A travers des articles statistiques, à travers des articles de fond aussi divers que les mutilations volontaires, le code de justice militaire, la notion de fusillés pour l'exemple, l'ambition du Prisme est de fournir un ensemble d'informations permettant aux lecteurs d'appréhender en toutes connaissances de causes et sans parti pris de notre part la problématique des fusillés du conflit 14/18. Notre but n'est pas de juger mais de présenter, d'analyser les faits, de les porter à la connaissance de nos concitoyens au sujet d'une question qui n'est pas seulement d'ordre historique mais enjeu aussi d'un débat mémoriel, encore présent aujourd'hui.

samedi 8 juin 2024

Encore un vice de procédure dans le jugement du soldat Pennerat

 

     Après l’article sur le soldat Giraud, Prisme poursuit ses recherches en regardant si les dispositions de l’article 74 du code de justice militaire ont été respectées. Rappelons que le conseil de révision se substitue, en temps de guerre, à la Cour de Cassation. Comme le précise le titre II du livre II du code de justice militaire qui définit les compétences de cette entité, les conseils de révision se prononcent sur les recours formés contre les jugements des conseils de guerre établis dans leur ressort.

A la suite des précédents articles illustrant des vices de procédure présents dans les jugements des conseils de guerre temporaires spéciaux au cours de la période de la suspension des conseils de révision, notre recherche se polarise, dans un 1er temps, pour des raisons de facilité de présentation, sur 2 types de vices de procédure qui sont factuellement faciles à déceler et ne prêtent pas à controverse

Pour détecter ces vices de procédure, la lecture des arrêts de la Cour de cassation sont très utiles mais aussi la connaissance de l’Augier/Le Poittevin, du Pradier-Fodéré/Le Faure, du Victor Foucher, du Leclerc de Fourolles/Coupois qui apportent de précieuses informations.

Nous rappelons que Prisme appréhende l’ensemble de ces évènements à travers la notion, pratiquée en sociologie, de « cohorte » introduite par le général Bach. Une cohorte mensuelle est constituée de tous les condamnés à mort au cours du même mois. Le condamné peut être exécuté dans le mois. Mais il peut l'être aussi dans les mois suivants si son pourvoi en révision a été rejeté ou si sa demande de grâce, après examen, a été rejetée. Les autres condamnés échappent à la mort puisque leur peine est commuée.

Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.

Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux, quelle que soit leur apparence.

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Après avoir été engagé successivement dans la bataille de Morhange, dans celle du Grand Couronné, puis dans la bataille de Flirey et enfin en Belgique dans la bataille d’Ypres, le 96e régiment d’infanterie a été acheminé en Champagne fin février 1915 où il entre en ligne le 4 mars 1915 dans le secteur de Beauséjour.

Les attaques sur la butte du Mesnil se succéderont durant le mois de mars sans grands résultats. Avec le mois de mai, débutera la guerre des mines. Les combats continueront ainsi en juin avec des pertes élevées.

Le soldat Pennerat de la classe 1903, engagé volontaire, renvoyé dans la réserve en 1908 avec le certificat de bonne conduite refusé suite à un séjour dans une section de discipline, a été rappelé à l’activité le 1er août 1914. Affecté au 153e régiment d’infanterie, blessé, puis évacué vers le dépôt de son unité selon le dossier de procédure, ce soldat est affecté au dépôt du 96e régiment d’infanterie de Béziers le 15 décembre 1914.

Le 11 mai 1915, le lieutenant Loubatière commandant la 2e compagnie de cette unité rédigeait le rapport ci-dessous :

Cet homme, qui est arrivé au PC4 le 6 mai au soir, s’est à nouveau fait porter malade le 7 et a été reconnu propre au service par M. le médecin aide-major Lecomte. Sur sa demande, il a été soumis à une contre-visite qui a confirmé la première décision.

Le lieutenant Vigneron a donné l’ordre à Pennerat de rejoindre sa compagnie aux tranchées. Cet homme ayant refusé d’exécuter l’ordre reçu, le lieutenant Vigneron, en présence du sergent-major Vidal de la 2e compagnie et du caporal sapeur Roualdès de la CHR [compagnie hors rang] lui a lu l’article 218 du code de justice militaire relatif au « refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi » et l’a fortement engagé à ne pas persévérer dans son refus ; il est resté avec les sapeurs du régiment au PC4.

Le 9 mai, la compagnie se trouvant au PC4, le lieutenant Loubatière, en présence du sergent -major Vidal et du caporal fourrier Deleuil de la 2e compagnie a réitéré au soldat Pennerat l’ordre de prendre sa place à la section où il était affecté. Le soldat Pennerat a opposé un nouveau refus catégorique.

En conséquence, le commandant de la 2e compagnie a l’honneur de demander que le soldat Pennerat soit traduit en conseil de guerre pour refus d’obéissance en présence de l’ennemi (art. 218 du code justice militaire).

Des renseignements recueillis, il résulte que le soldat Pennerat appartenait à la 30e compagnie du 153e régiment d’infanterie. Ayant été blessé, il fut évacué sur le dépôt de son régiment à Béziers d’où il partit avec un renfort du 96e en date du 16 décembre 1914 ; il quitta le détachement à Nîmes et alla à Paris, voir sa famille. Après une absence illégale de trente heures, il se présenta de lui-même au dépôt d’éclopés du Bourget où il fut admis. En janvier, il s’absenta de ce dépôt, alla à Paris et se rendit de lui-même après une absence illégale de dix-sept heures. De là, il revint au dépôt, repartit de Béziers avec un renfort du 15 avril 1915 et se fit porter malade à son passage au Bourget. Il quitta de nouveau l’hôpital, alla à Paris et après une absence illégale de quarante-huit heures, se rendit de lui-même. Pour ce motif, il eut 8 jours de prison et fut renvoyé à l’avant.

Bien que malade au dépôt de Béziers, cet homme ne s’est pas présenté à la visite avant son départ pour le front.

Tous ces renseignements ont été donnés par le soldat Pennerat qui, d’autre part, a certifié n’avoir jamais été arrêté.

En résumé, cet homme qui, aujourd’hui, invoque la maladie comme excuse, ne s’est pas présenté à la visite à Béziers avant son départ pour le front.

Il s’est échappé à Nîmes (absence illégale de 30 heures), puis du dépôt des éclopés du Bourget (absence illégale de 17 heures), et en avril (absence illégale de 48 heures).

Il a encouru de ce fait plusieurs punitions pour absence illégale qui sont inscrites à Béziers au dépôt, punitions qui devraient entraîner déjà son envoi en conseil de guerre.

Le soldat Pennerat demande qu’une contre visite lui soit passée par un oculiste.

A ce stade du récit, deux remarques sont à formuler : 

-si les auditions des témoins confirment le refus d’obéissance, les faits sont graves.

-le refus d’obéissance en présence de l’ennemi énoncé dans le rapport du lieutenant n’existe pas dans le code de justice militaire, il s’agit bien entendu du refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi (article 218).

Le 13 mai, le Lt colonel Pouget commandant le 96e régiment d’infanterie a délégué ses pouvoirs au chef de bataillon Riols comme officier de police judiciaire pour instruire l’affaire comme le permet le code de justice militaire. Ce dernier a interrogé le prévenu et auditionné les 4 témoins cités dans ce dossier.

Procès-verbal d’interrogatoire du soldat Pennerat par l’officier de police judiciaire :

D- vous êtes inculpé de refus d’obéissance en présence de l’ennemi. Qu’avez-vous à dire pour votre justification ?
R- j’ai fait cette bêtise parce que je n’y vois que d’un œil. Je ne voudrais pas exposer ma vie mal à propos du moment que ne je n’y vois pas. Je ne veux aller aux tranchées qu’après avoir vu un oculiste à Châlons.
D- jusqu’à quel point votre vue est-elle diminuée ?
R- j’y vois de jour, la nuit pas beaucoup
D- où avez-vous accompli votre service actif ?
R- j’ai fait une partie de mon service au 129e au Havre et l’autre partie en Afrique où j’ai été envoyé par mesure disciplinaire.
D- l’article 218 du code de justice militaire vous ayant été lu, vous saviez à quoi vous vous exposez en refusant d’aller aux tranchées ?

R- non
D- pourquoi le 9 mai 1915 quand il ne s’agissait que de prendre place dans votre section, avez-vous refusé de le faire ?
R- parce que je voulais passer chez un oculiste avant
D- vous rendez-vous compte cette seconde fois, de la faute que vous commettez ?
R- ma foi non.
D- pourquoi au dépôt à Béziers, dans vos différentes absences illégales à Paris, n’avez-vous pas vu un oculiste et pris des certificats qui auraient prouvé votre incapacité de servir ?
R- j’en ai vu un à Béziers qui m’a mis à l’hôpital, j’en suis sorti parce que je m’étais absenté de l’hôpital pendant 2 heures.
D- pourquoi ne vous êtes-vous-pas présenté au médecin du dépôt avant le départ pour le front ?
R- quand on est reconnu, on part quand même
D- qu’avez-vous à ajouter à votre défense ?

R- je ne demande qu’à racheter ma faute.
D- de quelle façon, voulez-vous vous racheter ?
R- en allant aux tranchées et de changer de régiment pour rejoindre mon frère.
D- vous admettez donc que vous pouvez faire votre service ?
R- en passant chez un oculiste avant.

Procès-verbal d’information du lieutenant Vigneron recueilli par l’officier de police judiciaire

D- dans quelles conditions avez-vous été amené à donner l’ordre à l’inculpé d’aller aux tranchées ?
R- Pennerat rejoignant le corps avec le ravitaillement s’est présenté à moi pour connaître l’affectation. Lui ayant dit qu’il était affecté à la 2e Cie, je lui ai donné l’ordre de suivre son sergent-major qui le ferait conduire aux tranchées. Pennerat a déclaré qu’il était malade et désirait passer la visite. Je l’ai fait conduire au poste de secours où le médecin major a reconnu qu’il pouvait faire son service à la condition de venir chaque jour au poste de secours se faire soigner. En conséquence, j’ai donné l’ordre à Pennerat de rejoindre sa Cie, en même temps que le cuisinier le soir même. Pennerat a refusé d’exécuter l’ordre. J’en ai rendu compte au colonel qui a prescrit de lui faire passer une contre visite. Le lendemain matin, j’ai fait conduire cet homme au médecin chef de service qui a confirmé la décision du médecin du bataillon. J’ai donné l’ordre à Pennerat de suivre le sergent-major de sa Cie que j’avais fait mander. Cet homme a refusé, j’ai appelé comme second témoin le caporal Roualdès de la Compagnie Hors Rang et en présence du sergent-major et du caporal, j’ai réitéré deux fois le même ordre à Pennerat en lui lisant l’article 218 du code de justice militaire. Pennerat n’en a pas moins persisté dans son refus.

J’ai adressé aussitôt un rapport à son commandant de Cie afin que ce dernier prononce la punition qui a déterminé la mise en prévention de conseil de guerre de Pennerat
D- Pennerat a-t-il refusé d’obéir ou s’est-il contenté de ne pas exécuter l’ordre ?
R- Pennerat n’a pas exécuté l’ordre en déclarant que son état ne lui permettait pas d’aller aux tranchées, qu’il voulait passer une autre contre visite que celle qu’il venait de passer.

Les procès-verbaux des autres témoins relatent les mêmes faits.

Le caporal Deleuil indique notamment : le lieutenant Loubatière a dit qu’il lui mettrait huit jours de prison et qu’il ferait une demande en conseil de guerre. Le caporal Roualdès précise : j’ai été appelé par le lieutenant Vigneron qui m’a chargé de conduire Pennerat au colonel. Le colonel, sur demande de contre visite a répondu à Pennerat qu’il n’avait qu’à exécuter les ordres du médecin. Pennerat a été conduit le lendemain au médecin chef du service qui l’a reconnu apte à aller aux tranchées. Le lieutenant Vigneron a donné l’ordre à Pennerat de suivre le sergent major Vidal aux tranchées. Pennerat a répondu qu’il n’y allait pas tant qu’il avait son œil malade. Quant au sergent major Vidal, son audition permet de partager le même récit des faits : le lieutenant Vigneron a fait appeler le soldat Pennerat et en même temps le caporal sapeur Roualdès. Devant nous, il lui a rappelé et lu la décision des médecins, lu l’article du code de justice militaire concernant le refus d’obéissance et par deux fois lui a donné l’ordre de suivre le sergent major pour aller aux tranchées. Pennerat a répondu qu’il ne considérait pas la contre visite du médecin chef comme une contre visite, qu’il était malade et qu’il ne montrait pas aux tranchées se faire tuer bêtement.

Ces procès-verbaux sont très intéressants à lire. Ils sont certifiés exacts par leurs auteurs. Ils sont quasiment les seules sources authentiques de la parole des inculpés hormis les notes d’audience qui sont manquantes dans ce dossier.

Le médecin major de 1re classe Bory a fait le même diagnostic que celui fait précédemment par son confrère le médecin aide major de 2e classe Lecomte du 3e bataillon.

Le 17 mai, à la suite à l’établissement de ces documents, le Lieutenant-colonel Pouget a adressé au général Vidal commandant la 31e division une plainte comportant 12 pièces dont les auditions des témoins, l’interrogatoire du prévenu, la délégation du chef de corps, le rapport du commandant de compagnie, l’état signalétique et des services de confection locale, l’état des effets, la visite du médecin du 3e bataillon, la contre visite du médecin du régiment, le relevé de punitions. Il ne manquait que le relevé de casier judiciaire de ce soldat.

A cet instant, la procédure était respectée.

Le dossier de procédure ne contient pas de pièce mentionnant une éventuelle réponse du général Vidal dans cette affaire. L’absence d’une mise en jugement par le conseil de guerre de la 31e division porte à croire que le général Vidal a laissé le choix du type de conseil de guerre au chef de corps du 96e régiment d’infanterie. En effet, à partir de ce moment, c’est le chef de bataillon Genet commandant provisoirement le régiment qui va prendre en charge le dossier. On ignore la raison de l’absence du Lieutenant-colonel Pouget. Toujours est-il que le 19 mai, le chef de bataillon Genet commandant provisoirement le régiment convoquait un conseil de guerre spécial :

Le lendemain, suite à ce texte manuscrit peu protocolaire, le chef de bataillon Genet rédigeait une convocation du conseil de guerre un peu plus règlementaire.

Le conseil de guerre était convoqué pour 14 heures. Sur ce second document, les juges, le commissaire-rapporteur, le greffier, le défenseur n’avaient pas changé. Sur le document ci-dessus, deux détails montrent le manque de connaissance du fonctionnement de la justice militaire : le commissaire-rapporteur était encore appelé « commissaire du gouvernement » mais cette fonction n’existe qu’au sein des conseils de guerre permanents. Le soldat Pennerat est une nouvelle fois accusé de « refus d’obéissance en présence de l’ennemi », motif qui n’existe pas dans le code de justice militaire. Mais n’oublions pas que les conseils de guerre temporaires créés en 1875, n’avaient jamais fonctionné avant août 1914, ceci expliquant le peu de pratique des intervenants.

Soulignons que ces pièces du dossier sont encore manuscrites alors que les imprimés idoines existaient. Par exemple, le dossier de procédure du soldat Devilde Joseph jugé en janvier 1915 montre bien que le commissaire-rapporteur de la 31e division en avait à sa disposition en particulier la formule 13bis intitulée « citation directe à comparaitre à l’audience ».

Pour le soldat Pennerat, aux yeux des juges, les deux refus d’obéissance s’ajoutant aux avis des deux médecins vont peser lourd.

La minute du jugement « Formule n°16 » est absente du dossier de procédure. On trouve, à la place mais qui ne la remplace pas, une pièce de confection locale collationnant les votes des juges.

Le 20 mai 1915, à l’unanimité des voix, le conseil de guerre spécial du 96e régiment d’infanterie siégeant au PC du bois de la Truie a condamné à la peine de mort le soldat Pennerat en application de l’article 218 & 1 du code de justice militaire. Le 24 mai 1915, ce soldat a été fusillé à Somme Tourbe.

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Prisme a déjà trouvé, parmi les conseils de guerre temporaires spéciaux, des signes de la précarité de la connaissance du fonctionnement de la justice militaire par ceux qui étaient censés la mettre en œuvre. Dès le début du conflit, la mise œuvre des conseils de guerre temporaires « ordinaires » à 5 juges n’a pas dû être aisée. En effet, cette catégorie de conseil de guerre n’avait jamais fonctionné depuis leur création en 1875. Mais la création des conseils de guerre temporaires spéciaux par le décret du 6 septembre 1914 s’est faite dans la précipitation.

Comme d’autres jugements déjà dénoncés par Prisme, ce jugement comporte un vice de procédure : comme il est mentionné au bas de l’extrait du jugement ci-dessus, le chef de bataillon Genet a présidé ce conseil de guerre spécial mais il a également nommé les juges du conseil de guerre dont lui-même. C’est formellement interdit par l’article 24 du code de justice militaire qui précise que nul ne peut siéger comme président ou juge s’il a précédemment connu de l’affaire comme administrateur.

Selon le commentaire abrégé sur le code de justice militaire du capitaine Vexiau de 1876, licencié en droit, par celui qui a connu de l’affaire comme administrateur, il faut entendre celui qui a été appelé par ses fonctions à en faire l’examen et à donner son avis sur les faits qui font l’objet de la poursuite. Le capitaine Vexiau reprend la fin de l’alinéa 96 (page 91) du commentaire sur le code de justice militaire de 1858 du conseiller à la Cour de cassation Victor Foucher.

Si le conseil de révision de la IVe Armée n’avait pas été suspendu le 17 août 1914 comme d’ailleurs tous les autres conseils de révision, ce jugement aura été cassé et renvoyé devant une autre juridiction appelée à statuer de nouveau sur le sort de ce militaire.

Pour autant, dans le cadre d’un nouveau jugement, à supposer que les conseils de révision n’aient pas été suspendus, le sort du soldat Pennerat aurait-il-été différent ?

Mais d’abord rappelons la réglementation en matière de refus d’obéissance. Selon le traité théorique et pratique de droit pénal et de procédure criminelle militaires à l’usage des membres des conseils de guerre et des officiers de l’armée de terre du colonel Augier et de Le Poittevin (Edition de la société du recueil Sirey – 1918, page 582), les éléments constitutifs du refus d’obéissance sont : qu’il y ait eu refus d’obéir d’un militaire à son supérieur, que ce refus se soit produit à propos d’un ordre de service, qu’il y ait eu intention coupable. L’expression refus d’obéir ne doit pas être prise à la lettre : il n’est pas nécessaire qu’il y ait refus manifesté par une démonstration extérieure ; il suffit que l’ordre n’ait pas été exécuté, pourvu qu’il y ait eu, non simple négligence, mais intention arrêtée de ne pas se conformer à cet ordre. L’article 218 du code de justice militaire prévoit deux cas distincts de refus d’obéissance, suivant la nature de l’ordre qui a été donné : le premier est le refus d’obéir, quand un militaire est commandé pour marcher contre l’ennemi ; le second consiste dans le refus d’obéir à un ordre de service quelconque, autre que celui de marcher contre l’ennemi.

Si le 1er cas est puni par la peine de mort, le second est sanctionné par une peine de 5 à 10 ans de travaux publics.

C’est le 1er cas qui a été utilisé, à tort, par le lieutenant-colonel Auroux pour le jugement du soldat Lucien Bersot. Or, ce militaire n’a pas été commandé pour marcher contre l’ennemi. C’est pour cette raison, entre autres, que la Cour de cassation a cassé le jugement de ce militaire et l’acquitté.

Qu’en est-il pour le soldat Pennerat ? Les juges ont eu à déterminer si le refus d’obéissance de ce soldat relevait du premier ou du second cas prévu par l’article 218 du code de justice militaire.

Avant le 27 avril 1916, date de parution de la loi qui autorisait l’admission des circonstances atténuantes pour les crimes militaires, on peut penser que le verdict n’aurait pas été changé dans cette affaire, les deux refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi étant confirmés par les témoins. Les visites et contrevisites des médecins ne plaident pas en la faveur de Pennerat. Pour ce cas, les juges n’avaient que pour seuls choix l’acquittement ou la condamnation à mort.

Si ce jugement avait eu lieu après le 27 avril 1916 ou si les circonstances atténuantes avaient existé en temps de guerre pour les crimes militaires, quel aurait été le verdict des juges ? Les statistiques montrent que les jugements survenus suite à un 1er jugement cassé par un conseil de révision, se sont rarement soldés par une nouvelle condamnation à mort suivie d’une exécution mais ces évènements sont intervenus après avril 1916. On pourrait imaginer un autre sort car certains jugements montrent que des présidents de conseils de guerre ont demandé des compléments d’informations auprès du personnel médical. Mais on est là dans la conjecture.

A la date de ce jugement, les juges ne pouvaient pas formuler une demande de recours en grâce auprès du président de la République, seul l’officier qui avait ordonné le jugement avait ce droit. Ici, comme Prisme l’a expliqué ci-dessus, le chef de bataillon Genet a confondu son rôle d’administrateur et de juge mais on peut s’interroger sur les 4 jours qui se sont écoulés entre le jugement et l’exécution de Pennerat. Le décret du 1er septembre 1914 signé Millerand est très clair sur ce point : lorsqu’il décidera [le conseil de guerre] que la Justice doit suivre son cours, il se conformera, sans m’en référer, aux dispositions finales de l’article 71 du code de justice militaire, et donnera l’ordre d’exécution dans les 24 heures qui suivront la réception du jugement. Pourtant, il s’est passé encore 3 jours avant l’exécution, on peut se questionner sur une éventuelle demande de recours en grâce formulée par le chef de bataillon Genet auprès du général Vidal. C’est une spéculation que rien ne vient étayer mais on ne peut manquer de s’interroger.

Prisme a trouvé d’autres vices de procédure de cette catégorie au sein d’autres dossiers de procédure existants des conseils de guerre temporaires spéciaux qui feront l’objet d’autres articles. Toute la question est de savoir si ces vices de procédure auraient été susceptibles de changer le destin de ces soldats si le fonctionnement de la justice militaire n’avait pas été modifié sous la pression des évènements par l’autorité politique, ce que le général Bach avait appelé « le Poids du politique dans le fonctionnement de la justice militaire ».

Comme le disait le général Bach : l’historien est à l’aise tant qu’il présente des preuves archivistiques. Il en est tributaire mais il n’arrête pas sa réflexion quand celles-ci se raréfient. Au-delà, il conceptualise et émet des hypothèses, des paradigmes, termes scientifiques bien identifiés. Il quitte le domaine de la preuve irréfutable pour entrer en dialectique.

Pour André