhabilitation » ?

Cela montrerait que l’on fait preuve de désinvolture, d’un manque incontestable de curiosité, d’esprit de recherche.

Chaque pièce de cette affaire contient des éléments pour reconstituer l’entièreté du dossier de procédure d’Autret. Par exemple, le rapport du chef de bataillon Finestre nous éclaire sur les faits tout comme la synthèse de la direction des grâces et des affaires criminelles du ministère de la Justice. Si le rapport du chef de bataillon Finestre remplace celui du commissaire-rapporteur de la 9e division d’infanterie, il manque les auditions des témoins (et lesquels), l’interrogatoire d’Autret pour obtenir des documents à charge/à décharge et le relevé de punitions.

Le mémoire du défenseur d’Autret est très instructif. Son narratif des faits permet d’avoir une seconde vision de cette affaire. Il nous apprend qu’une instruction classique a été réalisée en application de l’article 111 du code de justice militaire. Il essaye d’atténuer la responsabilité d’Autret en le présentant comme le bénéficiaire des troubles, non comme l’instigateur. Il relativise le coup de pied au ventre du sergent Keryvin comme étant involontaire, tout comme la menace d’Autret avec son fusil qui n’aurait pas été chargé. Mais ce défenseur, avocat à la cour de Paris, semble ne pas tenir compte de la loi telle qu’elle a été formulée par le législateur : quelle que soit la qualification que la loi commune donne à la voie de fait, simple coup ou assassinat, le fait étant celui d’un militaire, c’est le crime militaire d’insubordination qui domine et que la loi militaire entend punir ; le délit ou le crime commun que renferme la voie de fait est bien la cause du crime militaire, mais ce n’est pas cette cause que la loi militaire veut atteindre ; c’est le crime d’insubordination qui s’est produit par la voie de fait.

In fine, malgré l’absence du dossier de procédure d’Autret, avec toutes ces pièces que l’on peut étudier, nous obtenons une très bonne connaissance de ce dossier. Il ne nous manque que les auditions des témoins et l’interrogatoire d’Autret. Bien qu’il faille relativiser ces dernières pièces : la perception des évènements par le sergent Keryvin a été certainement très différente de celle du soldat Autret.

Au lieu de se contenter de constater l’absence de certains dossiers comme celui d’Autret, la démarche qu’il faut entreprendre, c’est de rechercher et d’analyser tous les éléments à notre disposition pour établir une bonne représentation de chaque affaire, de chaque dossier manquant ou incomplet. C’est le cheminement que le général Bach avait réalisé avec succès malgré l’absence complète d’archives judiciaires concernant le fusillé Pierre Mestre. Comme la réhabilitation, c’est nécessairement une démarche individuelle et non collective.

Jean-Marc Berlière, brillant universitaire, spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale nous rappelle quelques fondamentaux : « L’Histoire est aussi une méthode qui consiste à rechercher, à exploiter de façon scrupuleuse et critique les archives contemporaines des faits tout en respectant ce temps essentiel de l’histoire qu’est le futur du passé. Oublieuse de ces principes, fondée sur des affirmations manichéenne et sans nuance, l’histoire n’est qu’un instrument au service de causes politiques, mémorielles ou idéologiques »

 Pour André