Comme le rappelait le général André Bach, grand spécialiste du sujet : dans l’étude de la question des fusillés, Prisme tente de se dégager de l’émotion, épluchant les archives et s’astreignant à de longs travaux statistiques qui, par nature, maintiennent à l’écart du vécu des hommes. Cependant, nous savons très bien que la vérité gît aussi dans l’analyse minutieuse de la réalité sur le terrain.
A notre connaissance, les recherches sur le sort des militaires graciés sont quasiment inexistantes. Il nous fallait conforter une base statistique déjà robuste, propre à établir des conclusions pertinentes.
Comme le souligne Annick Lacroix (1) maître de conférences en histoire contemporaine : qualitatif et quantitatif sont deux approches complémentaires. Quantifier pour argumenter : l’approche quantitative permet de situer un phénomène dans un contexte plus large [...] elle offre donc des armes supplémentaires pour soutenir une argumentation convaincante, dans une discipline à laquelle on reproche parfois d’accumuler des exemples dont on ne connaît pas le statut ou de mobiliser des citations.
Prisme s’est intéressé aux parcours de ces militaires et au sort qui leur fut réservé au sortir de la grâce accordée par le Président de la République.
Combien étaient-ils ?
Sont-ils restés en prison ?
Sont-ils repartis au combat ?
Pour ceux qui sont restés en prison, quand ont-ils été libérés ?
Nous essayerons de découvrir les grandes catégories qui se sont dégagées à la suite de ces grâces.
Comme l’a écrit le physicien nobélisé Alain Aspect à la page 218 de son dernier livre « si Einstein avait su » : la précision s’améliore avec le nombre d’évènements détectés. C’est une des conséquences de la loi des grands nombres qui affirme que, plus en collecte de données, plus on atténue l’effet des fluctuations statistiques. Ramené au nombre des militaires français condamnés à mort puis graciés, nous sommes en présence d’un nombre fini de condamnés à mort, seule la part des condamnés à mort restant inconnue peut améliorer nos statistiques avec la réduction des cas dont le sort reste inconnu.
Cette étude ne vise pas à suivre et à détailler le parcours carcéral de ces militaires jusqu’à leurs libérations. Pour cela, les lecteurs peuvent lire la thèse de doctorat de Valériane Milloz intitulée « Prisons et prisonniers de guerre de la IIIe République. Etude du dispositif pénitentiaire de l’armée française, 1889-1928 ».
Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.
Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux quelle que soit leur apparence.
1-Les exclus de l’armée :
Qui sont ces exclus ?
L’article 4 de la loi du 15 juillet 1899 définit le statut de ces hommes :
« Sont exclus de l’armée, mais mis, soit pour leur temps de service actif, soit en cas de mobilisation, à la disposition du Ministre de la marine et des Colonies, qui détermine par arrêtés les services auxquels ils peuvent être affectés :
1° les individus qui ont été condamnés à une peine afflictive et infamante ou à une peine infamante dans le cas prévu par l’article 177 du code pénal ».
Ces prescriptions sont reprises dans l’ouvrage du colonel Augier et de Gustave Le Poittevin de 1918 intitulé « Traité théorique et pratique de droit pénal et de procédure criminelle militaires » à l’usage des membres des conseils de guerre et des officiers de l’armée de terre qui précise à la page 360 :
« Aux termes de l’article 4 de la loi du 21 mars 1905, sont exclus de l’armée, mais mis, soit pour leur temps de service actif, soit en cas de mobilisation, à la disposition des départements de la Guerre et des Colonies, suivant la répartition qui sera arrêtée par décret rendu sur la proposition des ministres intéressés :
1° les individus qui ont été condamnés à une peine afflictive et infamante.
Selon l’article 6 du code pénal, les peines afflictives et infamantes sont : 1° la mort, 2° les travaux forcés à perpétuité, 3° la déportation, 4° les travaux forcés à temps, 5° la réclusion.
Ces dispositions ont été reprises par le décret du 28 décembre 1900 :
Art. 1er. — Les individus exclus de l’armée en vertu de l’article 4 de la loi du 15 juillet 1889, complété par la loi du 24 mars 1897, sont mis à la disposition des Ministres de la Guerre et des Colonies qui déterminent les travaux auxquels ils seront affectés.
Art. 2. — Ceux de ces hommes qui se trouvent en France ou en Algérie lors de leur appel sont mis à la disposition du Ministre de la Guerre. Ceux qui se trouvent aux colonies sont mis à la disposition du Ministre des Colonies ; dans cette catégorie sont compris les relégués collectifs. Les dépenses de toute nature résultant de l’appel, de la surveillance et de l’entretien des exclus sont supportées respectivement par les budgets de la Guerre et des Colonies.
Art. 3. — Les exclus sont groupés en formations spéciales portant la désignation de sections d’exclus ; elles comprennent :
-Des sections d’activité
-Des sections de mobilisation.
Art. 4. — Les exclus qui, sans leur condamnation, devraient accomplir la totalité ou une partie de leurs obligations militaires, sont incorporés dans les sections d’activité soit à leur sortie de détention, soit au moment de l’appel de leur classe, selon qu’ils sont ou non incarcérés à ce moment.
Toutefois ne seront pas appelés effectivement et seront laissés en congé temporaire dans leurs foyers les hommes qui, vu leur âge, n’auraient plus à compléter, au moment de leur sortie de détention, qu’un temps de service dont le minimum sera fixé par arrêté ministériel.
Art. 5. — Les exclus mis à la disposition du Ministre de la Guerre forment deux sections d’activité à effectifs variables, suivant les besoins. (D. 15 sept. 1917, art. 1er) « Ces sections sont, en principe, stationnées dans l’Afrique du Nord. Elles peuvent, en temps de guerre ou en cas de nécessité, être transférées dans la métropole ». Il est formé, en outre, un dépôt d’exclus stationné en France et rattaché pour l'administration et le commandement à une prison militaire de l’intérieur. L’organisation et l’emplacement des sections d’exclus relevant du département des colonies sont déterminés par arrêtés ministériels.
Art. 6. — En cas de mobilisation des hommes de leur classe, les exclus de France ou d’Algérie rejoignent leur destination d’après les indications portées sur le fascicule inséré dans leur livret individuel. Ils sont formés en sections de deux cent cinquante hommes au plus et affectés aux travaux de défense. Ces sections seront constituées, selon les besoins, dans les places désignées par le Ministre de la Guerre. Aux colonies, les exclus seront utilisés sur place.
Tous les militaires français condamnés à mort ont donc été exclus de l’armée.
Comme le précise l’article 1er de l’instruction sur les établissements pénitentiaires militaires du 10 décembre 1906 : les établissements pénitentiaires militaires sont destinés à recevoir les militaires condamnés par les conseils de guerre, qui ont à subir la peine de l’emprisonnement ou des travaux publics, soit par jugement, soit par commutation de peine, lorsque la condamnation qu’ils ont encourue ne les exclut pas de l’armée.
Théoriquement, ces exclus n’ont pas été incarcérés au sein des établissements pénitentiaires militaires mais les fiches de matricule montrent que certains de ces individus ont été, même temporairement, incarcérés dans ces établissements.
Ce n’est pas le sujet de cette étude mais ces exclus ont pu être transférés d’une prison vers une autre, d’une section d’exclus vers une autre ou affectés temporairement à des travaux comme cela a été le cas pour le militaire ci-dessous.
Ce militaire a été condamné à mort le 02 octobre 1916 par le conseil de guerre de la 126e division pour un refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi. Sur la proposition de la direction du contentieux du ministère de la guerre approuvée, comme très souvent, par le Ministre de la justice, le Président de la République a commué la peine de mort en travaux forcés à perpétuité.
2- Le panel des recours en grâce :
Les chercheurs disposent, aux archives nationales, de l’inventaire-index des articles BB/24/2085 à 2122 rédigé par Danis Habib. Cet inventaire renvoie aux dossiers individuels de chaque recours en grâce qu’il ait été accepté ou refusé. Malheureusement, cet inventaire qui s’arrête en 1916, n’est pas exhaustif. En effet, quand on consulte les minutes des jugements ou les dossiers de procédure, on remarque que nombre de recours en grâce qui y sont archivés, ne sont pas mentionnés dans cet inventaire-index.
A partir de 1917, Prisme a pu consulter tous les recours en grâce des années 1917 à 1919 aux archives nationales de Fontainebleau. Pour ces années, nous avons pu comparer les dossiers de ces recours en grâce « Guerre » des séries 19850440, 0784 à 0786 avec l’enregistrement de ces recours « Guerre » mentionnés dans les registres BB 28/276 à 283, nous permettant ainsi de contrôler la présence de tous les dossiers de recours en grâce.
3- L’établissement de la base d’étude :
La représentation du sort de ces militaires repose sur plusieurs indicateurs :
- les fiches de matricule dont nous savons qu’elles ont été très « diversement » remplies ce qui impose des vérifications ou des recherches complémentaires mais qui peuvent servir d’orientateurs vers d’autres sources.
- les dossiers de procédure des militaires condamnés qui ont été utilisés dans beaucoup de cas pour valider ou pallier le manque d’informations des fiches de matricule.
- les registres d’écrou des maisons d’arrêt ou des maisons centrales.
- les dossiers individuels des exclus coloniaux dans les bagnes coloniaux.
- les archives des armées (par exemple la sous série 19 N au Service Historique de la Défense).
L’extrait de la fiche de matricule du militaire ci-dessous illustre le manque de clarté d’une partie des fiches de matricule des militaires français. Certes, la mention d’un décès à la maison centrale de Fontevrault laisse penser qu’une partie importante du parcours de ce soldat est manquante mais si cette information est intéressante, elle ne permet pas à elle seule de comprendre le parcours de ce militaire.
Heureusement, il existe d’autres sources pour combler ce manque. En général, les chercheurs disposent des archives judiciaires militaires. Dans le cas présent, les archives de la 133e division se résument malheureusement à une seule cote. Les archives nationales ne possèdent qu’une partie des recours en grâce. Les autres recours peuvent être alors retrouvés dans les minutiers des conseils de guerre ou dans les dossiers de procédure. Pour ce militaire, la synthèse de la direction des grâces et des affaires criminelles du ministère de la justice détaille bien cette affaire.
A quitté ses camarades, dans la nuit du 23 au 24 octobre dernier au moment où ils s’apprêtaient à attaquer. Ne revint qu’au retour de sa compagnie le 29.
A prétendu qu’il s’était fait mal aux reins en tombant dans un trou d’obus et qu’un major lui aurait permis de se reposer, ce qui n’a pas été établi.
Morel, au moment de la mobilisation, appartient au service auxiliaire, se trouvait à Lille, il traversa les lignes allemandes pour remplir ses obligations militaires.
De santé assez précaire, a bien fait son service.
Très bonne attitude, vifs regrets.
Recours en grâce des juges militaires.
Autorités hiérarchiques favorables.
La « Guerre » envisage une commutation en 10 ans d’emprisonnement
Proposition d’adhérer 13/12/1916
Pour le cas de ce soldat, en l’absence d’archives judiciaires militaires, c’est ce document qui est la source originelle de l’existence d’une condamnation à mort. En dehors de synthèse des faits, cette pièce nous fournit plusieurs informations précieuses : son âge, son statut social, sa profession, ses condamnations antérieures, le motif de sa condamnation et l’absence d’un recours en révision. Ce cas montre bien l’intérêt de ces synthèses qui en l’absence de dossiers de procédure, fournissent l’essentiel des informations.
Ce cas n’est pas le pire, certaines fiches de matricule occultent presque complètement les condamnations soit à cause d’une retombe collée soit par la non rédaction des condamnations. Heureusement, d’autres sources permettent de connaître l’existence d’une grâce.
Sur les fiches de matricule, il existe d’autres causes qui rendent ces documents difficilement exploitables dont les ratures surchargeant les condamnations amnistiées.
Ce type de ratures sont légales. Pour les chercheurs, certaines ratures sont tellement occultantes, que la lecture des condamnations sur ces documents est impossible sauf à posséder un appareillage dédié.
4- L’évolution du recours en grâce :
Par décret du 1er septembre 1914, le pouvoir politique a diminué les garanties de défense des justiciables. Le Président de la République s’est, en effet, dessaisi dans l’esprit de son droit de grâce qui ne dépendait dorénavant que de l’officier qui a ordonné la mise en jugement d’un prévenu. Dans beaucoup de cas, il s’agit du général de division du moins pour les conseils de guerre temporaires ordinaires. Cette situation n’évoluera pas avant le 17 octobre 1915 où le courrier n° 3510-C/10 du Ministre de la guerre précise que l’officier qui a prononcé la mise en jugement, n’a pas le droit de passer outre à la demande de commutation formée par les membres du conseil de guerre ; il doit transmettre le dossier par la voie hiérarchique, avec avis, pour examen régulier du recours en grâce par le Président de la République.
A partir de cette date, si un juge formulait une demande de recours en grâce, l’officier qui a prononcé la mise en jugement était obligé de faire suivre ladite demande au Président de la République. En réalité, cette demande va d’abord transiter par la direction du contentieux du ministère de la guerre qui émet un avis. L’ensemble du dossier du condamné est ensuite adressé à la direction des grâces et des affaires criminelles du ministère de la justice qui dans la grande majorité des cas a toujours suivi l’avis de la « Guerre ». Le Président de la République paraphait alors les décrets de commutation de peine ou laissait la justice suivre son cours suivant ainsi les avis de ces deux ministères.
Par le décret du 20 avril 1917, toutes les demandes de recours en grâce ont été automatiquement adressées au Président de la République suivant le même processus décrit ci-dessus.
Durant les mutineries, le recours en grâce a été de nouveau suspendu du 9 juin au 14 juillet 1917 mais uniquement pour : « réprimer les crimes concertés ou collectifs d’abandon de poste en présence de l’ennemi (article 213 du code de justice militaire), de révolte (article 217), de refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi (article 218), de provocation à passer à l’ennemi (article 208), voies de fait pendant ou à l’occasion du service envers un supérieur (article 223), usurpation de commandement (article 228) et de destruction de moyens de défense, approvisionnements, armes (article 253).
Dans son courrier n° 2275 du 11 octobre 1914, le général commandant en chef a rappelé que : l’exécution sans délai est donc la règle et la proposition de commutation, l’exception.
5- La suspension de peine :
Une fois graciés, les militaires qui avaient été condamnés à mort étaient affectés à des sections d’exclus métropolitains ou coloniaux rattachées à un établissement pénitentiaire civil pour y subir leur peine.
Comme le prévoit l’article 150 du code de justice militaire, seul l’officier qui a ordonné la mise en jugement d’un militaire pouvait suspendre la peine requise.
Dans l’exemple ci-dessus qui concerne la 5e division d’infanterie, au cours de l’année 1916, 140 peines ont été suspendues à la suite de la condamnation et 9 peines ont été suspendues au cours de l’exécution de la peine.
La suspension de peine pouvait donc intervenir, selon la décision de l’officier qui avait ordonné la mise en jugement, immédiatement ou au cours de l’exécution de la peine.
Cela a été le cas pour le soldat Lucas condamné le 9 août 1917 par le conseil de guerre du Quartier général de la 2e armée pour les motifs mentionnés ci-dessus.
Si l’officier qui avait ordonné la mise en jugement d’un militaire pouvait suspendre la peine requise à la suite d’une commutation de la peine de mort, il pouvait également révoquer cette suspension si le militaire s’était rendu coupable d’un nouveau délit ou d’un autre crime.
Selon le traité théorique et pratique de droit pénal et de procédure criminelle militaires à l’usage des membres des conseils de guerre et des officiers de l’armée de terre du colonel Augier et de Monsieur Le Poittevin (page 263), il existe une différence essentielle, au point de vue des effets, entre la suspension ordonnée en vertu de l’article 150 du code de justice militaire et le sursis à exécution que peuvent prononcer les conseils de guerre. Ainsi que le spécifie l’article 2 de la loi du 26 mars 1891, la suspension de la peine [sursis à exécution] ne comprend, ni les peines accessoires, ni les déchéances résultant de la condamnation. Au contraire, dans le cas prévu par l’article 150, il n’est pas seulement sursis à l’exécution de la peine, c’est l’exécution complète du jugement de condamnation qui est suspendue ; en d’autres termes, le condamné, en faveur duquel le général qui avait ordonné l’ordre de mise en jugement a usé de la faculté que lui donne cet article, se trouve, tant que dure la suspension, exactement dans la même situation que celui contre lequel il a été rendu un jugement qui n’est pas encore devenu définitif.
6- les obligations d’activité des militaires condamnés :
L’article 34 de la loi sur le recrutement du 21 mars 1905 précise bien les obligations des individus :
« Ne compte pas, pour les années de service exigées par la présente loi dans l’armée active, la réserve de l’armée d’active et l’armée territoriale, le temps pendant lequel un militaire de l’armée d’active, un réserviste ou un homme de l’armée territoriale a subi la peine de l’emprisonnement en vertu d’un jugement, si cette peine a eu pour effet de l’empêcher d’accomplir, au moment fixé, tout ou partie des obligations d’activité qui lui sont imposées par la présente loi ou par les engagements qu’il a souscrits.
Ces individus seront tenus de remplir leurs obligations d’activité, soit à l’expiration de leur peine s’ils appartiennent à l’armée active, soit au moment de l’appel qui suit leur élargissement s’ils font partie de la réserve de l’armée active ou de l’armée territoriale.
Toutefois, quelles que soient les déductions de service ainsi opérées, les hommes qui en sont l’objet sont rayés des contrôles en même temps que la classe à laquelle ils appartiennent. »
Cet article 34 est très clair en ce qui concerne les obligations d’activité des militaires incarcérés.
Cependant, les lois d’amnistie vont bouleverser ces obligations.
En effet, la circulaire ci-dessus n’oblige plus les militaires condamnés d’effectuer leurs temps de service manquant du fait d’une incarcération.
7- classification des militaires graciés :
Cette étude vise à déterminer le sort à court terme de ces militaires à l’issue de la commutation de la peine de mort. Par à court terme, il faut comprendre que cette étude ne prétend pas analyser le parcours de ces militaires plusieurs années au-delà de leur changement de statut. Pour les détenus, le changement de statut est constitué par le retour dans leurs foyers. Nous avons constaté que le devenir de ces militaires n’a pas été toujours un « long fleuve tranquille » mais a été souvent parsemé « d’écueils » après le conflit qui ne rentrent pas dans le cadre de cette étude.
Prisme a classé cette population en six catégories :
1- militaires de retour en unité combattante. Il s’agit de militaires qui, après le retour en unité combattante, n’ont pas été tués ou fait prisonniers.
2- militaires décédés au combat. Il s’agit de militaires qui, après le retour en unité combattante, ont été tués au combat.
3- militaires faits prisonniers par l'ennemi. Il s’agit de militaires qui, après le retour en unité combattante, ont été faits prisonniers.
4- militaires libérés après-guerre. Il s’agit de militaires qui ont été exclus de l’armée, ont été « versés » au sein des sections d’exclus métropolitains et incarcérés, avant d’être libérés suite à l’application des mesures prescrites par les différentes lois d’amnisties.
5- militaires décédés en prison. Il s’agit de militaires qui ont été exclus de l’armée, ont été « versés » au sein des sections d’exclus métropolitains puis incarcérés en prison où ils sont décédés.
6- militaires dont le sort n’est pas connu. Il s’agit de militaires originaires de l’AFN ou d’Afrique sub-saharienne, de militaires dont la fiche de matricule est une fiche reconstituée mentionnant uniquement l’état civil, ou de militaires métropolitains dont la fiche de matricule n’a pas été retrouvée suite à la destruction des registres de matricules.
8 -Année 1914 :
Au cours de cette année 1914, la population des militaires français graciés n’est pas très importante. C’est assez compréhensif. Le conflit s’est déclaré en août et dès le 1er septembre, un décret signé par le Président de la République a rendu « exceptionnel » le recours en grâce et dépendant uniquement du ressort de l’officier qui a ordonné la mise en jugement d’un militaire.
Selon les données de Prisme, 54 militaires français condamnés à mort par un conseil de guerre temporaire ont bénéficié d’une grâce présidentielle.
Sur cette petite population, 23 militaires ont vu leur peine suspendue et sont retournés au combat. Un militaire incarcéré a été libéré en mars 1922. Deux militaires sont décédés en prison en 1917. Nous ignorons le sort de 5 de ces militaires soit 9% du panel des graciés de l’année 1914 (un sujet belge, deux militaires originaires d’Afrique du Nord, une fiche de matricule reconstituée mais vide, pas de fiche de matricule pour un militaire, aucune d'information dans le dossier de procédure).
En dehors de ces cas, 9 militaires ont été faits prisonniers après leur retour dans une unité combattante. Tous ces militaires ont été rapatriés entre le 30 novembre 1918 et le 17 janvier 1919. Certains de ces soldats ont été réhabilités au titre de la loi du 4 avril 1915 ; c’est le cas du soldat Tappret condamné à mort le 23 novembre 1914 par le conseil de guerre de la 13e division d’infanterie dont la peine a été commuée le 23 novembre 1914 en 10 ans de prison. A noter que le décret signé par le Président Poincaré, l’a été à Bordeaux, signe d’une situation militaire grave, le spectre de la défaite de 1870 est dans l’esprit des gouvernants.
Le 1er décembre 1914, le général de Cadoudal commandant la 13e division d’infanterie a, en vertu de l’article 150 du code de justice, ordonné la suspension de l’exécution de cette peine d’emprisonnement. Réhabilité par l’arrêt de la Cour d’appel de Dijon du 2 février 1916, fait prisonnier le 22 août 1916, le soldat Tappret a été rapatrié le 20 décembre 1918.
Sur la population de ces militaires graciés qui sont retournés au combat, 10 soldats sont immédiatement repartis en 1914, 8 sont revenus en unité combattante en 1915, 3 en 1916 et 2 en 1918. Si les retours « immédiats » ou quasi immédiats font suite à une suspension de peine émanant du général de division, les retours plus tardifs font suite à l’acceptation par l’autorité militaire d’un engagement volontaire d’un militaire appartenant à une section d’exclus qui s’est bien « comporté ».
Parmi les militaires graciés retournés au combat en 1915, le cas du soldat Paré est édifiant. Si le dossier de procédure est bien fourni ce qui n’est pas toujours le cas pour les conseils de guerre temporaires spéciaux, la rédaction de certaines pièces du dossier pose question.
Le rapport du commissaire-rapporteur indique : le 28 octobre 1914, vers 21h30, une fusillade éclata en avant du poste tenu par le 22e compagnie du régiment. L’escouade dont faisait partie Paré était en position de veille sous un abri dans le bois. Le caporal qui commandait, donna l’ordre de se porter aux emplacements de combat dans les tranchées. L’escouade sortait quand un cri éclata : « nous sommes débordés ». Il s’en suivit un commencement d’affolement et une bousculade à peu près générale. Mais tandis que les autres hommes se ralliaient à la voix de leurs chefs et prenaient avec un calme relatif leurs postes de combat, le soldat de 1ère classe Paré, s’enfuit, traversa le bois, la route, les tranchées au sud de cette route jusqu’à la sentinelle du poste de la ferme de Maison Neuve, un territorial, répétant « nous sommes débordés par les boches ». Le territorial fit observer avec sang-froid qu’il ne voyait personne et monta même dans la tranchée pour se rendre compte. Mais Paré, sans rien entendre, continuant sa course débouchant dans la cour de la ferme, répétant » nous sommes débordés », « sauvons-nous ». Paré, complètement hors de lui ou paraissant comme tel, s’accrocha à un officier répétant son cri. L’escouade de veille de la ferme se porta de suite aux tranchées ; Paré la suivit, tout en tremblant encore, sur l’ordre de l’adjudant Collas. Il rejoignit son poste même après l’extinction de la fusillade […..] croyant à chaque instant entendre l’ennemi. Paré déclara qu’il n’était ni ivre, ni malade, mais seulement très fatigué par suite du service de nuit. Il a été, dit-il, en proie à un état d’affolement insurmontable dont nous avons parlé. Il manifeste des regrets profonds et demande à réparer sa faute.
Dans sa déposition, le sergent Collas qui connaît Paré, indique qu’il ne l’a pas reconnu : « il était comme fou ».
Le 29 octobre 1914, le soldat Paré a été condamné à mort par le conseil de guerre temporaire spécial du 276e régiment d’infanterie.
Sur une des pièces du dossier de procédure, on peut lire : le lieutenant-colonel Lejeune commandant le 276e régiment d’infanterie à Monsieur le Président de la République, j’ai l’honneur de vous exposer que dans sa séance du 29 octobre, le conseil de guerre spécial du régiment réuni par mon ordre a, par deux voix contre une, reconnu le nommé Paré, soldat au 276e régiment d’infanterie, coupable d’abandon de poste en présence de l’ennemi.
Cette pièce du dossier qui ne ressemble en rien au document officiel « formule n°16 » nous apprend que c’est le lieutenant-colonel Lejeune qui a présidé le conseil de guerre après avoir convoqué le conseil de guerre. C’est formellement interdit par l’article 24 du code de justice militaire et confirmé par l’arrêt de la Cour de cassation du 13 juillet 1922 concernant le soldat Lucien Bersot.
Le 1er paragraphe de la pièce ci-dessus, bien que non officielle comme une partie des pièces du dossier qui ont été rédigées sur des feuilles d’un cahier d’écolier, présente un autre vice de procédure. En effet, selon l’article 132 du code de justice militaire, la 1ère question doit porter sur le fait principal, et chaque circonstance aggravante devant faire ensuite l’objet d’une question séparée sous peine de tomber dans le vice de complexité. Ici, l’abandon de poste et en présence de l’ennemi ont été réunis ce qui constitue un vice de procédure en absence d’un jugement rédigé sur le document « formule n°16 ». Du reste, un seul de ces vices de procédure aurait suffi à casser ce jugement.
La suite du courrier du lieutenant-colonel Lejeune adressé au Président de la République mentionne un fait important. En effet, le lieutenant-colonel Lejeune y précise : mais considérant les circonstances spéciales dans lesquelles le crime a été commis, considérant qu’il résulte des témoignages que cet homme en le commettant, n’était pas en pleine possession de son libre arbitre et de sa volonté, j’ai l’honneur de solliciter de votre bienveillance la commutation de la peine prononcée.
La peine de mort requise ayant été commuée en 20 ans de prison, Paré a été incarcéré à la maison centrale de Poissy. Le 18 décembre 1915, le général Maunoury a informé le commandant du 276e régiment d’infanterie que le soldat Paré allait être dirigé vers le 256e régiment d’infanterie, sa peine ayant été suspendue.
Le 18 juin 1917, le général en chef a informé le commandant du 276e régiment d’infanterie que le Président de la République a, par un décret du 11 juin 1917, réduit la peine de 20 ans de prison à 5 ans de prison.
Le 3 avril 1919, le soldat Paré, passé entre temps au 113e régiment d’infanterie, a été mis en congé illimité de démobilisation. Quelques jours auparavant, le restant de la peine de 5 ans a été remise par un décret du 12 mars 1919.
Le 14 novembre 1919, la Chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Paris a prononcé la réhabilitation de ce soldat. En effet, conformément à la loi du 4 avril 1915, Paré a été cité à l’ordre du régiment le 1er novembre 1918 : excellent soldat, courageux et dévoué au cours des derniers combats a pu, malgré de violents barrages d’artillerie, se maintenir en liaison constante avec son unité qui était engagée. Blessé le 4 juin 1918 par éclat d’obus à Cuvilly, gazé le 19 octobre 1918 à Olizy (Ardennes). Croix de guerre étoile de bronze.
Désormais, sur le casier judiciaire du soldat Paré, la condamnation à mort du 29 octobre 1914 a été effacée par cette réhabilitation. Car comme le soulignait le lieutenant-colonel Vincent qui a succédé au lieutenant-colonel Lejeune au sujet de ce soldat : excellents antécédents du soldat Paré qui n’a jamais subi la moindre punition pendant le temps de son service actif.
Ce dossier nous rappelle plusieurs choses :
-l’exercice de la justice militaire demande beaucoup de connaissances.
-la suspension par le pouvoir politique du conseil de révision qui se subsistait en temps de guerre à la Cour de cassation, a laissé sans contrôle les conseils de guerre temporaires qui n’avaient jamais fonctionné depuis leur création en 1875.
-les demandes de recours en grâce qui ne pouvaient être formulées, depuis le décret du 1er septembre 1914, que par le seul officier qui a ordonné la mise en jugement d’un militaire, n’ont pas été le seul apanage des conseils de guerre temporaires ordinaires à 5 juges. Des officiers commandant des régiments ou des bataillons qui ont ordonné la mise en jugement d’un militaire, ont également formulé des recours en grâce suite à des condamnations à mort prononcées par des conseils de guerre temporaires spéciaux. Les statistiques de Prisme le montrent bien.
Le même officier qui a ordonné la mise en jugement de Paré, qui a présidé (à tort) le conseil de guerre temporaire du 276e régiment d’infanterie, a également adressé un recours en grâce au Président de la République, signe d’un mélange de rigueur militaire et d’humanité. Pour confirmer cet aspect, les études de Prisme montrent que 32% des dossiers de procédure des militaires français condamnés à mort au cours de la 1ère période de l’exceptionnalité du recours en grâce (du 01/09/1914 au 17/10/1915) ont été adressés au Président de la République. Pour mémoire, le décret du 1er septembre 1914, précise que le recours en grâce doit rester « exceptionnel » et uniquement du ressort de l’officier qui a ordonné la mise en jugement d’un militaire.
Parmi les militaires graciés qui sont retournés au combat, 14 sont morts et ont été déclarés « Morts pour la France ».
Parmi ces militaires, nous avons choisi de présenter le cas du caporal Allan qui est intéressant à plusieurs titres. Ce militaire a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 4e division d’infanterie le 31 octobre 1914 pour un abandon de poste en présence de l’ennemi.
A l’issue des débats, le président du conseil de guerre a posé cette question :
Cette question telle qu’elle est posée, aurait cassé ce jugement s’il avait été soumis à l’examen du conseil de révision temporaire de la Xe armée, juridiction qui se substitue en temps de guerre à la Cour de cassation. En effet, selon l’article 132 du code de justice militaire, la 1ère question doit porter sur le fait principal et chaque circonstance aggravante devant faire ensuite l’objet d’une question séparée sous peine de tomber dans le vice de complexité. Exemple : le soldat X est-il coupable d’avoir le dix mai 1916 devant Verdun, abandonné son poste en présence de l’ennemi réunit ainsi en une seule question le fait principal « d’abandon de poste » et la circonstance aggravante de « présence de l’ennemi ». Ce vice de procédure aurait suffi pour casser ce jugement, le caporal Allan aurait alors été renvoyé devant un autre conseil de guerre si les conseils de révision n’avaient pas été suspendus par le décret du 17 août 1914.
Le général Sarrail commandant la 4e division d’infanterie, qui depuis le décret du 1er septembre 1914 était le seul à pouvoir le faire, a adressé un recours en grâce au Président de la République.
Suivant le circuit maintenant bien connu décrit par le général Bach dans un précédent article, le dossier de ce militaire a été envoyé à la direction du contentieux du ministère de la Guerre. La « Guerre » a demandé que la peine soit commuée en un an de prison. La « Justice » a suivi cet avis et le 5 décembre 1914, le Président de la République a signé le décret. Cette peine d’un an est extrêmement rare.
Cette peine d’un an a été suspendue le 16 décembre 1914. Allan a été cassé de son grade, remis soldat de 2e classe et affecté au 70e régiment d’infanterie puis au 48e régiment d’infanterie. Le 27 mars 1917, le soldat Allan a été nommé caporal.
Le caporal Allan a été porté disparu le 4 mai 1917 au Mont Cornillet. Son décès a été fixé à cette date par le jugement du tribunal de St Omer rendu le 11 juin 1921.
Le caporal Allan a été déclaré « Mort pour la France » et figure sur le livre d’Or de la commune de Ruminghem.
Dans 72% des cas, la peine de 20 ans de prison a été largement la plus employée. Les 2 peines d’un an de prison concernent le caporal Allan cité ci-dessus et son coaccusé.
Les travaux forcés à perpétuité concernent un soldat jugé pour désertion à l’ennemi et trahison.
In fine, ce sont 46 militaires qui sont repartis au combat avec des « fortunes diverses » soit 94% de tous les militaires graciés en 1914 dont le sort est connu.
Cette population de graciés au cours de l’année 1914 est assez faible pour être représentative. Pour ceux qui sont retournés en unité combattante, est-ce un indicateur de la volonté des soldats de retourner au combat ou de l’autorité militaire qui a un besoin urgent de militaires pour compenser les pertes ?
Concernant cette seconde interrogation, l’autorité militaire dispose de l’article 150 du code de justice militaire. Cette procédure est prévue par le code de justice militaire et rappelée par le ministre de la Guerre dans son courrier du 20 septembre 1914 : le commandement ne doit pas hésiter dans tous les cas où, après examen, il le reconnaîtra justifié, d’user des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 150 du code de justice militaire, et à suspendre l’exécution du jugement.
Selon le traité théorique et pratique de droit pénal et de procédure criminelle militaires à l’usage des membres des conseils de guerre et des officiers de l’armée de terre du colonel Augier et de Monsieur Le Poittevin (page 261), tous les deux docteurs en droit : aux armées, l’ordre de mise en jugement est donné par l’officier qui a ordonné l’information (article 155), c’est à cet officier qu’il appartient également de suspendre l’exécution du jugement. Cette pratique est très répandue, elle est même statistiquement quantifiée sur les tableaux annuels de l’administration de la justice militaire car demandée par une note aux armées du 30 décembre 1916.
Ne nous leurrons pas, cette suspension a un but bien précis qui est explicité dans le courrier du 20 septembre 1914 : mon attention a été appelée sur le fait que, trop fréquemment à l’heure actuelle, des militaires commettent des délits et même des crimes dans le but unique d’être incarcérés et éloignés ainsi des champs de bataille et des dangers de la guerre. Il me parait indispensable de prendre toutes les mesures propres à mettre un terme à des actes qui constituent un grave manquement au devoir militaire et privent l’armée du concours d’un certain nombre de soldats.
Cette suspension de peine avait un objectif très clair : renvoyer au combat les militaires condamnés.
En 1914, les militaires français condamnés à mort puis graciés qui sont retournés au combat, sont largement majoritaires.
9 -Année 1915 :
La population des militaires français graciés au cours de cette année 1915 est plus importante.
Selon les données de Prisme, 163 militaires français condamnés à mort par un conseil de guerre temporaire ont bénéficié d’une grâce présidentielle au cours de l’année 1915.
En dehors de ces cas, 9 militaires ont été faits prisonniers après leur retour dans une unité combattante.
A l’issue de ces grâces, les parcours de ces militaires ont été très différents même au sein de ceux qui sont retournés en unité combattante. Certains ont été faits prisonniers, certains sont morts au combat et déclarés « Morts pour la France », certains ne sont plus apparus sur les registres de la justice militaire mais d’autres ont été jugés une nouvelle fois, parfois plusieurs fois. C’est le cas du soldat Thermone Sem Aristide. Sa peine de mort ayant été commuée en 15 ans de travaux publics, ce militaire a été écroué au pénitencier du fort Gassion. Le 23 janvier 1916, sa peine a été suspendue par le lieutenant-colonel du 43e régiment d’infanterie coloniale, il a été dirigé vers son corps le 26 janvier 1916. Déserteur le 4 avril 1916, ce soldat s’est présenté volontairement à son unité. Il a été condamné par le conseil de guerre de la 154e division le 27 avril 1916 à 2 ans de travaux publics. Ce militaire a été dirigé sur un atelier de travaux publics. Il a été gracié du restant de sa peine de travaux publics puis affecté au pénitencier mixte de Douéra. Exclu de l’armée, il a été transféré à la prison d’Alger puis renvoyé dans ses foyers le 31 janvier 1922. Les deux condamnations de ce militaire ont été amnistiées par les lois du 24 octobre 1919 et du 3 janvier 1925. Ces deux condamnations ont donc disparu de son casier judiciaire. Comme le souligne le général André Bach « on touche là un des paradoxes de cette justice qui, en punissant les crimes militaires, aboutissait à éviter à certains de leurs auteurs le danger suprême qui guettait quotidiennement tous les autres combattants ».
Parmi ces militaires condamnés à mort en 1915 qui sont retournés au combat, on peut citer le soldat Mouton. Impliqué dans l’affaire des 23 condamnés à mort du 56e régiment d’infanterie, condamné à mort par le conseil de guerre de la 15e division d’infanterie siégeant à Mesnil aux Bois le 27 mai 1915 pour un abandon de poste en présence de l’ennemi, sa peine de mort ayant été commuée en 15 ans de prison par décret présidentiel du 10 juin 1915, exclu de l’armée, ce militaire a été incarcéré à Kouif en Algérie.
En dehors de tous ces cas, parmi les militaires qui sont retournés au combat, 34 sont morts et déclarés « Morts pour la France ». Dix sont décédés en 1915, 14 en 1916, 3 en 1917, 7 en 1918.
Le soldat Féraud du 17e régiment d’infanterie a été condamné à la peine de mort le 16 juillet 1915 par le conseil de guerre de la 13e division d’infanterie pour mutilation volontaire.
La synthèse de la direction des grâces et des affaires criminelles du ministère de la justice indique : sont tous les deux passés aux aveux [dans cette affaire, Féraud était accompagné d’un autre jeune soldat] et ont exprimé des regrets. Les condamnés n’étaient arrivés sur le front que depuis 4 jours. Le général de division les considère comme de vrais enfants, qui auraient obéi à des pernicieux conseils donnés au dépôt par des militaires restés inconnus.
Tous les juges ont signé un recours en grâce. Comme très souvent, la « Guerre » décide, la « Justice » suit son avis et le Président de la République signe le décret de commutation de peine, ce qu’il a fait le 10 août 1915. Féraud est retourné en unité.
Par le décret du 15 juin 1916 signé du Président de la République, ce militaire a fait l’objet d’une remise du restant de sa peine de 15 ans de prison.
Ayant été cité le 17 novembre 1915 à l’ordre de la 86e brigade pour le motif suivant : s’est porté comme volontaire pour placer des réseaux de fil de fer en avant de la tranchée conquise le 11 octobre, à une trentaine de mètres avant la ligne ennemie. Le 14 octobre, s’est présenté comme grenadier volontaire pour reprendre un élément de tranchée au « bois en hache », ce soldat a demandé sa réhabilitation. Comme on peut le voir ci-dessus, le 5 juillet 1916, la Chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Grenoble a répondu favorablement à cette demande.
Passé caporal le 3 août 1918, Féraud est décédé le 27 octobre 1918 dans l’ambulance 231 à Guignicourt dans l’Aisne et déclaré « Mort pour la France ».
In fine, ce sont 114 militaires qui sont repartis au combat avec des « fortunes diverses » soit 83% des militaires graciés en 1914 dont le sort est connu.
On peut s’étonner de voir des commutations de peines à 2 ou 3 ans. Passer si près du peloton d’exécution à une si petite peine peut paraître étrange. Pour les deux militaires dont les commutations de peines sont de deux ans, il s’agit de gradés pris dans un mouvement de panique, excusés par leur hiérarchie qui a affirmé qu’ils avaient eu une « très belle conduite depuis le commencement des hostilités ». Leurs peines ayant été suspendues, ils sont retournés en ligne et sont décédés 2 mois plus tard.
Pour celui qui a reçu une commutation de peine de 3 ans, il s’agit d’une possible mutilation volontaire, les avis des 2 médecins étant différents entre eux, le doute a profité à l’accusé.
Le cas mentionné « Pas de peine » peut surprendre. Il s’agit du sergent Heluin condamné le 26 mars 1915 à la peine de mort par le conseil de guerre de la 40e division d’infanterie coupable d’avoir provoqué des militaires à la fuite. Le 27 avril 1915, le Président de la République a accordé la grâce complète à ce condamné. Cassé de son grade, versé au 154e régiment d’infanterie, Heluin est décédé sur le champ de bataille de Fromeréville dans la Meuse et déclaré « Mort pour la France ».
Les inscriptions sur les fiches de matricules et sur les minutiers des archives judiciaires des divisions d’infanterie permettent de constater que les lois d’amnistie ont bien été appliquées et ont profité à beaucoup de ces militaires que ces graciés soient décédés ou pas au combat.
D’une manière générale, dans le panel des militaires dont le sort est connu, hormis le militaire libéré en mars 1926, la plupart avaient été élargis en 1922. Le cas du militaire condamné à 20 ans de prison libéré en 1926 mérite quelques explications. Sans évoquer un passé judiciaire quelque peu « chargé », ce soldat a été écroué à la maison d’arrêt de Bourges le 20 mars 1918. Affecté à la 11e section d’exclus stationnée à Perreux dans l’Aube à l’atelier n°61, il s’en évade le 24 juillet 1920. Ce militaire s’est présenté volontairement le 10 mai 1926 à la place de Paris. Il a bénéficié d’un refus d’informer par la décision du général gouverneur militaire de Paris du 2 juin 1926 lui signifiant que les faits qui lui étaient reprochés sont couverts par la loi d’amnistie du 3 janvier 1925.
Quand on visualise les dates de libération des militaires qui ne sont pas retournés en unités ou qui ne sont pas décédés en prison en regard de la durée des peines attribuées, on ne peut pas en déduire qu’il ait existé une règle en relation avec la durée de la peine.
Ainsi, le soldat dont la peine était de 5 ans, a été libéré en avril 1921 alors que celui contre lequel la perpétuité avait été donnée et évoquée ci-avant, a été élargi janvier 1922. A priori, les lois d’amnistie ont complètement « rebattu les cartes » permettant aux peines les plus lourdes d’en bénéficier largement.
Au cours de l’année 1915, les militaires qui sont retournés en unité combattante sont encore largement majoritaires. Les militaires condamnés à 20 ans de prison, par exemple, auraient dû être libérés en 1935 mais la grande majorité des militaires incarcérés ont été libérés au plus tard en 1922 grâce aux lois d’amnistie votées en octobre 1919 et en avril 1921.
10 -Année 1916 :
Selon les données de Prisme, 210 militaires français jugés et condamnés à mort par un conseil de guerre temporaire ont bénéficié d’une grâce présidentielle.
Sur ce panel, 69 militaires ont vu leur peine suspendue et sont retournés au combat. Quinze militaires sont décédés au combat après leur retour en unité (8 en 1916 soit 53%, 3 en 1917 et 4 en 1918). Trois de ces soldats ont été faits prisonniers par l’ennemi après leur retour en unité combattante. Au total, ce sont donc 43% des militaires dont le sort est connu qui sont retournés en unité combattante.
Parmi la population des soldats qui sont retournés en unité, se trouve l’exemple du soldat Chevalier engagé volontaire au 10e régiment de chasseurs le 17 avril 1903. Condamné le 6 avril 1906 par le conseil de guerre permanent de la 13e Région militaire à 2 ans de prison pour outrages et voies de fait en dehors du service, les circonstances atténuantes ayant été admises (on est en temps de paix), ce soldat a bénéficié d’une réduction de peine de 5 mois, par décision présidentielle du 7 décembre 1906. Passé au 30e régiment de dragons sur décision du général commandant le 12e corps d’armée, Chevalier a été condamné le 17 janvier 1908 pour voies de fait envers un supérieur et incarcéré au pénitencier d’Albertville. Le 8 juillet 1909, il a obtenu une remise de peine de 6 mois, suivie d’une remise du restant de sa peine le 29 décembre 1919. Le 29 avril 1910, la commission spéciale de Vienne l’a réformé pour « déséquilibre mental ». Reconnu bon pour le service, le 15 septembre 1914, Chevalier a été affecté au 26e régiment de dragons puis au 2e régiment de zouaves le 25 mars 1916. Le 19 août 1916, ce soldat a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 37e division d’infanterie pour abandon de poste en présence de l’ennemi.
Un recours en grâce ayant été signé, le Ministre de la guerre a adressé le courrier ci-dessous à la direction des affaires criminelles et des grâces au Ministre de la justice, Garde des Sceaux. Comme dans la plupart des cas, la direction du contentieux du ministère de la guerre donne son avis, le Garde des Sceaux suit cet avis et le Président de la République signe le décret de grâce ou laisse la justice suivre son cours. Pour Chevalier, le Ministre de la guerre indique que son intention est de demander que la peine de mort soit commuée en 12 ans d’emprisonnement.
Par un décret du 8 septembre 1916 signé du Président de la République, la peine de mort requise contre ce militaire a été commuée en 12 ans de prison comme le voulait le Ministre de la Guerre. A noter, l’indication : « tous avis favorables ».
La peine de 12 ans de prison ayant été suspendue, Chevalier est retourné dans son unité.
Trois mois tard, le 15 décembre 1916 à Douaumont, le soldat Chevalier a été tué à l’ennemi et déclaré « Mort pour la France ».
Quatre-vingt-neuf militaires ont été libérés après le conflit. Ces militaires étaient affectés à des sections d’exclus métropolitains ou coloniaux rattachés à un établissement pénitentiaire. Vingt-sept militaires sont décédés en prison. In fine, ce sont 116 militaires dont le sort est connu qui ne sont pas retournés en unité combattante soit 57% du panel.
Engagé volontaire en 1903, le soldat Pantenier a été reformé temporairement une 1ère fois le 6 avril 1904, avant de passer dans la réserve de l’armée d’active le 8 avril 1906. Il a été condamné une 1ère fois en 1908 pour coups et blessures volontaires, puis une 2e fois pour le même motif, le 6 janvier 1914. Rappelé à l’activité le 1er août 1914, affecté au 84e régiment d’infanterie puis au 326e régiment d’infanterie, unité au sein de laquelle il a été condamné à mort le 19 février 1916 par le conseil de guerre de la 24e division d’infanterie pour abandon de poste et refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi. Il a également été condamné à 4 mois de prison pour ivresse et outrages envers un supérieur. Sur proposition de la direction du contentieux du ministère de la Guerre, le Président de la République a commué la peine de mort en travaux forcés à perpétuité par décret le 29 septembre 1916.
Exclu de l’armée, mis à la disposition du Ministre des colonies, Pantenier a été incarcéré à St Martin de Ré. Sa peine a été commuée en 15 ans de travaux forcés par décret du 12 janvier 1921, peine suspendue en exécution de la dépêche ministérielle n°74470 du 20 décembre 1921. Pantenier a été renvoyé dans ses foyers le 24 décembre 1921 et affecté à la 1ère section des mobilisables rattachée à la prison militaire de Lille. Sur la fiche de matricule de ce soldat, on remarque que la loi du 24 octobre 1919 a amnistié les 2 peines prononcées par le tribunal d’Avesnes. De même, la loi du 3 janvier 1925 a amnistié la condamnation à mort prononcée par le conseil de guerre de la 24e division d’infanterie. Toutes ces condamnations ont disparu de son casier judiciaire.
Parmi les 210 militaires français graciés en 1916, nous ignorons le sort de 7 d’entre-eux (2 militaires originaires d’Afrique du Nord, 2 fiches de matricule reconstituées mais sans indication, registre de matricule disparu, aucune information dans le dossier de procédure)
Si on observe la catégorie des militaires retournés en unité, il faut d’abord souligner que, dans bien des cas, cette condamnation à mort n’est pas la 1ère, parfois pas la 2e. Cette étude portant sur les militaires condamnés à mort puis graciés, ces condamnations antérieures ne sont pas prises en compte. De même, à l’issue de ces grâces, on remarque qu’une partie de ces militaires ont à nouveau été condamnés, ce qui a conduit à la révocation de la suspension de la peine et à une incarcération immédiate.
Ce sont donc 43% des militaires graciés de cette catégorie qui sont retournés au combat dès 1916 et 36% en 1917. Cet histogramme très impersonnel cache en réalité une grande variété de destins.
Un de ces parcours est celui du soldat Fissier. Incorporé le 20 décembre 1914 au sein du 154e régiment d’infanterie, parti en renfort le 1er avril 1915, évacué en novembre 1915, Fissier est porté déserteur le 28 mai 1916 au bois Bouchet dans la Meuse. Condamné par le conseil de guerre de la 40e division d’infanterie le 28 juin 1916 à la peine de mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi, un recours en grâce formulé par les juges, a été adressé au Ministre de la Guerre.
La synthèse de la direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la justice nous renseigne sur cette affaire.
Il se retira même plus en arrière et fut arrêté le 3 juin. Il avait déjà tenté de déserter peu de temps auparavant pour aller voir sa mère, à Reims a-t-il dit. Fait campagne depuis le commencement de février : a été blessé. Soldat très médiocre, n’aurait ni énergie, ni caractère. N’aurait pas su résister aux mauvaises suggestions de camarades qui, comme lui, ont abandonné leur poste. A raison du jeune âge et de la situation de famille, les juges militaires ont formé un recours en grâce auquel s’associent les diverses autorités hiérarchiques. La « Guerre » veut faire bénéficier le condamné d’une commutation de quinze ans d’emprisonnement.
Le 24 juillet 1916, le Président de République a signé le décret de commutation de peine suivant les avis de la « Guerre » et la « Justice ».
Sa peine ayant été suspendue, le soldat Fissier est passé au 155e régiment d’infanterie le 7 août 1916 sur décision du général commandant la 40e division d’infanterie.
Le parcours judiciaire de ce soldat ne s’achève pas là. Le 16 avril 1917, Fissier est porté déserteur. Le 23 avril 1917, il se présente volontairement aux autorités. Condamné par le conseil de guerre de la 165e division d’infanterie le 27 juin 1917 à la peine de mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi, un recours en grâce a été adressé au Ministre de la Guerre.
Comme le permet le décret du 8 juin 1916, le soldat Fissier s’est pourvu en révision mais le conseil de révision de la IVe Armée a rejeté son recours le 2 août 1917.
La synthèse de la direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la justice nous renseigne également sur la suite de cette affaire.
« Aucun des juges n’a signé le recours en grâce et seul le général en chef incline vers une mesure de clémence motivée par des troubles épileptiques constatés par un major et de nature à atténuer sa responsabilité. Se rangeant à cet avis, la « Guerre » envisage une commutation en 20 ans de prison. Proposition d’adhérer.
Il faut souligner un point : si aucun juge n’a signé de recours en grâce, c’est donc le général de la 165e division d’infanterie qui a transmis ce recours.
Le 2 août 1917, le Président de République a signé le décret de commutation de peine suivant les avis de la « Guerre » et la « Justice ».
Exclu de l’armée, Le soldat Fissier a été affecté aux exclus métropolitains. Il a été incarcéré à la maison centrale de Poissy où il y est décédé le 22 septembre 1920.
Autre exemple, celui du soldat Gros condamné à mort le 17 janvier 1916 par le conseil de guerre de la 10e division d’infanterie pour abandon de poste en présence de l’ennemi et refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi. La synthèse de la direction du contentieux de ministère de la guerre précise : Gros a quitté, le 3 décembre dernier, sa compagnie tandis qu’elle était en 1ère ligne, refusant à deux fois, catégoriquement de reprendre son poste ainsi que l’ordre lui en était donné et injuriant en les menaçant de son fusil, ses supérieurs qui lui donnaient cet ordre.
A reconnu les faits, cherchant à en atténuer la gravité en disant qu’il n’avait pu supporter le froid et l’humidité des tranchées pleines d’eau.
Déjà réformé en 1910 pour dégénérescence mentale, le condamné a été à nouveau examiné et reconnu dans un état d’infériorité mentale de nature à diminuer sa responsabilité.
Gracié le 8 février 1916 par le Président de la République, sa peine a été commuée en 20 ans de prison. Sa peine ayant été suspendue, ce soldat a été versé au 331e régiment d’infanterie. Le 13 mars 1916, Gros est passé à l’ennemi. Condamné à mort par contumace le 27 septembre 1916, ce soldat a été rapatrié le 13 mai 1918 puis dirigé sur l’asile de Bron le 13 mai 1918.
En ce qui concerne les 2 militaires retournés en unité en 1919 et 1920, il s’agit pour le premier d’un soldat qui s’est rendu volontairement à la prévôté après avoir déserté. Condamné à mort, gracié, incarcéré à ma maison de Fontevrault, il a signé un engagement volontaire de 4 ans au titre de la légion étrangère le 4 février 1920, sa peine a donc été suspendue. Passé au 8e zouaves, son engagement a été résilié puis il a été renvoyé dans ses foyers le 15 février 1921. Le second est un caporal qui a été condamné à mort par la 2e division d’infanterie coloniale. Sa peine ayant été commuée en 20 ans de prison, il a été affecté à la 5e section d’exclus métropolitains. Rengagé le 23 avril 1919 au titre du 2e régiment d’infanterie coloniale, il est décédé le 1er février 1920 à bord du vapeur « ville d’Alger ».
A l’issue des grâces accordées par le Président de la République, c’est une grande variété de peines qui ont été prononcées.
Dans 59% des cas, c’est la peine de 20 ans de prison qui a été prononcée. Les peines de travaux forcés ont été peu prononcées. De même, la perpétuité a été utilisée ponctuellement dans certains cas bien précis, ce qui ne signifie pas que ces peines ont été pleinement appliquées, bien au contraire. Les lois d’amnistie vont bouleverser la durée de ces peines comme on peut le constater sur l’histogramme ci-après.
À la suite des promulgations des lois d’amnistie en particulier pour les peines pour les plus lourdes, une question se pose : ont-elles été réellement complètement appliquées ?
Cette question se pose, par exemple, pour la loi d’amnistie du 3 janvier 1925 puisque l’article 6 de cette loi ne s’appliquait pas à tous les motifs de condamnation à mort. Ainsi, l’espionnage, l’embauchage pour l’ennemi, la capitulation, la désertion à l’ennemi, la désertion avec complot, le pillage et les crimes punis par le code pénal n’ont pas été amnistiés.
En l’occurrence, ce militaire a été libéré en mars 1922.
L’étude statistique permet de répondre à cette question. Ce qu’on constate, c’est qu’à la fin de l’année 1922, 95,5% des peines ont été réduites puis annulées par des mesures successives jusqu’à la mise en liberté des condamnés. Au-delà de 1922, il reste très peu de condamnés incarcérés.
Mais l’histogramme ci-dessus présente un défaut ; s’il identifie bien les années de libération des militaires français condamnés à mort puis graciés, il ne met pas en rapport cette libération avec la durée de la peine requise. Pour remédier à ce défaut, nous avons créé cet autre histogramme.
L’exploitation de cet histogramme requiert un préambule. Le nombre de militaires graciés/libérés après-guerre est trop important pour tous les faire apparaître sur cet histogramme. Prisme a donc conservé pour chaque peine, par année de libération, la date de libération la plus tardive. L’histogramme ne présente plus alors que 15 cas, cela signifie que 92% des militaires correspondant aux autres cas, ont déjà été libérés. Par exemple, sur les 36 militaires graciés condamnés à 20 ans de prison qui ont été libérés en 1921, nous avons conservé celui qui a été libéré le plus tardivement, précisément le 30 décembre 1921.
Sur cet histogramme, on constate que les militaires condamnés à 10 ans de prison n’ont pas été libérés les premiers. A contrario, une partie des militaires condamnés aux travaux forcés à perpétuité n’ont pas été libérés les derniers. Ainsi, 2 militaires condamnés aux travaux forcés à perpétuité ont été libérés en 1921.
C’est le cas du soldat Villain. Incorporé au 8 octobre 1908 au 72e régiment d’infanterie, ce soldat est passé dans la réserve de l’armée d’active le 1er octobre 1910 avec le certificat de bonne conduite « accordé ». Réformé n°2, il a été considéré comme bon pour le service actif par la commission de révision de l’Oise le 1er décembre 1914. Affecté dans un 1er temps au 51e régiment d’infanterie puis au 320e régiment d’infanterie le 9 juillet 1916, Villain a été condamné à la peine de mort le 28 octobre 1916 par le conseil de guerre de la 52e division d’infanterie pour ivresse, refus d’obéissance, abandon de poste et voies de fait envers un supérieur, pour des faits survenus le 1er octobre 1916 à Oderen en Alsace.
La synthèse de la direction des grâces et des affaires criminelles du ministère de la justice indique : Villain, 28 ans, cantonnier, sans antécédent, [condamné] pour refus d’obéissance et abandon de poste sur un territoire en état de guerre et devant l’ennemi, voies de fait et outrages envers un supérieur dans le service, violences à sentinelle.
Aucun recours en révision. Le 1er octobre, ont, tous deux, refusé de se rendre au rassemblement avant de prendre la garde à un poste de police. Ils s’enivrèrent, mais ne tardèrent pas à rentrer en état d’ivresse. Ils reçurent l’ordre de se rendre au cantonnement et de s’équiper. Mais ils causèrent une scène scandaleuse, au cours de laquelle ils outragèrent plusieurs officiers et gradés, et Villain s’élança sur une sentinelle et un sous-lieutenant qu’il tenta d’étrangler. Ont allégué l’excuse de l’ivresse et observé une attitude repentie. Un membre du conseil de guerre a signé le recours en grâce de Villain et deux, celui de Chauvigny [l’autre condamné par le conseil de guerre]. Seul le général d’Armée se montre inexorable, les autres autorités hiérarchiques inclinent vers une grâce. Considérant que le refus d’obéissance et l’abandon de poste ont été commis en retrait de la 1ère ligne et qu’ils n’ont pas de mauvais antécédents, la « Guerre » conclut à la commutation en 15 ans de travaux forcés pour Chauvigny et en travaux forcés à perpétuité pour Villain. Le 17 novembre 1915.
Comme très souvent, la « Justice » a suivi l’avis de la « Guerre », le Président de la République signant le décret. Gracié, Villain a été écroué le 19 décembre 1916 au dépôt des forçats de St Martin de Ré. Ce soldat a été libéré le 21 décembre 1921 (exécution de la dépêche ministérielle n°74470 du 20 décembre 1921).
Comme on peut le constater ci-dessus, la condamnation du soldat Villain a été amnistiée en vertu de l’article 6 de la loi du 3 janvier 1925. Cette condamnation a donc disparu de son casier judiciaire.
Les voies de fait ont toujours été lourdement sanctionnées (la tentative étant sanctionnée au même titre que l’acte lui-même puisque le législateur n’a pas voulu les différencier), Villain a bénéficié de l’écoute d’un des juges qui a signé un recours en grâce, n’ayant pas d’antécédent, ce soldat a échappé au peloton d’exécution. La grâce a sauvé la vie de ce militaire, l’amnistie a fait disparaître cette condamnation de son casier judiciaire.
L’histogramme montre bien qu’il n’existe pas de corrélation entre la durée de la peine et la date de libération. Par exemple, le soldat Villain condamné aux travaux forcés à perpétuité a été libéré le 21 décembre 1921 soit 3 jours avant le soldat Chambiat condamné à mort lui aussi, le 2 janvier 1916 dont la peine a été commuée en 10 ans de prison. Les lois d’amnistie ont bien changé la vie de ces condamnés en réduisant de manière importante la durée de leur détention.
Le dernier militaire français libéré à la suite d’une condamnation à mort prononcée au cours de l’année 1916, l’a été le 25 septembre 1925. Il avait été condamné à mort le 17 février 1916 par le conseil de guerre temporaire ordinaire de la 10e division d’infanterie pour homicide volontaire sur la personne du médecin aide-major Gallard. Le 26 février 1916, le Président de la République a commué sa peine de mort en travaux forcés à perpétuité.
Vingt-sept militaires français condamnés à mort puis graciés sont décédés en prison.
Le militaire décédé en 1923 à St Laurent du Maroni en Guyane, a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 30e division d’infanterie pour homicide volontaire avec préméditation donc pour assassinat. Gracié, sa peine de mort a été commuée le 3 mai 1916 en travaux forcés à perpétuité. Bourrelier de profession, ce militaire a assassiné un autre soldat d’un coup de fusil tiré à bout portant dans la région temporale.
Pour le soldat décédé en 1924, il a été condamné à mort le 30 novembre 1916 par le conseil de guerre le 126e division d’infanterie. Ce soldat a été déjà condamné 2 fois et s’était évadé 2 fois après sa condamnation. Gracié, affecté à la 11e section d’exclus métropolitains à Nantes, il a été condamné le 17 juin 1919 par la Cour d’Appel de Rennes à un an de prison pour tentative d’évasion puis condamné de nouveau à 10 ans de travaux forcés et 20 ans d’interdiction de séjour pour vols qualifiés commis en octobre 1918 avant d’achever sa vie le 17 mai 1924 à Cayenne.
11 -Année 1917 :
Selon les données de Prisme, 458 militaires français jugés et condamnés à mort par les conseils de guerre temporaires ont bénéficié d’une grâce présidentielle.
Sur ce panel, 87 militaires ont vu leurs peines suspendues et sont retournés au combat. Sept militaires sont décédés au combat après leur retour en unité, tous entre avril et septembre 1918. Deux de ces soldats ont été faits prisonniers par l’ennemi après leur retour en unité combattante. Au total, ce sont donc 23% des militaires dont le sort est connu qui sont retournés en unité combattante.
Le soldat Duchène a été condamné à mort le 21 février 1917 par le conseil de guerre de la 21e division d’infanterie pour abandon de poste en présence de l’ennemi. Vannier, ambulant, marié, deux enfants, sans antécédent judiciaire connu, ce soldat n’a pas formulé de recours en révision. Pour mémoire, en temps de guerre, le conseil de révision se substitue à la Cour de cassation dont il a les mêmes prérogatives. Par contre, un recours en grâce a été demandé par tous les juges.
La synthèse de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice indique : « Duchène laissa, le 21 décembre dernier, partir sa compagnie occuper une ancienne tranchée allemande et se présenta au major qui lui enjoignit de rejoindre dès le lendemain matin, ce que le condamné s’abstint de faire. Il laissa ses camarades en présence de l’ennemi et ne vint les retrouver que lorsqu’ils furent revenus au repos. Duchène a prétendu qu’il avait essayé de regagner son poste mais qu’il avait été saisi de peur à la vue des cadavres qui se trouvaient sur son chemin. Il s’était rendu déjà coupable en mars d’un abandon de poste identique et par indulgence, n’avait été puni que de prison. A d’abord été mis dans l’auxiliaire pour bronchite puis versé dans le service armé en mai 1916.
Notons qu’un responsable de la « Justice » précise que : la décision proposée est bien indulgente [….] il semble inopportun de nous opposer à la grâce proposée.
Suivant les avis de la « Guerre » et de la « Justice », le 19 mars 1917, le Président de la République a signé le décret commuant la mort de mort requise contre Duchène en 20 ans de prison. Le 6 avril 1917, le général commandant la 21e division d’infanterie a suspendu cette peine jusqu’à la fin des hostilités en application de l’article 150 du code de justice militaire. Le 10 avril 1917, sur décision du général Dauvin, Duchène est passé au 64e régiment d’infanterie. Par un décret présidentiel du 31 janvier 1919, ce militaire a obtenu la remise du restant de la peine de 20 ans de prison. Le 15 avril 1919, suite à sa demande, dans les mêmes conditions que le soldat Beucher puisque Duchène a reçu une citation à l’ordre du régiment, la Cour d’Appel de Rennes a prononcé la réhabilitation de ce soldat. Le 4 septembre 1919, ce soldat a été mis en congé illimité de démobilisation.
Si on détaille cette catégorie de militaires retournés au combat, on s’aperçoit que 21% de ces militaires sont repartis au front en 1917, 44% en 1918. Plus étonnamment, on voit que 17 de condamnés se sont engagés en 1919, 14 en 1920. Pour la plupart, il s’agit d’un engagement volontaire dans un bataillon d’infanterie légère d’Afrique ou dans la légion étrangère. Il faut comprendre qu’il s’agit d’engagements volontaires pour une durée de 5 ans en général qui ont été autorisés par la hiérarchie militaire. Néanmoins, ces engagements ont généralement été résiliés. Pourtant, la guerre étant terminée du moins en métropole, ils ne risquaient plus de repartir sur la ligne. Ont-ils pensé que quelques années passées au sein des bataillons de l’infanterie légère d’Afrique seraient moins pénibles que l’emprisonnement durant de nombreuses années ? Ont-ils pensé que leur défaillance ne reflétait pas leur esprit ? Quel que soit le motif individuel qui a conduit à cette décision bien difficile à déterminer pour un observateur extérieur, la suite de l’étude montre qu’elle n’influera pas sur la libération de ces militaires.
C’est le cas de ce militaire condamné à mort le 16 juin 1917 par le conseil de guerre de la 5e division d’infanterie pour un refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi qui s’est engagé pour 4 ans le 10 février 1920 au titre de la légion étrangère et qui a vu son engagement volontaire résilié le 21 juin 1921. On peut s’interroger sur les motivations de ces engagements tardifs. Certes, l’armistice de Belgrade a été signé le 13 novembre 1918 par le général Franchet d’Espérey mais il reste le Maroc et le sud de la Tunisie où les actions militaires vont se poursuivre jusqu’aux années 1930. Ces militaires cherchaient-ils à réduire la durée de leur peine ou voulaient-ils retrouver une intégrité morale en s’engageant ?
Comme Prisme l’a écrit précédemment, sept militaires sont décédés au combat après leur retour en unité. Tous engagés volontaires dont deux condamnés aux travaux forcés à perpétuité, ils sont morts au combat entre les mois d’avril et septembre 1918.
Le 16/06/1917, le conseil de guerre de la 21e division d’infanterie a jugé et condamné à mort treize militaires dont le soldat Desgarceaux. Ce militaire a été jugé pour abandon de poste en présence de l’ennemi et refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi, un grand « classique » dans cette période marquée par les mutineries au sein de l’armée française. Comme le soulignait le général Bach au sujet des mutineries, ceux qui veulent s’informer consulteront l’ouvrage de Denis Rolland, (« La grève des tranchées. Les mutineries de 1917 » Imago, 2005), riche en particulier de sa factualité et celui d’André Loez (« 14-18. Les refus de guerre, Une histoire des mutins », Poche Folio Histoire, 2010) et si possible la thèse de doctorat de ce dernier, (« Si cette putain de guerre pouvait finir. Histoire et sociologie des mutins de 1917 ». Thèse soutenue le 18 mai 2009, Université Paul Valéry Montpellier III), naturellement plus problématisée. Sur le plan judiciaire, le recours en révision formulé par ce soldat a été rejeté le 20 juin 1917 par le conseil de révision de la IIIe armée. Desgarceaux a bénéficié d’un recours en grâce qui a commué sa peine de mort en 15 ans de travaux forcés. Incarcéré à la maison centrale de Beaulieu (Calvados) le 8 juillet 1917, ce soldat a été autorisé à contracter un engagement volontaire au 3e bataillon de marche d’infanterie légère d’Afrique pour la durée de la guerre. Arrivé au corps le 12 février 1918, Desgarceaux est décédé de ses blessures le 20 avril 1918 à Beauvoir (Oise) au sein de l’ambulance 4/45.
La mention « Mort pour la France » a été attribuée à ce soldat. Le soldat Desgarceaux a donc été inscrit sur le livre d’Or du Havre.
Deux cent soixante-sept militaires ont été libérés après le conflit. Ces militaires étaient affectés à des sections d’exclus métropolitains ou coloniaux rattachés à un établissement pénitentiaire.
Le soldat Deguy a été condamné à mort le 19 janvier 1917 en application de l’article 218 du code de justice militaire. Le 29 janvier 1917, le conseil de révision de la IIIe armée présidé par le général Jullien s’était réuni à Maignelay dans l’Oise pour statuer sur le recours en révision formulé par ce militaire. Le conseil de révision a rejeté le recours formé par ce soldat. La synthèse de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice résume ainsi son cas : Deguy travaillait avec des camarades de la section de discipline à confectionner des bobines de fer barbelé dans un village situé à 200 mètres de la ligne de feu, lorsque se présenta le lieutenant Charles, commandant la section sous les ordres du capitaine Couderc. Qui commande ici ? dit Deguy. Est-ce vous ou le capitaine Couderc ? sur la réponse du lieutenant que c’était le capitaine Couderc, Deguy repris : puisque c’est le capitaine Couderc, je refuse de travailler. Malgré toute l’insistance du lieutenant, Deguy persista dans son attitude et opposa un refus formel à l’ordre de son chef. Le condamné fait valoir qu’il était énervé par les observations qui lui avaient été adressées au sujet de son travail et qu’il était très fatigué. C’était un mauvais soldat qui a encouru de très nombreuses punitions et a été condamné le 3 février 1915 à 2 ans de prison pour violences et outrages publics à la pudeur (peine suspendue). Dans la vie civile, il a encouru 4 condamnations : 2 à une peine d’amende avec sursis ; 2 à un mois et 15 jours pour faits de violence. Un des juges a signé un recours en grâce ; les autorités hiérarchiques concluant au rejet. Le Ministre de la guerre, relevant le fait que la faute commise à consister à refuser de confectionner des bobines de fil de fer barbelé et qu’on n’a pas eu à reprocher au condamné d’actes de lâcheté, propose de commuer la peine capitale en travaux forcés à perpétuité.
Le 22 février 1917, le Président de la République a commué la peine de mort requise contre Deguy en travaux forcés à perpétuité. Sa peine a été commuée en 20 ans de travaux forcés le 7 février 1921. Par décret du 30 décembre 1921, ce militaire a reçu une remise de 5 ans de prison.
Dans cette affaire, le motif de condamnation utilisé, l’article 218 « refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi », était-il le bon motif ? Pour répondre à cette question, il faut se plonger dans les textes de référence en particulier les ouvrages du colonel Augier et de Gustave Le Poittevin celui de 1906 et celui de 1918 intitulés « Traité théorique et pratique de droit pénal et de procédure criminelle militaires » à l’usage des membres des conseils de guerre et des officiers de l’armée de terre. A la page 582 de l’ouvrage de 1918, il est précisé :
Les éléments constitutifs du refus d’obéissance prévu par l’article 218 sont au nombre de trois. Il faut :
-1e – qu’il y ait eu refus d’obéir d’un militaire à son supérieur
-2e – que ce refus se soit produit à propos d’un ordre de service
- 3e – qu’il y ait eu intention coupable
L’expression « refus d’obéissance » ne doit pas être prise à la lettre : il n’est pas nécessaire qu’il y ait refus manifesté par une démonstration extérieure ; il suffit que l’ordre n’ait pas été exécuté, pourvu qu’il y ait eu, non simple négligence, mais intention arrêtée de ne pas se conformer à cet ordre.
Quant à l’expression « ordre de service », l’ouvrage du colonel Augier et de Gustave Le Poittevin en donne cette définition : Toutes les fois que le militaire remplit un des devoirs qui lui sont commandés, il est de service ; ainsi la corvée, la garde d’écurie, comptent au nombre des services, comme la garde, l’exercice et tout autre service armé. L’autre ouvrage de référence, le Pradier-Fodéré/Le Faure indique à la page 512 : Toutes les fois que le militaire accomplit un des devoirs qui lui sont commandés, tels qu’une corvée, une garde, un exercice, une prise d’armes, il est de service.
En fait, ces 2 références proviennent du Rapport au corps législatif de 1857 de Monsieur Langlais qui l’avait lui-même repris du rapport de 1829 du comte d’Ambrugeac.
Prisme rappelle que la Cour de cassation, qui dans son arrêt du 13 juillet 1922 a acquitté le fusillé Lucien Bersot, s’est appuyée sur l’ouvrage du colonel Augier et de Gustave Le Poittevin.
Même si le soldat Déguy n’était pas commandé pour monter en 1ère ligne, il a reçu un ordre, il était donc de service. Le refus d’exécuter cet ordre a entraîné sa convocation devant le conseil de guerre et sa condamnation à mort. Si on s’en tient aux textes en vigueur, le conseil de révision de la IIIe armée a eu raison quand il a rejeté le pourvoi en révision formulé par ce soldat.
Cet histogramme sur la répartition des peines infligées fournit plusieurs indicateurs. Avec plus de 52% des cas, la peine de 20 ans prison a été largement la plus utilisée. La peine de 15 ans de prison a également été utilisée dans une moindre mesure dans 16% des cas. On constate également que les peines de travaux forcés ont été bien moins utilisées que les peines de prison. Les peines de travaux forcés à perpétuité représentent 6,5% des cas. La durée réelle d’exécution de ces lourdes peines doit être reconsidérée au regard de l’impact des lois d’amnistie comme on peut le constater dans l’histogramme suivant.
Le cas du soldat dont la peine a été annulée, mérite une explication. Ce soldat a été condamné à mort pour assassinat. La synthèse des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice indique : en mars 17, M…… se rendait dans une salle de récréation pour militaires dirigée par des anglaises de la Croix Rouge. Il eut une attitude incorrecte et tapageuse et s’attira des observations. M…… prit en grippe les anglaises et tint contre elles des propos menaçants, qu’il mit à exécution le 5 mars ; à 9 heures du soir, s’armant d’un fusil, il tira sur les anglaises dont l’une tomba mortellement frappée en pleine poitrine. Puis il tenta de se suicider en se tirant un coup de feu sous le menton. Ce soldat était redouté par ses camarades, il manifestait une haine violente contre la société. Nombreux antécédents : 12 condamnations dans le civil pour vol, coups, voies de faits et outrages. Examiné mentalement après sa condamnation, ce soldat fut reconnu atteint de délire de la persécution par le docteur Vallan. Soumis à un nouvel examen de trois aliénistes, ce soldat a été déclaré nettement dangereux. Les autorités hiérarchiques inclinent vers la grâce. La « Guerre » propose la remise de la peine.
La « Justice » et le Président de la République » ont suivi, comme très souvent l’avis de la « Guerre ». Ce soldat n’a pas eu à subir de peine.
Prisme voulait savoir si les militaires français dont les peines de mort avaient été commuées en travaux forcés à perpétuité, qui sont les peines les plus lourdes, avaient ou non été libérés le plus tardivement.
Gracié, le dernier soldat condamné aux travaux forcés à perpétuité avait été jugé par le conseil de guerre de la 164e division d’infanterie le 9 août 1917 pour provocation à la fuite et abandon de poste en présence de l’ennemi.
Exclu de l’armée comme le prévoit l’article 5 de la loi du 21 mars 1905, il a été mis à la disposition du Ministre des colonies et écroué à la maison centrale de Thouars. Le 10 novembre 1920, sa peine a été commuée en 20 ans de travaux forcés. Le 22 décembre 1921, le restant de sa peine a été commué en cinq ans de réclusion. Mis à la disposition de la Guerre comme exclu métropolitain, il a été affecté à la 3e section d’exclus mobilisables. Toujours détenu à Thouars, ce militaire a fait l’objet d’une proposition de libération conditionnelle. Le 25 juillet 1924, ce soldat s’est présenté au 32e régiment d’infanterie pour régulariser sa situation. Le même jour, il a été renvoyé dans ses foyers. Le 28 octobre 1925, ce militaire a fait l’objet d’une remise de l’entier restant de sa peine de cinq ans de réclusion.
Quarante-sept militaires sont décédés en prison. In fine, ce sont 323 militaires dont le sort est connu qui ne sont pas retournés en unité soit 77% du panel dont le sort est connu.
Les archives départementales possèdent les registres d’écrou qui sont une excellente source d’information sur les militaires détenus.
Dans le cas de ce soldat, son dossier de registre d’écrou permet de confirmer sa « cause de sortie » en l’occurrence le décès de Gervais soit 3 jours avant la parution de la 2e loi d’amnistie.
Les 3 soldats décédés au cours des années 1923 et 1926 ont été jugés et condamnés à mort pour assassinat. Graciés, leur peine commuée en travaux forcés à perpétuité, ils ont terminé leur vie à St Laurent du Maroni en Guyane.
C’est le cas du soldat décédé en 1926 auteur d’un assassinat sur la personne du soldat Liot, incarcéré dans un 1er temps à la maison centrale de Poissy avant d’être transféré en Guyane. Étrangeté du hasard, le même jour que ce soldat, le conseil de guerre de la 60e division d’infanterie a jugé le soldat B… Georges auteur d’un homicide involontaire et l’a condamné à 24 heures de prison.
En dehors de ces militaires dont le sort est connu, nous ignorons le sort à court terme de 38 de ces militaires (13 militaires originaires d’Afrique du Nord ou de la zone sub-saharienne, 6 fiches de matricule reconstituées mais sans indication, 7 fiches de matricule sans indication ou sans registre de matricule, aucune information dans le dossier de procédure quand il existe)
Au cours de l’année 1917, les militaires qui ne sont pas retournés en unité combattante sont largement majoritaires.
12 -Année 1918 :
Selon les données de Prisme, 115 militaires français jugés et condamnés à mort par un conseil de guerre temporaire ont bénéficié d’une grâce présidentielle.
Sur ce panel, un militaire a vu sa peine suspendue puis est retourné au combat.
Aucun militaire n’est décédé au combat après son retour en unité. Aucun soldat n’a été fait prisonnier par l’ennemi après son retour en unité combattante. Ce sont donc moins de 1% des militaires dont le sort est connu qui sont retournés en unité combattante.
Soixante-dix-huit militaires ont été libérés après le conflit. Ces militaires étaient affectés à des sections d’exclus métropolitains ou coloniaux rattachés à un établissement pénitentiaire. Vingt-six militaires sont décédés en prison. In fine, ce sont 104 militaires dont le sort est connu qui ne sont pas retournés en unité soit 99% du panel.
En dehors de ces militaires dont le sort est connu, il reste 10 soldats pour lesquels nous n’avons pas d’information (3 soldats originaires de l’AFN, deux soldats de la légion russe, un soldat condamné aux travaux forcés à perpétuité pour assassinat qui s’est évadé de Guyane en 1923, un soldat dépourvu d’archives judiciaires, aucune information dans le dossier de procédure).
Parmi les militaires libérés après-guerre, Fournival a été condamné à mort pour avoir abandonné son poste en présence de l’ennemi le 6 novembre 1916 à l’ouvrage n°10 près d’Avocourt dans la Meuse.
Le 18 février 1918, le conseil de guerre de la 126e division d’infanterie a condamné à mort ce soldat pour abandon de poste en présence de l’ennemi. Depuis le décret du 20 avril 1917 qui a acté la fin « d’exceptionnalité du recours en grâce », tous les dossiers des condamnés à mort sont automatiquement transmis au Président de la République pour un recours en grâce. La fin de la synthèse de la direction des affaires criminelles et de grâces indique : très mauvaises notes de service ; trois fois condamné depuis la guerre pour des infractions militaires. Recours en grâce signé par tous les juges. Autorités hiérarchiques également partagées. Généralissime favorable. La « Guerre » envisage une commutation en 20 ans d’emprisonnement.
Comme très souvent, la « Guerre » donne un avis que la « Justice » suit quasi systématiquement et le Président de la République signe le décret de commutation, ce qu’il a fait pour Fournival le 5 avril 1918. Exclu de l’armée, il a été incarcéré à la maison d’arrêt d’Annecy puis écroué à Clairvaux.
Par décret du 30 décembre 1920, Fournival a obtenu une remise de peine de 4 ans. Par décret du 9 octobre 1921, ce soldat a obtenu une autre remise de peine de 7 ans. Le 8 mars 1922, suite à la dépêche ministérielle 74470-2/10 du 17 décembre 1921, la peine de Fournival a été suspendue, il était libre en application de l’article 16 de la loi d’amnistie du 29 avril 1921. Par décret du 28 avril 1922, Fournival a reçu une remise de l’entier restant de la peine de 20 ans prononcée le 18 février 1918.
En vertu de l’article 6 de la loi du 3 janvier 1925, les condamnations de ce soldat ont été amnistiées. Sans les lois d’amnistie, ce militaire aurait été libéré en 1938.
Le détenu décédé en 1927 a déjà été condamné le 21 août 1917 pour voies de fait envers un supérieur. Recondamné à mort le 31 janvier 1918 pour assassinat, sa peine a été commuée en travaux forcés à perpétuité par décret présidentiel du 4 avril 1918.
Ce soldat, mis à la disposition du Ministre des colonies, a terminé sa vie le 26 mai 1917 St Laurent du Maroni en Guyane.
Le détenu décédé en 1923 était teinturier, célibataire, déjà condamné, condamné à mort le 25 septembre 1918 par le conseil de guerre de la 2e division d’infanterie. La synthèse de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice précise : abandon de poste devant l’ennemi, mort, ne s’est pas pourvu en révision. S’est esquivé le 17 juillet dernier tandis que sa compagnie se rendait en position d’attaque. A rejoint trois jours après. Noté comme animé d’un mauvais esprit. Recours unanime des juges militaires. Autorités hiérarchiques défavorables. Malgré les assez nombreux antécédents civils et militaires, la « Guerre » prenant en considération le recours des juges, envisage une commutation en 20 ans d’emprisonnement.
Une autorité de la « Justice » a ajouté : même avis, nous n’avons pas l’habitude de faire objection aux commutations proposées par la « Guerre », celle-ci est bien indulgente.
Par décret du 2 décembre 1921, ce soldat a reçu une remise de peine de 8 ans.
Entre 1919 et 1922, 92% des militaires graciés détenus ont été libérés. Au-delà de 1922, il reste quelques individus en détention. Le militaire libéré en 1925 a été condamné à mort le 15 juin 1918 par le conseil de guerre de la 27e division d’infanterie pour rébellion envers des agents de l’autorité et meurtre.
La représentation de l’année 1918 est diamétralement opposée à celle de 1914 et de 1915. Quasiment aucun militaire n’est retourné en unité, soit qu’aucun n’ait voulu le faire, soit que l’autorité militaire n’ait pas été convaincue par une demande formulée par ces soldats.
13 -Ensemble du conflit :
Pour l’ensemble du conflit, cet histogramme montre une évolution très significative de chacun des critères retenus.
En 1914 et 1915, le retour en unité combattante des militaires français condamnés à mort/graciés est majoritaire. En 1916, ce n’est déjà plus le cas. En 1917, accentué par l’impact des condamnations survenues à la suite des mutineries, le nombre des militaires français qui ne sont pas retournés en unité combattante, est nettement plus important. L’année 1918 ne comporte quasiment que des graciés qui ont été libérés après-guerre ou qui sont décédés en prison.
Cet histogramme montre que la peine de 20 ans de prison a été la plus largement utilisée plus précisément dans 55% des cas. La peine de 15 ans de prison a été prononcée dans 16% des cas. Les travaux forcés à perpétuité ont été requis dans 5,5% des cas.
Néanmoins, même si c’est la peine de 20 ans de prison qui a été la plus prononcée, cela ne signifie pas que les condamnés à mort/graciés en 1917, ont été libérés par exemple en 1937, bien au contraire.
Ainsi 94% des militaires français condamnés à mort puis graciés ont été libérés au plus tard à la fin de l’année 1922.
Le parcours judiciaire du soldat Bousquet ci-dessus est très représentatif de l’action des lois d’amnistie, dans ce cas celle du 29 avril 1921.
Ce document est également très représentatif des conséquences de l’article 16 de la loi d’amnistie du 29 avril 1921. Du reste, on le retrouve dans nombre de dossiers de procédure des militaires condamnés. Pour ce militaire condamné à mort par le conseil de guerre de la 5e division d’infanterie puis gracié le 19 juillet 1917, sa peine a été commuée en 15 ans de prison. Après une 1ère remise de peine d’une durée de sept ans accordée le 30 septembre 1920, une 2e remise de peine d’une durée de trois ans accordée le 28 septembre 1921, la remise de l’entier restant de sa peine lui a été accordée par le Président de la République le 22 juillet 1922. Le soldat Castel a été dirigé vers le 80e régiment d’infanterie pour y être démobilisé puisqu’en application de la circulation du 25 juillet 1921 présentée précédemment il n’avait plus à effectuer son temps de service manquant du fait de son incarcération.
Au-delà, il reste quelques militaires incarcérés dont plusieurs ont déjà été évoqués précédemment.
Le parcours de ces militaires durant leurs incarcérations n’est pas détaillé dans cette étude. A titre d’exemple, voici le cas du soldat Bouchard qui a été condamné le 13 octobre 1916 par le conseil de guerre de la 154e division d’infanterie pour un abandon de poste en présence de l’ennemi. Condamné à mort, gracié, sa peine a été commuée en 20 ans de prison. Incarcéré au pénitencier militaire d’Albertville puis au pénitencier de Collioure le 15 février 1917, il a été incorporé le 18 février 1917 à l’atelier de prisonniers n°53 à Saint Cécile la Valouze en Saône et Loire rattachée à la maison d’arrêt de Mâcon.
Bouchard a été transféré le 19 mars 1918 à la prison civile de Bourges. Le 1er juin 1918, il a été incorporé à l’atelier de prisonniers n°61. Le 3 octobre 1918, ce soldat a été transféré à la prison de Fontevrault où il est décédé le 17 juin 1919 d’une tuberculose pulmonaire.
Le dossier pénitentiaire de ce soldat comme beaucoup d’autres, mérite l’attention des chercheurs. On y trouve entre autres, le bulletin de statistique morale, les courriers de l’incarcéré, les avis de mutation, l’extrait de fiche individuelle, l’état signalétique et des services, le relevé de punitions, le jugement formule n°18 du conseil de guerre. Ces 3 derniers documents sont des copies des pièces présentes dans les dossiers de procédure des militaires condamnés par un conseil de guerre. Les archives de la 154e division d’infanterie ayant disparues, on mesure l’intérêt de ces archives.
14- Conclusion :
De prime abord, cet article peut paraître un peu éloigné de la question des militaires français fusillés. En fait, l’étude des fusillés rentre dans le cadre plus général du fonctionnement et de l’évolution de la justice militaire durant le conflit 14/18.
Dans un précédent article, Prisme a étudié les conséquences de la suspension du recours en révision (du 17 août 1914 au 8 juin 1916) sur les jugements prononcés par les conseils de guerre temporaires ordinaires. Durant cette période, 127 jugements soit 34% du panel étudié comportent individuellement un, deux voire trois vices de procédure. En réalité, ce chiffre est sous-évalué car entre autres, on peut penser que les jugements dont les dossiers de procédure sont manquants, peuvent potentiellement contenir des vices de procédure. Le décret du 17 août 1914 a été le 1er des processus qui a fortement modifié le fonctionnement de la justice militaire. Dans cet article, l’exemple du soldat Paré condamné à mort au cours de l’année 1915 dont le jugement présente des vices de procédure, montre encore une fois l’importance du décret du 17 août 1914 qui a suspendu le recours en révision, laissant ainsi les conseils de guerre temporaires qui n’avaient jamais fonctionné depuis leur création en 1875, sans aucun contrôle.
Dans cet article, Prisme a voulu « mesurer » l’impact du 2e processus qui a profondément modifié le fonctionnement de la justice militaire. En effet, avec le décret du 1er septembre 1914, le Président de la République n’est plus le décideur en cas d’une demande de recours en grâce. Au cours de la 1ère période de l’exceptionnalité du recours en grâce, plus précisément du 1er septembre 1914 au 17 octobre 1915, c’est l’officier qui a ordonné la mise en jugement d’un militaire qui peut « exceptionnellement » adresser, comme le précise le décret, une demande de recours en grâce. Après le courrier ministériel du 17 octobre 1915, cet officier n’est plus le décideur de la vie et de la mort d’un militaire condamné à mort. En effet, si un juge formule une demande de recours en grâce, l’officier qui a ordonné la mise en jugement d’un militaire n’a pas le droit de passer outre à la demande de commutation formée par les membres du conseil de guerre, il doit transmettre le dossier par la voie hiérarchique, avec son avis, pour un examen régulier du recours en grâce par le Président de la République.
Comme le général Bach l’avait souligné dans un précèdent article de Prisme, avec ces 2 décrets dont il est l’auteur, le pouvoir politique est passé du rôle d’acteur à celui de spectateur du fonctionnement de la justice militaire.
Produire une étude sur l’ensemble des militaires français condamnés par les conseils de guerre, ne serait-ce que par les conseils de guerre temporaires, serait très profitable pour afficher la réalité des conséquences de ces condamnations. Il est probable que certains mythes s’effondreraient. En attendant une telle perspective, l’échantillon de la population des condamnés à mort/graciés nous fournit un bon indicateur, surtout qu’il s’agit d’une partie des militaires les plus lourdement condamnés après celle des fusillés.
Prisme est fidèle aux enseignements du général Bach qui disait : avant de le décrire, un phénomène historique doit être quantifié pour s’en imaginer l’importance.
L’étude montre qu’au cours des années 1914 et 1915, la population des militaires français condamnés à mort puis graciés qui sont retournés en unité combattante, est majoritaire. Au cours de l’année 1916, ce n’est plus le cas. Les militaires libérés après le conflit sont les plus nombreux. Cette tendance s’affirme nettement en 1917. En 1918, presque aucun militaire français condamné à mort puis gracié n’est retourné en unité combattante. Les tendances se sont complètement inversées.
Le 2e enseignement de cette étude concerne les durées réelles des peines prononcées. Prisme avait déjà pu le constater lors de l’établissement de l’article sur les lois d’amnistie mais les lois de 1919, 1921 et 1925 ont bouleversé la durée des peines prononcées même pour les peines les plus lourdes comme les travaux forcés à perpétuité. L’étude de Prisme montre que les lourdes peines à 20 ans de prison ou à perpétuité ont considérablement été réduites au point de constater que la grande majorité de ces militaires condamnés à ces lourdes peines ont retrouvé la liberté au plus tard en 1922.
Ce type de document est extrêmement répandu dans les dossiers de procédure des condamnés à mort/graciés. Le soldat Charriau qui a été condamné le 31 mai 1917 à 20 ans de prison, a été libéré en octobre 1921.
Le 3e enseignement de cette étude que nous avions déjà constaté lors de la rédaction de l’article « Précis de justice militaire » concerne l’année 1917 et le nombre très important des condamnations à mort prononcées liées aux mutineries. De fait, ce sont 458 condamnations à mort qui ont fait l’objet d’une grâce présidentielle suivant en cela majoritairement l’avis de la direction du contentieux du ministère de la Guerre. En 1917, ces grâces transmises concernent 77% des militaires français condamnés à mort.
Le 4e enseignement de cette étude est qu’à partir de l’année 1916, les militaires condamnés à mort/graciés sont restés majoritairement incarcérés soit qu’ils n’aient pas cherché à repartir en unités combattantes, soit que l’autorité militaire n’ait pas été satisfaite de leur comportement pour envisager une suspension de leurs peines. A l’appui de cette hypothèse, statistiquement, on constate qu’une majorité de ces militaires ont fait l’objet de condamnations antérieures à leur activité militaire.
Le 5e enseignement de cette étude concerne les peines prononcées ; c’est bien la peine de 20 ans de prison qui a été le plus utilisée dans 55% des cas, loin devant la peine de 15 ans de prison qui a été utilisée dans 16% des cas.
Le 6e enseignement de cette étude concerne les dates de libération des militaires condamnés à mort/graciés. La grande majorité des militaires condamnés ont été libérés en 1921 et 1922. Au-delà de 1922, il reste quelques incarcérés mais statistiquement ils sont peu nombreux. Cette étude ne porte que sur 1000 individus mais 85% des condamnations proviennent de 4 peines (10 ans de prison, 15 ans de prison, 20 ans de prison et les travaux forcés à perpétuité). On peut raisonnablement penser que ce dernier enseignement doit également s’appliquer aux militaires non condamnés à mort.
In fine, ce sont 1000 militaires français condamnés à mort qui ont échappé à la sanction suprême. Rappelons les différentes étapes de l’action du recours en grâce. Du 1er septembre 1914 au 17 octobre 1915, il ne dépend que de l’officier qui a ordonné la mise en jugement d’un militaire (dans la plupart des cas, le général de division). Du 17 octobre 1915 au 20 avril 1917, il dépend de l’officier qui a ordonné la mise en jugement d’un militaire et/ou d’un ou de plusieurs juges d’un conseil de guerre. Après le 20 avril 1917, nonobstant la période des mutineries, tous les dossiers de procédure des condamnés à mort sont automatiquement adressés au Président de la République par le circuit déjà décrit précédemment (ministère de la Guerre puis de la Justice). Comme le général Bach l’a souligné, dans la grande majorité des cas, la « Guerre » émet un avis que la « justice « suit » très souvent puis le Président de la République paraphe les décrets. La lecture statistique des recours en grâce le démontre, si la grande majorité des 1000 militaires français ont échappé au peloton d’exécution, c’est parce que la « Guerre » l’a voulu.
Ce chiffre ne concerne que les militaires français condamnés à mort par les conseils de guerre temporaires ayant fonctionné au cours des années 1914/1918. Il est plus élevé si l’on tient compte des conseils de guerre permanents et si ce chiffre englobe l’année 1919.
Cette étude met fin aux approximations que l’on lit ici et là dans les ouvrages universitaires ou pas.
Les études sur le fonctionnement et l’évolution de la justice militaire sont très chronophages et loin d’être simples ; on le constate encore avec les erreurs présentes dans les 2 dernières propositions de lois sur la « réhabilitation » dite collective. C’est également la constatation des rédacteurs du rapport sur le centenaire dit rapport Prost quand ces historiens spécialistes de la question des fusillés ont auditionné les différents intervenants : il existe un écart entre la connaissance de ceux qui interrogent et la méconnaissance des interrogés.
Pour poursuivre le travail de recherche du général Bach, il nous reste à présenter entre autres l’impact très important du courrier du 17 octobre 1915 que nous avons déjà évoqué précédemment et l’influence de l’admission des circonstances atténuantes sur les jugements condamnant à mort les militaires français. Comme nous l’avons déjà écrit l’admission des circonstances atténuantes est la mesure phare de la loi du 27 avril 1916 qui comporte bien d’autres mesures.
Constat établi par les études et analyses du Prisme, ce n’est pas la suppression officielle des conseils de guerre temporaires spéciaux en avril 1916 qui a fait baisser le nombre des condamnations à mort comme on peut le lire sur certains ouvrages ou rapports parlementaires. De facto, les conseils de guerre temporaires spéciaux étaient déjà tombés en désuétude depuis août 1915. En réalité, les études statistiques montrent bien que cette baisse du nombre des condamnations à mort est la conjugaison de plusieurs actions : le courrier du 17 octobre 1915, l’admission des circonstances atténuantes, le rétablissement des recours en révision et l’affaiblissement de l’action de l’exceptionnalité du recours en grâce avant sa suppression en avril 1917.
Prisme rappelle ce précepte du général André Bach, pierre angulaire du groupe : il faut toujours de la rigueur intellectuelle, toujours revenir aux faits, aux chiffres le tout contextualisé, faire preuve de transparence et de pédagogie, mettre à disposition les sources à la base des recherches pour éviter le soupçon.
Pour André