A travers des articles statistiques, à travers des articles de fond aussi divers que les mutilations volontaires, le code de justice militaire, la notion de fusillés pour l'exemple, l'ambition du Prisme est de fournir un ensemble d'informations permettant aux lecteurs d'appréhender en toutes connaissances de causes et sans parti pris de notre part la problématique des fusillés du conflit 14/18. Notre but n'est pas de juger mais de présenter, d'analyser les faits, de les porter à la connaissance de nos concitoyens au sujet d'une question qui n'est pas seulement d'ordre historique mais enjeu aussi d'un débat mémoriel, encore présent aujourd'hui.

jeudi 18 janvier 2024

Le cas du soldat ROBY ou les conséquences de la suspension du recours en révision

      

     Prisme s’est intéressé, comme souvent, au fonctionnement de la justice militaire en étudiant certains dossiers non pas comme si nous étions un conseil de révision, nous n’avons pas cette prétention, mais en regardant si les dispositions de l’article 74 du code de justice militaire ont été respectées. Rappelons que le conseil de révision se substitue, en temps de guerre, à la Cour de Cassation. Comme le précise le titre II du livre II du code de justice militaire qui définit les compétences de cette entité, les conseils de révision se prononcent sur les recours formés contre les jugements des conseils de guerre établis dans leur ressort.

Comme le rappelle Edouard Ignace, président de la commission de la législation civile et criminelle qui, répondant aux députés Paul Denise et André Berthon, déclarait en séance à la Chambre des députés le 22 avril 1920 : nous ne sommes pas ici un tribunal d’appel chargé de réviser les décisions de justice, nous sommes une assemblée d’hommes politiques conscients de leur responsabilité envers le pays, appelés à nous prononcer sur une loi d’amnistie, c’est-à-dire une mesure essentiellement politique. (Journal officiel - débats parlementaires – Chambre des députés - page 1877)

Comme l’autorité législative, Prisme ne peut pas établir l’innocence d’un militaire et ne peut pas réhabiliter judiciairement un militaire, ce rôle étant dévolu à l’autorité judiciaire.

Mais rien n’empêche Prisme de regarder si les règles de fonctionnement des conseils de guerre temporaires ont été respectées entre le 17 août 1914 et le 8 juin 1916. En effet, entre ces dates, les conseils de révision établis aux Armées ont été suspendus par décret du Chef de l’État comme le prévoit l’alinéa 2 de l’article 71 du code de justice militaire. En effet, de par cet article 74, un conseil de révision ne peut annuler un jugement que dans les cas suivants :

1-lorsque le conseil de guerre n'a pas été composé conformément aux dispositions dudit code

2-lorsque les règles de compétence ont été violées

3-lorsque la peine prononcée par la loi n'a pas été appliquée aux faits déclarés constants par le conseil de guerre, ou lorsqu'une peine a été prononcée en dehors des cas prévus par la loi 

4-lorsqu'il y a eu violation ou omission des formes prescrites à peine de nullité

5-lorsque le conseil de guerre a omis de statuer sur une demande de l'accusé ou une réquisition du commissaire du gouvernement tendant à user d'une faculté ou d'un droit accordé par la loi

Nous rappelons que Prisme appréhende l’ensemble de ces évènements à travers la notion, pratiquée en sociologie, de « cohorte » introduite par le général Bach. Une cohorte mensuelle est constituée de tous les condamnés à mort au cours du même mois. Le condamné peut être exécuté dans le mois. Mais il a le risque de l'être aussi dans les mois suivants si son pourvoi en révision a été rejeté ou si sa demande de grâce, après examen, a été rejetée. Les autres condamnés échappent à la mort puisque leur peine est commuée.

Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.
Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux, quelle que soit leur apparence.

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     Le titre du chapitre 7 du livre « fusillés pour l’exemple 1914/1915 » du général Bach, pierre angulaire du groupe Prisme, « à la Patrie en danger il faut une justice de terreur » est très pertinent.

Ce n’est pas tant le décret du 10 août 1914 qui pose problème. En effet, ce décret signé de Messimy précisait : « Dans les circonstances graves que traverse la patrie, il m’a paru nécessaire de recourir à cette disposition et de suspendre la faculté pour les condamnés de former un recours en révision. Cette mesure serait limitée toutefois aux crimes prévus ou punis par les articles 204, 206, 207 et 208 du code de Justice Militaire, c’est-à-dire la trahison, l’espionnage et l’embauchage des militaires ».

Ce qui permettait au général Bach de dire : ainsi limitée, la mesure n’entraîne pas de conséquences graves pour les soldats. Il s’agit plutôt de les protéger contre les entreprises adverses se présentant sous forme de l’espionnage, de la démoralisation ou de l’incitation à déserter.

Statistiquement, c’est vérifiable. De 1914 à 1918, 7 militaires français ont été jugés, condamnés à mort puis fusillés par les conseils de guerre temporaires au titre des articles 204 à 208 du code de justice militaire dont 2 en 1914. Donc, contrairement à ce qui a été écrit ici et là, même dans une récente proposition de loi, ce décret a eu que peu d’impact sur le sort des militaires français.

Par contre, les conséquences du décret du 17 août 1914 étaient tout autre. Ce nouveau décret rendu en Conseil des ministres, et par application de l’article 71 du code de justice militaire, « Est temporairement suspendue aux armées la faculté de former un recours en révision contre les jugements des Conseils de guerre établis conformément au troisième paragraphe de l’article 33 du Code de Justice Militaire ». Ce décret ne concernait plus seulement les articles 204 à 208 (la trahison, l’espionnage et l’embauchage à l’ennemi) mais tous les motifs de condamnation. Les conséquences pour les militaires français étaient beaucoup plus graves, ils ne pourront plus se pourvoir en révision contre un jugement prononcé.

Le décret suivant du 1er septembre 1914 signé de Millerand, puisque Messimy n’était plus en poste, était aussi d’une toute autre gravité : « J’ai décidé d’abroger, à la date de ce jour les dispositions de la circulaire très confidentielle du 10 août 1914 concernant l’exercice du droit de grâce en ce qui concerne les condamnations prononcées par les Conseils de Guerre. Pour assurer au fonctionnement de la Justice Militaire la rapidité qui est une des conditions essentielles de son efficacité les dispositions suivantes seront substituées aux dispositions abrogées : dès qu’une condamnation capitale, prononcée par un Conseil de Guerre, sera devenue définitive, soit qu’elle n’ait pas été attaquée devant le conseil de révision, soit que le recours ou, le cas échéant, le pourvoi en cassation, ait été rejeté, soit enfin qu’il s’agisse de condamnations prononcées par un des Conseils de Guerre aux armées, à l’égard desquelles le décret du 10 août 1914 a suspendu le recours en révision, l’officier qui a ordonné la mise en jugement prendra immédiatement les mesures nécessaires pour assurer l’exécution du jugement, à moins que, exceptionnellement , il n’estime qu’il y a lieu de proposer au chef de l’État une commutation de peine ».

La synthèse de ce texte est limpide : l’exercice du droit de grâce ne dépend plus directement du Chef de l’État mais de l’officier qui a ordonné la mise en jugement d’un militaire, ce dernier devant immédiatement prendre les mesures pour assurer l’exécution de la sentence puisque le recours en révision est suspendu sauf si exceptionnellement il décide (seul) d’envoyer le dossier de procédure au Président de la République pour un recours en grâce.

C’est le début de la période que le général Bach appelait : l’exceptionnalité du recours en grâce. Tout cela est maintenant bien connu grâce aux travaux du général Bach, bien que certains auteurs d’articles ou de livres récents n’aient pas encore mesuré l’importance de cette période de « l’exceptionnalité du recours en grâce » qui se divise en réalité en 2 parties.

Il ne faut pas oublier le contexte de la guerre et le minimiser. La situation militaire est plus que préoccupante en ce début de conflit, les Armées françaises retraitant partout. La défaite de 1870 est dans les esprits des gouvernants.

Pour les militaires français, dans cette séquence de perte des droits, le décret du 6 septembre 1914 créant les conseils de guerre temporaires spéciaux, est le dernier palier. Comme le disait le général Bach, c’est une justice d’exception. Suite à la dépêche télégraphique de Joffre du 3 septembre, Millerand va prendre en compte cette demande et lui adresser dans un 1er temps son fameux brouillon ci-dessous mentionnant le rétablissement des « cours martiales », couvrant aussi « toutes les mesures nécessaires » avant la publication du décret du 6 septembre : A titre provisoire et pendant la durée de la guerre, les Conseils de guerre aux armées peuvent fonctionner dans les conditions ci-après indiquées sous la forme de Conseils spéciaux pour juger, en cas de flagrant délit, les militaires… le jugement est prononcé à la majorité de 2 voix contre 1, les jugements rendus par les Conseils de Guerre spéciaux ne sont susceptibles ni de recours en révision , ni de pourvoi en Cassation.

De toute façon, le pourvoi en révision était déjà suspendu depuis le 17 août 1914, le recours en grâce étant depuis le 1er septembre de la seule décision de l’officier qui a ordonné la mise en jugement. De ce côté-là, pas de nouveauté. Ce qui est plus critique, c’est que 3 juges statuent sur les auteurs des crimes puisque les délits ne sont pas du ressort de cette juridiction, et qu’ils jugent les militaires « pris en flagrant délit ».

Etre jugé en flagrant délit est toujours une pratique actuelle qui peut se comprendre dans certains cas. Pour les conseils de guerre temporaires spéciaux qui, pour la plupart des cas ont été amenés à statuer au niveau régimentaire, cela présente un sacré défi : trouver rapidement dans chaque unité des individus capables d’assurer le rôle d’un défenseur, le rôle d’un greffier, le rôle d’un commissaire-rapporteur rompu à l’exercice du droit en général et du droit militaire en particulier.

De plus, contrairement aux conseils de guerre temporaires ordinaires qui ont généralement fonctionné au niveau divisionnaire où le général de division est l’officier qui ordonne, par exemple, la mise en jugement d’un prévenu ; au niveau régimentaire, c’est le commandant de l’unité qui doit jouer ce rôle. En cas d’application de l’article 156 du code de justice militaire, le commissaire-rapporteur ne rédige pas nécessairement de rapport et de conclusions ; c’est la citation directe à comparaître à l’audience qui s’applique, le rôle du commandant d’unité devient alors très important. Cet officier ne doit pas mélanger les rôles comme dans le dossier du soldat Bersot où le Lt colonel Auroux commandant le 60e régiment d’infanterie a confondu son rôle d’administrateur de la procédure avec celui de président du conseil de guerre ce qui est interdit par les articles 24 et 37 du code de justice militaire.

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Au sein du 43e régiment d’infanterie coloniale, durant la période de fonctionnement des conseils de guerre spéciaux, on dénombre 34 condamnations par cette juridiction dont 20 en 1914. Parmi tous ces jugements, on compte 13 acquittements, 8 condamnations de 6 mois à un an de prison, 9 condamnations de 2 à 7 ans de prison ou de travaux publics et 4 condamnations à mort dont l’une, celle du soldat Thermone a été commuée en 15 années de prison, peine suspendue le 23 janvier 1916. Suite à une nouvelle condamnation, ce soldat a été transféré au pénitencier de Douéra le 5 /11/1917 puis à la maison centrale de Lambèse le 12/01/1917. Une remise de peine de 9 ans a été accordée à ce soldat par décret du 30/11/1921. Par une suspension de peine du 17/12/1921, Thermone a été libéré de la maison centrale de Lambèse le 20/01/1922. Ces remises de peine ont été accordées en application de l’article 4 de la loi du 29 avril 1921. Thermone a été renvoyé dans ses foyers le 31/01/1922.

Sur cet histogramme, remarquons que le 1er conseil de guerre de cette unité s’est tenu le 16 septembre soit 10 jours après la parution du décret du 1er septembre 1914 et 5 jours après la diffusion des textes d’application. Le dernier conseil de guerre connu s’est tenu le 14 septembre 1915 soit presque 6 mois avant la parution de la loi du 27 avril 1916 actant la suppression des conseils de guerre spéciaux. Comme nous l’avons déjà constaté pour l’ensemble des conseils de guerre spéciaux, cette loi ne fait qu’entériner une situation de fait, le 43e régiment d’infanterie coloniale en est l’exemple, ce type de conseil de guerre était tombé en désuétude depuis août 1915.

Le soldat Thermone n’est pas le seul soldat condamné à mort par un conseil de guerre spécial qui a bénéficié d’un recours en grâce. Dans ce cas, 6 mois avant la parution du courrier ministériel autorisant les juges d’un conseil de guerre à formuler un recours en grâce, les 3 juges ont signé une demande de recours en grâce.

On peut supposer que le chef de bataillon Porte commandant le 43e régiment d’infanterie coloniale a approuvé l’avis des 3 juges en transmettant leur demande au Président de la République car à la date du jugement de ce militaire, seul le chef de bataillon Porte avait ce droit.

Examinons le dossier de procédure d’un autre condamné à mort, celui du soldat Roby. Ce militaire était de la classe 1907, il a été renvoyé dans la disponibilité le 25 septembre 1910 avec le certificat de bonne conduite avant d’être rappelé suite à la mobilisation générale du 1er août 1914. La fiche de matricule de ce militaire est peu loquace, elle nous apprend seulement que Roby a été condamné le 1er septembre 1904 par le tribunal correctionnel de Chalon sur Saône à 30 centimes d’amende pour une contravention à la police des chemins de fer.

Le dossier de procédure de ce soldat est assez typique d’un conseil de guerre spécial un mois après la création de cette juridiction d’exception. Beaucoup de pièces du dossier de procédure ont été rédigées à la main. Faute de temps, les imprimés dédiés de la justice militaire ne sont, sans doute, pas encore parvenus au niveau régimentaire. Il manque certaines pièces comme l’état signalétique du prévenu, le relevé des punitions du prévenu, l’extrait de casier judiciaire, les notes d’audience, l’interrogatoire du prévenu, les dépositions des témoins.

Engagé au tout début de la guerre dans la bataille du « Grand Couronné », le 43e RIC perd beaucoup d’hommes dont son commandant. Le 20 août 1914, c’est le Chef de bataillon Porte qui lui succède à la tête de cette unité. Ce régiment est ensuite engagé dans l’Artois dans la « course à la mer ». Le 25 septembre, il arrête l’ennemi à Maricourt dans sa tentative d’aller sur Amiens.

Le 5 octobre 1914, le commandant Oudry du 79e régiment d’infanterie rédigeait le rapport suivant :

Le 4 octobre à 21h30, deux soldats qui d’ailleurs, par la suite, n’ont pu être retrouvés, sont arrivés prévenir le poste du 79e à Maricourt que des cris se faisaient entendre dans le village et qu’ils croyaient que c’était un blessé qu’on achevait. Les deux hommes ont eu peur et ne sont pas intervenus. Le caporal Jonnier du 79e avec 3 hommes de garde, s’est immédiatement porté dans la direction du village et au moment il arrivait à l’endroit indiqué, il vit un homme se redresser et essayer de fuir. Après sommation, cet homme s’arrêtait immédiatement ; le caporal et les hommes de garde ont alors découvert que cet homme en état d’ivresse tentait de violer ou de voler une vieille femme étendue sous lui, avec ses jupes complètement relevées. Le médecin aide-major Rohmer du 79e s’est porté immédiatement vers cette femme qui était blessée à la tête par suite des violences exercées sur elle par le soldat arrêté. Ce dernier est le nommé Roby Omer n° de matricule 07664 de la 14e compagnie du 43e régiment d’infanterie colonial. Il a été immédiatement fouillé et a été trouvé porteur d’objets volés (montre en or, porte-monnaie en nacre, autre porte-monnaie, etc, …). De l’aveu même du caporal fourrier de sa Cie, ce soldat serait un dangereux braconnier qu’il faut surveiller de très près. J’ai l’honneur de rendre compte que je fais conduire ce soldat à Suzanne pour qu’il soit immédiatement traduit devant le conseil de guerre spécial de son corps. Il est accusé de vol, de viol, de tentative de viol, blessures, abandon de poste en présence de l’ennemi, ivresse, cas prévus par le code de justice militaire et punis de mort pour deux d’entre eux.

Le rapport du médecin aide-major Rohmer décrit minutieusement la violence de l’agression.

Dès lors, pris en « flagrant délit », la traduction en conseil de guerre spécial de ce soldat va s’enclencher très rapidement. Le 5 octobre, le conseil de guerre est convoqué pour le jour même à 15 h à la mairie de Suzanne. Les juges désignés sont le capitaine Buhrer, le sergent Sustandal et le Chef de bataillon Porte. Le lieutenant Bernaville est désigné pour remplir les fonctions de commissaire-rapporteur. Le sergent Huet a été désigné comme greffier et le soldat Vial comme défenseur.

Notons que la signature apposée au bas de la convocation du conseil de guerre est celle du chef de bataillon Porte.

Le soldat Roby était accusé de vol, de coups et blessures ayant entraîné la mort et d’abandon de poste en présence de l’ennemi. Pour confirmer l’abandon de poste, le chef de bataillon Porte a posé les questions suivantes au lieutenant commandant la 14e compagnie :

Le lieutenant répondit à son chef de corps le 5 octobre :

1-la 1ère section de la 14e Cie était en réserve et cantonnée dans une maison du village placée à environ 300 m de la ligne des tranchées.

2-il a été trouvé dans la grande rue du village, route de Maricourt à Montaubon ; l’endroit où il a été arrêté et où il a commis son attentat est situé à plus de 200 m à l’est du cantonnement de la section. C’est au centre de la section qu’était fait la cuisine de cette fraction.

3-oui. Etant en réserve, il doit et peut être considérer comme étant sur la ligne de feux et en présence de l’ennemi.

4-Roby ment. La Cie devant prendre ce jour là le service aux tranchées à 20h, avait reçu l’ordre de manger à 17h30. La Cie mangeait au moment de l’attentat. La distribution ayant eu lieu cette fois-là à 20h10, la Cie n’a pu rejoindre les tranchées qu’à 22h, c’est-à-dire 30 minutes après la constatation des faits reprochés à Roby.

L’absence des procès-verbaux de l’interrogatoire de l’accusé et des dépositions des témoins est partiellement compensée par ces indications.

A Suzanne, le 6 octobre 1914, le conseil de guerre spécial s’était réuni :

A l’issue des débats, le soldat Roby a été reconnu coupable d’abandon de poste en présence de l’ennemi (article 213 alinéa 1), de vol (article 248) et en application de l’article 309 du code pénal : tout individu qui, volontairement, aura fait des blessures ou porté des coups ou commis toute autre violente ou voie de fait [....] sera puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans et de d’une amende de seize francs à deux mille francs.

Roby n’a pas été reconnu coupable du viol de la vieille dame. Le 6 octobre 1914 à 16h30, ce soldat a été conduit près du cimetière de Suzanne où il a été fusillé après la lecture du jugement le condamnant à mort pour les faits cités ci-dessus.

Que retenir de cette sordide affaire ? Un point essentiel de procédure apparaît à la lecture du jugement ci-dessus : tous nommés par le chef de bataillon commandant le 43e régiment d’infanterie coloniale.

Or l’article 37 du code de justice militaire indique que les articles 15, 22, 23 et 24 dudit code sont applicables aux conseils de guerre aux armées. L’alinéa 4 de l’article 24 précise que nul ne peut siéger comme président ou juge s’il a précédemment connu de l’affaire comme administrateur.

Selon le commentaire abrégé sur le code de justice militaire du capitaine Vexiau de 1876, licencié en droit, par celui qui a connu de l’affaire comme administrateur, il faut entendre celui qui a été appelé par ses fonctions à en faire l’examen et à donner son avis sur les faits qui font l’objet de la poursuite. Le capitaine Vexiau reprend exactement la fin de l’alinéa 96 (page 91) du commentaire sur le code de justice militaire de 1858 du conseiller à la Cour de cassation Victor Foucher.

Dans ce dossier, c’est le chef de bataillon Porte qui a signé toutes les pièces du dossier, il a signé le document désignant les juges dont lui-même, le commissaire-rapporteur, le greffier et le défenseur. Sur la minute du jugement, il est écrit : le conseil convoqué par l’ordre du commandant conformément à l’article 111 du code justice militaire. L’article 111 précise : le général commandant la circonscription, en adressant l’ordre de mise en jugement, ordonne de convoquer le conseil de guerre et fixe le jour et l’heure de la réunion. Il a également questionné le lieutenant commandant la 14e Cie, il en avait parfaitement le droit en tant qu’officier de police judiciaire mais à partir de cet instant, il n’avait plus le droit d’assumer une autre fonction. Le chef de bataillon Porte n’avait pas le droit de convoquer le conseil de guerre et de présider le même conseil de guerre, c’est interdit par l’article 24 du code de justice militaire.

Si le conseil de révision n’avait pas été suspendu le 17 août 1914, ce jugement aurait été cassé et renvoyé devant une autre juridiction. Les juges des conseils de révision étaient très stricts sur le respect des textes. Par exemple, un conseil de révision a cassé un jugement rendu par un conseil de guerre uniquement parce qu’un juge n’ayant pas l’âge requis à quelques mois près. Si le nombre de jugements cassés par les conseils de révision est conséquent, le nombre des militaires recondamnés à mort est bien moindre. C’est le cas pour le soldat Guibout dont le jugement a été cassé parce que la date du crime (un abandon de poste en présence de l’ennemi) n’avait pas été mentionnée sur l’acte, les juges ayant admis les circonstances atténuantes lors du second procès ou pour le soldat Rebet qui a été condamné à 3 ans de travaux publics lors du second jugement.

Certes, l’instruction n°4487 du 9 septembre 1914 émanant du général en chef, prévoyait que ces jugements n’étaient pas susceptibles d’un recours en révision, mais cette restriction était d’autant plus facile à établir que le décret du 17 août 1914 avait déjà suspendu ces recours.

Survenu après le 8 juin 1916, le jugement du soldat Roby aura été cassé. Quelle aurait été alors la peine donnée lors du 2e jugement ?

L’erreur du chef de bataillon Porte non sanctionnée par un conseil de révision suspendu, est-ce l’action d’une justice immanente ? C’est une vision peu cartésienne des évènements. En décembre 1914, le chef de bataillon Porte n’a pas réitéré le même vice de procédure, il a convoqué un conseil de guerre et a désigné un autre chef de bataillon comme président du conseil de guerre.

Nulle trace d’une moindre action en révision connue n’apparaît dans les archives pour ce militaire. Personne n’a, semble-t-il, remarqué ce vice de forme ou le fond de cette sordide affaire a-t-elle tempéré les actions en révision ?

En application de l’article 6 de la loi du 3 janvier 1925, ce militaire a été amnistié sans condition pour son abandon de poste en présence de l’ennemi. Cette condamnation a disparu de son casier judiciaire mais peut-on faire disparaître des mémoires les violences subies par cette femme ? Car en vertu de l’article 2 de ladite loi, l’amnistie pleine et entière a été accordée, lorsqu’il s’agit d’un délinquant primaire, pour les faits commis antérieurement au 12 novembre 1924 et prévus par les articles 155, […..], 309 alinéa 1 et 2 du code pénal.

 

Pour André


 

 

 

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