A travers des articles statistiques, à travers des articles de fond aussi divers que les mutilations volontaires, le code de justice militaire, la notion de fusillés pour l'exemple, l'ambition du Prisme est de fournir un ensemble d'informations permettant aux lecteurs d'appréhender en toutes connaissances de causes et sans parti pris de notre part la problématique des fusillés du conflit 14/18. Notre but n'est pas de juger mais de présenter, d'analyser les faits, de les porter à la connaissance de nos concitoyens au sujet d'une question qui n'est pas seulement d'ordre historique mais enjeu aussi d'un débat mémoriel, encore présent aujourd'hui.

jeudi 9 septembre 2021

Des victimes expiatoires parmi des cibles courantes : les condamnés du 368th infantry

 


 

     Rares sont les cas dans lesquels des combattants américains ont été livrés à une vindicte d’un tel degré pendant et après la Première Guerre mondiale, comme l’ont été quelques-uns au sein d’un régiment engagé dans l’offensive dite de « Meuse-Argonne » entamée le 26 septembre 1918. Car si des hommes ont été particulièrement visés par la justice militaire américaine en raison de convictions politiques ou religieuses les ayant amenés à ne pas vouloir porter l’uniforme ou combattre, ils n’avaient même pas quitté le sol des Etats-Unis et n’avaient affronté aucun ennemi. En revanche, pour ceux qui se retrouvent au front, le spectre de potentielles sentences dissuasives, à titre d’exemple, ne manquera pas de devenir parfois réalité, comme cela sera le cas pour une série de soldats du 16th infantry, à l’hiver 1917-1918. Encore était-ce bien différent de ce qu’a été un engrenage mortifère savamment orchestré à l’encontre d’éléments d’une division « afro-américaine », la 92nd division, comme nous allons le voir dans le détail.

Les circonstances de l’engagement

Le journal des marches et opérations de la 1re division de cavalerie à pied, dans son annexe n°3 consacrée aux opérations menées du 26 septembre au 10 octobre 1918, présente la mission et les moyens dont dispose cette division dans le cadre de l’offensive à venir :
« La 1re D.C.P. formant la division de droite du 38e Corps d’Armée et prenant à son compte le front tenu sur la rive gauche de l’Aisne par la 71e Division d’Infanterie, doit à cheval sur l’Aisne :
1) Attaquer sur la rive gauche de l’Aisne pour enlever d’abord les organisations ennemies de La Justice, tranchée de Ratisbonne, et déborder le Bois de Ville par le Nord ; ultérieurement, enlever les hauteurs Est de Cernay-en-Dormois, le Bois de Cernay, en liaison à gauche avec la 74e Division d’Infanterie, d’abord à la Tête de Vipère, ensuite à Cernay-en-Dormois.
2) Pousser sur la rive droite de l’Aisne de fortes reconnaissances offensives avec mission de prendre pied dans les premières lignes ennemies, si l’ennemi ne laisse que de faibles arrière-gardes, et de mettre la main dès que possible sur Servon. Liaison à droite avec la 77e Division d’Infanterie U.S.

Moyens à la disposition du général commandant la 1re D.C.P. :

Troupes organiques de la 1re D.C.P. : 4e, 9e, 11e cuirassiers ; 270e R.A.C. (3 groupes) ; VIIe groupe du 103e R.A.L. ; compagnies 4/59 et 19/3 du génie ; 10e dragons (2 escadrons) ; 65e R.I.T. (1 bataillon).

Renforcement d’artillerie : 246e R.A.C. (porté) ; I/306e (155 court Schneider 1917) ; II/285e (220 à tir rapide, 2 batteries).
En outre, par ordre n° 9240 du général commandant la IVe Armée, en date du 22 septembre, il est créé en raison de l’étendue du front de la division, un détachement mixte placé sous les ordres du colonel Durand et composé de : 1 régiment français (11e cuirassiers), 1 régiment américain noir (368e R.I.U.S.). Mission : flanquer l’Argonne à l’Ouest et établir la liaison avec la Ire Armée Américaine (77e D.I.U.S.). » 

SHD 26 N 494 : 1re Division de Cavalerie à Pied, annexe n°3 (« Opérations offensives exécutées par la 1re D.C.P. du 26 septembre au 10 octobre 1918 à l’Ouest de l’Argonne »)

Tel est donc le rôle qu’aura à jouer un régiment de la 92nd division, en l’occurrence le 368th infantry. Hormis le fait que l’ennemi soit sur ses gardes – comme le porte le contenu du journal des marches et opérations de la Mission Française près la 28th division, le 25 septembre, indiquant : « Un déserteur allemand fait savoir que l’ennemi est prévenu de la présence des Américains dans le secteur, s’attend à une attaque mais en ignore la date. » – ce qui transparaît dans l’énonciation de la mission du détachement du colonel Durand (le « Groupement Durand ») n’est autre que la pierre angulaire des difficultés qui s’amoncèleront durant cinq jours de combat sur une unité accumulant une série de carences : à la fois, combattre et assurer une liaison avec une unité voisine. En l’occurrence, une mission extrêmement périlleuse pour des novices, rendue pire encore par le terrain sur lequel combattre et par l’opposition à affronter. Or, dans ces combats de l’Argonne, les liaisons représentent un enjeu primordial afin que les opérations ne se fractionnent pas en un éparpillement d’escarmouches et un accroissement du risque de se perdre en forêt et d’y être encerclé et annihilé sans espoir d’être localisé et secouru. Très clairement, une telle crainte se concrétise à plusieurs reprises durant l’offensive, sur la droite du Groupement Durand, comme en atteste le journal des marches et opérations de la Mission Française près la 77th division :

« 26 septembre : à 14 heures, le 112e R.I.U.S. n’ayant pas établi de liaison avec la division, un bataillon de réserve de brigade est glissé en liaison entre la droite de la 77e D.I.U.S. et la gauche de la 28e D.I.U.S.
27 septembre : manque de liaison avec la 28e division et même avec les compagnies.
28 septembre : liaison complètement coupée à gauche, mal établie à droite.
29 septembre : par suite du manque de liaison entre la 77e et la 28e D.I.U.S., des détachements boches munis de mitrailleuses légères filtrent entre les deux divisions et jettent quelque trouble.
4 octobre : le 4e cuirassiers dans son repli a laissé filtrer des éléments ennemis qui ont réoccupé les tranchées de la Palette et de Charlevaux. Le bataillon Whittlesey du 308 perd la liaison à sa gauche et à sa droite et se trouve encerclé. »   

En outre, une circonstance aggravante existe dès la création des zones d’opérations et de leur délimitation, qui figure en toutes lettres dans le Summary of Operations in the World War de la 77th division :
« Un élément franco-américain à vocation de liaison, appelé Groupement Durand, constitué, de droite à gauche, du 368th infantry regiment de la 92nd division et du 11e cuirassiers à pied français, soutenu par l’artillerie française et sous commandement français, devait opérer à la gauche de la 77th division. La limite droite du Groupement Durand ne coïncidait pas exactement avec la limite gauche de la zone d’opération assignée à la 77th division. Un espace s’élargissant graduellement existait donc entre les deux limites, et avait une largeur d’environ 800 mètres à Binarville. »

Voilà qui permet d’établir que si des manquements – légitimes, nous le verrons – seront imputés après les opérations au 368th infantry au sujet de sa mission de liaison, les regards se sont bien moins portés sur d’éventuels manquements des éléments de liaison du flanc gauche de la 77th division avec le 368th infantry. Ceci posé, voyons à présent comment la participation du 368th infantry aux combats livrés entre le 26 et le 30 septembre 1918 a été décrite dans différentes sources originelles, autrement dit rédigées au moment de l’action ou peu après sa conclusion, en confrontant les journaux des marches et opérations français et les comptes-rendus américains rédigés par le chef de corps du 368th infantry (en italiques) :

26 septembre
« […] Plus à droite, le 368e R.I.U.S (régiment nègre) [sic] reste stationnaire devant les réseaux allemands : il est immobilisé.  
En fin de journée, la situation est la suivante :
Rive droite de l’Aisne : […] le 368e R.I.U.S. (régiment nègre) [sic] est arrêté en Argonne devant la tranchée de Damas.
Liaisons :
A droite : 368e R.I.U.S. avec 77e D.I.U.S. à hauteur la Harazée, tranchée du cimetière (Argonne). »
(1re division de cavalerie à pied, annexe n°3)

« Le 26 septembre, la mission du 2e bataillon (en première ligne) était :
(a) de maintenir le contact avec l’ennemi ;
(b) d’assurer la liaison entre le 11e cuirassiers sur sa gauche et le 305th infantry
[sic] sur sa droite.
(c) de poursuivre l’ennemi dans sa retraite ; d’envoyer de fortes patrouilles en vue de prendre et occuper les positions ennemies faiblement tenues ; de ces positions, de renouveler cette opération.
Le résultat final de l’engagement de ce bataillon le 26 a été le retrait de la moitié de son effectif sur un point situé dans nos propres lignes, et la désorganisation qui s’en est suivie des compagnies H, F et E, qui a nécessité que la majeure partie de la journée du 27 soit consacrée à la reprise en main des effectifs en vue du renouvellement de la progression sur Binarville. Aussi n’ont-ils, le 27, que sillonné un terrain perdu par eux le 26.
»
(Compte-rendu des opérations du 368th infantry du 19 septembre au 5 octobre 1918 (inclus))

27 septembre
« […] A l’extrême droite, le 368e U.S. est fixé par des mitrailleuses qu’il ne parvient pas à manœuvrer. Il est du reste impossible d’obtenir de ce régiment le moindre renseignement, le plus grand désordre règne à tous les échelons. »
(1re division de cavalerie à pied, annexe n°3)

« Le 27 septembre, la mission des 2e et 3e bataillons en première ligne était, au lever du jour, de pousser des reconnaissances sur les tranchées Clotilde et du Dromadaire, et de progresser en maintenant les liaisons à droite et à gauche.
[…] Le résultat final [pour le 2e bataillon] a été les patrouilles effectuées et la progression jusqu’à la tranchée de Finlande (par certaines fractions du bataillon seulement).
Le 3e bataillon a progressé dans sa zone d’action, immédiatement à l’Est du 2e bataillon, de sa base de départ dans une ancienne tranchée française de première ligne, afin de prendre et de tenir la Vallée Moreau et la ligne du Lager près de la tranchée Zeppelin et la route de Binarville, par ses éléments de pointe
. »
(Compte-rendu des opérations du 368th infantry du 19 septembre au 5 octobre 1918 (inclus))

28 septembre
« […] il faut absolument entraîner le 368e R.I.U.S. qui piétine sur place dans le plus complet désordre. C’est dans ce but qu’est constitué le détachement l’Hermite.
 
P.C., le 28 septembre 1918, 0 h. 50
Ordre n°4/O.P.
[…] Le groupement de la rive droite de l’Aisne, tout en fixant l’ennemi sur le front cote 140, Vallée Moreau, s’efforcera de progresser par sa droite en direction de Binarville. A cet effet, le 368e U.S. sera renforcé d’un détachement de cavalerie sous les ordres du capitaine de l’Hermite, et constitué par : 1 escadron, la section de mitrailleuses du 10e dragons. Ce détachement à la disposition du colonel commandant le 368e U.S. a pour mission de précéder en direction de Binarville le mouvement qu’effectuera le 368e R.I. et de renseigner exactement le général commandant la D.C.P. sur : la situation de l’ennemi dans la région de Binarville ; la situation des troupes amies et des points atteints par elles en fin de journée.
Le capitaine de l’Hermite se présentera avec son détachement au P.C. du colonel commandant le 368e R.I.U.S. le 28 septembre à 7 heures.

[…] En fin de journée, la situation est la suivante :
Rive droite de l’Aisne : notre infanterie borde les pentes immédiatement au Sud de la Vallée Moreau que des éléments du 11e cuirassiers ont dépassé au Nord vers la naissance du ravin en poussant leurs patrouilles vers la tranchée des Gothas ; mais à l’extrême droite, le 368e R.I.U.S. n’a réalisé aucune avance et a ainsi paralysé les efforts du 11e cuirassiers. En Argonne, la 77e D.I.U.S. est également arrêtée.

Tous les renseignements recueillis confirment donc l’opinion émise le 27 septembre : « l’ennemi est solidement installé sur la ligne d’arrêt Bois de Cernay – cote 140 – Vallée Moreau ; sa résistance est caractérisée par des îlots nombreux de mitrailleuses. »
En conséquence, le général commandant la D.C.P. décide que le front de la rive gauche de l’Aisne deviendra passif, tout l’effort sera porté sur la rive droite : à cet effet le 9e cuirassiers est porté dans la nuit du 28 au 29 vers Vienne-le-Château, dans le but de renforcer l’attaque qui sera poussée le 29 septembre en direction de Binarville pour déborder par la droite la résistance allemande. Il importe d’entraîner le 368e R.I.U.S. qui continue toujours à piétiner sur place dans la plus grande confusion. Les groupements d’infanterie et d’artillerie sont modifiés en conséquence. […]  

P.C., le 28 septembre 1918, 21 heures
Ordre Général n°5/O.P.

III. Mesures d’exécution. […] A droite : groupement du 9e cuirassiers et 368e R.I.U.S. sous les ordres du colonel Durand.
Mission : attaquer sur Binarville et ultérieurement progresser sur Autry. 9e cuirassiers à gauche, 2 bataillons successifs ; 368e R.I.U.S. à droite, 2 bataillons successifs. L’attaque sur Binarville sera préparée et exécutée aussitôt que la mise en place des troupes et l’organisation des liaisons le permettront.
IV. Réserves de D.I. 1 bataillon du 9e cuirassiers, camp de la Placardelle ; 1 bataillon du 368e R.I.U.S., Vienne-le-Château.
VIII. Prescriptions de détail pour le groupement Durand. Le bataillon Lammerville du 9e cuirassiers, qui stationne ce soir à Vienne-le-Château, sera porté en avant, dès demain, au jour, de façon à venir se mettre face à son objectif sur le front occupé actuellement par le 368e R.I.U.S. Les reconnaissances seront faites, guidées par les guides de l’escadron de l’Hermite du 10e dragons. […] Dans le but de mener l’attaque sur Binarville dans le plus bref délai, le 9e cuirassiers dépassera les éléments du 368e R.I.U.S. qu’il trouvera arrêtés dans sa zone de marche. Le 368e R.I.U.S., gardant 1 bataillon en 1re ligne à droite du 9e cuirassiers, mettra 1 bataillon en 2ème ligne vers l’ancienne 1re ligne allemande, 1 bataillon en 3ème ligne dans la vallée de la Bienne. »
(1re division de cavalerie à pied, annexe n°3)

« Le 28 septembre, le 2e bataillon a tenté une progression en ordre avec ses compagnies E, F et H (de droite à gauche) en ligne et sa compagnie G en soutien. La progression s’est faite dans les boyaux et sur la voie étroite puisque le terrain était couvert de réseaux de barbelés, chevaux de frise et abattis. Une fois encore, les officiers ont échoué à occuper le terrain conquis, et ont échoué à tenir groupées leurs compagnies et leurs sections. J’ai arrêté le flux désorganisé des hommes au moment où ils ont atteint les tranchées voisines de mon poste de commandement. »
(Compte-rendu des opérations du 368th infantry du 19 septembre au 5 octobre 1918 (inclus))

29 septembre
« […] A 18 heures, à l’Est de la route Vienne-le-Château – Binarville, le bataillon Lammerville (9e cuirassiers), qui a eu la plus grande peine à dépasser le 368e R.I.U.S., attaque la tranchée des Dromadaires en liaison sur sa gauche avec le bataillon Lahure du 11e cuirassiers, se portant sur la tranchée des Gothas. Dès l’apparition de notre infanterie, plusieurs mitrailleuses se révèlent sur tout le front d’attaque, rendant notre progression lente et difficile. Néanmoins, deux compagnies du bataillon Lammerville pénètrent dans la tranchée du Dromadaire qu’elles occupent solidement face au Nord.

En fin de journée, la situation est la suivante :
[…] Sur la gauche et la droite de la 1re D.C.P., les 71e D.I. et 77e D.I.U.S. rencontrant les mêmes difficultés, n’ont pu progresser. Néanmoins, certains indices recueillis à la tombée du jour permettent de penser que l’ennemi prépare un repli pour le 30 septembre.  
Le général commandant la D.C.P., qui a obtenu (ordre particulier n°2486/3 – 38e Corps d’Armée – 17 heures – 29 septembre) le retrait définitif du 368e R.I.U.S. (régiment nègre) [sic] va s’efforcer, le 30 septembre, d’exploiter la situation acquise le 29 au soir. Il dicte à minuit l’Ordre Général n°7/O.P. dans le but de pousser par la droite en direction de Binarville, de façon à déborder la résistance des croupes Nord de la Vallée Moreau, en liaison avec la 77e D.I.U.S., qui doit également attaquer dans l’Argonne. »
(1re division de cavalerie à pied, annexe n°3)

« Le 29 septembre s’est produite une réorganisation du secteur de la brigade, la moitié Ouest de celui-ci passant sous la responsabilité du 9e cuirassiers. »        
(Compte-rendu des opérations du 368th infantry du 19 septembre au 5 octobre 1918 (inclus))

30 septembre
« Le 30 septembre, le 1er bataillon, alors en première ligne, a progressé sur la droite du 9e cuirassiers et a maintenu la liaison avec le 308th infantry sur sa droite. Ce bataillon a atteint la ville de Binarville. C’est alors que lui est parvenu l’ordre de se retirer dans des tranchées allemandes et françaises et de s’y réorganiser en position de soutien. Cela s’est fait les 30 septembre et 1er octobre. »
(Compte-rendu des opérations du 368th infantry du 19 septembre au 5 octobre 1918 (inclus))

Les conclusions à tirer de cette confrontation des sources sont les suivantes :
- le 26 septembre : inertie du régiment, mais tout de même une liaison établie avec des éléments de la 77th division (conclusion française) ; échec de la mission d’occupation des positions conquises, et désorganisation des effectifs engagés (conclusion américaine) ;
- le 27 septembre : incapacité du régiment à manœuvrer sous le feu des mitrailleuses, et désorganisation de l’unité (conclusion française) ; gain de terrain partiel accompli surtout par des éléments de pointe (conclusion américaine) ;  
- le 28 septembre : inertie renouvelée du régiment, et qui plus est, entrave à la progression du 11e régiment de cuirassiers (conclusion française) ; échec de l’exécution de la mission fixée, échec du commandement de troupe, repli désordonné d’une partie de l’effectif (conclusion américaine) ;   
- le 29 septembre : gêne provoquée par le régiment dans la progression du 9e régiment de cuirassiers (conclusion française) ; réorganisation du secteur (conclusion américaine) ;
- le 30 septembre : le général Brécard, commandant la 1re division de cavalerie à pied, et qui a obtenu que le 368th infantry soit retiré du front, ne mentionne plus le régiment. Pourtant, ce même jour, à 14 heures 30, le 1er bataillon, sur l’initiative de son commandant craignant ne pas avoir été atteint par l’ordre d’avancer, rejoint le 9e régiment de cuirassiers qui progresse sur Binarville, et les éléments de pointe du 368th infantry atteignent un point situé à 200 mètres au Nord-est de Binarville. Il a également maintenu sa liaison avec des éléments de la 77th division sur sa droite. A 23 heures, le 1er bataillon reçoit l’ordre de se retirer, conformément aux ordres du colonel Durand, et s’exécute.

A l’issue de ces quelques journées, il est indéniable qu’une vision d’ensemble de l’engagement du 368th infantry n’a rien de satisfaisant, que ce soit pour le commandement français – pour lequel il est même devenu un embarras au milieu de ses propres troupes – ou pour le commandement américain, qui ne ménage pas ses critiques. Cependant, le plus instructif reste encore à extraire du bilan rédigé par le colonel Fred R. Brown, chef de corps du régiment, puisque c’est là que se trouvent les éléments permettant tout à la fois d’expliquer les défaillances relevées au sein de son unité, et la manière dont certains de ses officiers vont avoir à rendre des comptes à la justice militaire. Voici donc ce qu’il en a écrit, concernant la période du 19 septembre au 5 octobre 1918 (inclus) :

« (a). Profondeur de la progression : 4,5 kilomètres.

(b). Prisonniers :
26 septembre : 1 (7e compagnie, 2e bataillon, 83e régiment), capturé par le 2e bataillon du 368th infantry.
27 septembre : 9 (11e compagnie, 3e bataillon, 284e régiment d’infanterie de réserve), capturés par les membres du P.C. régimentaire sous les ordres du commandant du 368th infantry ; 1 (11e compagnie, 3e bataillon, 284e régiment d’infanterie de réserve), capturé par la compagnie E, 3e bataillon du 368th infantry.

(c). Matériel pris :
1 mitrailleuse par la compagnie F ; 1 mitrailleuse par la compagnie H ; 1 mitrailleuse par un détachement du P.C. régimentaire ; 1 mitrailleuse par le 2e bataillon.

(d). Pertes :
Tués : 1 officier, 36 hommes
Grièvement blessés : 2 officiers, 94 hommes
Légèrement blessés : 1 officier, 87 hommes
Gazés : 5 officiers, 45 hommes
Disparus : 7 hommes
Total des pertes : 9 officiers, 269 hommes

(e). Emploi des armes légères :
(1). Emploi insuffisant du fusil.
(2). Faible emploi des mitrailleuses, selon les caractéristiques du terrain. Elles se trouvaient dans chacun des bataillons, prêtes à l’emploi selon les circonstances.
(3). Les caractéristiques du terrain et les mouvements des compagnies ont entravé l’emploi des mortiers Stokes. Ils étaient en position le matin du 26 septembre, mais l’ennemi s’est avéré avoir reculé hors de leur portée. Il n’a pas été possible de les transporter sur la ligne de feu, avec leurs munitions, avant le 30 septembre. Ils ont été peu employés ce même jour.
(4). Quoique fréquemment demandés, les fusils français, tromblons, et V.B., n’ont pas été fournis aux compagnies avant le 30 septembre, et ce jour seuls 100 pour tout le régiment ont été réceptionnés, suite à une requête particulière auprès du général Hay.

(f). Aucun soutien de chars d’assaut, de gaz, ou autres spécialités.

(g). Aucune préparation d’artillerie sur notre front n’a eu lieu. Nous avons dû nous frayer un chemin en utilisant de petites et inutiles cisailles, et le peu de grandes cisailles empruntées aux Français. Là où il était impossible de couper les réseaux, les hommes ont dû les traverser ou les escalader. Le soutien d’artillerie le 28 septembre a été très faible.  

(h). Terrain. La position avait été tenue par les Français et les Allemands durant toute la guerre, et constamment améliorée. Il s’agissait d’un pays vallonné coupé de ravins et couvert des vestiges de la forêt d’Argonne, déchiquetée par quatre ans de bombardement et veinée de réseaux défensifs de toutes sortes.  
De nombreuses lignes de solides tranchées, des boyaux, des abris, des voies étroites, en faisaient l’un des points forts de la Ligne Hindenburg.  

(i). Conclusions.
Le régiment mérite les félicitations pour avoir avec succès quitté le secteur de Saint-Dié, effectué des marches de nuit avec la moitié de sa dotation animale et une carence de rations pour les hommes et les animaux par la faute de la 92nd division, ne nous ayant pas ravitaillés comme cela avait été ordonné.
Il mérite les félicitations pour avoir avec succès rempli sa mission originelle, la liaison entre le 38e Corps français et la 77th division.
Il mérite des félicitations d’ensemble pour avoir avec succès progressé aussi rapidement que les unités françaises sur notre gauche, malgré les nombreuses difficultés rencontrées.


Je suis loin d’être satisfait des actions de nombre d’officiers et hommes, du manque d’esprit agressif et du manque de volonté d’avancer et de vaincre montré par la grande majorité des officiers et des hommes.  
L’inertie qui en a résulté était trop grande, pour les officiers du 3e bataillon et pour le commandant du régiment, pour être surmontée. J’ai pris les mesures disciplinaires qui s’imposent pour délester le service des cas les plus graves, mais sans les caractéristiques de meneurs de la part d’officiers efficaces, qui ne montrent pas constamment une crainte de leur propre sécurité, il est bien plus qu’inutile d’attendre des hommes qu’ils montrent un esprit agressif et déterminé.    
J’ai demandé des officiers blancs car je savais que le nombre d’officiers de couleur compétents et disponibles était insuffisant. Des officiers de couleur compétents existent, et j’ai félicité ceux qui le méritent, mais j’ai également condamné quand cela était nécessaire. »


Les conclusions ultimes du compte-rendu du colonel Brown, si elles valent par leur équilibre en ce qu’elles soulignent la coexistence d’actes méritoires mais également de manquements au sein de son régiment, ont néanmoins un défaut : alors qu’il est indubitable que dans de si défavorables dispositions face à l’ennemi, « le roi est nu », son attention, d’abord opportunément portée sur les carences matérielles et logistiques subies par son unité, se focalise au final sur le commandement, mais décorrèle ces deux éléments. Or, ce qui a été infligé à ce régiment, et qui est une pièce majeure du puzzle au terme de la recomposition duquel des officiers vont être traduits en cour martiale, n’en est qu’une pièce supplémentaire additionnée à bien d’autres.

Sur cet extrait de canevas de tir, une partie des organisations allemandes auxquelles les hommes du 368th infantry se sont attaqués : du Sud au Nord, les tranchées de Finlande et de Courlande, la tranchée Tirpitz, la tranchée du Dromadaire.


La constitution de la 92nd division, ou comment créer le dysfonctionnement
Dans son ouvrage consacré au juriste Charles Hamilton Houston, Undoing Plessy: Charles Hamilton Houston, Race, Labor and the Law, Gordon Andrews a parfaitement décrit ce à quoi les recrues de la 92nd division ont été confrontées :
« Après leur arrivée au camp, le réveil des hommes à la réalité fut brutal. Le 368th infantry, dont Charles Houston faisait partie, et le 351st field artillery, étaient composés de soldats afro-américains. Le 368th infantry comptait des officiers noirs jusqu’au grade de capitaine, alors que le 351st field artillery n’avait que des officiers blancs, ce qui était contraire à la compréhension que se faisaient de nombreux officiers noirs du commandement en temps de guerre. Beaucoup s’étaient attendus à ce que des officiers noirs commandent des troupes noires. Ce ne devait cependant pas être le cas, et les troupes furent ségréguées à une exception près, et cette exception, d’après ce que Houston en ressentit, fut une gifle pour les soldats noirs. Les objecteurs de conscience blancs étaient hébergés avec les objecteurs de conscience noirs dans le secteur afro-américain du 368th infantry, amenant Charles Houston à observer que « l’Armée considérant les objecteurs de conscience comme des lâches et des rebuts », c’était une insulte que de les loger avec les soldats noirs. Il nota : « Je devais passer devant les baraquements des objecteurs de conscience au moins huit fois par jour, et je ne suis jamais passé là sans éprouver de ressentiment quant à l’insulte gratuite faite aux officiers noirs et aux combattants noirs ».
En outre, il n’y avait pratiquement aucun contact avec les officiers blancs, ce qui généra des dysfonctionnements dans le domaine militaire. L’affectation des officiers noirs était fondée sur leur race, dans des unités où ils n’avaient que peu, voire pas, d’entraînement, ce qui n’avait naturellement aucun sens pour lesdits officiers, en particulier Charles Houston. Selon lui, les plus instruits auraient dû être affectés dans l’artillerie en raison de l’entraînement intensif auquel ils avaient été soumis. En conséquence, les moins instruits auraient dû se retrouver dans l’infanterie. En réalité, les militaires avaient déjà établi une hiérarchie, qui était certainement fondée sur la race : les mieux instruits étaient officiers, suivis par les ouvriers qualifiés, les semi-qualifiés, puis venaient les unités de travailleurs dans lesquelles les Noirs étaient disproportionnellement majoritaires. En ironisant sur les raisons pour lesquelles la 92nd division était si mal tenue, Houston, après réflexion, déclara : « Je me demande si l’explication tient au fait que l’Armée était totalement indifférente à ce que la division de combat noire soit une réussite, ou si le haut commandement était aussi sournoisement hostile que le chef d’état-major divisionnaire, le lieutenant-colonel Greer, ou si l’Armée était juste totalement stupide, voire une combinaison des trois ».

Ce dysfonctionnement sinon programmé, du moins prévisible, a également été souligné dans A Historic Context for the African American Military Experience :
« La responsabilité de l’insuccès du 368th incombe aux chefs qui ont été incapables d’organiser, d’entraîner, de ravitailler, et de soutenir la division. Une campagne de négligence débuta très tôt dans la sélection et la formation des officiers noirs de la division. Comme l’expliqua le général Charles C. Ballou, commandant de la 92nd division, « Au lieu d’obtenir l’acier le plus pur nécessaire aux rouages de la machine, c’est du cuproplomb qui a été fourni ». L’Armée a affecté les officiers noirs sans tenir compte de leur formation ou de leur niveau d’instruction, et a ainsi bâti les fondations de l’échec. Ainsi, plus de 300 illettrés ont été retenus en vue d’affectation à un bataillon de mitrailleuses, autrement dit une unité particulièrement technique, alors que les recrues les plus instruites étaient affectées à des bataillons de travailleurs. En conséquence de telles pratiques, plus de 40% des soldats de la 92nd division étaient illettrés.
Cette « programmation de l’échec » a continué en France. Au lieu de profiter d’un entraînement intensif à la guerre de tranchée, la 92nd division a été forcée par le commandement à effectuer pour l’essentiel des missions de police. L’entraînement et la formation reçus par la suite étaient souvent vagues. Les relèves des officiers d’état-major ne faisaient qu’exacerber les problèmes d’encadrement et de moral. Quand le commandement allié donna l’ordre au bataillon d’entrer dans les rudes combats de la forêt d’Argonne, il n’était pas prêt pour cette mission. Ceci, ajouté au manque de soutien d’artillerie, de grenades à fusil, de pinces coupantes, de cartes, et même de commandement durant la bataille, ne pouvait qu’assurer un aussi piètre résultat. »

Le fait est, comme l’écrivait le colonel Brown dans ses conclusions à l’issue de l’engagement de son régiment : « Des officiers de couleur compétents existent », mais Brown déclare également avoir « demandé des officiers blancs car [sachant] que le nombre d’officiers de couleur compétents et disponibles était insuffisant. » Au regard des témoignages et des faits concernant le sujet, il est indubitable qu’ont existé conjointement aux Etats-Unis, en 1917, un désintérêt et une impéritie dans le recrutement des officiers afro-américains, mais aussi la persistance d’un climat de défiance – voire pire – de la part d’officiers blancs envers leurs subordonnés, officiers afro-américains, climat encouragé par des inégalités de traitement auquel nul terme n’a été mis. A l’issue d’une période d’instruction au combat s’étant déroulée dans les Vosges entre le 20 août et le 20 septembre, la 92nd division est dirigée vers l’Argonne, où le 368th infantry va subir son véritable baptême du feu dans une offensive d’envergure, face à un ennemi entraîné et bien retranché, sur un terrain extrêmement hostile et organisé. C’est dans ces circonstances, telles qu’elles ont été chronologiquement détaillées ci-dessus, que la recherche de « coupables » trouve son origine.

Le colonel Fred R. Brown

Les coupables : des cibles faciles
Il s’écoule peu de temps avant que ne soit enclenché le processus de recherche de « coupables » de la désorganisation des effectifs durant les combats, laquelle est indissociable de l’échec à accomplir la double mission assignée. Le commandant John N. Merrill, commandant le 1er bataillon, envoie six de ses subordonnés devant une commission d’aptitude ; le commandant Max A. Elser, commandant le 2e bataillon, en désigne 14 ; le commandant Benjamin F. Norris, commandant le 3e bataillon, en désigne 11 pour sa part. Au total, ce sont 31 officiers afro-américains qui risquent d’être démis de leurs fonctions. Mais les choses n’en restent pas là : le juge-avocat du IVe corps d’armée, le lieutenant-colonel G.V. Packer, s’arrête sur les cinq premiers noms de la liste constituée par le commandant Norris, et initie à leur encontre une comparution devant une cour martiale générale. Les accusés appartiennent au 3e bataillon, et sont le capitaine Daniel Smith (compagnie K), les lieutenants Judge Cross et Horace R. Crawford (compagnie I), les sous-lieutenants Robert W. Cheers et Robert M. Johnson (compagnie I).
Le 12 octobre, le général Ballou rédige un mémorandum à l’attention du IVe corps d’armée, dans lequel il notifie ses griefs envers les 31 officiers cités à comparaître devant une commission d’aptitude en vue de leur éventuelle destitution. En ce qui concerne Smith, Cross, Crawford, Cheers et Johnson, son avis est : « Ont mené leurs hommes dans une retraite lâche et inexcusable. Et ce à deux reprises. »  
Dans sa grande mansuétude, ce même général Ballou signera bientôt la proposition suivante :
« 1. Le mémorandum du commandant de la division, en date du 1er novembre 1918, vous informe :
1. Le commandant de la division, désirant offrir à chaque officier de la division la meilleure opportunité de montrer sa valeur, et considérant un service face à l’ennemi frappé au coin de la compétence comme étant l’épreuve suprême, présente ladite opportunité à tous ceux que cela concerne.
Si un officier est, ou a été, présenté à une commission d’aptitude, et que son cas n’a pas été statué, et s’il croit posséder les qualités de meneur qui lui permettront de se réhabiliter, et désire le faire, cet officier, après en avoir fait la demande au général commandant la 92nd division, pourra se voir offrir une opportunité de montrer ses capacités en étant affecté à une unité de combat avec pour mission particulière de faire des prisonniers. Entreprendre cette mission sera une preuve de courage ; la mener à bien sera une preuve d’efficacité et de courage. »
Une offre déroutante, et qui fera long feu…

Le 23 octobre 1918, le quartier général de la IIe Armée américaine émet l’ordre spécial n°18 : « Une cour martiale générale est convoquée au Quartier Général du IVe Corps d’Armée, secteur postal 775, Corps Expéditionnaire Américain, à 10 heures, le mercredi 23 octobre 1918, ou dès que possible après cette date, en vue de juger les personnes devant comparaître. » 

Archives W.E.B. Du Bois : https://credo.library.umass.edu/view/collection/mums312


La cour martiale, sur ordre du général Robert L. Bullard, commandant la IIe Armée américaine, comprend 13 officiers – un général, deux colonels, quatre lieutenants-colonels, six commandants – en sus d’un juge-avocat ayant le grade de commandant. La majeure partie des participants est constituée de fins connaisseurs de la chose militaire et / ou juridique :

- le Brigadier General Edward T. Donnelly, passé par Columbia University et la New York Law School, est un artilleur issu de l’Ecole d’application de la cavalerie et de l’artillerie, et a combattu durant la guerre hispano-américaine, aux Philippines, et au cours de l’expédition contre Pancho Villa.

- le colonel Edward Carpenter est Inspecteur Général du IVe corps d’armée.

- le colonel Irving J. Carr, issu du Pennsylvania Military College, a servi trois fois aux Philippines entre 1899 et 1911.

- le lieutenant-colonel Joseph V. Kuznik est un cavalier passé par les 4th, 7th et 12th cavalry entre 1907 et 1914.

- le lieutenant-colonel Mack Garr a entamé sa carrière militaire comme deuxième classe au sein du 15th infantry, et a combattu la rébellion des Boxers avant de servir aux Philippines et à Hawaï. Devenu lieutenant dans la cavalerie, il était en 1915-1916 à la frontière mexicaine avec le 6th cavalry.  

- le lieutenant-colonel Guy D. Armitage est un artilleur ayant servi dans les rangs du 121st field artillery avant de passer par une école d’état-major à compter de juillet 1918.

- le lieutenant-colonel James W. Frew a intégré la garde nationale du Wisconsin en 1899, et a été assistant du médecin-chef de la 12th division à la frontière mexicaine en 1916.

- le commandant William H. Lloyd est membre du service de santé.

- le commandant Robert F. Hyatt est un ancien élève de l’académie militaire de West Point. D’abord sous-lieutenant du 7th cavalry, en 1912, il était lieutenant au 4th field artillery en 1917, puis capitaine au 15th field artillery la même année.

- le commandant Wyatt O. Selkirk est un artilleur passé par le 127th coast artillery.

- le commandant Philip L. Schuyler est adjoint au commandant de l’infanterie du IVe corps d’armée.

- le commandant Eugene D. Millikin, passé par la Colorado Law School, puis secrétaire du gouverneur du Colorado, George A. Carlson, s’est engagé dans la garde nationale du Colorado en 1917 comme deuxième classe. Gravissant tous les échelons, promu capitaine puis commandant dans l’infanterie, diplômé de l’école d’état-major de Langres, il a servi en France dans les 42nd, 6th et 7th divisions, puis au sein du IVe corps d’armée.     

- le commandant E.M. Lubeck appartient au corps des transports.

- le commandant Nathaniel B. Barnwell, juge-avocat, a eu un brillant parcours universitaire, jalonné par la University of Virginia, l’Universität Göttingen, l’Universität Heidelberg, l’Université de Grenoble. Passé par l’Officers Training School en avril 1917, il a intégré le Judge Advocate General’s Department en août 1917, puis est devenu juge-avocat au sein de la 7th division en juillet 1918.  

Le 20 octobre, le capitaine Leroy H. Godman, du 366th infantry, a appris qu’il était désigné comme conseil des accusés près la cour martiale générale, sur ordre du général Charles C. Ballou, commandant la 92nd division. Passé par l’Ohio State University et Howard University, Godman a eu une carrière d’avocat de 10 ans, et a occupé durant 5 ans les fonctions d’assistant à l’Attorney General de l’Ohio.

Leroy H. Godman

La cour martiale générale, ainsi constituée et convoquée, s’apprête à juger Smith, Cross, Crawford, Cheers et Johnson au titre de l’article 75 des Articles du Temps de Guerre, qui stipule :

« Article 75. Inconduite devant l’ennemi : tout officier ou soldat adoptant une mauvaise conduite devant l’ennemi, prenant la fuite, ou abandonnant ou livrant un fort, un poste, un camp, une garde, ou tout autre commandement dont il a le devoir d’assurer la défense, ou incitant quiconque à y procéder, ou abandonnant ses armes ou ses munitions, ou quittant son poste ou son uniforme en vue de mise à sac ou de pillage, ou étant à l’origine d’une fausse alerte dans un camp, une garnison, un quartier, sera puni de mort ou de toute autre peine décidée par la cour martiale. »

A l’issue des séances, le capitaine Daniel Smith, les lieutenants Judge Cross et Horace R. Crawford, et le sous-lieutenant Robert W. Cheers sont reconnus coupables, et condamnés à être fusillés. Le sous-lieutenant Robert M. Johnson, pour sa part, est condamné à la destitution et à l’emprisonnement à perpétuité assorti des travaux forcés.
En février 1919 paraît dans la presse américaine l’annonce de la condamnation à mort des quatre officiers, pondérée cependant de la requête de commutation de cette condamnation en des peines d’emprisonnement de 5 à 10 ans. Fin octobre 1919, après que les dossiers ont été transmis par Newton D. Baker, secrétaire à la Guerre, au président Woodrow Wilson, ce dernier use de l’article 48 des Articles du Temps de Guerre, dont le contenu est le suivant :

« Article 48. Confirmation, lorsque requise : en sus de l’approbation requise par l’article 46, la confirmation du président est requise dans les cas suivants avant qu’une sentence de cour martiale ne soit exécutée, à savoir :
(a) Toute sentence visant un officier général ;
(b) Toute sentence pouvant aller jusqu’à la révocation d’un officier, à l’exception du temps de guerre, quand une sentence pouvant aller jusqu’à la révocation d’un officier d’un grade inférieur à celui de Brigadier General peut être exécutée après confirmation par un général commandant une armée en opération ou par un général commandant une zone d’opération ou une division ;
(c) Toute sentence pouvant aller jusqu’à la suspension ou la révocation d’un officier-élève ;
(d) Toute peine de mort, hormis dans les cas de condamnés en temps de guerre pour meurtre, viol, mutinerie, désertion, ou espionnage ; dans ces cas, la peine de mort peut être exécutée, soumise aux conditions de l’article 50 ½, après confirmation par un général commandant une armée en opération ou par un général commandant une zone d’opération ou une division ;
Lorsque l’autorité compétente pour confirmer la sentence a déjà agi en tant qu’autorité d’approbation, nulle confirmation supplémentaire de sa part n’est nécessaire. »     

Au final, les attendus et la sentence visant les condamnés à mort sont désapprouvés, et les officiers remis en liberté et renvoyés à leur corps. Malgré cette issue des plus favorables un an après la comparution de ces hommes devant une cour martiale, le venin a été instillé. Ce qui a débuté à l’automne 1918, l’opprobre jeté sur la 92nd division, n’a fait qu’enfler et durera longtemps, et masque en réalité une dissimulation organisée des véritables manquements qui ont eu lieu sur le champ de bataille. Fort heureusement, des voix se sont élevées, des hommes ont lutté, et des archives ont « parlé » pour que la vérité émerge.     
 
Les véritables responsables et leur dissimulation

Le 3 octobre 1918, le commandant John N. Merrill, commandant le 1er bataillon du 368th infantry, prend la plume :
« Suite à votre requête, je vous soumets ici mes avis et observations sur le bataillon durant la période du 26 au 30 septembre. Les avis par moi exprimés sont totalement dénués de préjugés et visent à la bonne marche du service, c’est ainsi que je les conçois. Je me dois d’affirmer que les officiers dont les noms suivent méritent toute considération, en ce qu’ils ont fait au mieux de leurs capacités : les capitaines Atwood, Stafford, Marchbanks, Reynolds, les lieutenants Lee, Barnes, Roper, Diggs. Cependant, même leurs actes ne sauraient justifier qu’ils conservent un commandement de troupes au combat.
Dans l’après-midi du 30 septembre, nous avons entamé une progression à partir de la tranchée Tirpitz en direction de Binarville, où nous sommes entrés à 16 heures environ ce même jour ; à chaque fois que nous avons dû faire halte, sous un feu pourtant léger, j’ai de ma personne, et souvent sous la menace de mon arme, porté le bataillon en avant. Sans ma présence, ou celle de tout autre officier blanc sur la ligne de feu, j’assure que pas un officier noir n’aurait avancé avec ses hommes. La lâcheté dont ces hommes ont fait montre était abjecte. Lorsque j’étais en leur présence, les officiers ne couraient pas, mais relayaient les ordres et l’avance débutait, mais dès que j’étais hors de portée de voix de ces mêmes officiers et de leurs hommes, la progression s’arrêtait…
Je crains d’avoir à progresser sous un feu violent tout en m’attendant à ce qu’un bataillon de couleur commandé par des officiers blancs me suive. Quelques braves sous-officiers, quelques braves officiers, et un petit groupe d’hommes s’exécuteraient, mais le bataillon au complet, jamais. Ce n’est assurément pas par manque d’un entraînement et d’une formation poussés que le bataillon a agi comme il l’a fait. L’esprit combatif n’existe pas chez ces hommes, ce sont de parfaits lâches, il n’y a pas d’autre mot. »       

Le commandant Max A. Elser, commandant le 2e bataillon, écrit pour sa part :
« Les résultats obtenus lors de l’emploi de ce bataillon en Argonne sont purement et simplement honteux. La progression des compagnies sous le commandement de leurs propres officiers était impossible. Le capitaine J.W. Jones et le lieutenant Anderson ont seuls réussi la progression ordonnée, et avec un fragment de leurs compagnies uniquement. Les soldats de couleur ne font pas confiance à leurs officiers. »

Des avis aussi tranchés auraient pu rester dans l’ombre, mais la campagne de dénigrement de la 92nd division, en 1919, prend un tel tour que ces officiers vont bientôt entrer dans la lumière. En février et avril 1919, le Cleveland Advocate publie une série d’articles de Ralph W. Tyler qui soulignent les responsabilités des trois chefs de bataillon :
« 8 février 1919
Tyler dit tout afin de défendre les officiers condamnés

Le correspondant de guerre raconte l’histoire telle qu’il l’a glanée en France : comment le commandant blanc du 368th a battu en retraite.
Les officiers de couleur laissés sans grenades à main ni munitions au combat ont reçu l’ordre de se retirer devant des Boches en nombre supérieur.


Il s’avère que quatre officiers de couleur servant outremer avec nos troupes, en France, ont été accusés de lâcheté, reconnus coupables et condamnés à être exécutés. J’ignore tout des preuves présentées lors de leur procès, puisque les cours martiales en France se déroulent à huis clos. Ce que je sais, en revanche, est que l’avis dominant parmi les officiers de couleur en France était qu’une accusation retenue contre eux constituait une reconnaissance de culpabilité avant même un procès préparé par une commission de purgation composée d’officiers blancs.
Je ne crois pas que ces officiers doivent être condamnés à une peine de prison avant que tous les participants à ce combat – qu’ils soient officiers ou hommes du rang – à l’issue duquel des accusations de lâcheté ont été portées contre les quatre officiers de couleur, aient eu l’occasion d’être entendus.
L’engagement de Vienne-le-Château, le 26 septembre, auquel le 2e bataillon du 368th infantry a participé, et au terme duquel les accusations de lâcheté ont été portées contre certains officiers, est la seule tache sur l’écusson des troupes de couleur en France, et jusqu’à ce que toute preuve exploitable puisse être obtenue, je répugnerai à croire qu’il y a là une tache.

Pour entamer cette histoire, permettez-moi d’indiquer que le 368th infantry, qui a quitté le Camp Meade au printemps dernier, bouillait d’attente, de loyauté et de patriotisme, lesquels, selon ce que j’en ai appris, ont été à ce point découragés que cela aurait anéanti le moral de n’importe quelle unité dès son embarquement pour la France, afin d’y combattre pour la « démocratie dans le monde », sur un transport de troupes sur lequel ces hommes ont été immédiatement discriminés, voyant leurs mouvements restreints à certains ponts et privés des privilèges des réfectoires. La ségrégation sur un navire en chemin vers la lutte pour assurer la démocratie dans le monde !
Le 368th infantry a été la première unité de la 92nd division à être jetée dans un engagement, ce qui eut lieu à Vienne-le-Château. Le rôle du 2e bataillon dans cet engagement était d’établir la liaison entre les Américains sur la droite et les Français sur la gauche. Il était commandé par un officier blanc, le commandant Max Elser. Tel que cela m’a été rapporté, le bataillon est entré en action – pour ne pas dire en a tenté la périlleuse mission – sans être soutenu par l’artillerie ou les mitrailleuses, sans cartes, sans grenades à main, sans munitions en quantités suffisantes. Le commandant était introuvable durant le combat. Deux des capitaines de couleur, après être sortis de la tranchée de départ et s’être trouvés face à un nid de mitrailleuses, sont revenus sur leurs pas, ont demandé du soutien, et obtenu celui du 3e bataillon. Cependant, ils n’ont pu entrer en contact avec leur commandant, qui s’était retiré, le combat s’est durci quelque part en arrière, empêchant ainsi les commandants de compagnie de le contacter pour s’assurer des ordres.
Sans soutien, face à un ennemi grandement supérieur en nombre, sans munitions suffisantes, sans soutien d’artillerie ni grenades, la seule chose que ces hommes puissent faire était de retraiter ou d’être anéantis. Certains, incapables d’entrer en contact avec leur commandant, ont choisi la première option, ce qui a eu pour conséquence, une fois l’échec constaté, que ce commandant a accusé les officiers de couleur de lâcheté et d’incompétence, et la commission de purgation a fait le reste.
Il m’a été dit que le 3e bataillon avait pratiquement progressé de trois kilomètres quand il a été coupé de ses bases par l’ennemi, et obligé à rester dans des abris allemands.
Quelques jours après l’infructueuse tentative des deux bataillons d’assurer la liaison, le commandant qui assurait le commandement a pourtant été promu lieutenant-colonel et a obtenu le commandement d’un régiment noir. Sa récompense a été une promotion ; la récompense des officiers de couleur a été une accusation de lâcheté et d’incompétence.
Il semble que nul officier compétent n’engagerait un effectif au combat sans aucune préparation, et si l’urgence était telle qu’il y soit obligé, du moins resterait-il en un lieu où il puisse être contacté, et il n’accuserait personne de lâcheté et d’incompétence en cas d’échec.
La vie d’un homme, une fois ôtée, ne peut lui être rendue. C’est pour cette raison que tout homme confronté à la peine de mort devrait disposer de tous les moyens possibles pour faire valoir son innocence. L’ensemble des effectifs, tous grades confondus, des deux bataillons de l’engagement de Vienne-le-Château devrait avoir l’occasion de témoigner malgré le caractère de huis clos de cette affaire.

Maintenant que l’armistice a été signé et que les combats ont cessé, que ces officiers ont été jugés et condamnés par une commission de purgation, et que leur destin est dans la balance, je puis être excusé d’avoir révélé ce que j’ai glané. Dans le tirage de la semaine prochaine, je citerai d’autres éléments m’ayant été rapportés au sujet du triste combat qui a mené à l’accusation, au jugement et à la condamnation pour lâcheté et incompétence de plusieurs officiers. Leur vie, leur réputation, sont précieuses pour eux et pour leurs familles. S’ils sont effectivement coupables, et ce sans l’ombre d’un doute, notre race ne pourra se plaindre que leur peine soit exécutée. Mais uniquement s’ils sont coupables. »

« 15 février 1919
Tyler révèle d’autres maladresses de certains officiers

Le second article de la défense des officiers condamnés relate les incidents liés au commandement inadéquat de troupes de couleur par des officiers blancs.

Dans mon article de la semaine passée consacré à l’engagement, en septembre dernier, auquel une partie du 368th infantry (noir) a participé, et qui a généré des accusations de lâcheté et d’incompétence à l’encontre de certains officiers de terrain noirs, j’ai déclaré qu’aucun de ces hommes ne devrait voir sa peine exécutée avant que chaque participant à ce combat, quel que soit son grade, ait été entendu et ait témoigné. Je maintiens cet avis, même si la peine de mort visant ces quatre officiers a été commuée en de longues peines de prison.  
Les officiers de couleur n’ont jamais bénéficié d’un traitement équitable en France, et la guerre maintenant achevée, le refus de leur accorder un traitement équitable étant rendu prégnant par leur citation dans les Ordres Généraux, ils ne devraient pas être les boucs émissaires d’officiers blancs incompétents, pas plus qu’ils ne devraient être les victimes de préjugés raciaux qui ont été des plus visibles dans notre armée en France.

Poursuivant l’évocation des preuves que j’ai recueillies durant mon séjour en France, je vais à présent relater l’expérience d’un officier de terrain de couleur qui compte parmi ceux accusés d’incompétence, laquelle découlait d’un manque d’instructions idoines et d’un appui hiérarchique. Le 24 septembre, en route pour l’Argonne, ce sanglant sépulcre de tant de nos braves, un commandant de compagnie demanda son affectation à son effectif. Le 25 septembre, commandant la 4e section de cette compagnie du 368th, il partit occuper une position. La section comptait 48 hommes, 16 d’entre eux étant des renforts récents, cinq de ceux-ci n’ayant jamais tiré un coup de fusil. Le point d’appui occupé par la section l’avait été par l’ennemi durant trois ans, et était constitué d’un poste d’écoute et d’un poste d’observation à environ 400 mètres en avant du poste de commandement du commandant de section. Tard dans l’après-midi du 25, cet officier de terrain de couleur fut convoqué au P.C. et informé qu’il devrait monter à l’assaut le lendemain matin à l’heure H. Ne lui furent donnés aucune directive, aucun ordre d’attaque, aucune carte ; l’ordre ne consistait qu’en ceci : « Vous pousserez devant vous. Des ordres seront émis et vous seront transmis ultérieurement. » De retour à son poste de commandement, cet officier de couleur, accusé plus tard d’incompétence, informa ses hommes de ce qui se préparait puis, escorté de quelques-uns, partit inspecter les réseaux de barbelés afin de trouver le meilleur point de sortie de la tranchée de départ. A son retour, il attendit les ordres promis.
Vers 4 heures, le 26 septembre, un mémo ne portant nulle signature lui fut amené, annonçant l’heure H. Des coureurs furent immédiatement envoyés en quête des ordres d’attaque, d’instructions complémentaires, et d’une désignation d’objectif, mais rien ne lui parvint. L’heure H ayant été fixée à 5 heures 25, il savait qu’il n’y avait pas de temps à perdre, et annonça l’heure à ses hommes, ne souhaitant pas les informer de l’absence d’ordres complémentaires ; il désigna comme premier objectif la première ligne ennemie, vraisemblablement à 200 mètres face à sa position (il tenait ce renseignement d’un Français à qui il devait faire confiance en l’absence de renseignements provenant de son propre commandement). Il annonça qu’il entrerait en contact avec le P.C. de compagnie avant de progresser, toute action subséquente devant être déterminée par les ordres reçus dudit P.C.
La matinée du 26 était particulièrement brumeuse. Cet officier de couleur et ses hommes franchirent le parapet et pénétrèrent sans encombre dans la première ligne ennemie. Des coups de feu furent entendus, des traces fraîches furent découvertes dans les tranchées, ainsi que des grenades, mais aucun soldat n’y fut trouvé. Permettez-moi ici une digression qui en dit long sur le cran d’un de ces soldats, un deuxième classe. Quand les hommes franchirent le parapet, le fusil de ce soldat tira accidentellement, et le coup de feu lui emporta un doigt. Des premiers secours lui furent donnés, et il reçut l’ordre de partir vers l’arrière. Malgré sa blessure, il supplia de rester avec les autres, déclarant : « S’ils apprennent ça, ils vont me prendre pour un trouillard, et je n’en suis pas un. Je peux au moins porter des grenades. »
Cet officier de couleur à la tête de la section d’assaut rédigea un rapport circonstancié à l’adresse du P.C., qui faisait état de son incapacité à établir une liaison avec les troupes situées à sa droite et à sa gauche. Des ordres lui furent adressés, lui intimant d’occuper ses anciennes positions et d’envoyer des patrouilles devant son front, ce qu’il fit, et il établit une nouvelle position pour la nuit. Le lendemain, il apprit que la raison pour laquelle il ne pouvait assurer de liaisons était la trop grande distance entre sa section et les sections voisines : un coude formé dans les tranchées empêchait que sa section puisse être alignée avec les autres dans l’axe de progression. Quand il découvrit que la section d’assaut de droite avait piqué vers le centre, et que la section d’assaut du centre s’était déportée sur la droite sans le savoir, l’impossibilité d’assurer la liaison devint apparente. Le bataillon avait poussé droit devant, les compagnies E, F et H étant en ligne. Il nous a été rapporté que c’est à ce moment que le commandant, voyant le danger, ordonna la retraite. C’est pendant ce mouvement de retraite que les troupes furent visées par des avions ennemis, et que nombre d’hommes durent passer la nuit dans le No Man’s Land.
Particulièrement démoralisées par des ordres inadéquats, la supériorité numérique ennemie, et croyant qu’une erreur avait été commise, la majeure partie des troupes était à nouveau en ligne le matin suivant, le 27 septembre. Vers 9 heures 30 fut reçu l’ordre d’évacuer la position et de ramener la section au P.C. Ce faisant, l’officier reçut l’ordre de pousser devant lui aussi loin que possible, et amené à comprendre qu’il était « censé » relever le poste avancé de la compagnie E, qui avait dû être installé la nuit précédente. Par la suite, conscient du dénuement dans lequel une section pouvait se trouver en ce point, il demanda des ordres pouvant l’éclairer sur un potentiel détachement de cette section pour la nuit, afin d’organiser le terrain en conséquence si tel était le cas. A la tombée de la nuit, le capitaine accompagné du reste de la compagnie fit son apparition. Après avoir inspecté le terrain et pris connaissance des comptes-rendus, il fut décidé de retirer toutes les troupes vers la position de départ. Tous les hommes furent gazés en procédant à ce retrait. Cette nuit du 27 septembre, vers 20 heures, il fut conseillé à cet officier de ramener ses hommes au point d’appui évacué tôt le matin. Vers 4 heures, le 28 septembre, un messager lui remit un ordre lui intimant de se présenter au P.C. régimentaire avec sa section : la compagnie allait faire mouvement, et il lui serait dit où aller. En quittant le secteur, sa section fut sévèrement bombardée pendant près de 20 minutes, alors que les hommes percevaient une boîte de bœuf et des biscuits. Pendant cette attente, un faux ordre fut reçu, qui sema la panique parmi les hommes. S’emparant d’un fusil automatique, cet officier bloqua la sortie de la tranchée que les hommes commençaient à escalader, et un autre officier de couleur les repoussa, le pistolet à la main, et rétablit l’ordre.
La marche reprit en direction de la compagnie K, afin d’y trouver du soutien, mais l’opposition était trop forte et la section était privée de grenades, ne disposant que de fusils et de baïonnettes. Une position fortifiée ennemie était là. Les mortiers Stokes furent demandés, puis les canons de 37. Les 37 arrivèrent, mais furent renvoyés vers l’arrière par un officier français attaché au P.C. régimentaire. Alors les mitrailleuses arrivèrent en soutien, et placées de telle sorte qu’elles puissent potentiellement soutenir la progression des troupes de couleur, mais le chef d’état-major arriva et ordonna qu’elles soient ramenées à l’arrière, laissant alors les troupes de couleur à la merci des tireurs d’élite et des mitrailleuses, lesquelles se déchaînaient sur les unités d’assaut, puis sur les flancs, avant qu’un barrage de grenades ne soit déployé par l’ennemi. L’officier de terrain de couleur qui fut accusé d’incompétence après avoir été jeté dans un engagement sans ordres spécifiques et sans équipement approprié, était également resté sans nourriture, à l’exception de quelques biscuits, durant plus de 24 heures. Cet officier de couleur, comme bien d’autres qui avaient progressé et combattu dans les pires difficultés, sans ordre, sans équipement et sans soutien, fut après l’armistice expédié à Blois, et une commission de purgation ordonna son renvoi pour incompétence et sans certificat de bonne conduite. »

« 19 avril 1919
De nouvelles révélations sur le traitement réservé à la 92nd division en France


Il est malheureux que la 92nd division ait dû embarquer pour la France sous les ordres d’un commandant de division, le Major General C.C. Ballou, qui avait auparavant émis une note informant carrément ses hommes que « ce que l’homme blanc a fait, il peut le défaire ». Il est malheureux qu’elle ait dû embarquer pour la France et s’y trouver sous les ordres d’un chef d’état-major, le colonel Allen J. Greer, qui était indéniablement l’un des hommes portant le plus de préjugés dans l’Armée américaine, un homme habité par l’obsession de l’infériorité de l’homme de couleur. Malgré ces deux handicaps, à l’origine de bien d’autres, la division, ses officiers et ses soldats, ont conservé leur moral jusqu’au bout, face à des contraintes qui auraient sapé le moral de n’importe quelle autre unité. Pendant qu’a duré son séjour outremer, de nombreuses situations ont révélé sans l’ombre d’un doute que les préjugés raciaux et leurs tensions induites avaient infiltré les pensées et les actes d’une majorité des officiers blancs aux plus hauts échelons de la division. Il est cependant à noter que quelques-uns, en faible nombre, ont fait montre de dispositions à traiter justement et équitablement le soldat de couleur, en dépit des exemples montrés par d’autres. Parmi ces rares officiers se trouvaient le Brigadier General M.H. Barnum, commandant la 183rd brigade, et le Brigadier General Sherburne, commandant la 167th field artillery brigade : il ne se trouve pas deux hommes qui aient plus dignement porté l’uniforme d’officier.         
Des comptes-rendus, des mots, des actes, nous enseignent que les préjugés raciaux les plus forts se sont manifestés de la part de commandants de bataillons et d’officiers subalternes blancs affectés à la division. Un exemple en est donné par une lettre adressée par la voie hiérarchique au général commandant la division par le commandant J.H. Merrill, commandant le 1er bataillon du 368th infantry. Cette lettre verbatim est la suivante :
« C’est un fait établi par les anthropologues : les mensurations du crâne, et les angles du visage des Noirs sur les représentations millénaires des monuments égyptiens sont identiques aux mensurations des Noirs américains du temps présent. C’est également l’avis exprimé par les experts : la race noire en ce qui concerne les caractéristiques crâniennes et les capacités, a atteint un stade qu’elle ne pourra dépasser, et ne peut s’améliorer sans l’adjonction de sang blanc. »
Tout commentaire est superflu concernant ce type d’expression proférée par un homme ayant entre ses mains la destinée des hommes sous ses ordres. C’est sous le commandement d’un homme nourrissant de tels préjugés que des hommes de couleur ont été envoyés servir en France pour y défendre la démocratie dans le monde.

Un autre porteur de profonds préjugés au sein de la 92nd division était le chef d’état-major, le colonel Allen J. Greer, natif de Memphis, dans le Tennessee, un homme qui avait nourri sa mission de tous les préjugés et toute la discrimination possibles. Il semble qu’il se soit fait un devoir d’entraver autant que possible – et c’était généralement possible – la promotion de tout officier de couleur quel que soit son degré de compétence. Quand le colonel Allen J. Greer sera sous les projecteurs, et la manière avec laquelle il a discrédité les hommes de couleur, nombre d’entre eux étant ses pairs, il sera époustouflant de constater comment la 92nd division a pu si stoïquement endurer l’odieux traitement que le colonel Greer lui a infligé. Pour éclairer les non-initiés, le chef d’état-major est généralement l’homme qui conduit une division. Il est fort probable qu’avec un autre type d’homme comme chef d’état-major – un homme qui ne passe pas son temps à veiller afin d’étudier comment contourner la louable ambition d’une race et imposer les plus déprimantes restrictions – le Major General Ballou aurait pu se révéler un autre genre de chef. Dans certains régiments de la 92nd division ont été faites de nombreuses recommandations en vue de promotion de lieutenants au grade de capitaine, et de sous-lieutenants au grade de lieutenant, mais peu ont abouti pour des officiers de couleur ; en revanche, tout lieutenant ou sous-lieutenant blanc présent à la division depuis trois mois était promu. Un cas d’injustice prouvant que ce que j’ai toujours pensé était vrai, c’est-à-dire que l’officier de couleur n’avait pas droit à un traitement équitable : à l’arrivée à Sainte-Menehould, où devait s’établir le Q.G. divisionnaire en provenance d’un autre secteur, l’on découvrit que les unités de commandement, avec lesquelles se trouvaient les officiers de couleur, n’étaient pas arrivées. L’unique hôtel de la ville refusa de servir des officiers de couleur sur la recommandation d’un officier blanc de la division. Une cuisine fut mise en place par le commandant J. White – un officier blanc – pour les officiers subalternes et les officiers autres que ceux de l’état-major, lesquels recevaient leurs repas ainsi que les officiers du Q.G. Plutôt que de se trouver en conflit avec quelque officier blanc que ce soit, les officiers de couleur profitèrent des repas de la cantine, à part. Le fait découvert par le commandant White – qui devint plus tard médecin divisionnaire – il ordonna aux cuisiniers de refuser de servir les officiers de couleur, ce qui eut lieu au service suivant, obligeant ainsi les officiers de couleur à se priver de souper ce soir-là. Fort heureusement pour ces officiers de couleur, les unités de commandement arrivèrent le lendemain et ils purent reprendre leurs habitudes de repas telles qu’elles étaient auparavant.

Tous les résultats positifs obtenus au sein de la 92nd division, en ce qui concerne des officiers et soldats de couleur, l’ont été après avoir affronté les épreuves les plus décourageantes. Aucune reconnaissance pour une bonne action, aucun encouragement émis par un officier blanc – si ce n’est dans les rares cas mentionnés ci-dessus – mais la moindre erreur appelait une condamnation sans appel, et à la moindre occasion la remarque : « Les officiers de couleur sont des ratés ». En conséquence, au moment du remplacement du Major General Ballou, il n’y eut qu’une obéissante loyauté envers le pays, un remarquable optimisme et une stoïque indifférence à la discrimination pour maintenir entier le moral des hommes.
La seule parole d’encouragement, d’éloge, reçue le fut quelques jours avant la poussée finale vers Metz, à un moment, pense-t-on, où le Major General Ballou prit conscience « qu’un jeunot est parmi nous, qui prend des notes ». C’est alors que le commandant de la division émit un ordre louant la division pour avoir expulsé les Allemands du secteur de Marbache.  L’éloge était si tardif que personne ne l’honora ou le remercia pour si peu. A un moment donné, il y eut jusqu’à 60 officiers de couleur accusés d’incompétence : une accusation qui, quasi invariablement, portait en soi une condamnation sous-tendue par un préjugé racial et par un désir de débarrasser la division d’officiers de couleur, comme cela avait eu lieu précédemment avec le 372nd. Ce serait travestir la vérité que de prétendre que parmi ces officiers ne se trouvait nul incompétent, mais cependant, en règle générale, l’étalon de la compétence était la couleur de la peau. Il a été rapporté en de nombreuses occasions que le commandant Lawrence, médecin du 368th infantry, traitait les malades et les blessés de l’unité avec cruauté et inhumanité. Un point fut même atteint où des officiers menacèrent de préférer des accusations de cruauté, et d’en subir les conséquences. Des comptes-rendus, de toute évidence, révèlent que des officiers de terrain blancs, à de rares exceptions près, s’efforçaient de faire tout leur possible pour provoquer l’échec – attendu – des officiers de couleur, ce qui revenait à fermer la porte aux espoirs d’excellents hommes de couleur de l’effectif. Il a été rapporté qu’une déclaration faite par le Brigadier General W.H. Hay, devenu ensuite Major General, suggère qu’il existait une volonté de faire échouer les officiers de couleur, cette déclaration ayant apparemment été la suivante : « Je suis avec des soldats de couleur depuis 25 ans, il n’y a jamais eu de meilleurs soldats, mais pas un fichu officier de couleur ». Comment le général Hay avait-il pu aboutir à cette conclusion que tout homme peut faire de son mieux – même un soldat – quand l’avenue de son ambition est bloquée ? Tout est dit. »
   
Le nom du chef d’état-major de la 92nd division, déjà de triste réputation, revient défrayer la chronique en mai 1919, quand le magazine de la National Association for the Advancement of Colored People, The Crisis, publie une lettre adressée par celui-ci – le colonel Allen J. Greer – au sénateur du Tennessee Kenneth D. McKellar, lettre qui sera bientôt reprise dans la presse sous le titre « Des troupes noires accusées de vile lâcheté » :
« Quartier général, IVe Corps d’Armée, Corps Expéditionnaire Américain, 6 décembre 1918

Mon cher sénateur, maintenant qu’une réorganisation de l’armée se profile et qu’il a été demandé à tous les officiers à titre provisoire s’ils désirent rester dans l’armée régulière, je crois devoir porter à votre attention une question d’une importance vitale non seulement d’un point de vue militaire, mais d’un point de vue concernant tous les Sudistes, c’est-à-dire la question des officiers noirs et des troupes noires.
J’ai été chef d’état-major de la 92nd division (noire) depuis sa mise sur pied, et resterai à ce poste jusqu’à son départ pour les Etats-Unis, quand je partirai pour le VIe Corps en tant que chef des opérations. Mes fonctions ont été telles que je puis m’exprimer en toute connaissance du sujet, et ce que j’ai à dire est fondé sur des faits que je connais parfaitement, et non sur des renseignements de seconde main.
Tout d’abord, tous les commandants de compagnie d’infanterie, de mitrailleurs et du génie étaient noirs, comme c’était le cas pour la plupart des lieutenants d’artillerie et pour les médecins. Peu à peu, leur incompétence devenant indéniable, ils ont été remplacés par des officiers blancs. Ils sont restés dans l’infanterie jusqu’à la fin et, à quelques exceptions près, chez les mitrailleurs.
Les résultats obtenus par la division ne seront certainement jamais totalement dévoilés, mais les faits bruts sont les suivants : nous sommes arrivés en France en juin, avons passé sept semaines dans une zone d’entraînement en lieu et place des quatre généralement allouées, puis avons occupé un secteur calme du front. De là, nous sommes partis pour l’Argonne et au cours de l’offensive entamée le 26 septembre, avons eu un régiment en ligne, attaché au 38e Corps d’Armée français. Il a échoué dans toutes ses missions, s’est effondré et s’est replié, jusqu’à ce qu’il soit retiré. Trente officiers de ce seul régiment ont été signalés pour leur lâcheté ou leur incapacité à empêcher leurs hommes de fuir – devant une faible opposition d’ailleurs. Les Français et nos officiers blancs ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour y remédier, mais il n’y avait rien à y faire.
Nous avons ensuite été retirés dans un secteur défensif où nous sommes restés jusqu’à l’armistice, et y avons eu quelques engagements contre un ennemi dénué d’intentions offensives.
Pendant tout ce temps, en incluant celui passé en Amérique, nous avons connu une trentaine de cas de viol, dont un à l’occasion duquel vingt-deux hommes du Camp Grant ont violé une femme, et nous avons connu huit cas (je crois) en France, et une quinzaine de tentatives. Se sont également produits de nombreux cas d’automutilation, dont un par un capitaine.
Ont eu lieu de nombreux tirs accidentels, plusieurs meurtres, plusieurs cas de tirs fratricides entre patrouilles ou sentinelles. Et dans le même temps, le maintien de la discipline et la fermeté de l’entraînement ont été tels que bien des officiers passant dans notre zone y éprouvaient de meilleurs signes extérieurs de discipline que dans d’autres divisions. Ils saluaient de manière pointilleuse, leur tenue était excellente. Ils apportaient du soin à s’occuper de leurs animaux et à entretenir leur équipement. Le général Bullard, commandant la IIe Armée, me demanda mon avis et je lui répondis qu’ils pouvaient tout faire, sauf se battre.
Pendant tout le temps de notre engagement, pas une seule opération n’a été dirigée par un officier noir dont le compte-rendu n’ait dû ensuite faire l’objet d’une enquête de la part d’un officier blanc dans le but de savoir quels étaient réellement les faits. L’acuité et la capacité à décrire les faits leur fait totalement défaut, et ce sont en outre des menteurs dans leur grande majorité.
Ce qui précède ne vise qu’à vous donner un aperçu des faits. Si des démarches devaient être faites pour conserver des officiers noirs, ou des troupes noires d’ailleurs, le devenir de cette division serait en péril, et tous les officiers de terrain de la 92nd division devraient être convoqués devant une commission pour y faire part de leur expérience et y donner leur avis. Leurs déclarations, fondées sur une année d’expérience, auraient certainement du poids, et tous pensent la même chose, avec quelques variations à la marge.
Avec mes salutations respectueuses,
Allen J. Greer,
Colonel, état-major général, Etats-Unis »            

La violente charge de Greer – lequel fait montre d’un intérêt étrangement soutenu pour des affaires de droit commun sans aucun rapport avec l’offensive de « Meuse-Argonne », et sur lesquelles il s’épanche – ne manque pas de susciter des réactions qu’il devait souhaiter, mais qui vont au final permettre de générer une mobilisation amenant à terme la manifestation de la vérité sur ce qui s’est réellement produit fin septembre 1918 entre Vienne-le-Château et Binarville.   
Une semaine après la parution de la lettre de Greer dans The Crisis sont publiées des délibérations de la commission d’examen des candidatures à la titularisation rendues au Camp Meade, en février 1919. Trente candidatures émanant du 368th infantry ont été rejetées, y compris celle du capitaine Thomas M. Dent, dont les notes d’aptitudes athlétique et intellectuelle, d’aptitude au commandement, et de personnalité, ont été délibérément « ajustées » afin que le total des points obtenus par lui soit inférieur au minimum requis pour se voir délivrer une recommandation automatique à une titularisation.
Le 6 mai, Walter Loving, membre afro-américain du renseignement militaire, et qui à ce titre s’est informé auprès de la 92nd division, écrit au général Marlborough Churchill, commandant le service, qu’un homme tel que le colonel Allen J. Greer n’aurait jamais dû être affecté à la 92nd division, et que le moral des soldats afro-américains, connus pour être de bons combattants, a été sapé par des officiers blancs. Enfin, selon lui, Greer devrait être traduit en cour martiale pour sa lettre adressée au sénateur McKellar, alors que le général Charles C. Ballou, pour sa part, manquait « du tact et du jugement normalement attendus d’un officier de haut rang ».
Le 8 juin, une organisation d’anciens combattants afro-américains, la League for Democracy, tient une réunion de grande ampleur au Howard Theater de Washington, au cours de laquelle des appels à une action contre Greer sont lancés. Le surlendemain, Newton D. Baker reçoit une délégation de sept anciens officiers de la 92nd division, des responsables locaux de la League for Democracy, deux journalistes et un responsable de la Y.M.C.A. (tous trois afro-américains) ayant travaillé en France. Ce collectif tombe d’accord : Greer doit être traduit en cour martiale pour une « conduite portant préjudice à l’ordre et à la discipline militaires, pour tentative d’influer sur le règlement et assistance à l’ennemi ». Pour cause d’un imbroglio concernant la publication de la lettre de Greer, leur souhait n’aura pas de suites. Qu’importe, la vérité est en marche… Le 15 juin, lors d’une réunion de la branche washingtonienne de la League for Democracy, l’un des principaux orateurs déclare : « Nous n’avons rien contre Greer, nous en avons contre ce que Greer représente ».

Face à cette situation se déroule en août et septembre 1919 une enquête menée par un inspecteur général, le colonel Tyree R. Rivers, qui interroge les principaux protagonistes du 368th infantry ayant pris part à l’offensive de septembre 1918. Pour ce qui relève des conditions de combat, le colonel Fred R. Brown témoigne :
« Traverser le réseau boche était une tâche terrible. Je n’ai jamais rien vu de semblable. Il y avait deux ou trois kilomètres d’une épaisse jungle de barbelés français et allemands dans le no man’s land et à travers les tranchées allemandes, qu’ils avaient organisées durant quatre ans, et tout le pays – à l’exception des boyaux et des tranchées – était couvert de cette masse de barbelés et de broussailles nouvelles. Ces broussailles avaient poussé au milieu des barbelés, et l’ensemble était impénétrable. »
Puis viennent les questionnements sur le rôle des chefs de bataillon, à savoir les commandants Merrill, Elser et Norris.
Le commandant John N. Merrill, engagé volontaire en 1899, est un ancien élève de West Point, dont il a démissionné ; il a été, avant la guerre, conseiller militaire en Perse et en Inde. Nous avons déjà cité certaines de ses déclarations, qui ne laissent planer aucun doute sur le regard qu’il porte sur ses subordonnés afro-américains, quel que soit leur grade. Esprit pour le moins indépendant, il ne s’embarrasse pas forcément des ordres reçus, ou d’avoir à attendre de les recevoir : le 30 septembre 1918, ayant pour mission de tenir la tranchée Tirpitz et de s’en tenir à en faire partir des patrouilles au-delà, il fait délibérément mouvement sur Binarville, déclarant par message au colonel Brown, « je ne vais pas rester inutilement assis ici plus longtemps, ordres ou pas ordres. »
Le commandant Max A. Elser est lui aussi un ancien élève de West Point, et a servi dans plusieurs régiments d’infanterie avant d’assurer un commandement au sein des Philippines Scouts en 1917. Interrogé sur un point crucial, c
est-à-dire l’émission et la réception de messages délivrés par coureurs durant l’offensive, Elser affirme :      « Les messages des compagnies F et G ont abouti à mon poste de commandement initial. Mes officiers de liaison, par une erreur de manipulation des messages, ou en n’étant pas informés de ceux-ci, ont perdu le contact avec moi ; j’ignore comment cela s’est produit, mais ces messages ne m’ont pas été transmis. » Quant à son rôle le 28 septembre 1918, il déclare que pendant l’après-midi, les compagnies sont restées groupées face à la tranchée de Finlande, et « en les empêchant de se séparer et de se joindre à ceux qui quittaient la position », il a tenté de maintenir ces compagnies sur place dans l’idée d’effectuer le mouvement ordonné, mais a découvert que c’était impossible : « les hommes affluaient de partout. »    
Concernant le commandant Benjamin F. Norris, le capitaine James T. Burns, du 2e bataillon, émet cet avis :
« Norris ne manquait pas de déclarer que son bataillon était très supérieur aux autres, mais rien ne se produisait ; son bataillon n’a rien fait pour démontrer qu’il était d’une autre trempe. Ils avaient affaire à une moindre opposition, ils avaient un secteur plus étroit, ils avaient l’avantage d’être réellement en contact avec les Français sur leur gauche, et ce bataillon a obtenu à peu près les mêmes résultats que les autres. Ils progressaient aussi longtemps qu’il n’y avait pas d’opposition, et quand opposition il y avait, ils se retiraient, et ses hommes se sont retirés et ont reculé ce jour-là [28 septembre], ce qui fait qu’à la fin de la journée, ils étaient pratiquement à l’endroit d’où ils étaient partis. »

Le colonel Tyree R. Rivers

Le commandant Merrill est épargné, et sa conduite au feu est même soulignée par l’appui que le colonel Brown lui apporte pour sa citation à la Croix de guerre, comme le signale un article de The Independent Reporter le 7 août 1919. Pour Elser et Norris, c’est une autre affaire. En juillet 1920, J. Wellington Willard, de Philadelphie, adresse un courrier à W.E.B. Du Bois, éditeur de The Crisis :      
« Cher docteur Du Bois,
En réponse à votre lettre du 19 courant, concernant l’incident de la forêt d’Argonne, et au sujet de la conduite des officiers au cours de l’assaut du 368th infantry.
Les deux commandants, Norris et Elser, étaient dans l’abri du colonel F.B. Brown ; Norris avait déclaré avoir marché dans un trou d’obus et s’être tordu la cheville, pendant qu’Elser disait avoir été choqué par un obus mais était en réalité terrifié. Il se glissa dans la couchette surplombant la mienne et y passa toute la nuit, haletant et geignant. Ce que je souhaitais mettre en lumière en citant ces éléments était que ces officiers de terrain auraient dû se trouver à l’avant avec leurs bataillons respectifs au lieu de chercher refuge dans l’abri bétonné du poste de commandement de leur supérieur, situé à 400 ou 500 mètres en arrière de l’action. »

Dans les archives de W.E.B. Du Bois se trouve un autre témoignage, anonyme mais intitulé « déclaration d’un officier non identifié, 1918 », dont tout porte à conclure qu’il s’agit de J. Wellington Willard, concernant le commandant Norris :
« Je cite à nouveau la lettre du colonel Greer, dans laquelle il écrit : « L’un de nos commandants, à la tête d’un bataillon, a déclaré « Les hommes sont de parfaits lâches, il n’y a pas d’autre mot. »  
J’étais la seule personne de couleur présente quand ces mots ont été prononcés : c’était le 27 septembre dernier, dans les tranchées de deuxième ligne de Vienne-le-Château, pendant notre attaque en Argonne, et ils ont été prononcés par le commandant B.F. Norris, commandant le 3e bataillon. Le commandant Norris était probablement lui-même le pire des lâches, ayant abandonné son bataillon sur la ligne de feu et arrivé au poste de commandement du colonel à l’état d’épave, à bout de nerfs : je m’y trouvais sur une couchette, le long du mur, et ce commandant s’étendit près de moi, puis passa la nuit à geindre et gémir si fort que j’eus du mal à fermer l’œil ; il faisait des bonds et se tordait comme je n’avais jamais vu personne le faire auparavant. Il était un parfait lâche lui-même, avait quitté son unité sous un prétexte totalement futile, et passa toute la nuit à l’arrière. »

Outre la conduite des commandants Elser et Norris, et outre le fait qu’ils n’ont pas eu à en répondre, la part purement militaire des événements s’est doublée d’une part juridique sur laquelle nous nous penchons à présent, en prenant tout d’abord en considération la déclaration écrite faite par le capitaine Daniel Smith le 23 octobre 1918, jour de sa comparution devant la cour martiale :
« Monsieur le Président, juge-avocat et membres de la cour,

Je vous soumets une déclaration écrite concernant les opérations à compter du 25 septembre, et ma conduite devant l’ennemi, pour votre information et votre prise en considération.

1. Etant affecté à la compagnie K peu de temps avant de monter en ligne, étant aux arrêts et n’étant investi d’aucune mission, je ne savais rien de la compagnie. Néanmoins, je suis parti avec la compagnie, et j’ai été mis aux arrêts de rigueur le 17 septembre 1918. Le 25 septembre, des ordres ont été reçus, selon lesquels le bataillon attaquerait le 26 au matin. Le commandant de compagnie (alors le capitaine Peaks) demanda au commandant du bataillon ce qu’il devait faire de moi, qui étais aux arrêts. Le commandant de bataillon donna des ordres : « Faites comme bon vous semble. Prenez-le avec vous ou laissez-le où il est. » C’est ce que le commandant de compagnie m’a dit. Alors il – le capitaine Peaks – décida de m’emmener et m’attribua une section. Ce qui est contraire aux règlements, mais comme j’étais impatient de me battre, je n’ai rien dit.   
2. Vers minuit, j’ai reçu l’ordre d’avancer avec une section de la compagnie E, une section de la compagnie K, et une section de la compagnie de mitrailleuses, et d’établir une liaison entre le 308th infantry et le 368th infantry. J’ai été pris entre notre propre barrage et l’ennemi, mais j’ai gardé le contrôle.
3. Le 27 septembre au matin, j’ai reçu l’ordre de retirer mon détachement et de me présenter au P.C. du bataillon. En m’y présentant, j’ai reçu l’ordre de faire se présenter toutes les autres sections à leurs compagnies respectives, et de me présenter au capitaine Peaks avec ma section. Je regroupai tous les isolés de la compagnie, au nombre de 104 au total, et me présentai comme ordonné. Je n’avais pas de carte mais un guide. Au moment où je me présentais, le capitaine était absent. Le lieutenant Koger commandait environ 29 hommes. Ne voyant pas le capitaine, je demandais au lieutenant Koger quels étaient les ordres d’attaque. Tout ce qu’il savait était que le bataillon devait attaquer à 17 heures 30. Je lui demandai quel était l’objectif, l’axe d’attaque, s’il avait une carte, s’il avait reconnu le terrain, s’il avait envoyé des patrouilles, s’il avait une liaison à droite ou à gauche. Il – le lieutenant – ne pouvait répondre à aucune de ces questions. N’étant pas satisfait de mener une nouvelle compagnie à l’attaque et n’ayant aucune mission précise, je décidai de me présenter au commandant du bataillon afin de l’en informer et d’obtenir des renseignements de sa part sur l’attaque. J’arrivai au P.C. du bataillon vers 4 heures 30, me présentai et demandai quelle était l’heure de l’attaque. On me dit que le bataillon attaquerait à 5 heures 30. Je demandai l’objectif, l’axe et une carte. Je ne reçus ni objectif, ni axe, ni carte. Tous les renseignements que j’ai reçus étaient que la compagnie M était à notre gauche et le 2e bataillon sur notre droite. Tout ça m’a été dit de façon désordonnée. Il m’a jeté une carte et m’a dit de me repérer, et me l’a arrachée des mains. Comme il se faisait tard et que l’attaque devait commencer à 5 heures 30, je suis reparti à la compagnie aussi vite que possible. »        

Il est plus que plausible que le capitaine Smith n’a pu compter sur l’aide du lieutenant Linwood G. Koger, pour le moins défaillant en plusieurs occasions. Le 3 octobre 1918, en effet, le lieutenant Martin de Boulancy d’Escayrac-Lauture, attaché au 368th infantry, rédigeait cette déclaration :
« Le 28 septembre, commandant temporairement la compagnie H devant monter à l’assaut du « Lager » et ayant donné au lieutenant Koger les instructions en vue de l’assaut, il se présenta à moi quelques minutes plus tard et m’informa qu’il n’était pas physiquement en état de mener sa section. Sans entamer de discussion, je lui disais de se présenter au colonel Brown, ainsi qu’au médecin, le commandant Lawrance, afin d’être ausculté. »
Hors le cas d’un subordonné à la santé fragile, le capitaine Smith a donc été confronté antérieurement à une irrégularité dans le service qui, de toute évidence, n’a pas été prise en compte par la cour martiale : étant aux arrêts au moment de l’assaut initial, il n’aurait jamais dû être amené à y participer avant que les arrêts ne soient levés. Son conseil, le lieutenant Leroy H. Godman, s’en est ouvert auprès de W.E.B. Du Bois dans un courrier du 31 octobre 1925 :

« Cher docteur Du Bois,
J’ai ici votre lettre du 21 courant, me demandant des renseignements sur la raison pour laquelle le capitaine Smith était aux arrêts et quelles en étaient les circonstances, ainsi que des renseignements sur le nombre d’accusés traduits en cour martiale.
Concernant le capitaine Smith, il était « aux arrêts », et non « en état d’arrestation ». J’ignore les circonstances de sa mise aux arrêts, et j’ignore tout autant si elles ont été présentées par le capitaine Smith ou le commandant Norris durant l’audience de la cour martiale. Les témoignages du capitaine Smith et du commandant Norris, pour ce qui est du dossier de procédure de la cour martiale, indiquent qu’il était affecté à la compagnie K du 368th peu avant d’entrer en ligne, qu’il était arrêté et n’avait aucun service à accomplir. Le commandant Norris a déclaré que quand il avait ordonné au capitaine Smith de monter en ligne, il l’avait de fait relevé de sa situation ou, en d’autres termes, qu’un tel ordre avait effet d’automaticité. Le but était de porter au dossier de procédure son statut du moment.   
Pour votre gouverne, je désire porter à votre attention ce qui suit, relatif au Manuel des Cours Martiales et Commissions d’Enquête Militaires, corrigé le 15 avril 1917, qui était en vigueur à l’époque :
Paragraphe 47. « Seuls les officiers en charge d’un commandement ont autorité pour mettre des officiers aux arrêts, à l’exception de ce qui figure dans l’article 68 des Articles du Temps de Guerre (« l’officier en charge d’un commandement » ayant autorité commande un régiment, une compagnie, un détachement, un poste, une zone, etc., dans laquelle sert l’officier incriminé).
Paragraphe 48. « Un officier est mis aux arrêts par son supérieur en personne, ou par un autre officier, sur ordre verbal ou écrit, ou par une communication l’informant qu’il est mis aux arrêts ou se considèrera comme étant mis aux arrêts. »
Paragraphe 49. « Un officier aux arrêts ne peut assurer un commandement d’aucune sorte. Il ne pourra porter un sabre, ou se présenter à son supérieur ou à un autre officier supérieur hormis si cela lui est ordonné. Ses demandes et requêtes, quelles qu’elles soient, seront formulées par écrit. »
Paragraphe 50. « Les officiers ne seront pas mis aux arrêts pour des délits mineurs. Pour ceux-ci, un blâme délivré par un supérieur répondra aux exigences disciplinaires. Quand un officier en charge d’un commandement place un officier aux arrêts sans l’inculper, il rédigera un rapport à ce sujet à l’intention du commandant de brigade ou du commandant du district d’artillerie côtière. Le commandant de brigade ou commandant du district d’artillerie côtière, s’il le croit opportun, convoquera l’officier aux arrêts afin qu’il s’explique, et prendra les mesures en son pouvoir qui lui sembleront nécessaires, transmettant alors un compte-rendu avisé à sa hiérarchie qui, si une mise en jugement n’est pas recommandée, fera suivre le dossier à l’administration de l’Armée en vue de classement de l’affaire ou de poursuites. Si l’officier incriminé n’est pas rattaché ou n’appartient pas à une brigade ou un district d’artillerie côtière, le compte-rendu sera transmis directement à l’officier ayant autorité pour convoquer une cour martiale générale. » »

Si Leroy H. Godman ignorait le motif de la mise aux arrêts du capitaine Smith, celui-ci a été retrouvé par l’historien Robert H. Ferrell : mi-septembre 1918, dans les Vosges, Smith avait abattu un soldat errant dans le No Man’s Land et avait été mis aux arrêts par le commandant Norris.

Malgré la somme des diverses attaques et calomnies subies, le capitaine Daniel Smith, les lieutenants Judge Cross et Horace R. Crawford, et le sous-lieutenant Robert W. Cheers échappent, comme nous l’avons vu, au peloton d’exécution. Mais si la lumière a commencé à filtrer sur la vérité du terrain, il lui manque encore une reconnaissance officielle qui permette de laver l’honneur de ces officiers, et au-delà de leur personne, de leur unité et des Afro-Américains ayant servi durant la guerre. Cela ne se fait pas sans mal. En effet, si le secrétaire à la Guerre, Newton D. Baker, a pris la décision de s’exprimer par voie de presse, il adresse tout d’abord un courrier à Benjamin F. Norris, qui commandait le 3e bataillon en septembre 1918, pour l’en informer. La réponse de Norris est datée du 30 octobre 1919 :

« Monsieur le Secrétaire,
J’accuse réception de votre lettre du 28 octobre, qui contient une copie de la déclaration que vous proposez de faire au sujet des opérations du 368th infantry en Argonne. Personnellement, je déplore la nécessité de publier une telle déclaration, mais au regard de l’agitation dont nous avons constamment souffert ici et en France, et qui a récemment pris une grave tournure, peut-être est-il souhaitable de le faire. Les seules suggestions que je puisse me permettre au sujet de la déclaration que vous proposez tient au fait que de nombreux officiers de couleur, en particulier trois dans mon bataillon, ont reçu la Distinguished Service Cross pour leur héroïsme au combat, ce que votre déclaration ne mentionne pas, et au fait qu’une enquête approfondie n’a pas réussi à prouver que des ordres de repli avaient été émis ou reçus. »  

Le 1er novembre, Newton D. Baker adresse à son tour un courrier à Robert R. Moton, directeur du Tuskegee Institute, et émissaire du président Wilson en France au sujet des discriminations :

« Cher docteur Moton,
J’ai sous les yeux votre lettre du 9 octobre et suis heureux de vous apprendre que sur votre recommandation, le président a désapprouvé le verdict visant quatre officiers condamnés par une cour martiale à l’étranger en lien avec le repli d’une fraction du 368th infantry. Voici qui met de côté le cas de tous les officiers incriminés. Ma propre déclaration sur cette affaire, que je vous ai soumise il y a peu, paraîtra bientôt dans la presse.
Votre correspondant, le capitaine L.H. Godman, fait allusion au fait que le principal témoignage est celui du commandant Norris. Je pense qu’il vous intéressera de savoir que l’inspecteur général doutait de l’à-propos à publier la déclaration que j’ai préparée, de crainte que le commandant Norris ne se sente investi de l’opportunité d’entamer une controverse par voie de presse à ce sujet. Aussi ai-je décidé de m’adresser franchement au commandant Norris et de lui soumettre ma déclaration pour avis. Il m’a répondu par une lettre dont je vous joins une copie afin que vous puissiez appréhender sa vision du sujet. Je suis tout particulièrement impatient que vous preniez connaissance de sa lettre, car quelques officiers de couleur ont montré une tendance à critiquer le commandant Norris. J’ai été ravi de découvrir l’attitude qu’il a adoptée dans cette affaire. »

Une fois tout cela mis à plat, et en se gardant soigneusement d’écorner la réputation de qui que ce soit, Newton D. Baker s’exécute et fait paraître sa déclaration :
« The Evening Star, 8 novembre 1919

Le Secrétaire Baker défend la bravoure des troupes noires
Il explique que le bataillon du 368th a reçu des ordres erronés par des coureurs

Selon le Secrétaire Baker, l’échec du 3e bataillon du 368th infantry à agir efficacement sous commandement français durant l’offensive Meuse-Argonne en septembre 1918 est dû principalement au fait que le bataillon a reçu des ordres non autorisés de battre en retraite, transmis par des coureurs.
Le 368th infantry a été mis sur pied au Camp Meade, Maryland, et ses hommes étaient des conscrits du District de Columbia et des états voisins. Au cours de la campagne Meuse-Argonne, il faisait partie d’une brigade mixte commandée par un officier français. Ses officiers de troupe et d’état-major étaient blancs, et ses commandants de compagnie ainsi que ses soldats étaient noirs.

Une enquête approfondie

L’inspecteur général de l’Armée a mené une enquête approfondie sur les critiques formulées contre le régiment en raison de son échec à tenir ses positions face aux lignes allemandes.  
Des allégations ont été émises selon lesquelles le moral du régiment avait été brisé par la discrimination raciale, que les officiers blancs avaient failli et que les troupes étaient inadéquatement équipées.
« Le terrain sur lequel le 368th infantry a progressé, dit l’inspecteur général, était extrêmement difficile. C’était une forêt dense. Elle avait été dévastée par quatre années de combats et la végétation qui y avait poussé la faisait en maints endroits ressembler à une jungle épaisse. Cette jungle était constellée de réseaux de barbelés de toutes sortes et de nombreuses tranchées. Tout cela rendait la progression et le commandement des plus malaisés. L’assaut dans lequel le régiment fut engagé l’exposa à un intense feu d’artillerie, de mitrailleuses et de mousqueterie, ce qui fut pour ces troupes une rude mise à l’épreuve. Le régiment fut insuffisamment approvisionné en pince coupantes, en cartes, et en fusées éclairantes. »

Le commentaire du Secrétaire Baker

Poursuivant sur le rapport, le Secrétaire Baker déclare : « Il s’avère que les incidents ont eu lieu durant la bataille au cours de laquelle le 3e bataillon progressait dans des conditions totalement inhabituelles, le jugement des officiers – inaccoutumés au combat, quoique bien formés – pouvant être frappé d’errements ; concernant les deux mouvements de retraite, des éléments circonstanciés prouvent que des ordres de repli ont été portés en première ligne par des coureurs, bien que des ordres aient été donnés après la retraite du 28 septembre en mi-journée pour que nul n’obéisse plus à un ordre de repli écrit et signé par un chef de bataillon. L’enquête a démontré qu’aucun ordre écrit de ce type n’a été émis.
« Les circonstances dévoilées par une étude détaillée de la situation ne justifient en rien maintes déclarations partiales qui ont été faites au sujet de la conduite des troupes engagées dans cet assaut, et elles n’offrent aucun fondement aux déclarations communes portant sur l’engagement des troupes de couleur dans cette bataille ou ailleurs en France. Au contraire, il est à noter que de nombreux officiers de couleur, et en particulier trois d’entre eux au sein du bataillon dont il est question, ont été décorés de la Distinguished Service Cross pour leur héroïsme au combat.
J’autorise la publication de cette déclaration afin que justice soit rendue aux officiers, blancs et de couleur, et aux hommes de ce régiment, dans l’espoir que la présentation des faits mette à l’avenir un terme aux préjugés et aux discussions dénaturées. »   

Voilà qui est bien dit et semble pouvoir clore les débats. Hélas, il n’en est rien, surtout en des temps aussi violemment troublés, comme le rappelle Mark Ellis dans Race, War and Surveillance : « En 1917, 38 Noirs ont été lynchés, et autant ont été tués dans les émeutes d’East Saint-Louis. En 1918, 58 Noirs mouraient sous les coups de la foule, et en 1919, ce nombre dépassait 70, sans compter les dizaines de morts des émeutes raciales de cette même année. Les soldats noirs considérés comme porteurs d’un uniforme bien trop longtemps après la démobilisation étaient des cibles courantes. Nombreux sont ceux qui ont été tabassés et 10 au moins ont été tués dans une vague de lynchages dans le Mississippi (trois morts), en Géorgie (trois morts, deux d’entre eux à Blakely), dans l’Arkansas (deux morts), en Floride (un mort), en Alabama (un mort). »

Des hommes continuent cependant inlassablement de tenter de laver l’honneur des calomniés du 368th infantry, dont le journaliste Frederick Palmer, dans Our Greatest Battle (the Meuse-Argonne), en 1919 :
« Une division en valait une autre dans une bataille à ce point improvisée. La IVe Armée française devait attaquer à l’Ouest de la forêt d’Argonne ; sur sa droite un régiment de la 92nd division (de couleur) de l’armée de conscription, avec des officiers de couleur, devait relier les forces françaises et américaines. Pour des hommes inexpérimentés sous un feu violent, qui travaillaient encore il y a peu dans des champs de coton et sur les digues du Sud, il y avait là une mission des plus éprouvantes, et qui aurait même mis des vétérans à l’épreuve. Jamais auparavant des hommes de couleur commandés par des officiers de couleur n’avaient affronté un puissant système de tranchées. »

Il est en de même de Robert R. Moton, qui écrit en 1921 dans Finding a Way Out. An Autobiography :

« S’agissant de la 92nd division, se répandait une rumeur insidieuse et persistante, à Paris et en d’autres lieux, laquelle nourrissait une rumeur prévalant en Amérique – mais en France, elle y avait gagné en véracité : les officiers noirs « sont des ratés », et tenter de former une division au sein de laquelle des Noirs sont officiers était une erreur.
J’ai déployé beaucoup d’énergie et de soin, et mes accompagnateurs tout autant, à contredire ces rumeurs. Nous avons passé bien du temps, à Paris et ailleurs, à débusquer la moindre déclaration qui circulait. Ce que nous avons finalement découvert, en ce qui concerne la 92nd division, est qu’une fraction d’un unique bataillon, dans un seul régiment, avait flanché. Plus tard, en m’entretenant en France avec le général Pershing au sujet de cette histoire d’échec des officiers noirs, il déclara que, très probablement, n’importe quel officier, qu’il soit noir ou blanc, se trouvant face à ces mêmes circonstances contraires imposées à leurs hommes, aurait échoué. Quelques officiers du bataillon furent traduits en cour martiale pour lâcheté. Tous ne furent pas reconnus coupables. Et par la suite, ces cas ont été révisés par le Département de la Guerre, et le président, sur les recommandations du Secrétaire à la Guerre, a rejeté les verdicts visant les quatre officiers du 368th passés en cour martiale en France. Au terme d’une minutieuse enquête, le Département de la Guerre émit la déclaration suivante au sujet du bataillon du 368th incriminé :
« Le 368th n’avait pas combattu avant d’être affecté à une brigade française. Il devait opérer en tant qu’unité de liaison en vue de maintenir le contact avec les forces engagées sur ses flancs, mais pas en tant qu’unité d’assaut. Ce sont les circonstances du déroulement de la bataille qui ont rendu nécessaire sa participation à l’attaque.
Le terrain sur lequel le 368th a progressé était extrêmement difficile. Des combats s’y étaient déroulés et il avait été fortifié durant quatre ans, il était couvert d’un dense réseau de barbelés dans lequel la végétation avait poussé durant quatre ans, cachant ainsi les réseaux et rendant toute progression des plus ardues. La zone dans laquelle le régiment fut engagé fut soumise à un intense feu d’artillerie, de mitrailleuses et de mousqueterie, ce qui fut pour ces troupes une rude mise à l’épreuve.
Le régiment fut insuffisamment approvisionné en pince coupantes, en cartes, et en fusées éclairantes. Cela tenait en partie au fait que ces hommes servaient avec les Français, qui fournirent finalement l’approvisionnement, le retard ayant certainement été causé par le mouvement précipité du régiment et la certitude, de la part des Français, que des dépôts américains fourniraient l’approvisionnement, et de la part des Américains, que les Français avec lesquels ils combattaient se chargeraient de l’approvisionnement, un malentendu que seules la confusion et les urgences de la bataille peuvent expliquer. »   
Il fut gratifiant de constater que le commandant-en-chef, qui avait connaissance de toutes les phases de cette affaire, n’avait pas donné à cet échec l’importance que la rumeur aurait voulu lui accorder. Les faits ne justifiaient en aucun cas ladite rumeur.   
En parlant avec le général qui commandait au Mans, je mentionnais le fait que 15 officiers noirs avaient été renvoyés pour incompétence. Il me répondit : « Si cela peut vous rassurer, je puis vous dire ceci : nous avons renvoyé en Amérique, via Blois, en 6 mois, 1.000 officiers blancs par mois en moyenne, qui avaient fauté d’une manière ou d’une autre dans cette terrible guerre. J’espère, docteur Moton, ajouta-t-il, que vous ne perdrez pas foi en ma race à cause de cela, car je ne vais pas perdre ma foi en votre race à cause de quelques officiers de couleur qui ont failli. »     
Nous avons parlé avec le colonel House, monsieur Ray Stannard Baker, le capitaine Walter Lippman, commandant les employés de la Y.M.C.A., et bien d’autres. Tous m’ont assuré être ravis de prendre connaissance des faits et s’engager, autant que cela leur serait possible, à mettre un terme aux rumeurs calomnieuses concernant les soldats noirs. J’ai parlé à des officiers blancs dans de nombreux lieux, une fois même à 200 d’entre eux, et j’ai honnêtement exposé les faits de cette affaire. Je leur ai demandé s’ils ne pensaient pas qu’il était bon et juste de mettre fin à cette rumeur galopante, qui diffamait une race, menaçait de saper l’efficacité des troupes noires, et donnait au monde une mauvaise image de l’Amérique. »   

En dépit des efforts déployés et de la position officiellement prise en novembre 1919 par Newton D. Baker, les attaques menées contre les Afro-Américains de la 92nd division n’ont pas cessé. La publication du véritable brûlot du général Robert L. Bullard, Personalities and Reminiscences of the War, jette à nouveau de l’huile sur le feu, mais s’attire en réponse un portrait peu flatteur et très documenté du général dans The Daily Worker, le 20 juin 1925. Le 4 janvier 1926, il est également visé à ce sujet lors de débats à la Chambre des Représentants, qui se concluent sur ce qui s’est produit dans les rangs du 368th infantry :
« Le 27 septembre au matin, il a reçu l’ordre de pousser son 3e bataillon vers un objectif entouré de bois denses et d’épais réseaux de barbelés, avec des nids de mitrailleuses. Il faisait sombre et il tombait un léger crachin. Malgré cela, la compagnie K de ce régiment est allée de l’avant : après un bond de 50 mètres sous le violent feu de l’artillerie ennemie, un obus s’est abattu au milieu de la 1re section, tuant trois hommes et en blessant huit.
Le capitaine Smith, de cette compagnie, et ses hommes, ont poursuivi leur progression sous le feu de l’artillerie et des mitrailleuses, et avaient pris 20 Allemands et 4 mitrailleuses à 22 heures. Les hommes ont fait une halte pour la nuit, sans abri, sous les obus explosifs et toxiques. Ils ont tenu. Le 28 septembre à 5 heures, les 1er et 3e bataillons, commandés par les commandants Elser et Norris, tous deux blancs, ont reçu l’ordre d’avancer. Les hommes du 3e bataillon n’avaient reçu ni nourriture ni eau depuis deux jours, mais la compagnie K, à droite, et la compagnie I, à gauche, ont traversé le barrage des mitrailleuses et de l’artillerie, et ont atteint la Vallée Moreau, à un mile de distance. Là, à cause de l’incapacité des capitaines du 3e bataillon à garder le contact avec le commandant Norris – dont le poste de commandement n’avait pas progressé avec la ligne – il décida de demander un avis. Pendant cet entretien, un obus explosa à 20 pieds de là, blessant grièvement le capitaine Green, et laissant seul le capitaine Smith, de la compagnie K, à la tête des deux compagnies en ligne sans aucune aide du moindre officier de sa propre compagnie, ceux-ci ayant tous été blessés, avec seulement deux officiers de la compagnie I. […] Le 2e bataillon n’a pas appuyé le 3e bataillon car son commandant blanc, Max Elser, s’est caché dans un trou d’obus au début de l’assaut, entouré d’une section de soldats de couleur, et après avoir émis des contrordres et modifié les ordres donnés à ses capitaines, il a précipitamment pris la fuite vers l’arrière, détruisant ainsi le moral de son bataillon et le rendant inopérant au combat. Malgré cela, ses capitaines ont conservé le terrain conquis et ont retraité là où tenir était impossible.
Quelques jours plus tard, le Major General C.C. Ballou, en présence du juge-avocat, le commandant A.E. Patterson (noir) disait au commandant Max Elser : « Lâche…, je devrais vous traduire en cour martiale, mais pour le bien de la division, je vous envoie à l’hôpital, où vous passerez trois semaines. »
L’incompétence du commandant Norris, du 3e bataillon, a éclaté au regard du fait que le 27 septembre, alors que ses hommes étaient engagés sous un violent feu d’artillerie lourde et de mitrailleuses, il a émis un ordre intimant à tous les officiers sur la ligne de feu de se présenter au P.C. du bataillon, laissant son millier de soldats sans un seul officier, et que ses officiers de couleur devaient reculer sous le barrage ennemi jusqu’à son abri protégé, avant de retourner, toujours sous le barrage ennemi, à leur position exposée aux tirs. »

Un pas supplémentaire dans l’infamie est tout de même encore franchi en 1928, lorsque paraît l’ouvrage du général Hunter Liggett (commandant du Ier Corps en 1918), A.E.F.: Ten Years Ago in France, dans lequel il écrit à propos du célèbre « bataillon perdu » de la 77th division :
« Quelques jours auparavant, le même bataillon avait été coupé de ses bases au moment où des troupes noires de la 92nd division s’étaient retirées de plus de 2 kilomètres, le 28 septembre, ouvrant une brèche sur le flanc gauche de la 77th division, par laquelle l’ennemi avait déferlé, et le bataillon avait été dangereusement enveloppé jusqu’au 1er octobre, où il fut encerclé. »

Une conclusion dont l’outrance le dispute, au moins, à l’inexactitude, si ce n’est à la pure et simple malveillance. Car en 1944, le Summary of Operations in the World War de la 77th division révèle sans ambiguïté les carences des liaisons du flanc gauche de cette division, et le fait que le 368th infantry, si son rôle de liaison n’avait effectivement pas été pleinement rempli au début de l’offensive, n’avait rien à voir avec l’encerclement de l’effectif du commandant Whittlesey au moment où celui-ci avait eu lieu. Les échecs rencontrés par les liaisons au sein de la 77th division, et entre cette division et les unités sur sa droite et sa gauche, ne manquent pas, et ce dès le début de l’offensive, avant de s’aggraver le surlendemain :      
« [28 septembre] Dans la zone d’opération du 308th infantry, l’attaque débuta vers 7 heures et à 9 heures 5, les 1er et 2e bataillons se trouvaient près du cimetière, à 400 mètres à l’Ouest du Dépôt des Machines. Une halte eut lieu à cet endroit, et un soutien d’artillerie fut demandé sur les ravins proches du Moulin de l’Homme Mort à partir de 11 heures 30. La progression fut reprise vers midi 45 en deux colonnes, la colonne de droite se portant au Nord-est du cimetière, et la colonne de gauche partant plein Nord. La colonne de droite tomba sous un feu très violent à l’approche du Dépôt des Machines, et fut forcée de se replier aux abords du cimetière. Elle consolida sa ligne de défense le long de la voie ferrée courant du voisinage du Boyau des Cuistots à la limite gauche de la division. La colonne de gauche, constituée des compagnies A, C, F et H, s’arrêta dans le ravin au Sud-ouest de l’Homme Mort vers 17 heures 30 et organisa le carré. Vers 21 heures, la liaison entre les deux colonnes était coupée par de petits détachements s’infiltrant entre elles.    
Au cours de la soirée, la 154th brigade donnait l’ordre au 3e bataillon du 308th infantry, en réserve de brigade, de pousser vers l’Ouest et de reconnaître la tranchée du Dromadaire. Durant l’attaque du 29, ce bataillon devrait protéger le flanc gauche. »

Comme l’écrirait ensuite le général George C. Marshall au sujet de l’attention portée aux premières pertes de la 1st division, en novembre 1917 :  
« […] je me suis souvent remémoré les demandes urgentes émanant du grand quartier général, réclamant des rapports immédiats et détaillés au sujet des incidents les plus minimes, en opposition totale avec l’absence d’une telle pression, par la suite, dans des cas tels que celui du « bataillon perdu » de la soixante-dix-septième division dans la forêt d’Argonne. »   
Mais cette fois, en septembre 1918, des cibles toutes trouvées étaient à proximité de l’unité en péril, et qu’importe, pour certains et au regard de leurs intérêts et de leur réputation, que les faits soient têtus.

A contrario, au final, c’est l’historien Rexmond C. Cochrane qui a certainement fait le constat le plus pertinent et le plus équilibré de l’engagement du 368th infantry entre le 26 et le 30 septembre 1918, en reprenant le constat du chef de corps du régiment :  
« Si des échecs individuels avaient fait porter un regard négatif sur le régiment et la division, le 368th infantry avait cependant « rempli avec succès sa mission originelle de liaison et avait progressé aussi rapidement que les unités françaises à sa gauche l’avaient fait. »   
Une mission effectuée sous forme d’un baptême du feu à découvert face à des contraintes topographiques considérablement ardues, le plus souvent de nuit, avec des ordres incomplets ou inexistants, sans l’équipement, l’approvisionnement, ni l’appui adéquats, et en ayant la double tâche d’attaquer et d’assurer des liaisons, le tout mené par des novices au feu parmi la troupe et la majeure partie de l’encadrement. Comme si tout cela n’avait pas suffi, un acharnement obscurantiste et fondé sur des préjugés ethniques a failli faire payer de leur vie des officiers qui n’avaient pas plus démérité que d’autres et souvent moins, d’autres qui, en l’espèce, n’ont pas eu à en subir les affres et à en répondre.

Le capitaine Daniel Smith, les lieutenants Judge Cross et Horace R. Crawford, les sous-lieutenants Robert W. Cheers et Robert M. Johnson, victimes expiatoires d’une mission plus qu’hasardeuse, ont certes échappé à la mort, sur le champ de bataille et devant un peloton d’exécution, mais pas à l’opprobre. Autour d’eux, durant cinq jours de calvaire, des hommes sont tombés, sur le terrain et dans l’oubli, entre Vienne-le-Château et Binarville. Quelques-uns, aussi, ont eu le privilège d’être décorés : les soldats John Baker (Distinguished Service Cross et Croix de guerre), Thomas H. Davis (Distinguished Service Cross), Edward H. Handy (Distinguished Service Cross), Joseph James (Distinguished Service Cross et Croix de guerre), Bernard Lewis (Distinguished Service Cross), Edward M. Saunders (Croix de guerre belge), et les lieutenants Robert L. Campbell (Distinguished Service Cross et Croix de guerre), Thomas E. Jones (Distinguished Service Cross et Croix de guerre), Charles G. Young (Distinguished Service Cross et Croix de guerre).

Des hommes qui n’avaient en rien démérité, donc, comme en témoignait l’ancien soldat Andrew Johnson dans un entretien, le 20 novembre 1938 :
« On n’avait pas de fanions, rien pour couper les barbelés, nos hommes de liaison (les coureurs) ont tous été tués ou blessés en essayant de passer avec leurs messages. Le lieutenant Hinkson [Pinkston], qui portait un uniforme de soldat et avait un fusil en plus de son automatique, s’est levé et criait : « En tirailleurs, en avant, déployez-vous » quand une mitrailleuse cachée dans les bois l’a descendu. Des avions ennemis sont passés au-dessus de nous plusieurs fois, et ont largué de la propagande qui nous était adressée. « Américains de couleur, nous ne vous cherchons pas querelle, nous sommes vos amis. Déposez les armes et passez de notre côté. Nous vous traiterons mieux que vous n’êtes traités dans le Sud ». Mais je ne me souviens pas d’un seul cas de désertion. »  

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Congressional Record Containing the Proceedings and Debates of the First Session of the Sixty-Ninth Congress of the United States of America, House of Representatives, Volume 67, Part 3 (January 19, 1926 to February 6, 1926)

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SHD 26 N 8/37 : Mission française près la 77e Division d’Infanterie américaine
SHD 26 N 8/53 : Mission française près la 92e Division d’Infanterie américaine
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SHD 26 N 494/3 : 1re Division de Cavalerie à Pied, infanterie divisionnaire
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